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Meillassoux, Claude, and Robert Deliege. "Anthropologie sociale et culturelle." Journal of the Royal Anthropological Institute 1, no. 1 (March 1995): 183. http://dx.doi.org/10.2307/3034250.

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Deboos, Salomé. "Archéologie, Anthropologie sociale et culturelle et ethnologie." Revue des sciences sociales, no. 53 (September 22, 2015): 176–83. http://dx.doi.org/10.4000/revss.2938.

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Goudeaux, Annie, Germain Poizat, and Marc Durand. "TRANSMISSION CULTURELLE, FORMATION PROFESSIONNELLE ET ÉDUCATION DES ADULTES." Trabalho & Educação 28, no. 2 (August 29, 2019): 15–50. http://dx.doi.org/10.35699/2238-037x.2019.14736.

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Abstract:
Les phénomènes transmissifs peuvent être considéréscomme des unités fondamentales d’activité, constitutives et constituantes de la socialité et de l’humanité. De sorte que toute anthropologie est une anthropologie de la transmission et que l’éducation comme pratique sociale, est un représentant majeur de ces unités anthropologiques d’activité humaine. Nous argumentons dans ce texte en faveur d’une approche praxéologique de la transmission culturelle qui allouerait la priorité au fait qu’elle concerne des actions ou des activités, et qu’elle est elle-même une activité. Nous détaillons trois aspects caractérisant cette approche : a) ce qui est transmis, que nous conceptualisons comme des constituants cognitivo-praxiques typicalisés d’une culture locale, b) les processus mimétiques impliqués dans la transmission, et c) les transformations de l’activité se produisant chez les héritiers conceptualisées en termes d’appropriation et d’individuation.
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Verdon, Michel. "Sociobiologie et anthropologie : les obstacles actuels à l'intégration." Anthropologie et Sociétés 12, no. 3 (September 10, 2003): 193–205. http://dx.doi.org/10.7202/015045ar.

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Abstract:
Résumé Sociobiologie et anthropologie : les obstacles actuels à l'intégration Pour repenser les rapports de la sociobiologie à l'anthropologie, il faut revoir l'anthropologie elle-même. Soi-disant étude de la variabilité sociale et culturelle, elle a échoué dans cette tâche, d'une part à cause de sa définition de la culture et, d'autre part, à cause de ses présupposés holistes. En appréciant ce que veut vraiment dire étudier la variabilité, c'est-à-dire comparer rigoureusement, on débouche sur une anthropologie de la variabilité qui s'inspire des visées classiques. Affranchie de tout présupposé holiste et guérie de ses malaises conceptuels, cette anthropologie c néo-classique ", pour ainsi dire, nous permet de reconsidérer ses rapports avec la sociobiologie sur la base d'une analogie avec les rapports historiques entre biologie et chimie, autour de ce personnage central qu'est le grand physiologiste Claude Bernard.
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Jeannin, Philippe, and Marie-Dominique Mouton. "Vers une cartographie de la recherche en Sciences humaines et sociales : l'exemple de l'Ethnologie-Anthropologie sociale et culturelle." Politiques et management public 21, no. 3 (2003): 101–20. http://dx.doi.org/10.3406/pomap.2003.2815.

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6

Barbichon, Guy. "Ethnologie en France, ethnologie de la France." Anthropologie et Sociétés 33, no. 2 (February 23, 2010): 237–54. http://dx.doi.org/10.7202/039306ar.

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Abstract:
Les orientations des travaux de caractère ethnologique concernant le domaine français depuis la Seconde Guerre mondiale sont examinées. On relève qu’une grande attention est, dans les études, réservée à l’univers subjectif : aux représentations et à leur construction sociale, aux affects et spécialement aux émotions, ainsi qu’à l’autoanalyse de l’ethnologue sur son terrain et à ses interrogations sur l’exercice d’une anthropologie du proche. L’ethnologie de la France appréhende aujourd’hui des groupes, espaces, états, intermédiaires, au-delà des seules oppositions entre des catégories majeures. L’ethnologie a pénétré l’espace urbain, les champs de la politique et du droit, et des micro-formations sociales et culturelles très variées. Contrebalançant l’attrait des représentations, un intérêt nouveau est accordé aux actions symboliques, et spécialement aux actions rituelles. L’ethnologie appréhende les faits dans leur historicité et dans le contexte des transformations contemporaines, en connexion étroite avec le développement des travaux en histoire culturelle. L’interrogation sur l’organisation sociale et les caractères culturels globaux spécifiques de la société française demeure minoritaire.
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Rubinstein, Robert A. "Motivation et maintien de la paix." Anthropologie et Sociétés 30, no. 1 (October 24, 2006): 137–55. http://dx.doi.org/10.7202/013832ar.

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Abstract:
RésuméLe maintien de la paix multilatéral est, de plus en plus fréquemment, le moyen par lequel la communauté internationale répond aux conflits violents, qu’ils soient internes ou entre États. L’étude du maintien de la paix requiert des investigations transnationales et multi-sites dont l’importance est croissante en anthropologie. En dépit de ce fait, peu d’études anthropologiques du maintien de la paix ont été réalisées. Cet article prolonge un programme ininterrompu de recherche anthropologique sur le maintien de la paix. Il utilise la théorie de l’inversion psychologique pour interpréter des données ethnographiques recueillies par l’Organisme des Nations Unies chargé de la surveillance de la trêve (ONUST). Dans le maintien de la paix, les actions individuelles sont liées, dans un processus d’implications mutuelles, à des schémas à grande échelle de légitimité et d’efficacité du maintien de la paix. L’analyse présentée ici crée un échafaudage théorique permettant de connecter l’analyse des motivations au niveau individuel à un exposé de l’inversion culturelle dans le maintien de la paix à de plus hauts niveaux d’organisation sociale.
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Repertório, Teatro &. Dança Periódico. "Pour une anthropologie des pratiques spectaculaires : le moment du spectacle, le temps de l’événement et le temps de l’enquête [Bernard Müller]." REPERTÓRIO, no. 12 (July 20, 2012): 35. http://dx.doi.org/10.9771/r.v0i12.4338.

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Abstract:
<div>Quand il est montré au Brésil, le théâtre yoruba du Nigeria est présenté comme une forme culturelle typiquement africaine, en l'occurrence yoruba. Pour son public américain, cette forme de théâtre qui met en scène des moments d'une saga des <em>orishas</em>, serait une sorte de témoin vivant de la culture que les ancêtres déportés ont quittée. Participer à une représentation de théâtre yoruba permettrait ainsi de se relier au monde des origines, ce monde idéal situé en Afrique avant la traite négrière, c'est-à-dire avant la « contagion » moderne. Pourtant, aux yeux des adeptes des cultes des <em>orishas</em> des villes de l'intérieur du pays yoruba au Nigeria, cette forme de théâtre est un genre considéré comme « amaro », c'est-à-dire « brésilien ». On tentera d'expliquerce paradoxe en montrant comment le théâtre yoruba s'inscritdans une histoire transatlantique dont les dynamiques informent d'une construction sociale complexe, et contemporaine. <br /></div>
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d’Hombres, Emmanuel. "De la différenciation biologique à la différenciation sociale (XIXe-XXe siècles): quelques jalons historiques." Nouvelles perspectives en sciences sociales 8, no. 1 (February 7, 2013): 191–220. http://dx.doi.org/10.7202/1013922ar.

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Abstract:
Au XVIIIe siècle, « différenciation » est un terme de mathématique exclusivement. La différenciation nomme alors un procédé utilisé en analyse pour réduire le nombre de variables inconnues d’une équation. Ce n’est qu’au début du XIXe siècle que le terme commence sa carrière dans les sciences empiriques, biologie (embryologie puis anatomie comparée) tout d’abord, sciences sociales (anthropologie, sociologie et histoire) ensuite. Le vocable fait son apparition dans des travaux d’embryologie de langue allemande de l’époque romantique, marquée par la Naturphilosophie et récemment convertie au principe de l’épigenèse (principe de plasticité du développement); il est employé concurremment aux termes de complication et de composition progressive pour désigner un des aspects morphologiques du développement embryonnaire. Il faut cependant attendre la fin des années 1820 et la parution du premier volume de l’opus magnum d’Ernst Von Baer (Über Entwickelungsgeschichte der Thiere, 1828), pour voir le concept de différenciation accéder au statut épistémologique de concept modal principal en biologie du développement. Dans les années 1840, l’articulation des concepts de différenciation et de division du travail physiologique ouvrait la voie à l’extension du concept de différenciation au champ entier de l’anatomie comparée, et allait conduire de nombreux naturalistes à penser que le problème du fondement rationnel du lien entre différenciation et perfectionnement de l’organisation était en passe d’être enfin résolu. À peu près à la même époque, le terme différenciation fait son entrée en science sociale; il va servir à exprimer l’aspect institutionnel du développement historique des sociétés. Aux belles heures de l’évolutionnisme culturel, la différenciation verra sa juridiction s’étendre au domaine des phénomènes morphologiques relevant de l’anthropologie (analyse comparée des sociétés) et de l’histoire (analyse comparée des formations historiques d’une même société). De la même manière qu’en biologie le niveau de différenciation traduit le degré de perfection atteint par une formation embryonnaire ou par un organisme achevé, en sciences sociales le niveau de différenciation indique la place occupée par une formation historique du passé ou par une société actuelle dans l’échelle de la civilisation. Le « doublet anatomo-physiologique différenciation / division du travail » est désormais un couple notionnel requis aussi bien pour la compréhension des modalités du développement embryonnaire que pour l’intelligibilité des modalités de l’évolution culturelle. Nous nous attacherons dans cet article à esquisser les jalons d’une partie de l’histoire transdisciplinaire et complexe de ce concept de différenciation, dont les sciences sociales traitant du « développement » (économique, politique, social) sont aujourd’hui dans une certaine mesure héritière. Nous tâcherons ce faisant de montrer les bénéfices que peut en tirer l’historien des idées concernant la compréhension de la genèse de l’évolutionnisme culturel, en dégageant notamment le rôle joué par les doctrines naturalistes dites du parallélisme anatomo-embryologique dans l’étiologie de ce courant de pensée majeur des sciences sociales d’hier, et dont le présent ne laisse pas de porter quelque trace.
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Guenaou, Mustapha. "Société et jeunes couples à Tlemcen et son hawz: entre prescriptions et proscriptions alimentaires." Studium, no. 22 (September 4, 2018): 209–23. http://dx.doi.org/10.26754/ojs_studium/stud.2016223031.

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Abstract:
Tlemcen, ancienne capitale du Maghreb, est connue pour ses spécialités culinaires dont les origines remontent à l’arrivée massive des andalous en Afrique du Nord. Ce travail entre dans le cadre des résultats d’une enquête de terrain dans le Tlemcenois (période allant de 2006 à 2010) : Tlemcen (médina et l’intra muros de Tlemcen) et son hawz (l’extra muros de la médina). Nous avons remarqué quelques particularités et singularités, lors de nos enquêtes portant sur la vie sociale et culturelle de la population locale, tout en insistant sur les rituels de ces citadins et ces semi ruraux. Notre travail étudie l’alimentation recommandée ou interdite pour un jeune couple. L’intérêt de cette contribution touche le domaine de la socio-anthropologie, surtout dans le cas des recommandations et des interdits alimentaires, pendant la période allant depuis la nuit des noces jusqu’à la naissance du premier enfant. A cet effet, nous avons projeté de présenter une étude qualitative et l’approche adoptée serait socio anthropologique pour mieux appréhender les conditions des recommandations et des interdits alimentaires dans une société dite conservatrice et traditionnaliste et surtout identifier les raisons de ce choix, ayant pour source d’inspiration la peur ou la crainte. Dans ce cadre, il est nécessaire de faire appel à l’observation participante —une observation du comportement des parents et des beaux parents en situation relationnelle—, accompagnée d’entretiens, formels et informels, avec les couples de nouveaux mariés. Notre travail vise une réflexion portant sur l’organisation et la portée de cette pratique sociale qui reste encore d’actualité dans une médina, objet de mon champ d’action et de recherche. Notre problématique se limite à une interpellation de la mémoire collective locale : pourquoi ces recommandations et ces interdits alimentaires sont-ils respectés, uniquement, par les jeunes couples ? Mots-clés : jeunes couples, Tlemcen, hawz, alimentation, interdits alimentaires Resumen Tlemcen, la antigua capital del norte de África, es conocida por sus especialidades culinarias cuyos orígenes se remontan a la llegada masiva de andalusíes al norte de África. Este trabajo es parte de los resultados de un estudio de campo en la región de Tlemcenois: Tlemcen (la medina e intramuros de Tlemcen) y su hawz (los arrabales o extramuros de la medina). En nuestras investigaciones sobre la vida social y cultural de la población local, registramos algunas singularidades y particularidades en torno a los rituales de sus ciudadanos y de los habitantes del entorno periurbano y semirural. Nuestro estudio se centra en el análisis de la dieta recomendada y la dieta prohibida para las parejas de recién casados, sobre todo de las prescripciones y restricciones dietéticas durante el período transcurrido desde la noche de bodas hasta el nacimiento del primer hijo. Para ello, se ha llevado a cabo un estudio cualitativo, con un enfoque antropológico social, que ha posibilitado comprender mejor los condicionantes de estas recomendaciones y restricciones en la dieta de una sociedad tradicionalista y conservadora y, sobre todo, identificar las razones de una elección alimentaria basada en el miedo o en el temor. La metodología aplicada está basada en la observación participante (observación del comportamiento de los padres y futuros padres en situación relacional) acompañada de la realización de entrevistas formales e informales a las parejas de recién casados. El artículo ofrece una reflexión sobre la organización y el alcance de esta práctica social —todavía relevante en la medina objeto de nuestra investigación— y una interpelación a la memoria colectiva local: ¿por qué estas recomendaciones y restricciones dietéticas son respetadas únicamente por las parejas jóvenes? Palabras clave: parejas jóvenes, Tlemcen, hawz, alimentación, normas dietéticas
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Bekkouche, Ammara. "Cycle de formation en toponymie organisé par le CRASC/RASYD (Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle/Unité de Recherche sur les Systèmes de Dénomination en Algérie) en partenariat avec United Nations G." Insaniyat / إنسانيات, no. 65-66 (December 31, 2014): 329–33. http://dx.doi.org/10.4000/insaniyat.14927.

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Bonono, Chantal. "Daoud (Mohamed), Bendjelid (Faouzia), Detrez (Christine), dir., Écriture féminine : réception, discours et représentations. Actes du colloque international organisé le 18 et le 19 novembre 2006 à Oran. Oran : Centre National de Recherche en Anthropologie sociale et culturelle, 2010, 284-260 p. [bilingue arabe-français] – ISBN 978-9961-813-39-3." Études littéraires africaines, no. 35 (2013): 166. http://dx.doi.org/10.7202/1021728ar.

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KITLV, Redactie. "Book Reviews." New West Indian Guide / Nieuwe West-Indische Gids 64, no. 3-4 (January 1, 1990): 149–208. http://dx.doi.org/10.1163/13822373-90002021.

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Abstract:
-Mohammed F. Khayum, Michael B. Connolly ,The economics of the Caribbean Basin. New York: Praeger, 1985. xxiii + 355 pp., John McDermott (eds)-Susan F. Hirsch, Herome Wendell Lurry-Wright, Custom and conflict on a Bahamian out-island. Lanham, Maryland: University Press of America, 1987. xxii + 188 pp.-Evelyne Trouillot-Ménard, Agence de Cooperation Culturelle et Technique, 1,000 proverbes créoles de la Caraïbe francophone. Paris: Editions Caribéennes, 1987. 114 pp.-Sue N. Greene, Amon Saba Saakana, The colonial legacy in Caribbean literature. Trenton NJ: Africa World Press, Inc. 1987. 128 pp.-Andrew Sanders, Cees Koelewijn, Oral literature of the Trio Indians of Surinam. In collaboration with Peter Riviére. Dordrecht and Providence: Foris Publications, 1987. (Caribbean Series 6, KITLV/Royal Institute of Linguistics anbd Anthropology). xiv + 312 pp.-Janette Forte, Nancie L. Gonzalez, Sojouners of the Caribbean: ethnogenesis and ethnohistory of the Garifuna. Chicago: University of Illinois Press, 1988. xi + 253 pp.-Nancie L. Gonzalez, Neil L. Whitehead, Lords of the Tiger Spirit: a history of the Caribs in colonial Venezuela and Guyana 1498-1820. Dordrecht and Providence: Foris Publications, 1988. (Caribbean Series 10, KITLV/Royal Institute of Linguistics and Anthropology.) x + 250 pp.-N.L. Whitehead, Andrew Sanders, The powerless people. London and Basingstoke: Macmillan Publishers Ltd., 1987. iv + 220 pp.-Russell Parry Scott, Kenneth F. Kiple, The African exchange: toward a biological history of black people. Durham: Duke University Press, 1987. vi + 280 pp.-Colin Clarke, David Dabydeen ,India in the Caribbean. London: Hansib Publishing Ltd., 1987. 326 pp., Brinsley Samaroo (eds)-Juris Silenieks, Edouard Glissant, Caribbean discourse: selected essays. Translated and with an introduction by J. Michael Dash. Charlottesville, Virginia: The University Press of Virginia, 1989. xlvii + 272 pp.-Brenda Gayle Plummer, J. Michael Dash, Haiti and the United States: national stereotypes and the literary imagination. New York: St. Martin's Press, 1988. xv + 152 pp.-Evelyne Huber, Michel-Rolph Trouillot, Haiti: state against nation: the origins and legacy of Duvalierism. New York: Monthly Review Press, 1990. 282 pp.-Leon-Francois Hoffman, Alfred N. Hunt, Hiati's influence on Antebellum America: slumbering volcano of the Caribbean. Baton Rouge and London: Louisiana State University Press, 1988. xvi + 196 pp.-Brenda Gayle Plummer, David Healy, Drive to hegemony: the United States in the Caribbean, 1898-1917. Madison, Wisconsin: The University of Wisconsin Press, 1988. xi + 370 pp.-Anthony J. Payne, Jorge Heine ,The Caribbean and world politics: cross currents and cleavages. New York and London: Holmes and Meier Publishers, Inc., 1988. ix + 385 pp., Leslie Manigat (eds)-Anthony P. Maingot, Jacqueline Anne Braveboy-Wagner, The Caribbean in world affairs: the foreign policies of the English-speaking states. Boulder, Colorado: Westview Press, 1989. vii + 244 pp.-Edward M. Dew, H.F. Munneke, De Surinaamse constitutionele orde. Nijmegen, The Netherlands: Ars Aequi Libri, 1990. v + 120 pp.-Charles Rutheiser, O. Nigel Bolland, Colonialism and resistance in Belize: essays in historical sociology. Benque Viejo del Carmen, Belize: Cubola Productions / Institute of Social and Economic Research / Society for the Promotion of Education and Research, 1989. ix + 218 pp.-Ken I. Boodhoo, Selwyn Ryan, Trinidad and Tobago: the independence experience, 1962-1987. St. Augustine, Trinidad: ISER, 1988. xxiii + 599 pp.-Alan M. Klein, Jay Mandle ,Grass roots commitment: basketball and society in Trinidad and Tobago. Parkersburg, Iowa: Caribbean Books, 1988. ix + 75 pp., Joan Mandle (eds)-Maureen Warner-Lewis, Reinhard Sander, The Trinidad Awakening: West Indian literature of the nineteen-thirties. Westport: Greenwood Press, 1988. 168 pp.
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Drønen, Tomas Sundnes. "A Missionary Discourse on Conversion: Norwegian Missionaries in Adamawa, Northern Cameroon 1934–1960 Un discours missionnaire sur la conversion. Les missionnaires norvégiens à Adamawa, Nord Cameroun, 1934–1960. Eine missionarische Erklärung der Bekehrung. Norwegische Missionare in Adamawa, Nordkamerun 1934–1960 Un discurso misionero sobre la conversión. Misioneros noruegos en Ada mawa, norte del Camerún 1934–1960." Mission Studies 24, no. 1 (2007): 99–126. http://dx.doi.org/10.1163/157338307x191598.

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Abstract:
AbstractThis article seeks to shed light on a much-debated question in the history of mission and anthropology: What is the nature of religious conversion? rough archive studies of the literature produced by the Norwegian missionaries in northern Cameroon from 1943 to 1960 the author shows how the missionaries interpreted religious conversion. The missionary discourse on conversion was biased in a specific theological and cultural environment, yet it was open for negotiations with the encountered population. The missionaries used biblical images to describe conversion to Christianity that were coherent with the cultural practices of both the missionaries and the groups that accepted the message of the missionaries in order to describe conversion to Christianity. Biblical images that corresponded with the cultural practice of groups that did not accept the missionaries are, however, absent from the material. A Western Protestant discourse presented spiritual and social oppression, ignorance, sickness, and lack of moral behaviour as obstacles the Africans had to be liberated from in order to be converted to Christianity. The missionaries, lacking knowledge about the social and religious organisation of traditional society, interpreted the "spiritual oppression" as "heathendom," and interpreted it according to their own theological paradigm. The reactions of the local population to this civilising mission made the missionaries modify their approach in order for their project to fit the agency of the new Christians in northern Cameroon. Cet article cherche à éclairer une question très débattue en histoire de la mission et en anthropologie : quelle est la nature de la conversion religieuse ? Étudiant les archives de la littérature produite par les missionnaires norvégiens au Nord Cameroun, de 1943 à 1960, l'auteur montre comment les missionnaires ont interprété la conversion religieuse. Le discours missionnaire sur la conversion a été biaisé par un environnement théologique et culturel spécifique, tout en étant ouvert à la négociation avec les populations rencontrées. Pour décrire la conversion au christianisme, les missionnaires ont utilisé des images bibliques cohérentes avec les pratiques culturelles et des missionnaires et des groupes qui acceptèrent leur message. Les images correspondant à la pratique culturelle des groupes n'ayant pas accepté les missionnaires sont cependant absentes du matériel étudié. Un discours occidental protestant présentait l'oppression spirituelle et sociale, l'ignorance, la maladie et le manque de comportement moral comme des obstacles dont les Africains devaient être libérés pour se convertir au christianisme. Manquant de connaissance sur l'organisation sociale et religieuse de la société traditionnelle, les missionnaires interprétèrent l'oppression spirituelle comme « paganisme » et lui donnèrent le sens du paradigme théologique qu'ils comprenaient, celui du christianisme occidental. Les réactions de la population locale à cette mission civilisatrice ont poussé les missionnaires à modifier leur approche de façon à ce que leur projet rentre dans les schémas des nouveaux chrétiens du Nord Cameroun. Dieser Artikel versucht, eine vieldiskutierte Frage in der Geschichte von Mission und Anthropologie zu beleuchten: Welcher Natur ist die religiöse Bekehrung? Durch Archivstudien der Literatur, die norwegische Missionare in Nordkamerun zwischen 1934 und 1960 produzierten, sucht der Autor zu zeigen, wie die Missionare die religiöse Bekehrung interpretierten. Die missionarische Erklärung wurde durch eine spezifische theologische und kulturelle Umgebung beeinflusst, war aber auch offen für Verhandlungen mit der Bevölkerung vor Ort. Die Missionare verwendeten für die Bekehrung zum Christentum biblische Bilder, die mit den kulturellen Praktiken sowohl der Missionare wie auch der Gruppen übereinstimmten, die die Botschaft der Missionare annahmen. Biblische Bilder solcher Gruppen, die die Missionare nicht annahmen, finden sich allerdings im untersuchten Material nicht. Ein westlich protestantischer Diskurs stellte die spirituelle und soziale Unterdrückung, Unwissenheit, Krankheit und das Fehlen moralischen Handelns als Hindernisse dar, von denen die Afrikaner befreit werden mussten, damit sie zum Christentum bekehrt werden konnten. Die Missionare, denen die Kenntnis der sozialen und religiösen Struktur der traditionellen Gesellschaft fehlte, interpretierten die ,,spirituelle Unterdrückung" als ,,Heidentum", in Übereinstimmung mit einem theologischen Paradigma, das sie kannten, nämlich das westliche Christentum. Die Reaktionen der Bevölkerung vor Ort auf diese Zivilisierungsmission führten dazu, dass die Missionare ihren Zugang veränderten, damit sich ihr Vorhaben in das Handlungsmuster der jungen Christen in Nordkamerun einfügen konnte. Este artículo intenta aclarar un tema muy discutido en la historia de la misión y antropología: ¿Cuál es la naturaleza de la conversión religiosa? A través de estudios de archivos de la literatura producida por misioneros noruegos en el norte de Camerún entre 1934 hasta 1960 el autor muestra cómo los misioneros interpretaron la conversión religiosa. El discurso misionero de la conversión fue influenciado por un ambiente teológico y cultural específico, aunque fue abierto a negociaciones con la población que se encontró. Los misioneros usaron imágenes bíblicas para describir la conversión al cristianismo que eran coherentes con las prácticas culturales tanto de los misioneros como de los grupos que aceptaron el mensaje de los misioneros. Por el contrario, no entraron en el material las imágenes bíblicas que correspondieron con la práctica cultural de grupos que no aceptaron a los misioneros. El discurso protestante occidental presentó la opresión espiritual y social, la ignorancia, la enfermedad y la falta de comportamiento moral como los obstáculos de los que se debía liberar a los africanos para que se los pudiera convertir al cristianismo. Los misioneros, en su desconocimiento de la organización social y religiosa de la sociedad tradicional, interpretaron la "opresión espiritual" como "paganismo" y lo interpretaron de acuerdo con un paradigma que ellos sí comprendieron: el cristianismo occidental. Las reacciones de la población local a esta misión civilizadora llevaron a los misioneros a modificar su acercamiento para que su proyecto pudiera integrarse mejor en la actuación de los nuevos cristianos del norte de Camerún.
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Wulf, Christoph. "Une Anthropologie Historique et Culturelle. Rituels, Mimésis Sociale et Performativité (Historical and Cultural Anthropology. Rituals, Social Mimesis and Performativity)." SSRN Electronic Journal, 2007. http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.3729898.

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Gagnon, Éric. "Sociologie et anthropologie." Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.038.

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Abstract:
L’anthropologie sociale et la sociologie sont des disciplines jumelles. Toutes deux s’intéressent à la diversité des formations sociales et à leurs transformations, plus particulièrement à l’articulation entre la subjectivité ou l’expérience individuelle et l’univers social. Elles partagent sensiblement les mêmes méthodes (observation, entrevues, recensements, analyse de textes, etc.), elles puisent toutes les deux dans les mêmes disciplines avoisinantes (histoire, philosophie, psychanalyse, études littéraires), et surtout, elles pratiquent entre elles de nombreux échanges (concepts, cadres théoriques, analyses). Nombreuses sont les personnes qui circulent entre les deux par l’enseignement, les colloques et les revues. L’anthropologie et la sociologie partagent également les mêmes doutes: elles sont promptes à se remettre en cause et à interroger leurs fondement en raison du rapport complexe qu’elles entretiennent avec leur «objet»; elles sont tiraillées entre une revendication de scientificité et d’objectivité, et un désir d’engagement dans les débats sociaux, entre un rattachement à la science et un rattachement aux humanités, entre l’usage d’un langage neutre et technique et un langage plus personnel et littéraire; elles demeurent également toutes les deux tentées par une forme d’impérialisme : le désir de rassembler sous son aile théorique les autres sciences sociales. Disciplines jumelles, elles ne sont pas pour autant identiques. Des différences importantes demeurent, qui ont cependant évolué ces dernières décennies. Il y a quarante ans encore, on pouvait distinguer l’anthropologie sociale et la sociologie, en notant que la première (de l'anthropologie culturelle américaine au structuralisme français) s’intéresse aux sociétés les plus diverses, qu’elle compare entre elles, afin de dégager les constantes et les variations, alors que la seconde (de l'école durkheimienne à la sociologie urbaine de Chicago) s’intéresse uniquement aux sociétés modernes, qu’elle compare chacune avec son passé pour mesurer ce qui a changé et comprendre le sens de la modernité. La première fait une comparaison dans l’espace entre des sociétés très différentes, l’autre fait une comparaison dans le temps, entre deux moments d’une même société. La première s’emploie à réduire l’écart entre les cultures en montrant comment les conduites et les représentations des «autres», bien que différentes ne pas sont irrationnelles, barbares ou arriérées (Lévi-Strauss, 1962; Geertz, 1983), alors que la seconde s’interroge sur ce que «nous» sommes devenus, ce que nous avons gagné ou perdu avec les transformations de la société (Touraine, 1992; Freitag, 2002). Cette distinction n’est toutefois plus possible aujourd’hui, et cela pour plusieurs raisons. D’abord, les sociétés exotiques ou radicalement différentes de l’Occident ont disparu, et les cultures comme entités relativement homogènes et séparées ont fait place à des villes cosmopolites et aux échanges planétaires. Anthropologie et sociologie comparent les différentes formes et expériences de modernisation et de modernité à travers le monde (Dumont, 1983). Elles s’intéressent aux mêmes objets, des biotechnologies aux transformations de la famille en passant par l’État et les réseaux internet. Ensuite, les deux disciplines font face à des interprétations concurrentes de plus en plus nombreuses : elles voient leurs analyses critiquées et réfutées par ceux-là même qu’elles étudient. Elles s’insèrent dans des débats sociaux et politiques qui les précèdent et auxquels elles apportent un point de vue susceptible d’être contesté. Enfin, le caractère de plus en plus opérationnel, appliqué et pluridisciplinaire de la recherche, favorise au sein des deux disciplines l’uniformisation des méthodes et des approches théoriques, et surtout conduit à la fragmentation des objets. Elles étudient moins des sociétés ou des cultures que des secteurs d’activités (ex : la santé, la famille, la religion), et avec cette spécialisation, un anthropologue et un sociologue travaillant dans le même secteur ont souvent davantage en commun et à partager, que deux anthropologues travaillant dans des secteurs différents. Ces changements n’ont toutefois pas entièrement effacé les différences. L’anthropologie et la sociologie conservent chacune un style et une orientation qui lui sont propres, et qui tiennent à leur rapport différent à la modernité. Toutes deux entretiennent un rapport ambivalent aux idéaux de la modernité, mais l’ambivalence n’est pas la même. Les sociologues demeurent largement attachés aux idéaux d’autonomie, de rationalisation et d’égalité. L’émancipation des individus et des collectivités à l’égard des croyances et des idéologies, et de toutes les formes de domination politique et culturelle, ainsi que le développement d’une capacité du sujet de réfléchir sa situation et de s’orienter en fonction d’un projet politique, demeurent au centre de l’analyse et de l’imagination sociologique (Wright Mills, 1959). La critique porte largement sur la perversion de ces idéaux : perversion de l’autonomie dans l’individualisme, de la raison dans la rationalité instrumentale, de l’égalité dans les différences d’accès aux décisions, aux biens et aux savoirs. D’où cet effort constant des sociologues pour placer les sociétés modernes devant leurs contradictions, rappeler leurs promesses non tenues (persistance des inégalités, formes de domination) et montrer les effets pervers de leurs idéaux (bureaucratie, narcissisme); d’où leur intérêt pour ce qui favorise l’esprit critique : l’éducation, les espaces de discussion, de délibération et de participation politique. Plus distants à l’égard de l’Occident, les anthropologues n’en sont pas moins attachés à certaines valeurs de la modernité, l’autonomie et l’égalité, et tout particulièrement l’idéal politique de tolérance et de respect des différences. L’anthropologie continue de s’intéresser à tout ce qui s’écarte de la culture occidentale, aux façons de vivre, de faire et de dire qui se démarquent de celles que le marché et les médias imposent partout dans le monde, à toutes les identités, pratiques et savoirs à la marge, dissidentes ou exclues des courants dominants, à tout ce qui est considéré comme anormal, regardé avec mépris ou négligé. L’anthropologie demeure une critique de toute forme d’absolutisme dans la pensée, la morale et le jugement esthétique (Geertz, 2000) ; elle s’emploie à élargir notre expérience et notre compréhension du monde, à les ouvrir à tout ce qui étonne et dérange au premier abord; elle invite à ne pas demeurer prisonnier de son point de vue. Du relativisme culturel qu’elle a longtemps défendu, l’anthropologie conserve cet intérêt pour l’autre, jamais identique ni absolument différent de soi. D’où cette préoccupation constante chez les anthropologues pour la relation qu’ils entretiennent avec ceux qu’ils étudient et ce qui est en jeu dans cette relation; d’où leur attachement au terrain, à la description minutieuse des pratiques et des représentations, alors que les sociologues aiment élaborer de grandes typologies et périodisations. L’autonomie demeure ainsi la grande affaire de la sociologie, et l’altérité est le maitre mot de l’anthropologie. En sociologie, les travaux d’Ulrich Beck (2001) et d’Antony Giddens (1991), chacun à leur manière, illustrent la place centrale qu’occupe la question de l’autonomie. Le premier a défini la société contemporaine comme une société du risque, caractérisée par une crise de la planification et du progrès, une perte de confiance dans la rationalité scientifique et une perte de maitrise des sociétés et des individus sur leur destin; l’un des enjeux principaux auxquelles ces sociétés font face est la capacité des individus à exercer leur jugement critique. Le second s’est longuement intéressé à la manière dont les «acteurs» réfléchissent leur situation, se construisent une identité, font des choix; si la société exerce des contraintes sur les individus, elle leur fournit également des ressources pour penser leur situation et s’en émanciper. En anthropologie, les travaux de Philippe Descola (2005) et d’Ellen Corin (2010) donnent deux aperçus de la manière de traiter la question de l’altérité et des rapports que les individus et les groupes entretiennent avec elle. Le premier s’est attelé à comprendre la diversité des rapports que les sociétés ont entretenu avec la nature, des formes d’altérité que l’homme entretient avec les animaux notamment, brouillant ainsi les frontières entre nature et culture. La seconde s’est longuement intéressée à la capacité des individus et des sociétés à tolérer la différence et la marge, à nommer et symboliser ce qui est étrange et dérange, à composer avec l’altérité radicale, logée en eux-mêmes, leurs pulsions, ce qui les trouble. Ce ne sont là que quelques exemples qui illustrent les préoccupations au centre des deux disciplines. Comme toute distinction, celle-ci est bien sûr trop schématique : les oppositions sont rarement aussi nettes et les chevauchements souvent très nombreux. Sans doute faut-il éviter les cloisonnements, ne pas délimiter des territoires ou des champs de pratique réservés, tout comme il faut se garder de tout confondre et d’abolir les différences. Si un écart doit être maintenu, c’est pour préserver un espace où circuler et échanger.
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Bergeron, Patrice. "L’anthropologie de la reconnaissance de Marcel Hénaff et la question du symbolisme : sur la pertinence de relire Mauss après Lévi-Strauss." Studies in Religion/Sciences Religieuses, May 11, 2021, 000842982110102. http://dx.doi.org/10.1177/00084298211010263.

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La fécondité de l’œuvre de Marcel Hénaff (1942–2018) pour penser les sociétés occidentales modernes et ce qu’elles deviennent reste encore à apprécier. Sous la diversité des thèmes qu’elle aborde se cache une pensée d’une grande cohérence – Le prix de la vérité. Le don, l’argent, la philosophie (2002) en est le meilleur exemple. Cette pensée qui est inspirée de l'anthropologie sociale et culturelle, de la phénoménologie et, par moments, de la théologie chrétienne, doit sa forme au regard généalogique qu’elle mobilise. Mais c’est par rapport au religieux tel qu’il a été pensé dans l’école française de sociologie et d’anthropologie qu’il faut la situer pour en saisir toute la cohérence. Car c’est la question du symbolisme telle qu’elle se présente chez Claude Lévi-Strauss qui a propulsé la pensée d’Hénaff et l’a conduite à « réactiver » l’héritage de Marcel Mauss sur le don réciproque cérémoniel, de manière à développer sa propre anthropologie de la reconnaissance.
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Debaene, Vincent. "Anthropologie et littérature." Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.090.

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Evoquer les rapports entre anthropologie et littérature, c'est un peu ouvrir la boîte de Pandore, en raison de la plasticité des deux termes en présence, particulièrement du second, en raison également de la charge affective dont ils sont investis. Le simple rapprochement des deux notions est invariablement porteur d'une réflexion sur la nature même de l'anthropologie et a souvent valeur polémique, ce qui explique en retour les réactions virulentes qu'il peut susciter. Qu'on prétende montrer la porosité de l'ethnologie et de la littérature ou qu'on veuille au contraire prémunir l'anthropologie de toute corruption littéraire, il s'agit toujours pour l'ethnologue de s'interroger sur sa propre pratique et de la définir. Il faut pourtant essayer d'y voir clair, et pour cela partir des études qui traitent effectivement de cette question en essayant d'abord d'y mettre de l'ordre. On peut distinguer trois cas ou trois façons d'articuler littérature et anthropologie: les études anthropologiques qui prennent la littérature orale ou écrite pour objet; les réflexions épistémologiques ou historiques qui envisagent la littérature et l'anthropologie comme des discours et s'interrogent sur les rapports que ces discours peuvent entretenir; les travaux, menés ou non par des anthropologues, qui cherchent un savoir anthropologique dans des œuvres considérées comme littéraires. La première de ces trois formes de mise en rapport n'est pas en tant que telle problématique; elle consiste à examiner dans une perspective anthropologique la littérature en tant qu'activité symbolique et culturelle valorisée par une société donnée. C'est à ce titre que la littérature orale est objet d'ethnologie depuis longtemps. On pourra seulement noter que les travaux qui, selon les mêmes principes, prendraient pour objet la littérature écrite des sociétés modernes sont plus rares. A cela il y a deux raisons évidentes: la production comme la consommation de littérature écrite sont très majoritairement solitaires et privées et se prêtent mal à une observation ethnographique classique. Cela n'a pas empêché certains anthropologues de refuser cette exclusion, par exemple en rétablissant la continuité entre tradition orale et poésie moderne (Casajus 2012) ou en proposant une ethnographie de la création littéraire, qui s'attache à la matérialité des pratiques des écrivains, aux formes de subjectivation par l'écriture ou à la sacralité propre à l'œuvre littéraire dans les sociétés modernes (Fabre 1999, 2014). La troisième ensemble de travaux décèle dans des corpus reconnus comme littéraires une ressource anthropologique. Là encore, il faut distinguer entre, d'une part, les études qui identifient dans les textes les jeux et les conflits entre formes culturelles hétérogènes (orale vs écrite, sacrée vs profane...) (c'est l'objet d'un courant des études littéraires, l'ethnocritique (Privat et Scarpa 2010)) et, d'autre part, les tentatives qui lisent les œuvres de la littérature comme porteuses d'un savoir anthropologique, voire de « leçons » à destination des ethnologues (Bensa et Pouillon 2012). Dans ces deux cas, la littérature est d'abord envisagée comme un corpus, dont la constitution n'est pas questionnée (en cela, ces analyses se distinguent de la sociologie de la littérature) et dont on montre la richesse et la densité telle qu'elles sont révélées par une approche ethnologiquement informée. Dans cette perspective, on a pu en particulier souligner les vertus d'une création fictionnelle qui permet, par variation imaginaire, de mettre en pleine lumière certaines déterminations anthropologiques (Jamin 2011, 2018). Mais la façon la plus fréquente d'articuler anthropologie et littérature, celle qui a donné lieu aux travaux les plus nombreux, consiste à considérer l'une et l'autre comme des discours, analogues ou rivaux, mais comparables dans leur rapport au lecteur et dans leur visée. Le gros de ces études s'est développé à partir des années 1980 et du tournant postmoderne de l'anthropologie. Il s'agissait alors d'attirer l'attention sur tout ce que l'anthropologie et la littérature ont en commun, dans un but plus général de dénonciation de l'objectivisme de la discipline. Contre l'idée que l'ethnographe est un observateur neutre d'une réalité sociale qu'il décrit et analyse, on a commencé par rappeler que son activité première n'est ni l'observation, ni la participation, ni l'interprétation, mais l'écriture (Geertz 1973). Dès lors, on a pu montrer que l'anthropologie relevait d'une poétique au même titre que la littérature des temps anciens (du temps où la poétique était prescriptive, la fabrication des œuvres reposant sur un certain nombre de règles à suivre) ou que la littérature des temps modernes (lorsque la poétique est devenu singulière et implicite, mais pouvait être reconstruite a posteriori par le critique à l'analyse des œuvres). Alors que l'anthropologie sociale s'était établie au 19e siècle par l'ambition de constituer en science le discours sur l'homme en société, tous les éléments considérés habituellement comme des marqueurs de scientificité se sont retrouvés mis en question par ces interrogations poétiques. Le dogme fondateur du refus de la fiction s'est trouvé d'abord fragilisé lorsque Clifford Geertz, réactivant l'étymologie du terme (du latin fingere, fabriquer, construire), a insisté sur la part d'imagination inhérente à l'écriture ethnographique, comparant la reconstruction des interactions sociales dans un univers donné au travail d'imagination de Gustave Flaubert dans Madame Bovary (Geertz 1973, 15-16). Puis ce dogme a été franchement remis en cause lorsque James Clifford, insistant davantage sur l'invention qu'exige un tel travail, a proposé d'envisager les travaux ethnographiques comme des constructions textuelles – true fictions et partial truths – à la fois, donc, partielles et partiales (Clifford 1986). Dans son sillage, on s'est plu à montrer que les anthropologues, comme les écrivains, avaient des « styles » (Geertz 1988) et, plus généralement, rétablir des continuités entre discours littéraire et discours anthropologique, retrouvant chez les anthropologues classiques des tropes, des modes de narration, des conceptions de soi et de l'autre, hérités de la poésie romantique, de la tradition du récit de voyage ou de celle du roman d'aventures. Ainsi a-t-on mis en évidence, par exemple, toute l'influence que l'œuvre de Joseph Conrad avait pu exercer sur celle de Bronislaw Malinowski (Clifford 1988b) ou l'articulation profonde entre projet anthropologique et ambition poétique chez Edward Sapir et Ruth Benedict (Handler 1986). Dès lors, la rupture entre anthropologie et littérature – moins affirmée par les fondateurs de la discipline que simplement postulée, puisqu'il était évident qu'en la consacrant comme science, on sortait l'anthropologie du monde des œuvres et de la belle parole – a pu apparaître non comme une coupure mais comme une dénégation. En niant qu'elle relevait d'une poétique, l'anthropologie niait surtout qu'elle relevait d'une politique (comme le souligne le sous-titre du célèbre recueil Writing Culture (Clifford et Marcus 1986)). Le questionnement poétique – qui interroge la fabrication des textes ethnographiques – s'est ainsi doublé d'un questionnement rhétorique, qui s'attache à la circulation de ces textes, aux déterminations pesant sur leur conception comme sur leur réception. On a souligné, dans les textes classiques de la discipline, le silence entourant les conditions d'obtention de l'information ou les rapports avec l'administration coloniale, l'éclipse des informateurs et des sources, le privilège accordé de facto au point de vue masculin, les déformations introduites par les exigences de l'univers académique de réception, etc. En écho avec d'autres réflexions épistémologiques soucieuses d'élucider les rapports entre projet anthropologique et projet colonial, la question de l'autorité ethnographique est devenue centrale, le discours et le texte anthropologiques apparaissant comme un des lieux majeurs où s'articulent savoir et pouvoir (Clifford 1988a). Dans cette perspective, la littérature « indigène » a pu être parfois promue non plus seulement comme une source mais bien comme la seule ethnographie véritable puisqu'elle échappe (censément) à toute appropriation autoritaire de la parole par une instance extérieure. Ces réflexions ont eu pour conséquence une certaine libération de l'écriture ethnographique, une plus grande réflexivité touchant les procédures de composition des textes, voire la promotion de modes de restitution et d'exposé inventifs et polyphoniques, prenant parfois pour modèle des formes anciennes de textualité ethnographique, antérieures à la stabilisation disciplinaire. Elles ont aussi suscité des critiques pour leur complaisance et parce qu'elles déplaçaient excessivement l'attention vers les pratiques des ethnographes au détriment de leurs objets, conduisant à une sorte de narcissisme de l'écriture (Bourdieu 1992). Dans tous les cas pourtant, malgré la prétention à reconnaître la part « littéraire » de l'ethnologie, il était en fait moins question de littérature que d'écriture de l'ethnographie. C'est en partie une conséquence du cadre anglo-américain dans lequel ces réflexions ont émergé. D'abord parce que, en anglais, les termes literature et literary ont un sens plus technique et instrumental qu'en français où le terme littérature désigne d'abord, dans l’usage courant tout au moins, sinon un canon, en tout cas une logique de consécration : seules les œuvres appartiennent de plein droit à la littérature. Que l'anthropologie exige un travail de l’écriture est une chose, que ce dispositif formel fasse une œuvre en est une autre (Debaene 2005). Ensuite, parce que ce prétendu « réveil littéraire de l'anthropologie » s'inscrit bon gré mal gré dans une conception herméneutique de la discipline et repose sur la conviction que « la philologie est, somme toute, l'ancêtre du 19e siècle commun à l'anthropologie et aux études littéraires » (Daniel et Peck 1996: 8, 11). Or si une telle construction généalogique est pertinente aux Etats-Unis, elle ne l'est pas partout, et les relations des ethnologues à la littérature (envisagée soit comme un corpus, soit comme une technique d'écriture) et aux études littéraires (envisagée soit comme un type d'approche, soit comme une discipline) varient beaucoup selon les lieux et les histoires disciplinaires nationales (Debaene 2010). S'il est vrai que l'anthropologie comme la littérature sont avant tout des réalités locales, alors il importe de comprendre que l'étude de leurs rapports ne relève pas premièrement d'un questionnement épistémologique mais d'abord d'une histoire de la culture.
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19

Diasio, Nicoletta. "Reconnaissance et pouvoir." Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.036.

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Abstract:
« T'es noire, pauvre, moche, et en plus t'es une femme ». La protagoniste du roman d'Alice Walker (1999) à qui ces mots sont adressés, saura bien s'affranchir de la domination à laquelle ces marquages sociaux semblent la destiner. Une anthropologie non hégémonique questionne la manière dont des entités individuelles ou collectives, assignées à une position de subordination, et épinglées à une altérité légitimée par des inégalités sociales, économiques ou par une prétendue différence physique, identitaire ou culturelle, se saisissent de ces catégories pour les remettre en question, s'affirmer, se construire et retourner des positions de vulnérabilité en force. Ces retournements ne sont pas uniquement de l'ordre de la ruse ou des contre-pouvoirs de ceux qui campent dans la liminalité : elles impliquent des négociations, des actions, des jeux de rôles, des résistances qui font du pouvoir, un champ multiforme et mobile de relations stratégiques entre des individus et des groupes (Foucault 1984). Il s'agit alors d'analyser des rapports complexes et instables entre agentivité et gouvernementalité et les liens multiples qui se nouent entre puissance d'action individuelle, interactions sociales, institutions, savoirs et socio-histoires. Cette posture interroge la tension entre la vulnérabilité existentielle et l'organisation politique et sociale des vulnérabilités en tant qu’art du gouvernement de soi et d'autrui. Son ambition est de relever le défi lancé par Fassin, d'étudier les effets d'influence réciproque entre la « condition comme 'opération d'objectivation' par laquelle les structures et les normes sociales se traduisent dans la vie quotidienne […] dans la manière d'être vis-à-vis de soi, des autres et du monde, et l'expérience, comme 'opération de subjectivation' par laquelle les gens donnent forme et sens à ce qu'ils vivent » (Fassin 2005 : 332). La vision du pouvoir comme dispositif permettant à la fois l'émergence des subjectivités et leur contrôle, voire leur négation par réification, se trouve également au cœur du débat contemporain sur la reconnaissance et la visibilité sociale. Les luttes pour la reconnaissance semblent avoir, dans le monde contemporain, une étendue et une légitimité inédite. La reconnaissance semble devenir le langage à travers lequel s’expriment les luttes sociales aujourd’hui. Ce concept, venant de la philosophie politique et sociale, pour essaimer ensuite dans la sociologie et, plus tardivement, l’anthropologie, a été même envisagé comme une notion clé et un objet non reconnus, mais fondateurs des sciences sociales contemporaines (Caillé 2007 ; pour une analyse de la mobilisation et des usages du concept de « reconnaissance » dans les sciences sociales de 1993 à 2013, voir Bigi 2014). Une anthropologie qui se veut décentrée et engagée n’est pas étrangère aux postulats qui fondent le concept de reconnaissance : la prise en compte du statut relationnel et non plus substantiel du sujet, sa vulnérabilité constitutive, l'importance de la confirmation intersubjective de capacités et de qualités morales, la réciprocité comme manière d'arracher l'individu à une symétrie déniée, sa dimension performative (Honneth 2002, 2006; Ferrarese 2007). Cette anthropologie dialogique ambitionne à analyser autant les formes de relégation au silence, au mépris et à la disqualification, que les manières qu'ont les sujets -individuels et collectifs- de s'arracher à l'invisibilité et à l'humiliation (Battegay et Payet 2008). Cette anthropologie interroge également les contextes institutionnels et socio-juridiques, et ces espaces publics où prennent forme, s'expriment et se donnent à voir des besoins, des langages, des mediums, des collectifs nouveaux. Ces luttes questionnent enfin la co-construction de soi et de l'autre dans des processus de visibilité mutuelle : il en est ainsi, par exemple, de la minorité qui demande et de l'État qui reconnaît. Toutefois, une anthropologie non hégémonique est également appelée à débusquer les embûches d'une demande de reconnaissance qui risque de produire ou de reproduire des catégories sociales que fondent la réification, l'altérité ou l'asymétrie. « Je ne veux pas être la victime de la Ruse d'un monde noir », écrivait Frantz Fanon (1952: 186). Il en est ainsi de ces demandes de revendication et de défense identitaire qui, loin de défaire des identités, en montrant le caractère construit d'éléments tels que le genre, l'ethnie, la « race » ou l'orientation sexuelle, risquent de figer et de contraindre « les sujets mêmes [qu’elles] espèrent représenter ou libérer » (Butler 2005: 148). Ce modèle identitaire, dont le caractère illusoire et réifiant a été soulevé à plusieurs reprises (Clifford 1988; Bayart 1996; Fraser 2005), échoue dans sa demande de reconnaissance: il dissimule les asymétries et les compétitions sein du groupe, il occulte les formes de déplacement du pouvoir, il engendre des concurrences victimaires et renforce d'autres formes, moins visibles, d'assujettissement.
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20

Gagné, Natacha. "Anthropologie et histoire." Anthropen, 2017. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.060.

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Abstract:
On a longtemps vu l’histoire et l’anthropologie comme deux disciplines très distinctes n’ayant pas grand-chose en partage. Jusqu’au début du XXe siècle, l’histoire fut essentiellement celle des « civilisés », des Européens et donc des colonisateurs. Si les colonisés n’étaient pas complètement absents du tableau, ils étaient, au mieux, des participants mineurs. L’anthropologie, pour sa part, s’est instituée en ayant pour objet la compréhension des populations lointaines, les « petites sociétés », autochtones et colonisées, ces populations vues comme hors du temps et de l’histoire. Cette situation était le produit d’une division traditionnelle (Harkin 2010 : 114) – et coloniale (Naepels 2010 : 878) – du travail entre histoire et anthropologie. Celle-ci se prolongeait dans le choix des méthodes : les historiens travaillaient en archives alors que les anthropologues s’intéressaient aux témoignages oraux et donc, s’adonnaient à l’enquête de terrain. Les deux disciplines divergeaient également quant à la temporalité : « Pour l’histoire, (…) le temps est une sorte de matière première. Les actes s’inscrivent dans le temps, modifient les choses tout autant qu’ils les répètent. (…) Pour l’anthropologue, s’il n’y prend garde, le temps passe en arrière-plan, au profit d’une saisie des phénomènes en synchronie » (Bensa 2010 : 42). Ces distinctions ne sont plus aujourd’hui essentielles, en particulier pour « l’anthropologie historique », champ de recherche dont se revendiquent tant les historiens que les anthropologues, mais il n’en fut pas de tout temps ainsi. Après s’être d’abord intéressés à l’histoire des civilisations dans une perspective évolutionniste et spéculative, au tournant du siècle dernier, les pères de l’anthropologie, tant en France (Émile Durkheim, Marcel Mauss), aux États-Unis (Franz Boas), qu’en Angleterre (Bronislaw Malinowski, Alfred Radcliffe-Brown), prendront fermement leur distance avec cette histoire. Les questions de méthode, comme le développement de l’observation participante, et l’essor de concepts qui devinrent centraux à la discipline tels que « culture » et « fonction » furent déterminants pour sortir de l’idéologie évolutionniste en privilégiant la synchronie plutôt que la diachronie et les généalogies. On se détourna alors des faits uniques pour se concentrer sur ceux qui se répètent (Bensa 2010 : 43). On s’intéressa moins à l’accidentel, à l’individuel pour s’attacher au régulier, au social et au culturel. Sans être nécessairement antihistoriques, ces précepteurs furent largement ahistoriques (Evans-Pritchard 1962 : 172), une exception ayant été Franz Boas – et certains de ses étudiants, tels Robert Lowie ou Melville J. Herskovits – avec son intérêt pour les contacts culturels et les particularismes historiques. Du côté de l’histoire, on priorisait la politique, l’événement et les grands hommes, ce qui donnait lieu à des récits plutôt factuels et athéoriques (Krech 1991 : 349) basés sur les événements « vrais » et uniques qui se démarquaient de la vie « ordinaire ». Les premiers essais pour réformer l’histoire eurent lieu en France, du côté des historiens qui seront associés aux « Annales », un nom qui réfère à la fois à une revue scientifique fondée en 1929 par Marc Bloch et Lucien Febvre et à une École d’historiens français qui renouvela la façon de penser et d’écrire l’histoire, en particulier après la Seconde Guerre mondiale (Krech 1991; Schöttler 2010). L’anthropologie et la sociologie naissantes suscitèrent alors l’intérêt chez ce groupe d’historiens à cause de la variété de leurs domaines d’enquête, mais également par leur capacité à enrichir une histoire qui n’est plus conçue comme un tableau ou un simple inventaire. Les fondateurs de la nouvelle École française des Annales décrivent leur approche comme une « histoire totale », expression qui renvoie à l’idée de totalité développée par les durkheimiens, mais également à l’idée de synthèse du philosophe et historien Henry Berr (Schöttler 2010: 34-37). L’histoire fut dès lors envisagée comme une science sociale à part entière, s’intéressant aux tendances sociales qui orientent les singularités. L’ouvrage fondateur de Marc Bloch, Les rois thaumaturges (1983 [1924]), pose les jalons de ce dépassement du conjoncturel. Il utilise notamment la comparaison avec d’autres formes d’expériences humaines décrites notamment dans Le Rameau d’Or (1998 [1924; 1890 pour l’édition originale en anglais]) de James G. Frazer et explore le folklore européen pour dévoiler les arcanes religieux du pouvoir royal en France et en Angleterre (Bensa 2010; Goody 1997). Il s’agit alors de faire l’histoire des « mentalités », notion qui se rapproche de celle de « représentation collective » chère à Durkheim et Mauss (sur ce rapprochement entre les deux notions et la critique qui en a été faite, voir Lloyd 1994). Les travaux de la deuxième génération des historiens des Annales, marqués par la publication de l’ouvrage de Fernand Braudel La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II en 1949 et de son arrivée en 1956 à la direction de la revue, peuvent encore une fois mieux se comprendre dans l’horizon du dialogue avec l’anthropologie, d’une part, et avec les area studiesqui se développèrent aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, de l’autre (Braudel 1958). Le projet est de rapporter « la spécificité des acteurs singuliers, des dates et des événements à des considérations plus vastes sur la transformation lente des mœurs et des représentations. Le travail ne consiste pas seulement à capter au projet de l’histoire des rubriques chères à l’anthropologie, mais aussi à caractériser une époque [et une région] par sa façon de percevoir et de penser le monde » (Bensa 2010 : 46). Il s’agit alors de faire l’histoire des structures, des conjonctures et des mentalités (Schöttler 2010 : 38). Les travaux de cette deuxième génération des Annales s’inscrivent dans un vif débat avec l’anthropologie structuraliste de Claude Lévi-Strauss. Si tant Braudel que Lévi-Strauss voulaient considérer les choses de façon globale, Lévi-Strauss situait la globalité dans un temps des sociétés des origines, comme si tout s’était joué au départ et comme si l’histoire n’en serait qu’un développement insignifiant. Pour sa part, Braudel, qui s’intéressait à l’histoire sérielle et à la longue durée, situait plutôt la globalité dans un passé qui sert à comprendre le présent et, jusqu’à un certain point, à prévoir ce qui peut se passer dans le futur. Ce qui constitue le fond de leur opposition est que l’un s’intéresse à l’histoire immobile alors que l’autre s’intéresse à l’histoire de longue durée, soit l’histoire quasi immobile selon laquelle, derrière les apparences de la reproduction à l’identique, se produisent toujours des changements, même très minimes. Dans les deux cas, l’ « événementiel » ou ce qui se passe à la « surface » sont à l’opposé de leur intérêt pour la structure et la profondeur, même si ces dernières ne sont pas saisies de la même façon. Pour Braudel, la structure est pleinement dans l’histoire ; elle est réalité concrète et observable qui se décèle notamment dans les réseaux de relations, de marchandises et de capitaux qui se déploient dans l’espace et qui commandent les autres faits dans la longue durée (Dosse 1986 : 89). Les travaux de Braudel et son concept d’ « économie-monde » inspireront plusieurs anthropologues dont un Marshall Sahlins et un Jonathan Friedman à partir du tournant des années 1980. Pour Lévi-Strauss, la structure profonde, celle qui correspond aux enceintes mentales humaines, « ne s’assimile pas à la structure empirique, mais aux modèles construits à partir de celle-ci » (Dosse 1986 : 85). Elle est donc hors de l’histoire. Comme le rappelait François Hartog (2014 [2004] : 287), Lévi-Strauss a souvent dit « rien ne m’intéresse plus que l’histoire. Et depuis fort longtemps! » (1988 : 168; voir d’ailleurs notamment Lévi-Strauss 1958, 1983), tout en ajoutant « l’histoire mène à tout, mais à condition d’en sortir » (Lévi-Strauss 1962 : 348) ! Parallèlement à l’entreprise déhistoricisante de Lévi-Strauss, d’autres anthropologues insistent au contraire à la même époque sur l’importance de réinsérer les institutions étudiées dans le mouvement du temps. Ainsi, Edward E. Evans-Pritchard, dans sa célèbre conférence Marett de 1950 qui sera publiée en 1962 sous le titre « Anthropology and history », dénonce le fait que les généralisations en anthropologie autour des structures sociales, de la religion, de la parenté soient devenues tellement généralisées qu’elles perdent toute valeur. Il insiste sur la nécessité de faire ressortir le caractère unique de toute formation sociale. C’est pour cette raison qu’il souligne l’importance de l’histoire pour l’anthropologie, non pas comme succession d’événements, mais comme liens entre eux dans un contexte où on s’intéresse aux mouvements de masse et aux grands changements sociaux. En invitant notamment les anthropologues à faire un usage critique des sources documentaires et à une prise en considération des traditions orales pour comprendre le passé et donc la nature des institutions étudiées, Evans-Pritchard (1962 : 189) en appelle à une combinaison des points de vue historique et fonctionnaliste. Il faut s’intéresser à l’histoire pour éclairer le présent et comment les institutions en sont venues à être ce qu’elles sont. Les deux disciplines auraient donc été pour lui indissociables (Evans-Pritchard 1962 : 191). Au milieu du XXe siècle, d’autres anthropologues s’intéressaient aux changements sociaux et à une conception dynamique des situations sociales étudiées, ce qui entraîna un intérêt pour l’histoire, tels que ceux de l’École de Manchester, Max Gluckman (1940) en tête. En France, inspiré notamment par ce dernier, Georges Balandier (1951) insista sur la nécessité de penser dans une perspective historique les situations sociales rencontrées par les anthropologues, ce qui inaugura l’étude des situations coloniales puis postcoloniales, mais aussi de l’urbanisation et du développement. Cette importance accordée à l’histoire se retrouva chez les anthropologues africanistes de la génération suivante tels que Jean Bazin, Michel Izard et Emmanuel Terray (Naepels 2010 : 876). Le dialogue entre anthropologie et histoire s’est développé vers la même époque aux États-Unis. Après le passage de l’Indian Claims Commission Act en 1946, qui établit une commission chargée d’examiner les revendications à l’encontre de l’État américain en vue de compensations financières pour des territoires perdus par les nations autochtones à la suite de la violation de traités fédéraux, on assista au développement d’un nouveau champ de recherche, l’ethnohistoire, qui se dota d’une revue en 1954, Ethnohistory. Ce nouveau champ fut surtout investi par des anthropologues qui se familiarisèrent avec les techniques de l’historiographie. La recherche, du moins à ses débuts, avait une orientation empirique et pragmatique puisque les chercheurs étaient amenés à témoigner au tribunal pour ou contre les revendications autochtones (Harkin 2010). Les ethnohistoriens apprirent d’ailleurs à ce moment à travailler pour et avec les autochtones. Les recherches visaient une compréhension plus juste et plus holiste de l’histoire des peuples autochtones et des changements dont ils firent l’expérience. Elles ne manquèrent cependant pas de provoquer un certain scepticisme parmi les anthropologues « de terrain » pour qui rien ne valait la réalité du contact et les sources orales et pour qui les archives, parce qu’étant celles du colonisateur, étaient truffées de mensonges et d’incompréhensions (Trigger 1982 : 5). Ce scepticisme s’estompa à mesure que l’on prit conscience de l’importance d’une compréhension du contexte historique et de l’histoire coloniale plus générale pour pouvoir faire sens des données ethnologiques et archéologiques. L’ethnohistoire a particulièrement fleuri en Amérique du Nord, mais très peu en Europe (Harkin 2010; Trigger 1982). On retrouve une tradition importante d’ethnohistoriens au Québec, qu’on pense aux Bruce Trigger, Toby Morantz, Rémi Savard, François Trudel, Sylvie Vincent. L’idée est de combiner des données d’archives et des données archéologiques avec l’abondante ethnographie. Il s’agit également de prendre au sérieux l’histoire ou la tradition orale et de confronter les analyses historiques à l’interprétation qu’ont les acteurs de l’histoire coloniale et de son impact sur leurs vies. La perspective se fit de plus en plus émique au fil du temps, une attention de plus en plus grande étant portée aux sujets. Le champ de recherche attira graduellement plus d’historiens. La fin des années 1960 fut le moment de la grande rencontre entre l’anthropologie et l’histoire avec la naissance, en France, de l’« anthropologie historique » ou « nouvelle histoire » et, aux États-Unis, de la « New Cutural History ». L’attention passa des structures et des processus aux cultures et aux expériences de vie des gens ordinaires. La troisième génération des Annales fut au cœur de ce rapprochement : tout en prenant ses distances avec la « religion structuraliste » (Burguière 1999), la fascination pour l’anthropologie était toujours présente, produisant un déplacement d’une histoire économique et démographique vers une histoire culturelle et ethnographique. Burguière (1999) décrivait cette histoire comme celle des comportements et des habitudes, marquant un retour au concept de « mentalité » de Bloch. Les inspirations pour élargir le champ des problèmes posés furent multiples, en particulier dans les champs de l’anthropologie de l’imaginaire et de l’idéologique, de la parenté et des mythes (pensons aux travaux de Louis Dumont et de Maurice Godelier, de Claude Lévi-Strauss et de Françoise Héritier). Quant à la méthode, la description dense mise en avant par Clifford Geertz (1973), la microhistoire dans les traces de Carlo Ginzburg (1983) et l’histoire comparée des cultures sous l’influence de Jack Goody (1979 [1977]) permirent un retour de l’événement et du sujet, une attention aux détails qui rejoignit celle qu’y accordait l’ethnographie, une conception plus dynamique des rapports sociaux et une réinterrogation des généralisations sur le long terme (Bensa 2010 : 49 ; Schmitt 2008). Aux États-Unis, la « New Culturel History » qui s’inscrit dans les mêmes tendances inclut les travaux d’historiens comme Robert Darnon, Natalie Zemon Davis, Dominick La Capra (Iggers 1997; Krech 1991; Harkin 2010). L’association de l’histoire et de l’anthropologie est souvent vue comme ayant été pratiquée de manière exemplaire par Nathan Wachtel, historien au sens plein du terme, mais également formé à l’anthropologie, ayant suivi les séminaires de Claude Lévi-Strauss et de Maurice Godelier (Poloni-Simard et Bernand 2014 : 7). Son ouvrage La Vision des vaincus : les Indiens du Pérou devant la Conquête espagnole 1530-1570 qui parut en 1971 est le résultat d’un va-et-vient entre passé et présent, la combinaison d’un travail en archives avec des matériaux peu exploités jusque-là, comme les archives des juges de l’Inquisition et les archives administratives coloniales, et de l’enquête de terrain ethnographique. Cet ouvrage met particulièrement en valeur la capacité d’agir des Autochtones dans leur rapport avec les institutions et la culture du colonisateur. Pour se faire, il appliqua la méthode régressive mise en avant par Marc Bloch, laquelle consiste à « lire l’histoire à rebours », c’est-à-dire à « aller du mieux au moins bien connu » (Bloch 1931 : XII). Du côté des anthropologues, l’anthropologie historique est un champ de recherche en effervescence depuis les années 1980 (voir Goody 1997 et Naepels 2010 pour une recension des principaux travaux). Ce renouveau prit son essor notamment en réponse aux critiques à propos de l’essentialisme, du culturalisme, du primitivisme et de l’ahistoricisme (voir Fabian 2006 [1983]; Thomas 1989; Douglas 1998) de la discipline anthropologique aux prises avec une « crise de la représentation » (Said 1989) dans un contexte plus large de décolonisation qui l’engagea dans un « tournant réflexif » (Geertz 1973; Clifford et Marcus 1986; Fisher et Marcus 1986). Certains se tournèrent vers l’histoire en quête de nouvelles avenues de recherche pour renouveler la connaissance acquise par l’ethnographie en s’intéressant, d’un point de vue historique, aux dynamiques sociales internes, aux régimes d’historicité et aux formes sociales de la mémoire propres aux groupes auprès desquels ils travaillaient (Naepels 2010 : 877). Les anthropologues océanistes participèrent grandement à ce renouveau en discutant de la nécessité et des possibilités d’une anthropologie historiquement située (Biersack 1991; Barofsky 2000; Merle et Naepels 2003) et par la publication de plusieurs monographies portant en particulier sur la période des premiers contacts entre sociétés autochtones et Européens et les débuts de la période coloniale (entre autres, Dening 1980; Sahlins 1981, 1985; Valeri 1985; Thomas 1990). L’ouvrage maintenant classique de Marshall Sahlins, Islands of History (1985), suscita des débats vigoureux qui marquèrent l’histoire de la discipline anthropologique à propos du relativisme en anthropologie, de l’anthropologie comme acteur historique, de l’autorité ethnographique, de la critique des sources archivistiques, des conflits d’interprétation et du traitement de la capacité d’agir des populations autochtones au moment des premiers contacts avec les Européens et, plus largement, dans l’histoire (pour une synthèse, voir Kuper 2000). Pour ce qui est de la situation coloniale, le 50e anniversaire de la publication du texte fondateur de Balandier de 1951, au début des années 2000, fut l’occasion de rétablir, approfondir et, dans certains cas, renouveler le dialogue non seulement entre anthropologues et historiens, mais également, entre chercheurs français et américains. Les nouvelles études coloniales qui sont en plein essor invitent à une analyse méticuleuse des situations coloniales d’un point de vue local de façon à en révéler les complexités concrètes. On y insiste aussi sur l’importance de questionner les dichotomies strictes et souvent artificielles entre colonisateur et colonisé, Occident et Orient, Nord et Sud. Une attention est aussi portée aux convergences d’un théâtre colonial à un autre, ce qui donne une nouvelle impulsion aux analyses comparatives des colonisations (Sibeud 2004: 94) ainsi qu’au besoin de varier les échelles d’analyse en établissant des distinctions entre les dimensions coloniale et impériale (Bayart et Bertrand 2006; Cooper et Stoler 1997; Singaravélou 2013; Stoler, McGranahn et Perdue 2007) et en insérant les histoires locales dans les processus de globalisation, notamment économique et financière, comme l’ont par exemple pratiqué les anthropologues Jean et John Comaroff (2010) sur leur terrain sud-africain. Ce « jeu d’échelles », représente un défi important puisqu’il force les analystes à constamment franchir les divisions persistantes entre aires culturelles (Sibeud 2004: 95). Ce renouveau a également stimulé une réflexion déjà amorcée sur l’usage des archives coloniales ainsi que sur le contexte de production et de conservation d’une archive (Naepels 2011; Stoler 2009), mais également sur les legs coloniaux dans les mondes actuels (Bayart et Bertrand 2006; De l’Estoile 2008; Stoler 2016)
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Biache, Marie-Joseph, and Géraldine Rix-lièvre. "Sport (pratiques sportives)." Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.027.

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Abstract:
Le sport, envisagé sous l’angle des pratiques sportives, s’inscrit dans un ensemble plus vaste de comportements : celui des pratiques corporelles. Ces dernières peuvent constituer l’objet de travaux anthropologiques (Bromberger, Hayot, Mariottini 1995; Darbon 2002; Garnotel 2009 ; Sizorn 2007). Le sport, en tant que phénomène social complexe, se prête à l’analyse sociologique, car il semble attaché, à la fois comme résultante et comme cause d’autres phénomènes, au faisceau de déterminismes sociaux, économiques et institutionnels. Il est avant tout une institution, autant dans son mode de constitution -il n’y a de sport à proprement parler qu’inscrit dans et produit par des instances sportives internationales, nationales et locales- que dans son expression. Le sport renvoie à un système autonome, structuré, réglementé. La sociologie souligne l’importance de la création et du développement institutionnel du sport comme phénomène social, et des différents sports comme expressions propres de ce phénomène, à la fois sociologiquement définies et socialement distinctes (Darbon 2008). La perspective d’analyse institutionnelle du sport -développement et dynamique des structures institutionnelles et politiques- trouve son complément dans des recherches sociologiques plus centrées sur des aspects spécifiques du phénomène global. Les processus de distinction de communautés ou de groupes de pratiques focalisent le regard de certains pans de la recherche : la question centrale du genre y prend toute sa place (Menesson, Clément, 2009). L’intérêt porté aux trajectoires sociales et professionnelles des sportifs est une autre manière d’aborder le phénomène « sport » (Sobry 2010). Ce dernier n’est cependant pas envisageable sans le regard public qui s’y porte, car le sport est aussi un spectacle. La description des publics comme l’étude du supportérisme font partie intégrante de l’analyse du phénomène ainsi que l’examen de ses modalités de construction médiatique et économique : la vision devient sociétale (Ohl 2010). Cependant, les pratiques sportives, manifestations premières du phénomène, sont aussi l’objet d’investigations relevant de l’histoire sociale de leur évolution. L’histoire institutionnelle trouve une inspiration et un complément dans la description des rapports entre changement des pratiques sportives et évolution de la sphère technologique. Le sport est envisagé comme analyseur des mentalités, mais aussi comme hypostase des avancées de la connaissance du corps. L’évolution des préparations à la compétition, le recours à des moyens artificiels de maximisation des performances physiques sont la traduction des changements dans le rapport au corps, à la fois sociaux et culturels et instrumentaux. Mais les pratiques sportives peuvent également être l’objet d’une histoire des techniques, non seulement celle des artéfacts, mais aussi celle des formes de mouvement, marquées par des types sociaux et des structures opératoires (Vigarello 1988). Le retour vers une centration sur les pratiques proprement dites introduit à une perspective plus anthropologique que sociologique -sans que toutefois la frontière soit délimitée avec évidence. Une ethnologie des groupes et communautés de pratiquants peut dans ce cas être entreprise, l’accent étant porté sur la description et l’analyse des comportements qui font unité, cohérence et signification, autant pour les pratiquants que pour les spectateurs, les chercheurs étant alors en mesure de circonscrire des cultures sportives (Darbon 2002; Fournier, Raveneau 2010). Parallèlement, les pratiques sportives détiennent un sens pour leurs acteurs et traduisent simultanément le versant idiosyncrasique de la communauté ou du groupe. Elles sont un support d’identité et d’appartenance, mais aussi l’expression de connaissances particulières et d’une forme de morale incarnée. Elles appartiennent au domaine plus vaste des techniques du corps et une étude historique peut en être produite comme peut en être constituée une ethnologie, laquelle accorde aux usages du corps une place principale. Garnotel (2009) montre par exemple que devenir un cycliste professionnel suppose de construire progressivement les techniques corporelles du métier liées tant à l'entraînement qu'au soin du corps ou l’absorption de produits « dopants » et s’inscrit dans une morale incarnée liée à l’optimisation de la performance, même si celle-ci s’oppose à l’éthique absolue du sport. Les pratiques sportives, à l’instar de toutes les pratiques corporelles, supposent un apprentissage technique et une conformation du corps acquise par le sujet. Elles sont simultanément actes et connaissances, ces dernières présentes sur deux registres. Le premier est celui des théories locales ou indigènes de l’action des sujets, largement saturées de concepts pragmatiques (Rolland et Cizeron 2011) ; le second est celui des connaissances implicites et tacites modulées par des normes d’action et des valeurs d’actes. Sizorn (2007) dévoile par exemple, que l'expérience des trapézistes est marquée par la légèreté et l'aisance tout autant que par la douleur et la peur, registres qui construisent la corporéité et l'identité des pratiquants. Ainsi envisagées, les pratiques sportives redeviennent celles d’un groupe ou d’une communauté, caractérisées par une dialectique entre technique singulière et connaissances collectives, ces dernières relevant essentiellement de représentations et de convictions. Elles n’échappent pas aux modalités de sexuation présentes dans les groupes humains lesquelles participent à l’attribution, implicite ou explicite, de normes et de valeurs aux actions. La relation en quelque sorte organique entre comportements et connaissances permet d’inscrire les pratiques sportives, comme techniques du corps, dans le régime de la tèchné grecque : le savoir-faire est en rapport étroit avec un savoir portant sur le sens du monde. Ces pratiques appartiennent à une expérience constituée, à la fois collective et individuelle. Une telle optique cognitive peut trouver un complément dans une analyse symboliste. Les pratiques sportives expriment et supportent un sens constitutif de la communauté : le sport devient un espace projectif dont la signification est cachée ; il peut être dans ce cas la représentation d’une transcendance et/ou une pratique ritualisée. Les pratiques sportives sont alors envisagées de manière étendue, non limitée à la perspective technique, le versant psychologique qui les marque spécifiant le processus à l’œuvre. Il est ainsi plus difficile de développer l’idée d’une anthropologie du sport que l'idée d'une anthropologie des pratiques corporelles. En tant que phénomène général, le sport est principalement l’objet d’une sociologie, même s'il peut être celui d'une anthropologie qui reste alors philosophique, soutenant l'universalisme du phénomène et promouvant un idéal sportif. Le phénomène sportif y est envisagé de façon a-culturelle; l'anthropologue considère dans ce cas les pratiques de manière transcendante et reconstruit intellectuellement leur unité phénoménologique. En revanche, l’intérêt premier accordé aux sujets des pratiques sportives, à leurs actes et aux connaissances qu’ils formulent à propos de ceux-ci, doit mener à une anthropologie des pratiques corporelles. Si une ethnologie distingue des styles de pratiques sportives, une anthropologie suppose d'emprunter des propositions théoriques qui établissent la nature des connaissances incorporées qui sous-tendent les pratiques. Ainsi, l'arbitrage en rugby peut être étudié comme une pratique particulière au cours de laquelle l'arbitre montre et impose aux joueurs ce qui est possible relativement aux modalités cognitives selon lesquelles il appréhende spontanément l'activité des joueurs (Rix 2007). En ce sens, seule une anthropologie cognitive des pratiques sportives pourrait, à partir des travaux de terrain, mettre à jour les modes généraux -voire universels- de connaissance sous-jacents à l’inscription des activités corporelles humaines dans un cadre socialement normé.
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Diasio, Nicoletta. "Frontière." Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.033.

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Abstract:
L'anthropologie en tant que discipline scientifique s'est institutionnalisée de manière concomitante à l'affirmation de l'État-nation, aux entreprises coloniales et au souci politique de comprendre et gérer ces diversités censées menacer la cohésion sociale et la légitimité des institutions centrales: 'paysans', 'criminels', 'sauvages', 'indigènes' deviennent à la fois des objets de connaissance et de régulation. La question de la frontière s'est donc posée à double titre : à l'intérieur, dans la démarcation entre cultures savantes et cultures populaires, entre « modernité » et « survivances folkloriques », entre majorité et minorités, et à l'extérieur, dans le rapport aux sujets coloniaux. Toutes les anthropologies ont ainsi face au rapport « centre-périphérie », avec le souci de donner voix à des populations inécoutées, même si parfois cette opération a contribué à les constituer comme « autres ». Mais l'anthropologie a également contribué à montrer le caractère dynamique des frontières, leur épaisseur dense de toutes les potentialités du désordre, de l'informel (Van Gennep 1922; Douglas 1966; Turner 1969) et de la créativité culturelle (→) : en définissant les limites d'un système ou d'un monde, la frontière peut devenir le centre d'un autre. Une buffer-zone peut se constituer en État; dans les friches urbaines des quartiers, des sociabilités, des rituels inédits prennent forme; dans les frontières se donne à voir le caractère non essentialiste, négocié et performatif des identifications ethniques (Barth 1969). Le transnationalisme, la déterritorialisation, les flux de personnes, technologies, finances, imaginaires, marchandises accentuent ce processus et engendrent des réalités segmentées (Appadurai 1996): fractures et frontières dessinent des zones de contact (Pratt 1992) où le jeu des interactions produit aussi bien des pratiques et des imaginaires spécifiques, que des conflits et des relations de pouvoir. Par les frontières, le pouvoir se rend visible que ce soit par des stratégies de définition du centre, que par leur corollaire, la mise en marge et la création de discontinuités : « Une anthropologie des frontières analyse comment nations, groupes ethniques, religions, États et d'autres forces et institutions se rencontrent et négocient les conditions réciproques, dans un territoire où toutes les parties en cause s'attendent à rencontrer l'autre, un autre de toute manière construit par nous » (Donnan et Wilson, 1998 : 11). Pour les populations jadis colonisées, migrantes ou diasporiques, vivre la frontière, la porter en soi, constitue le jalon de stratégies identitaires et donne accès à un espace tiers (→) où on compose entre les enracinements à une patrie déterritorialisée et de nouvelles appartenances (Bhabha 1994; Pian 2009). Ce sujet qui se construit dans une situation de frontière n’est toutefois pas la prérogative de populations déplacées. Comme nous le rappelle Agier (2013), il constitue le soubassement d’une condition cosmopolite, au cœur de laquelle, la frontière devient l’espace, le temps et le rituel d’une relation. La frontière est centrale car elle nous rappelle concrètement qu’il n’y a pas de monde commun sans altérité : « pour l’anthropologie de la condition cosmopolite, il s’agit de transformer l’étranger global, invisible et fantomatique, celui que les politiques identitaires laissent sans voix, en une altérité proche et relative » (Agier 2013 : 206). Dans cette anthropologie qui déjoue le piège identitaire (Brubaker et Cooper 2000) et le refus de l’autre, connaissance et reconnaissance (→) vont ensemble. Cette liminarité féconde est au cœur d'une anthropologie non-hégémonique. Mais loin d'en constituer uniquement un objet d'étude, elle désigne également une posture épistémologique. Elle nous invite à déplacer le regard du centre aux marges des lieux de production intellectuelle, à en interroger la créativité, à analyser comment les frontières entre savoirs sont reformulées et comment elles sont mises en œuvre dans les pratiques de recherche. Ce décentrement interroge différents niveaux: un déplacement géographique qui implique une connaissance et une valorisation de ce qui se fait en-dehors des foyers conventionnels de production et de rayonnement scientifique de la discipline. Ces productions sont parfois peu connues en raison d'une difficile compréhension linguistique, à cause d'une rareté d'échanges liée à des contextes de répression politique, ou encore par l'accès difficile au système de l'édition. Un déplacement du regard en direction de ce qui est produit en-dehors des frontières des institutions universitaires et académiques, la professionnalisation de la discipline impliquant un essaimage des anthropologues dans les associations, dans les ONG, dans les entreprises, dans les administrations publiques. Comment, compte tenu des exigences de rigueur théorique et méthodologique de la discipline, ces productions en marge des centres de recherche institués, participent au renouvellement et à la revitalisation de l'ethnologie? Une anthropologie non hégémonique s'interroge également sur les sujets frontières de la discipline: elle est là où les limites bougent, là où une frontière en cache une autre, où les conflits éclatent, auprès d'interlocuteurs à qui le savoir officiel a longtemps nié la légitimité de parole et de subjectivité. Elle questionne une autre opération de bornage interne à sa constitution : une discipline ne se reconnaît pas uniquement pour ce qu'elle accepte à l'intérieur de ses frontières, mais aussi par ce qu'elle rejette et reformule. Ces processus d'inclusion, de purification et de catégorisation donnent lieu à des configurations spécifiques et constituent un analyseur des spécificités intellectuelles locales. Leur analyse permet aussi de s'interroger sur ces situations de croisement entre savoirs favorisant l'innovation scientifique. La tension entre anthropologies centrales et périphériques rejoint enfin la question de l'hégémonie dans les rapports entre sciences, avec tout ce que cela implique en termes de légitimité et de reconnaissance: ainsi l'opposition entre sciences 'dures' et 'molles', les paradigmes qui inspirent les dispositifs d'évaluation disciplinaire, les hégémonies linguistiques.
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Vibert, Stephane. "Individualisme." Anthropen, 2018. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.083.

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Abstract:
Le concept d’individualisme ne se présente pas comme une notion traditionnelle en anthropologie, ainsi que le montre son absence de la plupart des dictionnaires de la discipline. Popularisée dans l’œuvre de Louis Dumont (1966) par son opposition au holisme caractéristique des sociétés « traditionnelles » (dont l’Inde des castes constitue l’exemple paradigmatique), la notion s’avère souvent mal comprise, puisqu’elle semble suggérer une dichotomie binaire là où il est avant tout question de contraste comparatif et d’accentuation entre des variantes socioculturelles de l’humanité. Parfois accusée de reconduire les grands dualismes ethnocentriques propres à la socio-anthropologie classique (tradition/ modernité, communauté/ société, solidarité mécanique/ solidarité organique) qui ne verraient hors de l’Occident que des univers de conformisme, de tribalisme ou de despotisme (Lozerand 2014), l’étude de l’individualisme se présente pourtant, avant tout, comme « une archéologie de la conception occidentale de l’individu » (Flahault dans Lozerand 2014 : 547). En effet, selon Dumont, la conception moderne du monde se caractérise par une « idéologie individualiste », c’est-à-dire un ensemble de représentations et d’idées-valeurs qui s’articule autour de la figure prééminente de l’individu commeprincipe, à distinguer radicalement du « sujet empirique », échantillon indivisible de l’espèce humaine, parlant, pensant et agissant, tel qu’on le rencontre danstoutesles sociétés sous diverses formes. Figure centrale de l’idéal politique et éthique de l’Occident depuis les Lumières, l’individu (considéré comme antérieur à son existence sociale par les doctrines du droit naturel moderne) n’en reste pas moins pour la discipline anthropologique une « institution » (Mauss 1967 : 150), au sens où il doit nécessairement s’ancrer dans un monde social et culturel qui lui donne signification et consistance. En définissant la modernité comme individualiste là où « l’individu est érigé envaleursuprême », Dumont n’utilise pas le terme dans un sens péjoratif (égoïsme) ou laudatif (autonomie) mais, dans le sillage de Tocqueville, comme l’affirmationsocialed’une valeur. Ce sont les sociétés qui sont individualistes, et non d’abord les individus eux-mêmes. Dans sa prétention à fonder la société à partir d’une juxtaposition d’individus rationnels et originellement déliés, la configuration individualiste propre à la modernité néglige, ou tout du moins subordonne, le trait consubstantiel à toute existence sociale, trait défini comme « holisme » ou « aperception sociologique » : la « présence du social dans l’esprit de chaque homme », qui emporte comme corollaire que « la perception de nous-même comme individu n’est pas innée mais apprise, […]elle nous est prescrite, imposée par la société où nous vivons », laquelle « nous fait une obligation d’être libres » (Dumont 1966 : 21). Ainsi la prééminence de l’individu dans la société moderne appelle-t-elle un certain de nombre de valeurs corrélatives (dont l’égalité de droit, mais aussi la liberté morale ou encore la nation comme « société des individus »), tout en se combinant au sein de chaque culture particulière avec des éléments holistes locaux, ce qui donne une appréciation différenciée de la modernité (sous la figure notamment de variantes nationales). Ainsi que le rappelle Dumont, « l’individualisme est incapable de remplacer complètement le holisme et de régner sur toute la société... de plus, il n’a jamais été capable de fonctionner sans que le holisme contribue à sa vie de façon inaperçue et en quelque sorte clandestine » (Dumont 1991 : 21). C’est que la valeur individualiste, si elle est bien devenue essentielle dans nos sociétés par l’élévation des droits de l’Homme au statut de principe universel, ne peut effectivement s’incarner qu’au sein d’une société particulière, qui en traduit politiquement les attendus de façon toujours contingente et déterminée. L’analyse ne suppose donc pas unretourà des principes holistes, comme s’ils avaient disparu en même temps que les communautés traditionnelles et cohésives, mais plutôt une conscience plus lucide du rôle que jouent les principes holistes dans toute vie humaine pour autant qu’elle est toujours vie en société. L’idéologie de l’individu indépendant se heurte implicitement d’une part à la conservation nécessaire de « totalités partielles » comme lieux verticaux de transmission de la langue, de la culture et du sens (famille, école, associations, communautés), et d’autre part à la réintroduction de principes dits « collectifs » contre « l’utopie libérale », à doses variables selon les pays, comme l’État-providence, l’appartenance nationale, les systèmes d’assurance sociale, les diverses régulations du marché, les principes de solidarité et de redistribution, etc. Il convient également de ne pas confondre l’individualisme compris comme représentation sociale avec deux processus distincts portant sur la confection concrète de la personne et son potentiel de singularité, à savoir l’individuation et l’individualisation. Au XXesiècle, l’anthropologie s’est surtout intéressée auxformes d’individuationpropres aux diverses sociétés, ces pratiques de « constitution de la personne » par inclusion dans un ordre symbolique qui suppose des représentations partagées et des dispositifs rituels. Elle a pu ainsi constater l’extrême hétérogénéité des systèmes de pensée et d’agir visant à conférer une « identité » à l’être humain, preuve d’une large palette culturelle quant aux manières d’appréhender les relations de soi à soi, aux autres et au monde. Marcel Mauss a ainsi montré comment l’être humain ne pouvait apparaître qu’à la suite de multiples processus de subjectivation, ainsi que l’expriment les diverses « techniques du corps », l’expression des émotions ou l’intériorisation de l’idée de mort (Mauss 1950). Car toutes ces caractéristiquesa prioriéminemment « personnelles » varient en fait largement selon les contextes sociaux et culturels où elles prennent signification. La tradition anthropologique a énormément insisté sur la naturerelationnellede l’individuation, ouvrant sur la perception d’un Soi tissé de rapports avec l’environnement social et mythique (Leenhardt, 1947), jusque dans ses composantes mêmes, qu’elles soient matérielles (os, sang, chair, sperme, etc.) ou non (esprit ancestral, souffle, ombre, etc.) (Héritier 1977), parfois même au-delà des « humains » strictement définis (Descola 2005). De même, bon nombre d’auteurs ont souligné l’existence de divers processus historiques et culturels d’individualisationnon réductibles à la prééminence de l’individualisme comme valeur englobante. Le Bart (dans Lozerand 2014 : 89), après Foucault (1984) et Vernant (1989) distingue trois formes d’individualisation qui ne se recoupent jamais parfaitement : l’autonomie sociopolitique, l’existence d’une « vie privée » et le rapport réflexif à soi constituent autant de critères marquant un dépassement de la logique « holiste » d’individuation (définissant un nom, une place, un rôle, un statut) vers une « quête de soi » différenciée, invoquant comme idéal de vie une singularité, un salut ou un « épanouissement » posés théoriquement comme échappant aux injonctions normatives et symboliques de la société. S’articulant plus ou moins à l’individualisme comme valeur, cette visée d’authenticité désormais généralisée dans les sociétés occidentales en illustre également les limites, dès lors qu’en sont précisées les difficultés et les défaillances dans l’existence concrète des acteurs sociaux (déshumanisation du travail, conformisme consommatoire, maladies exprimant la « fatigue d’être soi » comme la dépression, influence des médias de masse et des réseaux sociaux, sentimentalisme et moralisme excessifs, solitude et vide affectif, etc.). Depuis une trentaine d’années et la mise en évidence d’une globalisation aux contours multiples se pose enfin la question de l’extension descriptive et normative de l’individualisme aux diverses cultures et civilisations du monde, que cela soit par le biais de catégories politiques (le citoyen rationnel), économiques (le marchand, le salarié et le consommateur propres au monde capitaliste), juridiques (le sujet de droit), morales (l’agent responsable) ou esthétiques (le dessein d’expressivité originale), etc. Si, selon Dumont, le christianisme et sa valorisation d’un « individu en relation directe avec Dieu » jouent un rôle primordial dans l’émergence de l’individualisme, ce sont bien les catégories humanistes et séculières qui, depuis la colonisation, légitiment les dynamiques d’extension actuelles, notamment du fait de la promotion par les instances internationales des droits humains comme fondement universel de justice sociale. L’anthropologie elle-même, dans un contexte de mise en relation généralisée des sociétés, s’évertue à saisir la place que des cultures différentes accordent à la valeur de « l’individu » (Morris 1994 ; Carrithers, Collins et Lukes 1985), que ce soit dans les grandes religions ou philosophies historiques (islam, judaïsme, bouddhisme, hindouisme, confucianisme, etc.) ou dans les communautés contemporaines, irréversiblement marquées par l’hégémonie occidentale et l’extension d’une économie mondialisée, mais également par des mouvements fondamentalistes ou « revivalistes » de repli identitaire. La valorisation du métissage et de l’hybridité impliquerait en ce sens de réinsérer « l’individu » dans les « paysages » culturels multiples et enchevêtrés qui établissent le lien entre global et local, entre contraintes systémiques et réappropriation communautaire (Appadurai 1996). Dans la dynamique contemporaine de globalisation, l’extension de l’individualisme comme valeur se retrouve dans une position paradoxale, d’une part liée à l’hégémonie d’un système-monde capitaliste et donc accusée de favoriser une « occidentalisation » fatale pour la diversité culturelle, d’autre part identifiée comme porteuse d’émancipation à l’égard de structures et normes contraignantes pour des acteurs (femmes, minorités ethniques, religieuses ou sexuelles, personnes handicapées) privés des droits élémentaires aux plans politique, juridique et socioéconomique.
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Muller, Bernard. "Scène." Anthropen, 2017. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.057.

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Abstract:
La notion de scène s’avère être un outil descriptif très utile pour l’anthropologie sociale ou culturelle, et cela malgré - ou grâce- au flou conceptuel qui l’entoure. La puissance heuristique de la « scène » (avec ou sans parenthèses), véritable levier méthodologique, va bien au-delà des questions inhérentes au spectacle auquel il serait regrettable de la restreindre. Le cheminement de la notion de scène dans le champ de l’anthropologie relate à ce titre le changement de cap méthodologique pris par les sciences sociales et humaines dans la première moitié du XXe siècle et plus systématiquement dans les années 1970 (Clifford 1985), suite aux secousses épistémologiques post-modernes dont les répliques se font toujours sentir aujourd’hui (Lyotard 1979 ;Latour et Woolgar 1979). Anthropologue avant l’heure, William Shakespeare (1623) fut le premier à donner le ton avec son plus que fameux « All the world’s a stage, And all the men and women merely players » (« Le monde entier est une scène, hommes et femmes, tous, n’y sont que des acteurs»), sensible déjà aux ressemblances entre le jeu (de scène) et le fait social, tous deux également traversés - mais depuis des angles différents – par la nature des sentiments et l’agilité symbolique de l’homme en société. D’emblée, ce propos nous invite aussi à une réflexion sur les rapports humains, les normes et les codes sociaux. La mission du dramaturge ou de l’écrivain serait alors précisément, à l’instar de l’anthropologue, de mettre au jour «une dimension sociale et humaine que la prose anthropologique escamote trop souvent sous les conventions narratives et conceptuelles. Salubre retour au terrain en ces temps de tout textuel » (Bensa et Pouillon 2003). Plus récemment, c’est le sociologue et linguiste Erving Goffman qui fut l’un des premiers à méthodiquement envisager la vie sociale par le prisme de la scène. Il contribua ainsi à sa diffusion initiale dans les sciences humaines et sociales, en ethnologie en particulier. Son ouvrage majeur à cet égard, La Présentation de soi publié en 1959 (paru en français seulement en 1973) (Goffman 1959), essaie de rendre compte des façons dont les individus tissent au quotidien des liens interpersonnels au travers de gestes, expressions, stratégies envisagées comme des agissements dramaturgiques, se déroulant sur une scène. Cet usage heuristique de la scène est indissociable de la métaphore théâtrale, et part de l’idée que la vie en société peut être décrite comme un spectacle. Dans ce monde social envisagé comme un théâtre, où l’action se déroule sur plusieurs scènes, les individus composent des rôles en fonction de l’effet qu’ils espèrent obtenir au cours de ces situations de communication toujours dynamiques, incertaines et travaillées par des enjeux complexes qui ne se laissent pas réduire à la détermination culturelle. Ainsi, pour décrire ces « nouvelles » situations, il convient de convoquer tout un vocabulaire issu du théâtre, le terme de « scène » appelant celui de « coulisse », de « décor », de « rôle », d’ « acteurs » ou de « personnage », de « composition », d’ « intention », de « simulation », de « drame », de « quiproquo », etc.. En leur temps, ces approches furent radicalement nouvelles. Elles impliquent des prises de position théoriques en rupture alors avec la vision jusque-là dominante dans les sciences humaines et sociales, ouvrant ainsi la voie au renouvellement des modes d’exploration des univers sociaux. En effet, en s’intéressant aux interactions plutôt qu’aux expressions culturelles, la focale analytique met désormais en lumière la situation sociale sous l’angle de sa spécificité historique et non plus en tant qu’expression d’un système de représentation abstrait et surplombant dans lequel les individus agiraient selon des programmes culturels. Ce faisant, se définissent les prémisses d’une nouvelle anthropologie. Soucieuse de se dégager des rapports de force qui régimentaient le paradigme positiviste conçu au XIXe siècle dans des sociétés verticales et très autoritaires, elle propose une méthode alternative permettant de se dégager de la dissymétrie (Spivak 1988 ; Saillant et al. 2013) des modes de productions dominants, notamment en contexte post-colonial. De fait, simultanément, dans des sillons parallèles et parfois croisés, émergent d’autres approches du social. Dans l’environnement immédiat des interactionnistes, il faut mentionner les tenants de l’ethnométhodologie qui, à l’initiative d’Harold Garfinkel, continuent à modifier les paramètres habituels de l’observation scientifique en admettant que le chercheur puisse produire un objet dont il est lui-même l’agent provocateur, rompant ainsi radicalement avec le principe d’observation non-interventionniste héritée des sciences naturelles. Il s’agit au contraire pour cet autre sociologue américain de produire de la connaissance en intervenant dans le monde social, faisant par le moyen des « actions disruptives » / « breaching experiments » (Garfinkel 1963) du terrain une mise en abîme anthropologique, et de la scène le théâtre des opérations (Müller 2013). Dès lors, la scène ne relève plus d’une simple métaphore mais elle devient le lieu même de la recherche anthropologique, un terrain conçu comme espace de communication dans lequel le chercheur va jusqu’à envisager son rôle comme celui d’un « ethnodramaturge ». Johannes Fabian (1999) écrit : « Ce qu’il nous est possible de savoir ou d’apprendre à propos d’une culture n’apparaît pas sous forme de réponses à nos questions, mais comme performance dans laquelle l’ethnologue agit, comme Victor Turner (1982) l’a formulé un jour, à la manière d’un ethnodramaturge, c’est à dire comme quelqu’un qui cherche à créer des occasions au cours desquelles se produisent des échanges significatifs ». Cette redéfinition du rôle du chercheur qui se trouve entrainé sur les « planches » fait écho aux idées de Victor Turner qui déclara : « J’ai longtemps pensé qu’enseigner l’anthropologie pourrait être plus amusant. Pour cela peut-être faudrait-il que nous ne nous contentions pas de lire ou de commenter des écrits ethnographiques mais de les mettre en scène (to perform)». L’efficacité descriptive du terme scène proviendrait in fine de la centralité de l’action entendue comme développement symbolique dans les comportements humains en général, voyant dans la mise en scène une caractéristique exclusive et universelle de l’espèce humaine. En ce sens tout comportement social et donc humain relèverait d’un jeu scénique, d’une mise en abîme, et impliquerait que l’anthropologie soit essentiellement une scénologie. On reconnait à cet endroit le projet des performance studies fondées par Richard Schechner (1997) en dialogue avec Victor Turner et il n’est pas innocent que cette proposition forte résulte justement d’une fréquentation assidue entre études théâtrales et anthropologie. Le projet d’une « scénologie générale » portée par les tenants de l’ethnoscénologie (Pradier : 2001) s’engage aussi dans cette brèche épistémologique. Dans cette même dynamique, et toujours en raison de cette efficacité descriptive qui résulte de l’engagement du chercheur dans les situations qu’il étudie, cette approche crée les conditions épistémologique de la recherche-action. Elle ouvre ensuite la voie à des approches plus assumées comme artistiques qui s’inspirent de ces travaux des sciences humaines pour construire puis pour interpréter leurs propres actions spectaculaires. Il en va ainsi de plusieurs artistes-chercheurs, à l’instar d’Augusto Boal (1997), de Richard Schechner (1997) ou de Mette Bovin (1988) dont les travaux ouvrent le champ à la recherche- action puis à la recherche-création (Gosselin et Le Coquiec 2006) ou à l’art relationnel (Bourriaud 1998 ; Manning 2016). C’est à ce point de déboitement disciplinaire que l’anthropologie en vient à s’ouvrir aux arts, et notamment aux arts de la scène, rendant possible d’envisager – dès lors du point de vue des études théâtrales - le « théâtre comme pensée » (Saccomano 2016). La notion de scène implique un retournement méthodologique faisant du terrain un moment de construction collective et négociée d’une forme de connaissance du social, une démarche relevant du dialogue et de la conversation plutôt que de l’observation à proprement parler. Bien qu’encore rejetée par elle, cette posture s’inscrit pourtant dans une filiation anthropologique, à partir des constats aporétiques du terrain et du désir d’en sortir. Pour conclure, il convient toutefois de poser une certaine limite. Si le concept de scène permet d’interroger sous divers angles la dimension spectaculaire des agissements humains, il convient toutefois de se demander dans quelle mesure le social se laisse réduire à cette dimension. Autrement dit, les divers spectacles que les hommes se font d’eux-mêmes, et donc les scènes sur lesquelles les personnes agissent comme des acteurs, ne sont-ils pas le seul angle depuis lequel la vie sociale est observable, puisque rendue explicitement visible, i.e. mis en scène ? Le jeu social ne se laisse-t-il appréhender que par ses manifestations spectaculaires ou alors la scène n’est-elle que le reflet de dynamiques culturelles ? Bref, qu’y a-t-il derrière la scène ?
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Martig, Alexis. "Esclavage contemporain." Anthropen, 2018. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.085.

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Abstract:
Depuis la fin du XXe siècle, on assiste à un usage récurrent et de plus en plus fréquent de la notion d’esclavage moderne par tout un ensemble d’acteurs sociaux et politiques : organisations non gouvernementales, associations, organisations internationales, médias, gouvernements nationaux… Selon l’Organisation internationale du Travail, il s’agit d’un phénomène touchant plus de 25 millions de personnes et qui génère 150 milliards de dollars de profits annuels illégaux. Face à ce constat, un certain nombre de disciplines (sociologie, économie politique, études des migrations, droit, histoire) en ont fait un objet propre, tentant quelquefois de le définir (Bales 1999) et, parlant d’esclavage moderne ou d’esclavage contemporain, certains ont été jusqu’à évoquer l’émergence d’un nouveau champ d’études : lesContemporary Slavery Studies (Brysk et Choi-Fitzpatrick 2012). Comment expliquer le fait que l’anthropologie contemporaine a quant à elle jusqu’alors produit peu de réflexions sur le sujet ? Le premier élément de réponse a trait à la nature même de l’analyse anthropologique, qui la distingue des autres disciplines des sciences humaines et sociales, et qui considère avant tout les notions émiques mobilisées par les sujets. Dans le cas de l’esclavage moderne, on est face à une notion éminemment politisée et utilisée avant tout par des acteurs associatifs, institutionnels ou médiatiques pour décrire les conditions de travail ou d’exploitation d’autres sujets souvent associés au passage au registre des « victimes ». Ce n’est que depuis très récemment qu’on assiste à l’usage de la notion par les sujets eux-mêmes pour dénoncer leurs conditions de travail, sans doute sous l’effet de sa banalisation dans les discours des acteurs de la lutte contre l’esclavage moderne. L’apparition et la dissémination de cette notion chez les acteurs sociaux et politiques ne sont cependant pas sans intérêt pour l’anthropologie. Elles sont notamment révélatrices de ce que Didier Fassin a qualifié d’« économie morale de notre temps » et de « nouvel ordre moral » mondial (2005) : il s’agit de cette économie morale globale constituée autour de nouveaux intolérables moraux inhérents aux droits de l’homme et à l’invention de la catégorie anthropologie d’humanité dans le contexte postérieur à la Seconde Guerre mondiale. La condamnation morale globale de l’esclavage moderne en est un exemple parfait. Les discours qui la constituent expriment et visent à générer une indignation, tout en ayant fréquemment recours aux registres des « victimes », de la « vulnérabilité » et de « la traite » avec pour effet de nier l’agencéité des sujets en faisant disparaître leurs trajectoires de vie et leurs motivations spécifiques. Comme l’a montré l’anthropologue américaine Alicia Peters (2015), si politisée que soit cette notion, rien n’empêche l’anthropologie de s’en saisir comme objet en étudiant notamment les jeux d’acteurs au cœur des plans de lutte qui en découlent. Peters a ainsi montré comment, aux États-Unis, la moralisation du travail du sexe et de la prostitution forcée a eu pour effet de rendre invisibles ou illégitimes la majorité des cas de traite humaine qui touchent d’autres secteurs : agriculture, usines, restaurants, sphère domestique… Cette moralisation et surreprésentation du travail du sexe et de la prostitution forcée dans la lutte contre l’esclavage moderne, assimilée à la traite d’êtres humains (human trafficking), est caractéristique des pays développés. Le deuxième élément de réponse touche au caractère fourre-tout d’une notion générique qui renvoie à tout un ensemble de situations hétérogènes situées dans des contextes sociaux, historiques et culturels extrêmement différents et dont la complexité, les spécificités et les nuances sont reléguées au second plan dans les discours politiques. En fonction des acteurs, l’esclavage moderne désigne des cas de : mariage forcé, travail forcé, travail infantile, enfants soldats, camps de travail, exploitation sexuelle… et ce, sur toute la planète… Mais pour saisir les spécificités et la complexité des cas étudiés, il faut aussi considérer les formes socioculturelles légitimatrices de la servitude ou de l’esclavage, de son acceptation ou de sa tolérance et les formes de régulation de la domination inhérentes : formes de parrainage, dettes, processus d’altérisation infériorisants… Si les situations dénoncées ont émergé ou ont évolué à partir de formes passées dans un contexte global de précarisation des conditions de travail, et en ce sens sont bien des phénomènes contemporains, il est pour autant impossible de les penser en faisant abstraction de la mémoire des régimes d’esclavages précédents et notamment de l’esclavage transatlantique. Il faut à ce titre distinguer les réflexions sur l’esclavage moderne, du grand nombre d’études anthropologiques sur les descendants d’esclaves, la mémoire de l’esclavage ou les problématiques de réparation. Comme l’a fait remarquer Roger Botte (2005), l’esclavage a toujours été pluriel. Il faut cependant reconnaître que l’une des caractéristiques de l’époque contemporaine est bien celle de la disparition progressive, depuis les abolitions de l’esclavage en tant que statut officiel. C’est en ce sens qu’Alain Morice, au sujet de travailleurs temporaires marocains en France, a utilisé l’expression d’« esclavage métaphorique » (2005), en opposition à l’esclavage historique. Derrière cette distinction s’en cache une autre qu’il est capital de saisir pour comprendre les enjeux des situations qualifiées d’esclavage moderne et leur analyse anthropologique : celle des conditions d’esclavageet dustatut d’esclave. Dans une analyse très intéressante entre un cas d’esclavage domestique en France en 2013 avec un cas d’esclavage datant du début du XIXe siècle, l’historienne Rebecca Scott (2013) attire l’attention sur le fait que, statut officiel ou non, les conditions des situations dénoncées sous l’expression d’esclavage moderne peuvent être identiques à celles de régimes d’esclavage passés. L’attention portée à la nature des conditions est intéressante car elle vient souligner que, s’il est important de conserver une distance face à un discours institutionnel et politisé, il n’en demeure pas moins que dans certains cas l’esclavage n’est pas que métaphorique… Une autre caractéristique liée à la disparition du statut est le fait que les situations observées sont très souvent temporaires, pour des raisons de coûts économiques et dans le but d’éviter de possibles contrôles. Plusieurs auteurs ont, de manière distincte, mis en avant que l’esclavage moderne n’est pas fondé de manière absolue sur des critères raciaux, mais sur des critères inscrits dans des rapports de production (Botte 2005 ; Bales 1999). Comme le fait justement remarquer Julia O’Connell Davidson (2015), si cela est pertinent, il ne faut pas pour autant perdre de vue que la majorité des populations concernées se trouvent dans d’anciennes colonies ou émigrent de celles-ci vers les pays développés. Si la race n’est donc pas l’élément premier à l’origine des formes d’exploitation, celles-ci s’inscrivent pour autant dans une division internationale du travail racialisée et genrée telle que décrite par la sociologie décoloniale, et Ramon Grosfoguel (2014) notamment. À ce sujet, il est intéressant de souligner certaines dynamiques de cette division internationale du travail qui distinguent les formes d’esclavage moderne dans les pays développés et les pays en développement. Dans les premiers, les cas concernent principalement des migrants légaux ou illégaux confrontés à des politiques migratoires qui les vulnérabilisent structurellement. Dans les pays en développement, il s’agit majoritairement et massivement de citoyens nationaux, protégés normalement par ailleurs par les droits associés à leur citoyenneté. La question de l’esclavage moderne se pose alors en termes d’anthropologie des droits associés à la citoyenneté, et de leur performativité, en s’intéressant aux manières dont les critères symboliques à la base de la construction de ces citoyens en tant qu’alter inégaux ont tendance à normaliser la négation de leurs droits comme dans le cas des travailleurs ruraux au Brésil, ou encore des intouchables en Inde, etc. S’ajoutent à cela les exclus des nations issues de la colonisation – là où d’anciens empires ont laissé la place à des nations aux frontières dessinées par les colons –qui constituent une main-d’œuvre potentielle, comme dans la zone située entre la Thaïlande et la Birmanie (Ivanoff, Chantavanich et Boutry 2017). L’un des enjeux spécifiques de la réflexion anthropologiques touche à la méthode d’investigation de la discipline : l’enquête de terrain. Pour la plupart des cas, ou du moins les plus extrêmes, il est quasiment impossible d’accéder aux terrains en question pour y pratiquer une forme d’observation participante. Les difficultés d’accès s’apparentent à celles des terrains de guerre, de combats, de prostitution, de camps de travail forcé, etc. Les recherches de terrain consistent donc le plus souvent à rencontrer et accompagner les sujets postérieurement aux situations pour réaliser avec eux des entretiens. Quand cela est possible, car comme le souligne l’anthropologue Denise Brennan, auteurede Life Interrupted: Trafficking into Forced Labour in the United States, s’entretenir au sujet d’une expérience souvent traumatisante n’est pas non plus sans difficultés ou sans poser de questions quant au rôle de l’anthropologue et de la nature de sa relation avec les sujets du terrain (Brennan 2014). L’un des autres enjeux des analyses anthropologiques, dans des contextes prononcés de vulnérabilité structurelle et face aux processus de subalternisation des sujets par le biais des discours institutionnels, est de faire ressortir l’agencéité des sujets. L’anthropologie, dans sa tendance à replacer les situations étudiées dans les trajectoires de vie des sujets et à donner la parole à ces derniers, possède un avantage certain sur d’autres disciplines pour donner à voir leur agencéité sans perdre de vue pour autant les contraintes structurelles auxquelles ceux-ci font face. L’engagement volontaire de sujets dans la prostitution, de manière temporaire (ou non), pour améliorer leur quotidien matériel, d’enfants au travail malgré leur âge mineur, la migration illégale volontaire par l’intermédiaire de passeurs, la fuite, l’usage des compétences linguistiques ou une volonté de travailler plus dur que les autres, etc., sont autant d’exemples d’agencéité des sujets. Plutôt que de négliger de prendre en considération l’esclavage moderne à cause de son caractère institutionnalisé et sa nature protéiforme, il me semble que l’anthropologie et son regard critique ont un rôle à jouer pour mettre en lumière la complexité des différentes dimensions de ce phénomène et leur enchevêtrement : une économie morale globale, une économie néolibérale précarisant les conditions de travail et une division internationale du travail racialisée, genrée et hiérarchisée entre les pays développés et en développement. Pour ce faire, et apporter une plus-value heuristique, les analyses anthropologiques sur l’esclavage moderne devront s’ancrer dans le contemporain et repenser des catégories analytiques dichotomiques héritées du début des sciences sociales qui ne parviennent plus à rendre compte des situations étudiées : esclavage, liberté, travail libre et travail non libre, etc. Ces catégories ne permettent pas de penser le continuum de situations (allant de libres à non libres) de travail dans lequel les sujets évoluent dans le temps et l’espace, et dont les conditions peuvent, à une extrémité du continuum, être similaires à des régimes passés d’esclavage. C’est dans cet esprit qu’une des voies pour saisir la complexité du social et les dynamiques de ce phénomène si actuel est celle des « situations contemporaines de servitude et d’esclavage » (Martig et Saillant 2017). La notion de « situations » permet en effet de garder à l’esprit que l’objet étudié relève localement des spécificités sociohistoriques et culturelles considérées tout en se « situant » aussi dans le contexte économique, moral, politique et historique plus global : c’est l’articulation de ces différentes dimensions qui permettent de saisir la complexité du social. Enfin, penser en termes de situation a pour avantage de replacer l’expérience liée à l’esclavage moderne dans la trajectoire de vie plus large des sujets, et de saisir ainsi plus facilement leur agencéité. Il s’agit d’une proposition. D’autres voies verront sûrement le jour pour analyser un phénomène complexe qui, loin de disparaître, donne à voir les limites des mythes du travail libre et de la performativité des droits des sociétés démocratiques libérales contemporaines, et en appelle du coup à une anthropologie du contemporain.
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Doyon, Sabrina. "Environnement." Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.007.

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Abstract:
Le mot environnement est polysémique. Selon les contextes et les disciplines, on peut référer à l’environnement physique, naturel ou social. Il est parfois associé, à tort, aux notions d’écosystème et de ressources naturelles. Ces ambiguïtés sont intéressantes du point de vue de l’anthropologie, car elles révèlent la multitude de réalités auxquels le terme réfère ainsi que les divers usages et pratiques auxquels il est lié et, surtout, aux différentes façons dont il peut être pensé, imaginé, transformé, projeté et vécu selon les groupes sociaux et culturels. Depuis les années 1960, les préoccupations liées à l’environnement sont très présentes. Cette situation est à mettre en lien avec trois phénomènes : l’émergence des inquiétudes à l’égard de la contamination causée par l’industrialisation et envers la surexploitation de la nature qui sont sans cesse croissantes, l’avènement des mouvements écologistes et environnementalistes qui ont publicisé ces enjeux dans la société et l’institutionnalisation de l’environnement, notamment par la mise en place un peu partout dans le monde de ministères de l’Environnement, de politiques environnementales et de législations concernant l’usage de la nature. Tout en interrogeant les concepts de nature et de culture, plusieurs approches au sein de l’anthropologie questionnent l’environnement par l’étude des différents types de rapports qu’entretiennent les êtres humains avec ce qui les entoure, ce qui les supporte et les constitue. L’écologie culturelle de Steward (Steward 1955), l’approche écosystémique de Rappaport (1967), l’ethnoscience et l’ethnoécologie (Haudricourt 1956), l’œuvre d’anthropologie structurale de Lévi-Strauss, les travaux relatifs aux rapports à la nature, des vivants et des non-vivants (Ellen et Katsuyochi 1996; Descola 2005; Viveiros de Castro 2009), et ceux propres à la perception et à « l’habiter » (Ingold 2000) sont parmi les approches anthropologiques ayant fait de l’environnement et de la nature le centre de leur réflexion. Elles s’inscrivent à la fois dans les courants matérialistes et symboliques de l’anthropologie et dans les écoles anglo-saxonnes et françaises de l’étude des relations socio-environnementales. Ces catégorisations ne sont toutefois pas absolues : des chevauchements et des emprunts enrichissent aujourd’hui les réflexions de chacun. Depuis les années 1990, les recherches anthropologiques concernant les relations entre l’environnement et les êtres humains sont nombreuses, variées et croissantes; elles intègrent souvent des approches propres à d’autres disciplines, telles que la géographie, la sociologie, les sciences politiques et la philosophie, et combinent des recherches fondamentales et appliquées. L’écologie politique (political ecology : approche critique des changements environnementaux qui analyse les liens entre des enjeux écologiques et d’économie politique) est un exemple de courant théorique phare qui intègre ces disciplines et qui rallie de nombreux chercheurs en anthropologie (Bryant et Bailey 1997; Escobar 1996; Gauthier et Benjaminsen 2012; Biersack et Greensberg 2006; Peet, Robbins et Watts 2011). Les efforts de compréhension de la pluralité des modes d’interprétation, de représentation et d’incorporation de l’environnement se nourrissent aussi d’études en histoire environnementale et questionnent les perceptions et les constructions sociales de la nature. Les concepts de natures humanisées (issues d’aménagements ou de perturbations anthropiques) y sont mis en rapport avec ceux de natures « sauvages et primaires »; des remises en question des idéaux de la wilderness, évoqués dans la tradition anglo-saxonne (Cronon 1995; Balée 2006), en émergent, démontrant qu’une supposée nature originelle n’aurait jamais existé et que l’environnement est, au contraire, travaillé, médié, construit par des actions humaines depuis la présence des premières communautés humaines. Ces clarifications amenées par l’anthropologie s’ancrent dans des compréhensions de la nature organisées par des savoirs environnementaux locaux et autochtones (Menzies 2006) qui sont souvent discrédités par la science positiviste occidentale (Fairhead et Leach 2003). Ces recherches sont également alimentées par des réflexions récentes en sciences de l’environnement où le modèle homéostatique de la nature (dans lequel les écosystèmes, en tant que systèmes, tendraient vers un équilibre via des mécanismes de rétroaction régulateurs) est contesté, préférant des approches qui intègrent le chaos et l’incertitude (Scoones 1999). Dans tous les cas, ces recherches s’attachent à montrer que les divisions conceptuelles entre la nature et la culture, la société et l’environnement ne sont pas universelles et s’ancrent plutôt dans des constructions modernes (Latour 1991). Ces réflexions foisonnantes ne sont pas étrangères aux analyses anthropologiques des discours environnementaux qui s’intéressent notamment à la cristallisation de certaines formules, telles que : les forêts cathédrales, le développement durable, la désertification et les changements climatiques (Crate et Nuttall 2009; Redclift 1987; Sachs 1993) et à leurs portées sociale et culturelle. Plusieurs auteurs exposent ainsi les conséquences sociales et politico-économiques variées, tant locales qu’internationales, des discours globalisés sur l’environnement dont les enjeux, connotés de conceptions « occidentales » anthropocentristes du rapport à la nature, sont énoncés et répétés par un petit groupe d’experts lors de récurrentes « grandes messes » internationales que sont les Conventions cadre des Nations unies sur les changements climatiques, les Conventions sur la diversité biologique et les Sommets de la Terre. Ces nouveaux processus politiques par lesquels l’environnement est gouverné et contrôlé, nommé environnementalité (Agrawal 2005), constituent des phénomènes où la nature est conçue comme un espace propre à l’intervention du gouvernement. Les anthropologues s’intéressent à ces processus, ainsi qu’aux enjeux qui y sont discutés, comme la justice environnementale, les réfugiés climatiques et le racisme environnemental, des termes qui témoignent de l’intrication sociale, politique, économique et culturelle inhérente à la situation écologique mondiale actuelle. Des recherches examinent également les mécanismes de négociation des enjeux élaborés lors de ces évènements et les structures qui codifient les échanges permettant à certaines voix d’être entendues tandis que d’autres sont tues. Les discours environnementaux globalisés sont au cœur des mouvements de protection de la nature, engendrés tant par des organismes privés qu’étatiques, qui s’incarnent notamment dans la création, exponentielle depuis les années 1980, de parcs naturels, de réserves ou d’aires protégées (Adams et Hutton 2007; West, Igoe et Brockington 2006). La constitution de ces territoires n’est pas nouvelle : elle a ses racines dans la colonisation de l’Amérique du Nord, de l’Afrique et de l’Inde. Elles furent d’abord créées à l’initiative des colonisateurs qui voulurent protéger une nature « sauvage » idéalisée comme étant vierge et qu’ils « découvraient »; une nature dont le caractère inaltéré avait, selon eux, disparu en Europe. L’instauration de ces parcs se fit cependant au prix de l’expulsion des populations autochtones qui les occupaient (Igoe et Brockington 2007). Les études des rapports qu’entretiennent spécifiquement les populations autochtones avec l’environnement sont d’ailleurs très riches et nombreuses et constituent tout un champ de recherche (Colchester 2003[1994]). Les anthropologues étudient comment la création de ces aires protégées, en transformant des paysages en lieux de contemplation et de protection de la nature, contribue à transformer l’espace et les rapports sociaux. L’espace est d’ailleurs un concept de plus en plus utilisé en anthropologie dans l’examen des relations socio-environnementales. Ces espaces protégés sont aussi le lieu d’initiatives de patrimonialisation de la nature (Roigé et Frigolé 2010) qui ne sont pas sans soulever des questionnements critiques. Le développement du tourisme et de l’écotourisme dans ces espaces protégés (Duffy 2008, Stronza 2001) amènent, entre autres conséquences, une valorisation de certaines espèces « charismatiques » au détriment d’autres entités constituant les écosystèmes. L’exploitation de la nature par le truchement de systèmes de production mécanisés et industriels en agriculture, dans les pêches, la foresterie, l’exploitation minière et l’extraction des carburants fossiles est au cœur des préoccupations de l’anthropologie de l’environnement. Cette dernière questionne les modes d’appropriation de ces « ressources naturelles » en s’intéressant notamment aux préoccupations de l’éthique environnementale, des mouvements écologistes et environnementalistes (Peluso 1992; Latour 2004) ainsi que des autres mouvements sociaux, notamment anarchistes et féministes, qui s’insurgent contre des modèles de développement de l’environnement délétères, sexistes et iniques (Rocheleau, Thomas-Slayter et Wangari 1996). Ces préoccupations s’arriment à celles exprimées à l’égard des effets de la privatisation, de la marchandisation et de la re-régulation des dimensions fonctionnelles, symboliques, esthétiques et contemplatives de la nature et du vivant, ce que se propose d’étudier un nouveau courant anthropologique se penchant sur les processus de la « néolibéralisation » de l’environnement (Castree 2008; Igoe et Brockington 2007).
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Roy, Bernard. "Santé." Anthropen, 2018. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.079.

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Abstract:
De nombreux anthropologues appréhendent la santé comme une « construction sociale » qui varie considérablement d’une société à une autre, d’une époque à une autre. Dans toutes les sociétés, les anthropologues constatent que le concept santé s’exprime en des termes et des mots variés généralement associés à la notion de « bien-être ». Chez les Tzeltal et Tzotzil Maya des hautes terres du Chiapas, le concept de santé s’exprime par les mots « vital warmth » (chaleur vitale) (Groark 2005). Chez les vieux Innus (Montagnais), la santé réfère à la qualité de vie tandis que chez les Inuits, la santé serait conçue comme un ordre harmonieux dans lequel la personne est intégrée dans un environnement social, temporel, spirituel et non empirique (Therrien et Laugrand 2001). Et si cette notion de qualité de vie/santé varie d’un peuple à l’autre, elle fluctue également d’une classe ou d’un groupe social à un autre. Les anthropologues du début du XXe siècle ne parlaient pas d’ethnomédecine et encore moins d’anthropologie médicale, d’anthropologie de la santé ou d’anthropologie de la maladie, mais plutôt, de médecine primitive, archaïque ou traditionnelle. Presque toutes les monographies ethnologiques anciennes proposent des sections portant sur la maladie, les médecines indigènes ou les pratiques et croyances médicales. Dès le XVIIIe siècle, le missionnaire jésuite, Joseph-François Lafitau, qualifié par William N. Fenton et Elizabeth L. Moore de « premier éclat de lumière sur la route de l'anthropologie scientifique » (Fenton et Moore 1969) documenta, dans son œuvre Mœurs des sauvages américains comparées aux mœurs des premiers temps (Lafitau 1983), les pratiques médicales, les maladies ainsi que la santé des Iroquois. Au début du XXe siècle, les anthropologues décrivirent et analysèrent les us et coutumes de peuples vivants à l’écart de la modernité (Massé 1995). Les nombreuses monographies publiées à la suite de longs terrains contribuèrent aux développements de connaissances concernant les représentations sociales de la santé et de la maladie chez les praticiens et les peuples éloignés et isolés d’une modernité qui s’imposait tout autour de la planète. Constatant l’accroissement du nombre d’anthropologues travaillant au sein des structures médicales et sur des questions de santé et de maladie, Normand Scotch crée, au début des années 1960, le terme Medical anthropology (Scotch 1963 cité par Walter 1981). Peu à peu, cette nouvelle discipline se distingue à la fois aux niveaux théoriques et de l’application. Cherchant à comprendre les phénomènes de la santé/maladie dans différents contextes culturels, l’anthropologie médicale prend comme objet d’analyse les façons dont les acteurs sociaux reconnaissent et définissent leur santé, nomment les maladies, traitent leurs malades (Massé 1995). Les premiers travaux des anthropologues médicaux répondent surtout aux demandes d’une médecine qui cherche à comprendre comment la culture intervient dans l’avènement des maladies et comment contrer les résistances des populations aux entreprises déployées pour améliorer la santé depuis une perspective biomédicale. « Quand on fait appel à l’anthropologue dans une étude épidémiologique, c’est souvent afin qu’il trouve les bonnes formulations pour cerner les “facteurs culturels” qui influencent les pratiques sanitaires... » (Fassin 2001 :183). Rapidement, ce nouveau champ de l’anthropologie fait l’objet de critiques. Qualifiée de discipline bioculturelle, l’anthropologie médicale est critiquée en raison de ses thèmes de recherche dictés par la santé publique et de la domination des professionnels de la santé dans le dialogue avec les anthropologues impliqués dans les milieux de la santé. Byron Good (1994) estimait pour sa part que les travaux des anthropologues médicaux, dans les années 1950-1960, contribuèrent au développement d’une critique de la naïveté culturelle soutenant le regard porté par les instances de santé publique internationales sur le complexe santé/maladie. Toutefois, quelques chercheurs s’intéressent spécifiquement à la notion de santé en dehors de l’axe santé/maladie et proposent celui de santé/vie. Au début des années 1970, Alexander Alland formule une théorie anthropologique médico-écologique qui se base sur le principe de l’adaptation culturelle à l’environnement. Cette théorie postule que la santé résulte de l’adaptation biologique et culturelle d’un groupe d’individus dans un environnement donné. Un peu moins de dix années plus tard, McElroy et Towsend (1979) élaborent un cadre écologique qui affine cette première proposition. Pour McElroy et Towsend, la santé des individus et des collectivités résulte de l’équilibre établi entre les éléments biotiques, abiotiques et culturels d’un écosystème. Cette conception de la santé proposée par le courant écologique fera l’objet de nombreuses critiques du fait, entre autres, du nivèlement de la culture sur la nature qu’elle soutenait. Parallèlement aux courants écologique et bioculturaliste se développe une tendance phénoménologique (Laplante 2004). Délaissant les catégories objectives de la médecine, Kleinman (1980) et Good (1994) proposent d’appréhender la santé et la maladie sur les bases de l’expérience humaine. Tandis que Kleinman s’intéresse à la manière dont les gens expriment leur notion de la maladie à partir de leur expérience (Illness) qu’il articule autour de modèles explicatifs indissociables des systèmes culturels, Good s’intéresse aux réseaux sémantiques qui permettent à la personne de réorganiser en permanence son expérience en fonction du contexte et des circonstances. La maladie, et par extension la santé, ne correspondent plus à une chose en soi ou à sa représentation. L’une et l’autre résulteraient, plutôt, d’interactions qui permettent de synthétiser des significations multiples. D’autres anthropologues estimeront que la santé et la maladie sont des résultantes de l’histoire propre aux communautés humaines. Ces anthropologues proposent un recadrage radical de toute démarche visant à identifier les problèmes de santé et leurs dynamiques d’émergence dans une communauté humaine. Cette anthropologie considère d’emblée la communauté comme unité centrale d’analyse et s’intéresse « à la manière dont un contexte social et culturel informe les perceptions, valeurs et comportements des personnes » dans les dynamiques productrices de santé et de maladies. (Corin, Bibeau, Martin,et Laplante 1990 : 43). Dans ces contextes il reviendra aux anthropologues de participer à l’élaboration de politiques de santé adaptées aux diversités culturelles. Dès les années 1960, des anthropologues développent une critique de la médecine et de la santé internationale. Ils proposent de porter davantage attention aux conditions macrosociétales de production de la santé et de la maladie. En 1983, lors de la réunion annuelle de l’American Anthroplogical Association des anthropologues soulèvent l’importance pour l’anthropologie médicale de porter son attention sur les conditions sociales, économiques et politiques de production de la santé et de la maladie (Baer, Singer et Johnsen 1986). Pour ces anthropologues, la santé constitue un produit social et politique qui révèle l’incorporation de l’ordre social et des inégalités dans les corps (Fainzang 2005). Leurs recherches s’orienteront, du coup, autour de l’idée selon laquelle les inégalités sociales, les rouages du pouvoir et de l’exploitation, constituent les tout premiers facteurs de détermination de la santé et, par conséquent, de la maladie. La santé n’est plus ici considérée comme une réalité dérivée de définitions biologiques, médicales. Elle apparait comme une notion et un espace définis par les rapports entre le corps physique et le corps social. La santé ne correspond plus à la reconnaissance d’une norme physiologique, moyenne ou idéale. Elle est une construction culturelle qui ne peut être appréhendée que de manière relationnelle, comme un produit du monde social (Fassin 1996). Si les travaux des anthropologues ont davantage porté sur les phénomènes entourant la maladie et non sur ceux concernant la santé, ils ont toutefois largement contribué à la distinction analytique de la maladie dans ses dimensions médicales (disease), personnelles/expérientielles (illness), sociale(sickness) et, plus tard, en évoquant le concept de la souffrance sociale. Mais un constat s’impose. Les réflexions et recherches menées à l’endroit du concept de la santé par les sciences de la santé et les sciences sociales sont généralement moins développées que celles portant sur la notion de maladie. La perspective anthropologique impose d’appréhender le concept de santé comme un objet socialement et culturellement construit dans un espace-temps indissociable du global. Loin de se référer à une simple absence de pathologie, la santé se développe, se révèle dans le rapport entretenu par le sujet à lui-même et aux autres. Pour l’anthropologie, il y a d’abord l’intérêt à situer la santé dans l’expérience vécue d’un sujet en lien avec les autres. Acteur et créateur, il est également assujetti aux forces du contexte socioéconomique, politique et historique (Fainzang 2005). La santé se révèle ainsi comme une notion polysémique et un objet complexe qui se situe dans une trame d’interactions collectivement partagée du vivant avec son milieu s’incarnant dans les expériences singulières de l’être-au-monde (Massé 2010). Toutefois les propos de l’anthropologue Gilles Bibeau demeurent pertinents. « La santé continue d’être sous-conceptualisée et appréhendée de manière encore trop souvent inadéquate. […] Se pourrait-il que le surplus d’interventions de santé nous expédie hors du champ de la santé? » (Bibeau 2006 : 82, 84).
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Calame, Claude. "Individu." Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.015.

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Abstract:
La notion de l’individu comme être humain doué d’un corps propre et d’une identité singulière est née de la notion de sujet. C’est en effet autour de ce concept très occidental que s’est développée l’idée d’un être agissant de manière autonome et réflexive. Mais ce sujet constitué en « soi », en self, est aussi un sujet qui agit, un sujet pratique, engagé dans le monde extérieur selon une volonté et selon des motivations qui lui seraient propres. Un sujet donc non plus en tant que sub-jectum comme l’indique l’étymologie du mot ; non plus un sujet « soumis » à différents pouvoirs d’ordre politique et religieux, mais un sujet qui, au siècle des Lumières, avec la contestation de la royauté absolue et la critique de la hiérarchie catholique, devient un être de raison, constitué en droit (Taylor 1989). Désormais un sujet libre, un sujet libre de penser et libre d’agir comme il l’entend, un sujet dont les libertés sont fondées sur un certain nombre de droits, également partagés. Mais qu’en est-il dans la réalité de nos sociétés contemporaines, convaincues que démocratie et libéralisme économique vont de pair, convaincues aussi qu’elles sont les seules aptes à défendre les droits de l’homme et de l’individu dans leur universalité face à d’autres formes sociales, passant pour plus traditionnelles ? Envisagée du point de vue sociologique, la question a longtemps été de savoir qui, de l’individu ou de la société, est premier par rapport à l’autre. On le sait – pour Émile Durkheim la société ne saurait être considérée comme la somme des individus qui la composent, des individus donnés comme entités premières, dans leurs différents états de conscience. Du « holisme méthodologique » (le tout n’est pas réductible aux parties qui le composent) on est passé au « relationalisme méthodologique » : société et individus sont à comprendre dans des relations qui correspondent à des rapports de réciprocité. Le social et le collectif ne sauraient donc être envisagés comme les simples résultantes des actions et pratiques des individus (comme le laisse entendre l’« individualisme méthodologique »). Entre les individus-atomes (êtres indivis) et l’ensemble social auquel ils sont forcément intégrés, il y a interdépendance, interaction ; il y a « co-construction » des uns par l’autre, et vice versa. L’opposition toute théorique entre l’individuel et le collectif doit donc être dépassée (Corcuff 2007 ; Corcuff, Le Bart, de Singly 2010). Avant la guerre de 39-45, le sociologue et philosophe allemand Norbert Elias s’était déjà interrogé sur la nature de l’homme vivant dans ce qu’il appelait « la société des individus ». Les relations réciproques des individus les uns avec les autres constitueraient la condition même de l’existence humaine ; elles représenteraient l’une des bases de la condition d’être humain. Dès lors la vie sociale et l’appartenance à une société étaient données comme une disposition fondamentale, inscrite dans l’être social de l’homme. Pour Elias (1991), ce n’est que tardivement et épisodiquement, surtout à partir de la Renaissance, que serait apparue la conscience d’un « moi » pourvu d’une intériorité ; cette conscience nouvelle aurait alors entraîné, dans une perspective à vrai dire européocentrée, une « prédominance de l’identité du moi sur l’identité du nous ». Si les hommes en tant qu’individus sont bien interdépendants, la notion même d’individu est ancrée dans l’idée de la constitution d’un « moi » ; elle est fondée dans l’idée de sujet. C’est sur un constat analogue qu’est fondée la distinction tracée par l’anthropologue Louis Dumont (1983) entre sociétés holistes et société individualistes. D’un côté donc, dans les sociétés traditionnelles, un homo hierarchicus dont l’identité est définie par la place qu’il occupe dans l’ensemble social avec ses statuts et ses hiérarchies ; de l’autre un homo aequalis, promu dans les sociétés modernes par l’égalité instituée entre des individus considérés comme autonomes. Mais cette opposition se double d’un autre contraste. D’une part l’homme hors du monde : le modèle en est celui du renonçant indien qui se soustrait au réseau des liens sociaux pour se trouver face à lui-même, dans sa singularité ; d’autre part l’homme dans le monde : tel l’homme moderne, cet homme intra-mondain réalise son identité individuelle au sein de la société ; son individualité est posée comme une valeur et un but. Ainsi on assisterait en Occident à la naissance de l’individu moderne en particulier par la transition calviniste vers un « individu-dans-le-monde » mais pour y accomplir la volonté du dieu unique des chrétiens, puis par le passage à l’Individu de la première « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen », libéré de la tutelle de l’Église au nom de la liberté de conscience exercée dans une société égalitaire. Or c’est précisément de la notion de liberté que sont nés tous les malentendus entretenus par une pensée économiste préoccupée de fait par la seule liberté du marché. En effet les libertés fondamentales assises sur les droits partagés qui constituent l’individu abstrait ont été transformées en des libertés individuelles qui permettraient à chacune et chacun de se développer concrètement selon ses capacités propres. Dans cette mesure, l’individualité est assimilée à la sphère privée ; et les droits égaux qui assurent des devoirs réciproques sont réduits aux droits de la personne dans sa singularité (Flahaut 2006), dans la concurrence entre les individus soumis à la marchandisation (Calame 2008). L’extraordinaire développement des sciences humaines dans les années soixante du siècle dernier a pu sembler sonner le glas du sujet occidental en tant que monade autonome, consciente et réflexive. À vrai dire, les différentes sciences de l’homme ont plutôt contribué à en approfondir les multiples dimensions. Du côté de la psychanalyse le sujet dans son psychisme s’est révélé se situer à l’intersection des pulsions animées par son corps propre et du refoulé accumulé dans l’expérience de son enfance au sein de la famille nucléaire. À l’anthropologue structuraliste ce même inconscient est apparu comme fondé, au-delà des différences culturelles, dans les structures universelles de l’esprit humain. Dans le débat entre individualisme et holisme méthodologiques, les sociologues n’ont pas manqué de subordonner l’individu aux relations sociales, insérant son existence dans les réseaux contraignants que tissent ces rapports souvent asymétriques. Et les linguistes se sont interrogés sur l’existence d’une grammaire universelle qui traverserait les langues et qui serait à la base de la compétence verbale de tout être humain. Ainsi l’atome-individu abstrait est désormais soumis aux déterminations psychiques, sociales, économiques, culturelles, verbales et bientôt neuronales qui découlent de sa constitution organique et psychique ainsi que son environnement « naturel » et social. Dans les différentes perspectives ouvertes par les sciences sociales, le sujet-individu est donc bien à saisir étymologiquement comme sub-jectum ; en tant que tel, il s’avère constamment soumis à des processus de subjectivation qui dépendent largement de son entourage matériel, familial, social et culturel. Loin d’entraver une autonomie morale et intellectuelle censée asseoir l’individu philosophique dans une liberté fondée sur la conscience de soi, ces paramètres d’ordre aussi bien organique que symbolique contribuent au contraire à l’enrichissement identitaire constant des individus singuliers. Cette fabrication est rendue indispensable par l’extraordinaire plasticité neuronale constitutive de l’être humain, en particulier dans ses manières de se représenter le monde social et l’écologie qui le déterminent et dans les modes de son action sur cet environnement humain et matériel. En se fondant sur les résultats relativement récents d’une part de la paléo-anthropologie, d’autre part de la neurologie, quelques anthropologues contemporains sont allés plus loin. Dans son incomplétude, l’homme ne saurait se développer, ni en tant que genre humain, ni en tant qu’individu, si l’organisation sociale et la culture n’étaient pas là pour activer et réaliser ses capacités neuronales ; la nature cérébrale de l’homme se révélerait ainsi dans son extraordinaire plasticité, une plasticité qui implique la contrainte (Ansermet, Magistretti 2004). Autant du point de vue phylogénétique du développement du genre humain qu’en ce qui concerne l’essence organique de l’homme avec son développement individuel, tout se passe en somme comme si la nature présupposait la culture, voire comme si, pour l’être humain, la culture précédait en quelque sorte la nature (cf. Dortier 2004). En effet, en anthropologie culturelle et sociale, la tendance traditionnelle est d’envisager la culture, de même qu’à l’époque du Romantisme allemand, comme le moyen de combler le vide laissé par la nature incomplète de l’homme. Ainsi Geertz (1973): « En résumé, nous sommes des animaux incomplets ou inachevés et nous nous complétons ou nous nous parachevons nous-mêmes par le biais de la culture ». Par le biais de pratiques d’ordre technique et symbolique où l’activité de la communication verbale joue un rôle essentiel, l’homme se constitue lui-même dans son identité affective et réfléchie ; il se construit en interaction obligée avec les différents cercles communautaires qui contribuent à sa fabrication, en interaction avec leurs différentes conventions et traditions qu’à son tour il adopte. Ce processus d’« anthropopoiésis » se poursuit pendant toute sa carrière d’être humain mortel. L’individu se fabrique à la fois par les autres et pour les autres, avec des spécificités individuelles et des processus de subjectivation qui engendrent des transformations dynamiques, mais aussi des affrontements et des conflits (Affergan et al. 2003). D’un point de vue anthropologique, l’identité complexe de chacun de nous repose donc sur une dialectique subtile entre d’une part la nécessaire fabrication sociale et culturelle de l’homme par ses proches et d’autre part le développement de la singularité de l’individu, avec son autonomie partagée entre identité-idem et identité-ipse (Ricœur 1990). L’épanouissement de l’individu en personne avec sa réflexivité critique dépend, dans l’interaction notamment discursive, des différents réseaux de sociabilité auxquels il appartient dans sa vie intellectuelle et pratique ; son émancipation repose sur les différents statuts que lui confère son action sociale, entre travail, cercle familial, activités culturelles, etc. Sans doute une identité personnelle épanouie est-elle la résultante du croisement pratique de plusieurs niveaux identitaires collectifs, d’ordre également ethnique et culturel (Galissot, Kilani, Rivera 2000). Dans cette mesure l’identité individuelle doit sans doute être garantie en situation postmoderne par une série de droits, mais aussi de devoirs.
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Fougeyrollas, Patrick. "Handicap." Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.013.

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Abstract:
Handicap : nom commun d’origine anglo-saxonne dont l’étymologie proviendrait de Hand in Cap, une pratique populaire pour fixer la valeur d'échange d’un bien. Dans le domaine des courses de chevaux, le handicap vise à ajouter du poids aux concurrents les plus puissants pour égaliser les chances de gagner la course pour tous les participants. Il apparait dans le dictionnaire de l’Académie française dans les années 1920 dans le sens de mettre en état d’infériorité. Son utilisation pour désigner les infirmes et invalides est tardive, après les années 1950 et se généralise au début des années 1970. Par un glissement de sens, le terme devient un substantif qualifiant l’infériorité intrinsèque des corps différentiés par leurs atteintes anatomiques, fonctionnelles, comportementales et leur inaptitude au travail. Les handicapés constituent une catégorisation sociale administrative aux frontières floues créée pour désigner la population-cible de traitements socio-politiques visant l’égalisation des chances non plus en intervenant sur les plus forts mais bien sur les plus faibles, par des mesures de réadaptation, de compensation, de normalisation visant l’intégration sociale des handicapés physiques et mentaux. Ceci rejoint les infirmes moteurs, les amputés, les sourds, les aveugles, les malades mentaux, les déficients mentaux, les invalides de guerre, les accidentés du travail, de la route, domestiques et par extension tous ceux que le destin a doté d’un corps différent de la normalité instituée socio-culturellement dans un contexte donné, ce que les francophones européens nomment les valides. Dans une perspective anthropologique, l’existence de corps différents est une composante de toute société humaine (Stiker 2005; Fougeyrollas 2010; Gardou 2010). Toutefois l’identification de ce qu’est une différence signifiante pour le groupe culturel est extrêmement variée et analogue aux modèles d’interprétation proposés par François Laplantine (1993) dans son anthropologie de la maladie. Ainsi le handicap peut être conçu comme altération, lésion ou comme relationnel, fonctionnel, en déséquilibre. Le plus souvent le corps différent est un corps mauvais, marqueur symbolique culturel du malheur lié à la transgression d’interdits visant à maintenir l’équilibre vital de la collectivité. La responsabilité de la transgression peut être endogène, héréditaire, intrinsèque aux actes de la personne, de ses parents, de ses ancêtres, ou exogène, due aux attaques de microbes, de virus, de puissances malveillantes, génies, sorts, divinités, destin. Plus rarement, le handicap peut être un marqueur symbolique de l’élection, comme porteur d’un pouvoir bénéfique singulier ou d’un truchement avec des entités ambiantes. Toutefois être handicapé, au-delà du corps porteur de différences signifiantes, n’implique pas que l’on soit malade. Avec la médicalisation des sociétés développées, une fragmentation extrême du handicap est liée au pouvoir biomédical d’attribuer des diagnostics attestant du handicap, comme garde-barrière de l’accès aux traitements médicaux, aux technologies, à la réadaptation, aux programmes sociaux, de compensation ou d’indemnisation, à l’éducation et au travail protégé ou spécial. Les avancées thérapeutiques et de santé publique diminuent la mortalité et entrainent une croissance continue de la morbidité depuis la Deuxième Guerre mondiale. Les populations vivant avec des conséquences chroniques de maladies, de traumatismes ou d’atteintes à l’intégrité du développement humain augmentent sans cesse. Ceci amène l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à s’intéresser non plus aux diagnostics du langage international médical, la Classification internationale des maladies, mais au développement d’une nosologie de la chronicité : la Classification internationale des déficiences, des incapacités et des handicaps qui officialise une perspective tridimensionnelle du handicap (WHO 1980). Cette conceptualisation biomédicale positiviste situe le handicap comme une caractéristique intrinsèque, endogène à l’individu, soit une déficience anatomique ou physiologique entrainant des incapacités dans les activités humaines normales et en conséquence des désavantages sociaux par rapport aux individus ne présentant pas de déficiences. Le modèle biomédical ou individuel définit le handicap comme un manque, un dysfonctionnement appelant à intervenir sur la personne pour l’éduquer, la réparer, l’appareiller par des orthèses, des prothèses, la rétablir par des médicaments, lui enseigner des techniques, des savoirs pratiques pour compenser ses limitations et éventuellement lui donner accès à des subsides ou services visant à minimiser les désavantages sociaux, principalement la désaffiliation sociale et économique inhérente au statut de citoyen non performant ( Castel 1991; Foucault 1972). À la fin des années 1970 se produit une transformation radicale de la conception du handicap. Elle est étroitement associée à la prise de parole des personnes concernées elles-mêmes, dénonçant l’oppression et l’exclusion sociale dues aux institutions spéciales caritatives, privées ou publiques, aux administrateurs et professionnels qui gèrent leur vie. C’est l’émergence du modèle social du handicap. Dans sa tendance sociopolitique néomarxiste radicale, il fait rupture avec le modèle individuel en situant la production structurelle du handicap dans l’environnement socio-économique, idéologique et matériel (Oliver 1990). La société est désignée responsable des déficiences de son organisation conçue sur la performance, la norme et la productivité entrainant un traitement social discriminatoire des personnes ayant des déficiences et l’impossibilité d’exercer leurs droits humains. Handicaper signifie opprimer, minoriser, infantiliser, discriminer, dévaloriser, exclure sur la base de la différence corporelle, fonctionnelle ou comportementale au même titre que d’autres différences comme le genre, l’orientation sexuelle, l’appartenance raciale, ethnique ou religieuse. Selon le modèle social, ce sont les acteurs sociaux détenant le pouvoir dans l’environnement social, économique, culturel, technologique qui sont responsables des handicaps vécus par les corps différents. Les années 1990 et 2000 ont été marquées par un mouvement de rééquilibrage dans la construction du sens du handicap. Réintroduisant le corps sur la base de la valorisation de ses différences sur les plans expérientiels, identitaires et de la créativité, revendiquant des modes singuliers d’être humain parmi la diversité des êtres humains (Shakespeare et Watson 2002; French et Swain 2004), les modèles interactionnistes : personne, environnement, agir, invalident les relations de cause à effet unidirectionnelles propres aux modèles individuels et sociaux. Épousant la mouvance de la temporalité, la conception du handicap est une variation historiquement et spatialement située du développement humain comme phénomène de construction culturelle. Une construction bio-socio-culturelle ouverte des possibilités de participation sociale ou d’exercice effectif des droits humains sur la base de la Déclaration des droits de l’Homme, des Conventions internationales de l’Organisation des Nations-Unies (femmes, enfants, torture et maltraitance) et en l’occurrence de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) (ONU 2006; Quinn et Degener 2002; Saillant 2007). Par personnes handicapées, on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres. (CDPH, Art 1, P.4). Fruit de plusieurs décennies de luttes et de transformations de la conception du handicap, cette définition représente une avancée historique remarquable autant au sein du dernier des mouvements sociaux des droits civiques, le mouvement international de défense des droits des personnes handicapées, que de la part des États qui l’ont ratifiée. Malgré le fait que l’on utilise encore le terme personne handicapée, le handicap ne peut plus être considéré comme une caractéristique de la personne ni comme un statut figé dans le temps ni comme un contexte oppressif. Il est le résultat d’une relation dont il est nécessaire de décrire les trois composantes anthropologiques de l’être incarné : soi, les autres et l’action ou l’habitus pour en comprendre le processus de construction singulier. Le handicap est situationnel et relatif , sujet à changement, puisqu’il s’inscrit dans une dynamique interactive temporelle entre les facteurs organiques, fonctionnels, identitaires d’une part et les facteurs contextuels sociaux, technologiques et physiques d’autre part, déterminant ce que les personnes ont la possibilité de réaliser dans les habitudes de vie de leurs choix ou culturellement attendues dans leurs collectivités. Les situations de handicap ne peuvent être prédites à l’avance sur la base d’une évaluation organique, fonctionnelle, comportementale, identitaire ou de la connaissance de paramètres environnementaux pris séparément sans réintroduire leurs relations complexes avec l’action d’un sujet définissant le sens ou mieux incarnant la conscience vécue de cette situation de vie. Suite au succès de l’expression personne en situation du handicap en francophonie, on remarque une tendance à voir cette nouvelle appellation remplacer celle de personne handicapée. Ceci est généralement interprété comme une pénétration de la compréhension du modèle interactionniste et socio constructiviste. Toutefois il est inquiétant de voir poindre des dénominations comme personnes en situation de handicap physique, mental, visuel, auditif, intellectuel, moteur. Cette dérive démontre un profond enracinement ontologique du modèle individuel. Il est également le signe d’une tendance à recréer un statut de personne en situation de handicap pour remplacer celui de personne handicapée. Ceci nécessite une explication de la notion de situation de handicap en lien avec le concept de participation sociale. Une personne peut vivre à la fois des situations de handicap et des situations de participation sociale selon les activités qu’elle désire réaliser, ses habitudes de vie. Par exemple une personne ayant des limitations intellectuelles peut vivre une situation de handicap en classe régulière et avoir besoin du soutien d’un éducateur spécialisé mais elle ne sera pas en situation de handicap pour prendre l’autobus scolaire pour se rendre à ses cours. L’expression personne vivant des situations de handicap semble moins propice à la dérive essentialiste que personne en situation de handicap. Le phénomène du handicap est un domaine encore largement négligé mais en visibilité croissante en anthropologie. Au-delà des transformations de sens donné au terme de handicap comme catégorie sociale, utile à la définition de cibles d’intervention, de traitements sociaux, de problématiques sociales pour l’élaboration de politiques et de programmes, les définitions et les modèles présentés permettent de décrire le phénomène, de mieux le comprendre mais plus rarement de formuler des explications éclairantes sur le statut du handicap d’un point de vue anthropologique. Henri-Jacques Stiker identifie, en synthèse, cinq théories du handicap co-existantes dans le champ contemporain des sciences sociales (2005). La théorie du stigmate (Goffman 1975). Le fait du marquage sur le corps pour indiquer une défaveur, une disgrâce, un discrédit profond, constitue une manière de voir comment une infirmité donne lieu à l’attribution d’une identité sociale virtuelle, en décalage complet avec l’identité sociale réelle. Le handicap ne peut être pensé en dehors de la sphère psychique, car il renvoie toujours à l’image de soi, chez celui qui en souffre comme celui qui le regarde. Le regard d’autrui construit le regard que l’on porte sur soi mais en résulte également (Stiker 2005 :200). La théorie culturaliste qui met en exergue la spécificité des personnes handicapées, tout en récusant radicalement la notion même de handicap, est enracinée dans le multiculturalisme américain. Les personnes handicapées se constituent en groupes culturels avec leurs traits singuliers, à partir de conditions de vie, d’une histoire (Stiker 2005). Par exemple au sein des Disability Studies ou Études sur le handicap, il est fréquent de penser que seuls les corps différents concernés peuvent véritablement les pratiquer et en comprendre les fondements identitaires et expérientiels. L’exemple le plus probant est celui de la culture sourde qui se définit comme minorité ethno-linguistique autour de la langue des signes et de la figure identitaire du Sourd. On fera référence ici au Deaf Studies (Gaucher 2009). La théorie de l’oppression (Oliver 1990). Elle affirme que le handicap est produit par les barrières sociales en termes de déterminants sociologiques et politiques inhérents au système capitaliste ou productiviste. Les personnes sont handicapées non par leurs déficiences mais par l’oppression de l’idéologie biomédicale, essentialiste, individualiste construite pour empêcher l’intégration et l’égalité. Ce courant des Disability Studies s’inscrit dans une mouvance de luttes émancipatoires des personnes opprimées elles-mêmes (Stiker 2005 : 210; Boucher 2003) La théorie de la liminalité (Murphy 1990). Par cette différence dont ils sont les porteurs, les corps s’écartent de la normalité attendue par la collectivité et sont placés dans une situation liminale, un entre-deux qu’aucun rite de passage ne semble en mesure d’effacer, de métamorphoser pour accéder au monde des corps normaux. Cette théorie attribue un statut anthropologique spécifique au corps handicapé sans faire référence obligatoire à l’oppression, à l’exclusion, à la faute, ou au pouvoir. Marqués de façon indélébile, ils demeurent sur le seuil de la validité, de l’égalité, des droits, de l’humanité. La théorie de l’infirmité comme double, la liminalité récurrente de Stiker (2005). L’infirmité ne déclenche pas seulement la liminalité mais en référant à la psychanalyse, elle est un véritable double. La déficience est là, nous rappelant ce que nous n’aimons pas et ne voulons pas être, mais elle est notre ombre. Nous avons besoin de l’infirmité, comme de ceux qui la portent pour nous consoler d’être vulnérable et mortel tout autant que nous ne devons pas être confondus avec elle et eux pour continuer à nous estimer. Ils sont, devant nous, notre normalité, mais aussi notre espoir d’immortalité (Stiker 2005 : 223)
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Vibert, Stephane. "Tradition et modernité." Anthropen, 2018. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.081.

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Abstract:
« Tradition » et « modernité » sont longtemps apparues, pour les sciences sociales et le sens commun, non seulement comme des notions relatives, initialement définies l’une par rapport à l’autre dans un rapport d’exclusivité mutuelle, mais plus encore, comme des qualificatifs désignant de véritables régimes d’humanité – sociétés traditionnelles et modernes. Pourtant, de l’intérieur même du champ anthropologique, de nombreuses critiques se sont régulièrement élevées à l’encontre de ce découpage trop schématique, appelant à davantage de réflexivité quant à l’usage de ces catégories englobantes. En effet, durant une majeure partie de son existence, l’anthropologie a été associée à l’étude des sociétés « primitives », ou « traditionnelles », alors que la description des sociétés « civilisées », ou « modernes », était dévolue à la sociologie. Cette distinction épousait de fait l’auto-compréhension des sociétés occidentales, dont la reconstruction évolutionniste de l’histoire de l’humanité présentait celle-ci selon une succession linéaire et nécessaire de stades indiquant les progrès de l’esprit humain, manifestes tant au niveau de l’organisation sociale, de la connaissance des phénomènes, de la morale personnelle que des réalisations matérielles et techniques. Aussi, dès la rencontre effective avec des sociétés aux langues, mœurs, croyances ou activités dissemblables, l’intérêt pour l’altérité comme différence s’est trouvé en tension avec une volonté de classification abstraite, selon une philosophie de l’histoire élaborée à partir des catégories intellectuelles propres à la trajectoire occidentale. Cela passe notamment, à partir des 18éme-19èmes siècles, par une auto-identification à la Raison universelle, seule apte à circonscrire le savoir « vrai » sur la réalité physique ou sociale, à distance de tous les préjugés enfermant l’humain dans la coutume, l’ignorance et la superstition. De cette configuration culturelle particulière (dite « post-traditionnelle »), nouveau mode de représentation du monde et de l’Homme apparu à la Renaissance et aboutissant aux Lumières, découleront tant un ensemble de processus socio-politiques définissant la « modernité » (développement scientifique et technique, révolution industrielle, État de droit, capitalisme marchand, individualisation des comportements et des valeurs, etc.) qu’une opposition globale à la « tradition » (les « survivances », en termes évolutionnistes). Ce « désenchantement du monde » – pour reprendre l’expression célèbre de Max Weber –, sera perçu à travers une dichotomie généralisée et normativement orientée, déclinée sous de multiples aspects : religion / science, immobilisme / changement, hiérarchie / égalité, conformisme / liberté, archaïsme / progrès, communauté / société, etc. Si le « grand partage » entre Nous et les Autres, entre modernité et tradition, a pu constituer un soubassement fondamental à la prime ambition empirique et positiviste du savoir anthropologique, il n’en a pas moins dès l’origine de la discipline été contesté sur bien des points. En anthropologie, l’idée d’une tradition fixe et rigide s’avère critiquée dès Malinowski, l’un des premiers à souligner la rationalité contextuelle des « primitifs » en référence à leurs règles communes de coexistence, et à récuser l’assimilation indue de la tradition à une obéissance servile et spontanée, sorte d’inertie mentale ou d’instinct groupal. Chez les Trobriandais ou ailleurs, soulignait-il, « dans des conditions normales, l’obéissance aux lois est tout au plus partielle, conditionnelle et sujette à des défaillances et (…) ce qui impose cette obéissance, ce ne sont pas des motifs aussi grossiers que la perspective du châtiment ou le respect de la tradition en général, mais un ensemble fort complexe de facteurs psychologiques et sociaux » (Malinowski, 2001 : 20). L’anthropologie, par sa mise en valeur relativiste des multiples cultures du monde, insistera alors davantage sur l’importance de la tradition dans la constitution de toute société, comme ensemble de principes, de valeurs, de pratiques, de rituels transmis de génération en génération afin d’assurer la permanence d’un monde commun, fût-ce à travers d’essentielles dynamiques de réappropriation, d’altération et de transformation, trait fondamental de toute continuité historique. Selon Jean Pouillon, « la tradition se définit – traditionnellement – comme ce qui d’un passé persiste dans le présent où elle est transmise et demeure agissante et acceptée par ceux qui la reçoivent et qui, à leur tour, au fil des générations, la transmettent » (Pouillon, 1991 : 710). En ce sens, « toute culture est traditionnelle », même si elle se conçoit comme radicalement nouvelle et en rupture totale avec le passé : son inscription dans la durée vise implicitement un « devenir-tradition ». Dès les années 1950, le courant « dynamique » de l’anthropologie britannique (Gluckman, 1956 ; Leach, 1954 ; Turner, 1957), les analyses de l’acculturation aux États-Unis (Herskovits, 1955) ou les travaux pionniers de Balandier (1955) et Bastide (1960) en France avaient montré combien les « traditions », malgré les efforts conservateurs des pouvoirs religieux et politiques afin de légitimer leur position, recelaient de potentialités discordantes, voire contestataires. A partir des années 1980, certains courants postmodernes, post-coloniaux ou féministes en anthropologie (Clifford et Marcus, 1986 ; Appadurai, 1996 ; Bhabha, 1994 ; Abu-Lughod, 1993), souvent inspirés par la French Theory des Foucault, Deleuze ou Derrida (Cusset, 2003), se sont inscrits dans cette veine afin d’élaborer une critique radicale de la perspective moderne : partant du native point of view des populations subalternes, objectivées, dépréciées et opprimées, il s’agit de dénoncer le regard implicitement colonialiste et essentialiste, qui – au nom de la science objective – avait pu les rejeter unanimement du côté de l’archaïsme et de l’arriération.. Cette reconsidération féconde de la « tradition » rejaillit alors nécessairement sur son envers relatif, la « modernité ». A partir des années 1950, suite au cataclysme totalitaire et aux puissants mouvements de décolonisation, apparaît une critique anthropologique argumentée des principes de développement et de modernisation, encore approfondie dans les années 1990 avec la fin du communisme réel en Europe et l’avènement d’une crise écologique liée à l’hégémonie du capitalisme industriel. Sous l’effet d’une « mondialisation » aux dimensions hétérogènes voire contradictoires, l’Occident semble redécouvrir les vertus des approches dites « traditionnelles » en de nombreux domaines (spiritualité, médecine, artisanat, agriculture, patrimoine, etc.), à la faveur de réseaux d’information et de communication toujours plus denses. Sans trancher sur le fait de savoir si notre époque globalisée relève encore et toujours de la modernité (seconde, avancée ou tardive), ou alors de la postmodernité (Bonny, 2004) du fait des formes hybrides ainsi produites, la remise en cause de la rationalité progressiste entendue comme « métarécit » (Lyotard, 1979) semble favoriser une compréhension plus équilibrée des « traditions vivantes », notamment des mœurs des populations autochtones ou immigrées (pluralisme culturel, tolérance religieuse, éloge de la diversité et du cosmopolitisme), même si certaines contradictions n’en apparaissent pas moins toujours prégnantes entre les divers répertoires de sens disponibles. Dès lors, les deux termes du contraste classique tradition / modernité en ressortent désormais foncièrement relativisés, et surtout complexifiés. Les études historiques ont montré combien les sociétés apparemment les plus modernes contribuaient plus ou moins consciemment à une constante « invention de traditions » (Hobsbawm et Ranger, 1992), évidente dans la manifestation de certains nationalismes ou fondamentalismes religieux cherchant à légitimer leurs revendications politiques et culturelles les plus contemporaines par le recours à un passé idéalisé. D’une certaine manière, loin d’avoir strictement appliqué un programme rationaliste de séparation nature / culture, « nous n’avons jamais été modernes » (Latour, 1991), élaborant plutôt à notre insu un monde composite et hétéroclite, sous la domination d’un imaginaire social qui érige paradoxalement le progrès, la rationalité et la croissance en mythe de la maîtrise rationnelle. Et lorsqu’elle s’exporte, cette « ontologie naturaliste » (Descola, 2005) se voit réinterprétée, transformée, voire inversée, selon une « indigénisation de la modernité » (Sahlins, 2007 : 295) qui bouscule tant les univers locaux de signification que les principes globaux d’arraisonnement du monde. S’avère désormais entérinée l’existence de « modernités multiples », expression synonyme d’une évolution différenciée des trajectoires socio-culturelles à travers des cheminements à la fois interreliés, métissés, contingents et comparables. A l’inverse, nul ne semble pouvoir dorénavant se réclamer ingénument de la tradition sans être confronté à un paradoxe fondamental, déjà repéré par Hocart (1927) : puisqu’elle ne vit généralement qu’ignorée de ceux qui la suivent (selon un agir pratique incorporé dans les us et coutumes du quotidien), on fait appel à la tradition d’abord pour justifier ce qui justement ne va plus de soi, et se trouve en danger de disparaître. Ce passage de la tradition au « traditionalisme » peut prendre à la fois la forme légitime d’une sauvegarde de valeurs et coutumes ou de la résistance à la marchandisation globale, mais aussi le visage grimaçant d’une instrumentalisation idéologique, au service d’un ordre social chimérique, soi-disant pur et authentique, fût-il répandu par les moyens technologiques les plus modernes.
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Mekki-berrada, Abdelwahed. "Ethnopsychiatrie." Anthropen, 2017. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.045.

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Abstract:
Le terme « ethnopsychiatrie » a été proposé pour la première fois, autour des années 1940, par le psychiatre et diplomate haïtien Louis Mars (1945). « Ethno-psych-iatrie » vient de ethnos qui en grec ancien, et à la suite d’une série de glissements sémantiques signifie tour à tour famille, tribu, peuple, nation, race. Le terme psuche indique les idées d'âme et d'esprit et, enfin, celui de iatros réfère au médecin, au guérisseur, au soin et au médicament. La notion d’ethnopsychiatrie consiste donc en cette alliance complexe entre ethnos, psuche et iatros. Dans la présente rubrique, l’ethnopsychiatrie est sommairement abordée selon trois dimensions essentielles, à savoir : 1. l’ethnopsychiatrie comme ensemble de théories et de pratiques culturelles; 2. l’ethnopsychiatrie comme discipline anthropologique; et 3. l’ethnopsychiatrie comme pratique clinique. 1. En tant que théorie et pratique culturelle, l’ethnopsychiatrie se veut universelle. Pour Georges Devereux (1908-1985), considéré comme le fondateur de l’ethnopsychanalyse (variante fondatrice de l’ethnopsychiatrie) (Laplantine 2007), « il n’est pas de peuple sans ‘’ethnopsychiatrie’’, c’est-à-dire sans son propre repérage, sans ses modalités de prise en charge des désordres, de ce type de négativité que la science appelle ‘’psychopatologie’’ » (cité par Nathan 2011). L’alliance complexe entre ethnos, psuche et iatros (ethno-psych-iatrie), se décline cependant de multiples façons et par différents peuples pour construire des espaces d’expression du désordre, du mal, du malheur, du mal-être, de la maladie, de la souffrance sociale et de leur dimension cosmogonique. Ces espaces sont des ethnopsychiatries plurielles que chaque société humaine abrite comme dans les traditions ayurvédique, humorale, homéopathique, exorcistique, chamanistique qui s’ajoutent à une liste interminable de théories et d’actions au sujet de la maladie et de l’univers. L’ethnopsychiatrie inclut aussi des rituels tels que, parmi tant d’autres, Mpombo, Mizuka et Zebola qui déploient un répertoire de gestes, de signes et d’êtres mythiques, et qui permettent aux femmes congolaises de (re)négocier leur rôle social et de (re)prendre une parole singulière pour exprimer leur mal-être dans une société où la parole dominante est généralement collective. Loin du Congo, nous retrouvons en Afrique de l’Est et dans la Péninsule arabique, le Zar, un rite impliquant essentiellement des femmes et favorisant lui aussi la résolution de conflits par l’expression collective de ceux-ci. Dans l’ensemble, l’ethnopsychiatrie contribue à la saisie des désordres intrapsychiques, interpersonnels ou sociaux, et cosmogoniques menaçants (Mekki-Berrada 2013). L’ethnopsychiatrie peut être considérée comme un « fait culturel total » qui se décline dans toutes les cultures et dans toutes les sociétés à travers les cinq continents. Au-delà de tous les particularismes, l’ethnopsychiatrie demeure à chaque fois culturellement située et consiste idéalement à transformer un monde chaotique en un monde qui fait sens pour la personne souffrante et son entourage. La psychiatrie contemporaine, elle-même, peut être considérée comme étant une ethnopsychiatrie parce qu'elle est comme les autres culturellement ancrée et dotée d’un ensemble de théories et de pratiques qui lui sont propres (Mekki-Berrada, 2013). Le « fou » dans l’Europe du XVIIIe siècle était un être de « déraison », dans le sens foucaldien du terme, au même titre que tous les autres exclus de la « raison » dominante de l’époque mêlant valeurs religieuses chrétiennes et valeurs sociales aristocratiques et monarchiques; le « fou », « l’insensé » se retrouvait alors avec les mendiants, les homosexuels, les libertins, les prostituées, tous entassés dans les hôpitaux généraux à des fin de contrôle social (Foucault 1972). La psychiatrie moderne est née dans l’Europe de l’Ouest du XIXe siècle quand le fou cessa d’être délinquant, pour être considéré comme malade. Même si, partiellement libéré du regard inquisiteur de l’Église et de la Monarchie, le « déraisonnable » devient aujourd’hui tantôt proie, tantôt sujet, au regard de la psychiatrie contemporaine. 2. En tant que discipline, l’ethnopsychiatrie se propose d’étudier les ethnopsychiatries comme espaces culturels où convergent les savoirs nosologiques, étiologiques et thérapeutiques au sujet du « désordre » mental, social et cosmogonique. L’ethnopsychiatrie-discipline ne constitue pas un bloc théorique monolithique. Sans nous arrêter sur les particularismes régionaux ou nationaux de l’anthropologie (« américaine », « britannique », « française »), la tendance historique générale de l’ethnopsychiatrie veut que cette discipline étudie, à ses débuts, la geste thérapeutique « exotique », non-occidentale, non-biomédicale. Avec le tournant interprétatif inauguré en anthropologie dans les années 1970 par Clifford Geertz et ce que l’on nommera dans les années 1980, avec Arthur Kleinman et Byron Good, l’anthropologie médicale interprétative, l’ethnopsychiatrie va cesser de se limiter aux espaces ethnomédicaux non-occidentaux pour se pencher aussi sur les «traditions ethnomédicales occidentales» incluant la biomédecine et la psychiatrie (Mekki-Berrada 2013), tout en plongeant dans le foisonnement des symboles et des interprétations de la maladie, du mal et du malheur. L’anthropologie médicale interprétative utilisera la culture comme moteur explicatif et principal cheval de bataille théorique. Elle sera cependant vite soumise aux vives critiques de Soheir Morsy (1979) et d'Allan Young (1982). Pour ces auteurs, l'approche interprétative « surculturaliserait » la maladie car elle en privilégierait les significations culturelles et en évacuerait les dimensions sociales et politiques. Cette critique sera poursuivie par Baer et Singer (2003) au sein d’un nouveau paradigme qu’ils nommeront « anthropologie médicale critique », paradigme dans lequel l’économie politique de la santé mentale est le moteur explicatif de la maladie et de la souffrance. De ce point de vue la culture serait un outil idéologique au service de la classe dominante, un « réseau de significations autant que de mystifications » (Keesing 1987 cité par Good 1994) qui camouflerait les inégalités sociales. Généralement considérée comme radicale sur le plan théorique, l’anthropologie médicale critique finira par trouver un équilibre des plus constructifs avec un autre courant nommé « anthropologie médicale interprétative-critique » (Lock et Scheper-Hughes 1996) qui offre l’avantage conceptuel et méthodologique de n’évacuer ni le culturel ni le politique, mais articule ces éléments pour mieux cerner l’enchevêtrement complexe des dimensions tant culturelles et microsociales de la maladie mentale et de la souffrance sociale que leurs enjeux macrosociaux. 3. En tant que pratique clinique, l’ethnopsychiatrie est relativement récente. Si Devereux apparaît comme le fondateur incontesté de l’ethnopsychiatrie-discipline, ce sont ses étudiants, Tobie Nathan et Marie-Rose Moro, qui fonderont l’ethnopsychiatrie-clinique à partir des années 1980, tous trois Français « venus d’ailleurs », porteurs et bricoleurs d’identités métissées. L’ethnopsychiatrie-clinique est une pratique psychiatrique, mais aussi psychologique, dépendamment de l’orientation centrale du « thérapeute principal » qui est soit psychiatre (ex. : Moro), soit psychologue (ex. : Nathan). En Amérique du Nord, ce sont essentiellement des psychiatres qui pratiquent l’ethnopsychiatrie-clinique, ou plutôt l’une de ses variantes, la « psychiatrie transculturelle » (Kirmayer, Guzder, Rousseau 2013) dont les principaux chefs de file sont basés à Harvard Medical School (ex. : Arthur Kleinman) ou à McGill University (ex. : Laurence Kirmayer, Cécile Rousseau). Il est à noter que l’ethnopsychiatrie clinique est très peu en vogue en dehors de l’Amérique du Nord et de l’Europe de l’Ouest. Il existe un certain nombre de variantes du dispositif clinique, mais une consultation ethnopsychiatrique nécessite au minimum : 1. un groupe de thérapeutes issus de cultures et de disciplines diverses, dont un-e seul est responsable et en charge de la circulation de la parole ; 2. la langue maternelle des patients et la présence d’interprètes culturels, ainsi que le passage d’une langue à l’autre, sont des éléments centraux du dispositif clinique afin d’aider à l’identification de nuances, subtilités, connotations et catégories culturelles; 3. le patient est fortement invité à se présenter en consultation avec des personnes qui lui sont significatives dans son propre réseau social ; 4. le dispositif groupal et le passage d’une langue à l’autre posent un cadre multi-théorique et l’ethnopsychiatre peut ainsi établir « un cadre métissé dans lequel chaque élément du matériel [biographique] peut-être interprété selon l’une ou l’autre logique » (Nathan 1986:126). Un tel dispositif facilite la mise en place d’un « espace intermédiaire » qui fait intervenir la culture comme « levier thérapeutique » et permet de révéler des conflits interpersonnels et intrapsychiques (Laplantine 2007 ; Streit, Leblanc, Mekki-Berrada 1998). Les ethnopsychiatres cliniciens procèdent souvent eux-mêmes à des « mini ethnographies » (« mini ethnography » ; Kleinman et Benson 2006) en se mettant « à l’école des gens qui consultent, pas l’inverse » (Nathan 2007). Ces mini ethnographies ont pour outil les « modèles explicatifs de la maladie » (« Illness Explanatory Models » ; Kleinman 1988) qui ont pour but d’être à l’écoute des perspectives des patients pour mieux explorer leur culture ainsi que les dimensions sociales et culturelles de la maladie mentale. En plus d’explorer la dimension culturelle du désordre, l’ethnopsychiatrie cherche à mieux comprendre la dimension psychiatrique des cultures tout en évitant de sur-psychiatriser la culture et de sur-culturaliser la psychiatrie (Laplantine 2007). Dans tous les cas, dès le début de la discipline qu’il a fondée, Devereux (1977) proposait une perspective « complémentariste » encore très utilisée aujourd’hui. Celle-ci exige le recours à la psychanalyse et à l’anthropologie de façon non simultanée, en ce sens que l’ethnopsychiatre est appelée à d’abord épuiser son recours à l’une des deux disciplines avant de se référer à l’autre, et ce, de façon constante. La méthode complémentariste s’accompagne nécessairement de la « décentration » qui est une attitude ou un mécanisme incontournable, qui force le thérapeute à identifier et à minimiser, dans la rencontre clinique, l’impact de sa subjectivité "égocentrée" ou "sociocentrée". En somme l’ethnopsychiatrie, telle que sommairement abordée ici, est un espace culturel où convergent les savoirs nosologiques, étiologiques et thérapeutiques, tous culturellement situés, et qui prend pour objet le « désordre » mental, social et cosmogonique; elle est aussi une discipline anthropologique qui se propose d’étudier ces espaces culturels ; elle est enfin une pratique clinique. Il s’agit de trois pans indissociables et constitutifs d’un même trièdre.
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Martin, Brigitte. "Cosmopolitisme." Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.120.

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Le cosmopolitisme est un mot dont la racine ancienne remonte à la civilisation des peuples de langue et de culture grecques durant l’Antiquité. Il a été formulé par Diogène de Sinope à partir des mots grecs que sont : cosmos, univers, politês et citoyen. Il exprime la possibilité d’être natif d’un lieu précis et de toucher à l’universalité, sans renier sa particularité (Coulmas 1995). Souvent associé à la mobilité internationale ou à l’élite globetrotteuse, dont les compétences interculturelles auraient facilité la maîtrise des sensibilités et des nuances culturelles, le cosmopolitisme n’est pourtant pas une caractéristique essentielle à la réalisation de citoyens du monde et d'universalistes (Chouliaraki 2008). Le point d’ancrage qu’est la relation qui réside dans l’utilisation du mot « local » pour désigner l’opposé du « cosmopolite », constitue l’élément déterminant au cœur de cette notion de cosmopolitisme contemporain. Hiebert (2002) ne fait pas de différence entre les locaux paroissiaux sédentaires et ceux qui sont plus mobiles à l’étranger (voyageurs, globetrotteurs, travailleurs, exilés, etc.) pour qualifier le cosmopolite, qui selon lui réside dans la connexion entre cultures et culture d’appartenance. Aujourd’hui, la notion de cosmopolitisme repose sur un vaste champ d’études et de disciplines qui constitue une tentative pour parvenir à une compréhension de phénomènes culturels plus contemporains. Cette conception émerge par l’ouverture de relations nouées et des effets qui y sont associés localement ou lors des déplacements à l’étranger (Amit 2010; Cook 2012; Gay y Blasco 2010; Molz 2006; Noble 2009, 2013). Le XVIIIe siècle a été celui du cosmopolitisme, celui où l’on a vu se développer les notions de citoyen du monde et d’universalisme, et celui où Kant (1724-1804) y a formulé sa théorie du cosmopolitisme se fondant sur l’universalisme, la pensée rationnelle, le libéralisme et la sécularité. Les notions de citoyen du monde et d’universalisme peuvent qualifier et signifier ce que l’on entend par cosmopolitisme. En outre, la philosophie universaliste positionne chaque individu au sein d’un ensemble social allant du plus particulier – en commençant notamment par le soi, la famille, la communauté locale et les communautés d’intérêts – au plus général, c’est-à-dire à l’échelle mondiale et à l’appartenance au genre humain. En supposant que le lieu de naissance soit accidentel, les stoïciens encourageaient la valeur morale et éthique reliée à l’abandon des barrières nationales, ethniques et de classes qui créent une distance entre l’individu et ses pairs (Vertovec et Cohen 2002). Aujourd’hui, le cosmopolitisme se démarque de cette conception en étant plus relié au relativisme culturel. D’ailleurs, les auteurs contemporains (Held 2002; Vertovec et Cohen 2002), même s’ils se réfèrent aux origines grecques telle que la philosophie des stoïciens, qui percevaient le monde comme formant une série de cercles concentriques, proposent une conception nouvelle des différences comme autant de manifestations du chemin à parcourir pour atteindre l’universel. À travers l’histoire, le cosmopolite est souvent montré comme un stigmatisé, puisqu’il est soupçonné de communiquer des idées provenant d’un ailleurs hors de contrôle (Backer 1987). Une des caractéristiques propres aux cosmopolites est ce réel désir, cette motivation de vouloir s’immerger dans une culture différente de la sienne, ce qui est en fait un élément distinctif pour décrire le cosmopolite. Cette immersion doit se faire au cours de longs séjours ou d’une multitude de séjours de courte durée, offrant suffisamment de temps pour explorer une ou plusieurs cultures locales et ainsi y nouer des liens et y trouver des points d’entrée (Hannerz 1990). C’est dans cette perspective d’action et d’opposition – qui peut être perçue comme une posture d’intérêt, qui est celle d’un esprit ouvert, mais critique – qu’ils peuvent entrer dans des réseaux internationaux riches et variés. La circulation culturelle au cœur de ces réseaux, qu’elle soit locale ou internationale, s’insère plus que jamais dans les caractéristiques permettant de définir le cosmopolitisme au XXIe siècle. Ainsi, vers le début des années 1990, l’attrait pour l’étude du cosmopolitisme refait surface dans les sciences humaines et sociales, notamment avec la publication d’un article intitulé ***Cosmopolitans and Locals in World Culture (1990) par l’anthropologue suédois Ulf Hannerz. Cet auteur définit le cosmopolitisme comme une aisance à naviguer à travers différents courants de pensée, une ouverture et une volonté de reconnaissance de l’altérité. L’anthropologie apporte ainsi une contribution importante et pertinente à la compréhension de cette notion. Hannerz (1990, 1996, 2006, 2007, 2010) devient une référence clé lorsqu’on parle de la notion de cosmopolitisme contemporain en anthropologie; il a inspiré pratiquement à lui seul le renouveau de ce courant et a permis de faire naître une série de débats et de travaux dans une perspective culturelle qui mérite d’être mentionnée afin d’enrichir la portée significative et la compréhension de cette émergence d’un cosmopolitisme. Tomlinson (1999) associe le cosmopolitisme à une perspective qui permet de s’engager dans la diversité culturelle, s’ajustant ainsi à certains éléments de son univers. Dans le but d’étoffer sa portée théorique, ce positionnement doit être nuancé à la lumière de cas concrets, puis appliqué à d’autres réalités (Backer 1987; Cook 2012; Gay y Blasco 2010; Molz 2006, Noble 2009, 2013; Tomlinson 1999; Vertovec et Cohen 2002). En conséquence, les revendications cosmopolites seraient aussi imaginées par une disposition culturelle ou esthétique qui représente la différence (Nussbaum 2002), un sens de la tolérance, de la flexibilité et de l’ouverture qui conduit à l’altérité et qui peut caractériser une éthique des relations sociales dans un monde interconnecté. Toutefois, certaines critiques affirment que cette notion de « cosmopolitisme global » représente une figure cosmopolite trop vague et même vide de sens pour pouvoir qualifier ou même donner de l’ancrage à l’action sociale. Cette notion de cosmopolitisme « flottant » serait même considérée par divers auteurs contemporains comme étant trop abstraite à la réalité sociale et retirée des contextes de la vie quotidienne d’autrui pour pouvoir en tenir compte dans l’explication des phénomènes sociaux (Erskine 2002; Skrbis et al. 2004). Aussi, contrairement aux formulations universelles et abstraites du cosmopolitisme, ces critiques en appellent à la pluralité et à la particularité de ce que Robbins (1998) appelle le « cosmopolitisme réellement existant ». Ce cosmopolitisme se vit « dans les habitudes, les pensées, les sentiments et les expériences de personnes réellement existantes et qui sont géographiquement et socialement situées » (1998 : 2). Ainsi, des travaux importants ont été consacrés à l’enrichissement de marqueurs essentiels à un « cosmopolitisme réellement existant ». Ces éléments sont entre autres : une volonté de s’engager avec d’autres personnes de culture différente (Amit 2010; Hannerz 2010), d’autres manières de penser et d’être, tel un antihéros dans sa posture intellectuelle et esthétique d’ouverture à des expériences culturelles divergentes (Gay y Blasco 2010; Molz 2006); une aptitude personnelle à trouver ses repères dans d’autres cultures (Noble 2009); des compétences spécialisées comme des aptitudes à manier de façon plus ou moins experte un système donné de significations (Cook 2012); un globetrotteur qui reste attaché à sa culture et à son territoire d’origine et qui se fabrique un chez-soi sur la base d’une des nombreuses sources de signification personnelle connues à l’étranger (Molz 2008); des aptitudes à accepter la déstabilisation, et ce, même s’il n’y est pas toujours bien préparé; des compétences variables à entrer au plus profond d’une autre structure de significations (Hannerz 1990); une attitude confiante libre de toute inquiétude face à la perte de sens (Cook 2012) des compétences pour mettre en pratique les connaissances acquises et les partager (Noble 2013); enfin des capacités à canaliser les différentes perspectives locales ou ce qui relève du local (Molz 2007). Gay y Blasco (2010) questionne cette fragilité et cette impermanence potentielle des émergences cosmopolites, à savoir si elles représentent une identité, une personnalité ou une pratique mutable. Pour Hannerz, cette compétence réside d’abord à l’intérieur de soi : c’est une question d’ancrage personnel qui fait largement place à une identité (1990 : 240). Pour Gay y Blasco, c’est une question de choix et d’engagement. En mettant en évidence les conséquences matérielles et affectives d’embrasser une perspective cosmopolite, il souligne que le cosmopolitisme serait une pratique mutable qui exige de prendre en considération les subjectivités cosmopolites qui se trouvent à la base de son orientation et qui peuvent être fortement teintées par le fait d’être une femme ou un homme, d’avoir à faire face à des contraintes du fait de sa provenance ethnique et des rapports que cela peut faire apparaître, comme celui des classes sociales, de la hiérarchie et même des inégalités (2010 : 404). Plusieurs débats anthropologiques sur ce qu’est le cosmopolitisme ont été dominés par la préoccupation des catégorisations et du dualisme entre identité et pratique. Enfin, pour quelques autres auteurs, le cosmopolite provient surtout de l’Ouest plutôt que d’ailleurs dans le monde, il appartient à l’élite plutôt qu’à la classe ouvrière, il s’observe davantage dans la pratique des voyageurs mobiles que chez les habitants sédentaires, il est métropolitain ou urbain plutôt que rural, et il appartient surtout aux consommateurs plutôt qu’aux travailleurs ou aux producteurs (Trémon 2009, Werbner 1999). À cet égard, il convient quand même de souligner que certains auteurs ont bien identifié les différents types de cosmopolitisme que sont par exemple la cosmopolitique et le cosmopolitisme culturel (Hannerz 2006), ou le cosmopolitisme d’élites plutôt que le cosmopolitisme non sélectif, plus démocratique et possible pour toutes les classes (Datta 2008). D’autres se sont aussi concentrés sur la différence entre transnationalisme et cosmopolitisme (Werbner 1999), ou cosmopolitisme et identités déterritorialisées (Trémon 2009 : 105). En dépit de cette prolifération de catégories, Hannerz reconnaît qu’il reste un flou autour de ce concept (2006 : 5). Selon lui, ce sont précisément ces différentes formes de cosmopolitisme qui en font un outil d’analyse variable, ouvert et attrayant pour les chercheurs. Malgré tout, Pollock et al. (2000 : 577) soutiennent qu’ils ne sont pas certains de ce que signifie réellement cette notion, mais ils arrivent à la conclusion qu’il s’agit bien d’un objet d’étude, d’une pratique et d’un projet.
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Hervé, Caroline. "Communs." Anthropen, 2018. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.086.

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Abstract:
Les communs (commons en anglais) peuvent être définis comme un ensemble de ressources physiques, matérielles ou immatérielles que les êtres humains cherchent à exploiter, à gérer ou à protéger pour assurer leur survie biologique, économique, sociale ou encore culturelle. Très à la mode depuis une quarantaine d’années en anthropologie, sociologie, histoire, économie ou encore en philosophie, ce concept a vu son champ d’application s’élargir, ses propositions théoriques s’étoffer et ses analyses se complexifier, tout en perdant progressivement son sens historique. Sortis du champ académique et instrumentalisés par les mouvements de résistance au néolibéralisme, les communs sont désormais au cœur de débats de société. La façon dont cette notion interroge les interactions entre les êtres humains et leur environnement, son intérêt pour éclairer la fabrication du social et sa réutilisation dans le débat public en fait un objet de recherche riche pour l’anthropologie. La définition du concept de communs est une entreprise difficile tant il renvoie à des usages divers. Si certains chercheurs tendent à privilégier, en français, l’usage du pluriel afin de marquer la grande variété des ressources regroupées sous la terminologie de communs, que l’on parle de ressources naturelles, mais également sociales ou intellectuelles, d’autres auteurs insistent sur l’importance d’utiliser le terme au singulier afin de souligner son potentiel théorique et pratique (Hardt et Negri 2012 ; Dardot et Laval 2014). L’origine étymologique du terme commun, construit sur les locutions latines cum et munus, renvoie à une idée centrale, celle de la mise commun ou de la gestion commune de biens, mettant l’accent sur le fait que le commun « implique donc toujours une certaine obligation de réciprocité liée à l’exercice de responsabilités publiques » (Dardot et Laval 2014 : 23). Ces deux aspects, celui de réciprocité et de responsabilité publique, sont au cœur de la définition historique des communs. Les origines du concept renvoient à une pratique de gestion des terres qui était courante dans différentes régions d’Europe avant la fin du Moyen-Âge et qui consistait en la gestion commune de certaines terres par un groupe de personnes ou d’unités familiales pendant une période de temps limitée. Dans certaines circonstances, tout le monde pouvait avoir accès à ces terres, selon des règles d’usage particulières ; dans d’autres cas, leur usage était restreint et contrôlé. Ce fonctionnement communal a progressivement été mis en cause par les autorités publiques et les cercles politiques à partir du milieu du XVIIIe siècle. En l’espace d’un siècle, la plupart des communs en Europe de l’ouest devinrent ainsi des propriétés privées ou publiques (De Moor 2011 : 425). Ceci correspond au phénomène connu des enclosures qui s’est particulièrement développé en Angleterre dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, à travers lequel de larges étendues de champs ouverts, connus sous le nom de terrains communaux ou commons, ont progressivement été parcellisés et enclos (Hemmungs Wirtén 2013 : 2), dans un contexte marqué par l’augmentation démographique et l’industrialisation. Ce retour dans l’histoire est important pour comprendre les confusions qui sont apparues lorsque les chercheurs des différentes disciplines ont commencé à s’intéresser plus largement à la question des communs à partir du milieu du XXe siècle. L’une des confusions les plus importantes a été introduite par le biais du travail de Garrett Hardin dans son célèbre article « The Tragedy of the Commons », publié en 1968, dans lequel il explique que les communs sont susceptibles de surexploitation et donc de disparition. Sa thèse principale repose sur l’idée biaisée que les communs historiques étaient accessibles à tous et en tout temps. À la suite de la parution de cet article, les chercheurs ont ainsi commencé à utiliser le terme de communs pour faire référence à toutes formes de ressources utilisées par tous et sans contrôle, ce qui ne correspond pourtant pas à sa définition historique (De Moor 2011 : 425). L’article de Hardin a ouvert de nombreuses recherches portant sur les solutions à mettre en œuvre pour contrer la dégradation des communs. Mais ces travaux sont souvent restés coincés entre deux options : la prise en charge des communs par l’État ou par le marché. C’est dans ce contexte que le travail de la politologue Elinor Ostrom (1990), en proposant une troisième voie, a eu un retentissement important dans le monde académique, et même au-delà. La publication de son livre Governing the Commons constitue une étape essentielle dans les recherches sur la gestion des communs. Non seulement, elle montre que l’exploitation des communs ne mène pas inéluctablement vers leur fin, mais elle explore la diversité des arrangements institutionnels permettant la gestion de ceux-ci, sans pour autant avoir recours à l’État ou à la privatisation. Sa contribution est consacrée en 2009 lorsqu’elle reçoit, en même temps qu’Oliver Williamson, le prix Nobel d’économie pour son analyse de la gouvernance économique et celle des communs. La création de l’International Association for the Study of the Commons en 1989 ou encore la création de l’International Journal of the Commons en 2007, révélateurs d’un engouement scientifique pour la question des communs, permettent la diffusion des théories et des méthodes dans les différentes disciplines et dans la société civile, à tel point que l’étude même des communs comporte aujourd’hui des enjeux politiques, sociaux et même éthiques (Peugeot et Piron 2015). Les travaux d’Elinor Ostrom s’inscrivent dans une démarche résolument interdisciplinaire puisqu’elle utilise des études de cas, des concepts, des modèles et des méthodes issus de différentes sciences sociales, et tout particulièrement de l’anthropologie. Loin de développer une perspective purement institutionnelle, Ostrom s’intéresse en effet avant tout aux stratégies développées par les acteurs sociaux pour gérer des ressources en commun. Elle s’appuie pour cela sur de nombreuses études de cas développées par des anthropologues pour comprendre par exemple les systèmes d’irrigation au Népal, dans les Philippines ou à Los Angeles, la gestion des forêts en Inde, en Asie, en Afrique et en Amérique latine ou encore la pêche côtière en Inde ou au Canada (Acheson 2011 : 320). Même si son usage de l’anthropologie est qualifié de fragmentaire, puisque sortant ces études de cas de leurs contextes politiques ou culturels, ses travaux sont néanmoins reconnus comme une contribution majeure à la discipline anthropologique (Rabinowitz 2010). Outre celle des interactions entre les hommes et leur environnement, les travaux d’Ostrom rejoignent bien d’autres questions intéressant les anthropologues. Ils interrogent directement la gestion des ressources collectives, la nature des liens de coopération et la fabrique des communautés (Rabinowitz 2010 : 104), la production des normes et des règles sociales, ainsi que de la propriété, privée ou publique (Acheson 2011 : 320). Enfin, en montrant le rôle important de la réciprocité dans la plupart des cas de gestion alternative des ressources, les anthropologues ont mis en évidence, à partir de leurs différents terrains, le fait que l’homme n’était pas uniquement animé par une logique économique, mais que le symbolisme était central dans les pratiques d’échange, renvoyant ainsi aux théories sur le don, concept dont les anthropologues ont étudié les multiples formes dans les sociétés humaines. Dans la foulée des propositions théoriques de Hardin et de Ostrom, un véritable engouement s’est manifesté autour de la question de ces communs naturels, en anthropologie et dans les autres disciplines des sciences sociales. Ces travaux ont fourni des modèles inspirant pour d’autres types d’objets de recherche et plus récemment les chercheurs ont commencé à identifier de nouveaux communs (new commons), comme des biens communs sociaux (social commons) qui constituent des ressources sociales ou des services destinés à des groupes sociaux spécifiques, des communs de nature intellectuelle ou encore culturelle incluant des ressources aussi variées que la musique, l’artisanat, les technologies numériques, etc. (Nonini 2006 : 166-167). Certains anthropologues ont même avancé l’idée que les communs peuvent englober des dimensions plus invisibles de la vie sociale relevant du domaine cognitif, corporel ou affectif, comme par exemple chez les Urarina, peuple indigène du Pérou, pour lesquels la notion même de tranquillité doit être l’objet d’un partage ou d’une réciprocité (Walker 2015). L’extension du concept de communs à des domaines aussi divers de la vie sociale explique aujourd’hui la difficulté à en donner une définition uniforme et certaines ambivalences quant à ses usages et ses analyses. De façon plus générale, la naturalisation du discours sur les biens communs a nécessité de s’engager dans une réflexion critique sur cet objet, ce que l’anthropologie a pu prendre en charge à travers sa capacité à mettre en perspective la production du social. Le succès du terme ne s’est en effet pas limité au milieu académique. Dans le contexte des dernières décennies, alors que des corporations, des gouvernements et d’autres types d’institutions politiques, privées ou non-gouvernementales, ont dépossédé certains groupes humains de leurs ressources dans la mouvance de la globalisation néolibérale, des stratégies de résistance et de lutte pour conserver ou retrouver le contrôle sur ces biens se sont développées (Nonini 2006 : 165). Dans le même temps, les propositions théoriques sur les communs ont mis en valeur des alternatives séduisantes face à la mainmise du marché ou de l’État sur ces ressources. Les anthropologues ont ainsi montré que ces luttes ne concernent pas seulement le contrôle des ressources matérielles mais également le contrôle des significations culturelles associées aux communs et aux processus qui les préservent ou les détruisent (Nonini 2006 : 165). Les stratégies et les perspectives antagonistes des différents groupes se disputant les communs sont ainsi devenues des objets de recherche riches pour l’anthropologie. Dans le contexte sud-américain où la surexploitation des ressources naturelles s’impose comme un nouveau paradigme économique, le constat que chacune des deux parties réutilise le concept de biens communs et de communs pour légitimer, d’un côté l’exploitation des ressources naturelles, et de l’autre la lutte contre cette exploitation, rappelle la nécessité de repenser les fondements ontologiques de chacune de ces deux façons de concevoir la relation entre les humains et le monde naturel. Dans ce cadre, les peuples autochtones nous invitent plutôt à penser ces confrontations ontologiques à travers le concept d’« incommuns » ; celui-ci révèlerait plutôt l’existence et la persistance d’une certaine incompatibilité entre différentes façons d’être au monde. En effet, alors que les entreprises extractrices font reposer leurs justifications sur la distinction entre nature et culture, et plus précisément sur le contrôle de la nature par les êtres humains, les peuples autochtones de leur côté se perçoivent en continuité avec le monde naturel, engagé dans une relation réciproque avec lui et dans l’obligation de le protéger (Blaser et De La Cadena 2017 : 186-187).
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Bodineau, Sylvie. "Humanitaire." Anthropen, 2017. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.044.

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Abstract:
L’aide humanitaire désigne les opérations d’assistance matérielle et humaine apportée aux victimes de catastrophes naturelles et de guerres. Son origine se situe dans la tradition philanthropique et caritative occidentale. Pour ce qui concerne les situations de conflit, elle suit la ligne du mouvement de la Croix-Rouge, à l’origine des Conventions de Genève dictant la conduite à adopter par les pays, notamment la protection des civils, des membres d'organisations humanitaires, des blessés ou encore, des prisonniers de guerre. Souvent appariée à l’aide au développement, l’aide humanitaire s’en différencie par son caractère urgentiste et à court terme. Elle est cependant mise en œuvre en grande partie par les mêmes organisations internationales qui se sont déployées dans le monde à partir de l’Occident après la Deuxième Guerre mondiale et les indépendances, et dans de nombreux cas, se prolonge au-delà du temps de l’urgence en touchant des domaines relatifs aux inégalités et à l’injustice sociale au nom de la protection des populations considérées comme vulnérables. Un certain nombre de règles et de principes s’y appliquent, définis par le Droit international humanitaire et le corpus juridique plus large des droits humains. L’intervention humanitaire fait l’objet de recherches anthropologiques spécifiques depuis les années 1990, période à laquelle, avec l’effondrement du bloc soviétique et la globalisation, les règles définissant l’humanitaire et le développement ont profondément changé, se caractérisant notamment par une internationalisation, une professionnalisation et une institutionnalisation des agences et des interventions (Atlani-Duault 2009). Les travaux qui s’y intéressent ont repris certains des questionnements propres à l’anthropologie du développement, par exemple autour de l’implication de la discipline au sein de son objet d’étude, et interrogent l’humanitaire en termes de gouvernementalité (Pandolfi 2002; Agier 2008), d’économies morales (Fassin 2010) ou encore de relations d’altérité (Saillant 2007). Plus récemment, l’approche défendue par Goodale et Merry (2007, 2009) pour une anthropologie critique et engagée des droits humains, a permis d’aborder l’humanitaire sous un nouvel angle. En embrassant les droits humains de leur émergence à leurs pratiques dans une perspective dynamique entre global et local, cette approche permet en effet de dépasser le clivage entre relativisme et universalisme. L’humanitaire, en tant que pratique transnationale des droits humains, est ainsi envisagé dans la globalité de son champ, dans sa praxis — de ses intentions à sa mise en œuvre — ainsi que dans sa complexité et au cœur de ses « circuits » (Saillant 2007) entre discours, représentations, et pratiques. À la base de l’humanitaire, on trouve à la fois l’humanisme, l’universalisme, la compassion, et la générosité. C’est plus particulièrement les figures de victimes et de souffrance (Boltanski 1993) qui justifient l’intervention et initient un lien (Saillant 2007). Plus qu’un droit d’intervention tel qu’il est défini par l’impératif humanitaire, il y a même quelque chose d’une injonction à intervenir, renforcée par le cadre juridique dans lequel l’intervention humanitaire s’inscrit. Par ailleurs, le caractère social de la souffrance introduit dans le régime humanitaire des valeurs plus politiques, notamment l’égalité, la justice sociale, la solidarité, l’échange, la démocratie, la paix. Mais même si l’ancrage moral est fort, l’application des valeurs n’est pas sans rencontrer d’écueils, notamment dans leur confrontation au terrain. Ainsi, non seulement le politique s’approprierait les valeurs de l’humanitaire, mais du fait de cette collusion, les valeurs de l’humanitaire seraient bafouées par le politique, affaiblissant ainsi les deux. Les imbrications militaro-humanitaires et politico-humanitaires qui en découlent sont décrites et dénoncées par de nombreux anthropologues (Pandolfi 2000, 2006; Fassin 2006; Juhem 2001; Koddenbrock 2012). En plus du débat sur l’ingérence, l’indépendance des ONG vis-à-vis des États, et plus généralement la neutralité de l’intervention humanitaire, sont dans ce sens loin d’être établies. Pourtant, pour Didier Fassin qui s’interroge sur le gouvernement humanitaire, entre ONG et États, « le partage des principes, les emprunts rhétoriques ou la circulation des acteurs signalent moins une instrumentalisation hypocrite de l’urgence, qu’un réaménagement transversal des lieux et des logiques de pouvoir. […] Faire ce constat, ce n’est pas déstabiliser le travail des organisations humanitaires en montrant qu’il est autre chose que ce pour quoi il se donne. C’est probablement penser autrement le politique, en particulier s’efforcer de comprendre ce que peut être un gouvernement non gouvernemental. » (Fassin 2006 : 15-19) Une des questions qui se posent est celle de l’universalité des souffrances à la base de l’intervention. Fassin et Bourdelais (2005), lorsqu’ils abordent les constructions de l’intolérable, montrent combien la définition de l’intolérable est une affaire d’économie morale, ce qui met à mal les absolus universalistes en la matière. Si on considère que les droits humains sont largement définis à partir de concepts occidentaux, les interventions humanitaires déployées au nom de leur universalisme tendraient ainsi à agir de manière hégémonique, en imposant une vision occidentale aux quatre coins du monde. C’est le cas, par exemple, des interventions au nom des droits de l’enfant qui, selon Pupavac (2001), défendent un modèle d’enfance mettant en porte-à-faux les pays n’ayant pas connu le développement économique des pays occidentaux dans lequel il s’inscrit. Pour éviter cela, les rédacteurs de droits humains qui cherchent à atteindre des propositions consensuelles acceptables et applicables universellement aboutissent généralement à une éthique confuse qualifiée par Read (2002) de « mitan brouillon » [ma traduction]. La figure de souffrance au centre de l’intervention, est à la source d’un autre paradoxe de l’humanitaire. Le problème fondamental tient dans l’incapacité de soigner et de témoigner à la fois. En effet, comme le montrent Malkki (1996) et Agier (2008), en reprenant la formule utilisée par Agamben (1998), dans son mouvement salvateur, le régime humanitaire réduit les personnes à qui il s’adresse à leur condition de « vulnérables », à une « vie nue », afin d’effacer le contexte qui pourrait poser obstacle à l’intervention -par exemple, dans le cas de conflits armés, suspendre l’histoire, s’abstenir de porter un jugement pour sauver des vies. Or, on le comprend, même si elle permet à l’équivalent contemporain du Bon Samaritain d’agir sans contrainte afin de préserver la vie au sens biologique, cette opération bafoue la prétention humaniste de l’intervention, en extrayant les personnes de leurs appartenances sociale, historique, culturelle, religieuse et politique, leur ôtant potentiellement toute forme de dignité. Ainsi, la souffrance qui est à la base de l’intervention s’imposerait et s’inscrirait dans les corps, excluant toute autre dimension, agissant d’une manière totalitaire. D’autres terrains offrent cependant d’autres perspectives sur la question, par exemple ceux décrits par Shepler (2014), Agier (2008), Saillant (2007), lorsque les bénéficiaires de l’aide, plutôt que de se comporter en victimes contraintes par une identité imposée ou déniée, s’approprient des discours, négocient les pratiques et vernacularisent les concepts. Pour être en mesure d’appréhender l’humanitaire dans sa diversité, sa complexité et sa globalité, l’approche anthropologique continue à être d’une grande pertinence, à condition de se renouveler. Désormais, l’engagement des anthropologues vis-à-vis des droits humains est affirmé par la Declaration on Anthropology and Human Rights de l’AAA en 1999 qui mentionne à la fois l’intérêt de l’anthropologie pour cet objet d’études spécifique et son engagement pour la promotion et la protection des droits des peuples. Sur le plan éthique, le défi est donc de chercher la position la plus « juste » à la fois aux côtés des peuples ou individus dans le besoin, mais aussi dans la réorientation ou l’élaboration de textes et politiques d’intervention. Sur un plan épistémologique, il convient de prendre en compte l’humanitaire au-delà de la façade monolithique qu’il présente et de s’affranchir des attentes culturalistes des intervenants. Une juste place est à trouver entre activisme, témoignage, défense, plaidoyer, ou encore accompagnement et médiation, avec une attention particulière à l’ouverture d’espaces aux participants (intervenants et bénéficiaires) pour mettre en avant leurs voix plutôt que celle des chercheurs.
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35

Kilani, Mondher. "Identité." Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.122.

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Abstract:
Dans le lexique des anthropologues, le mot identité est apparu bien plus tard que le mot culture. Mais depuis quelques décennies, alors que divers anthropologues se sont presque vantés de soumettre à une forte critique et même de rejeter leur ancien concept de culture, l'identité a acquis un usage de plus en plus étendu et prépondérant, parallèlement à ce qui s'est passé dans d'autres sciences humaines et sociales, ainsi que dans le langage de la politique et des médias. Nombreux sont ceux dans les sciences sociales qui s'accordent pour dire que le concept d'identité a commencé à s'affirmer à partir des années soixante du siècle dernier. Il est habituel de placer le point de départ dans les travaux du psychologue Erik Erikson (1950 ; 1968), qui considérait l'adolescence comme la période de la vie la plus caractérisée par des problèmes d'identité personnelle. Cette reconstruction est devenue un lieu commun des sciences humaines et sociales du XXe siècle, et pour cette raison, elle nécessite quelques ajustements. Par exemple, le sociologue américain Robert E. Park (1939) utilisait déjà, à la fin des années 1930, le terme identité, en rapport avec ceux d'unité, d'intégrité, de continuité, pour décrire la manière dont les communautés et les familles se maintiennent dans le temps et l'espace. En ce qui concerne l'anthropologie, un examen rapide permet de constater que l'identité a déjà été utilisée dans les années 1920 par Bronislaw Malinowski d'une manière qui n'était pas du tout sporadique. Dans ses textes sur les Trobriandais – comme par exemple La vie sexuelle des Sauvages du Nord-Ouest de la Mélanésie (1930) – il parle de l'identité du dala, ou matrilignage, en référence à la « substance » biologique dont il est fait, une substance qui se transmet de génération en génération dans la lignée maternelle. Ce n’est peut-être pas par hasard que le terme identité fut ensuite appliqué par Raymond Firth, dans We, the Tikopia (1936), pour affirmer la continuité dans le temps du clan, et que Siegfried Nadel dans The Foundations of Social Anthropology (1949) parle explicitement de l’identité des groupes sociaux grâce auxquels une société s’articule. La monographie The Nuer (1940) d'Edward E. Evans-Pritchard confirme que l’on a fait de l’identité un usage continu et, en apparence, sans problèmes dans l'anthropologie sociale britannique sous l’influence de Malinowski. Dans ce texte fondamental, l’identité est attribuée aux clans, à chacune des classes d'âge et même à l'ensemble de la culture nuer, que les Nuer considèrent eux-mêmes comme unique, homogène et exclusive, même si le sentiment de la communauté locale était « plus profond que la reconnaissance de l'identité culturelle » (Evans-Pritchard 1975: 176). Par contre, l’autre grand anthropologue britannique, Alfred R. Radcliffe-Brown, qui était particulièrement rigoureux et attentif aux concepts que l'anthropologie devait utiliser (selon M.N. Srinivas, il « prenait grand soin de l'écriture, considérant les mots comme des pierres précieuses » 1973 : 12), il est resté, probablement pour cette raison, étranger au recours au terme d'identité. S’il fait son apparition dans son célèbre essai consacré à la structure sociale de 1940, c’est uniquement lorsqu'il fait référence à l'utilisation approximative de ce concept par Evans-Pritchard. Il soutient que certains anthropologues (y compris Evans-Pritchard) utilisent l’expression « structure sociale » uniquement pour désigner la persistance des groupes sociaux (nations, tribus, clans), qui gardent leur continuité (continuity) et leur identité (identity), malgré la succession de leurs membres (Radcliffe-Brown 1952 : 191). Son utilisation du terme identité ne se justifie ainsi que parce qu’il cite la pensée d'Evans-Pritchard presque textuellement. On a également l’impression que Radcliffe-Brown évite d’adopter le concept d’identité, utilisé par ses collègues et compatriotes, parce que les termes de continuité (continuity), de stabilité (stability), de définition (definiteness), de cohérence (consistency) sont déjà suffisamment précis pour définir une « loi sociologique » inhérente à toute structure sociale (Radcliffe-Brown 1952 : 45). Qu’est-ce que le concept d'identité ajouterait, sinon un attrait presque mystique et surtout une référence plus ou moins subtile à l'idée de substance, avec la signification métaphysique qu’elle implique? Radcliffe-Brown admet que la persistance des groupes dans le temps est une dimension importante et inaliénable de la structure sociale. Mais se focaliser uniquement sur la stabilité donne lieu à une vision trop étroite et unilatérale : la structure sociale comprend quelque chose de plus, qui doit être pris en compte. Si l’on ajoute le principe d’identité à la stabilité, à la cohérence et à la définition, ne risque-t-on pas de détourner l’attention de l’anthropologue de ce qui entre en conflit avec la continuité et la stabilité? Radcliffe-Brown a distingué entre la structure sociale (social structure), sujette à des changements continus, tels que ceux qui se produisent dans tous les organismes, et la forme structurale (structural form), qui « peut rester relativement constante pendant plus ou moins une longue période » (Radcliffe-Brown 1952 : 192). Même la forme structurale – a-t-il ajouté – « peut changer » (may change); et le changement est parfois graduel, presque imperceptible, alors que d’autres fois, il est soudain et violent, comme dans le cas des révolutions ou des conquêtes militaires. Considérant ces deux niveaux, la forme structurale est sans aucun doute le concept qui se prêterait le mieux à être associé à l'identité. Mais l’identité appliquée à la forme structurale ne nous aiderait certainement pas à appréhender avec précision les passages graduels, les glissements imprévus ou, au contraire, certaines « continuités de structure » qui se produisent même dans les changements les plus révolutionnaires (Radcliffe-Brown 1952 : 193). Bref, il est nécessaire de disposer d’une instrumentation beaucoup plus raffinée et calibrée que la notion d’identité, vague et encombrante, pour saisir l’interaction incessante et subtile entre continuité et discontinuité. On sait que Radcliffe-Brown avait l'intention de construire une anthropologie sociale rigoureuse basée sur le modèle des sciences naturelles. Dans cette perspective, l'identité aurait été un facteur de confusion, ainsi qu'un élément qui aurait poussé l'anthropologie naissante vers la philosophie et l'ontologie plutôt que vers la science. Alors que Radcliffe-Brown (décédé en 1955) avait réussi à éviter le problème de l'identité en anthropologie, Lévi-Strauss sera contraint de l'affronter ouvertement dans un séminaire proposé, conçu et organisé par son assistant philosophe Jean-Marie Benoist au Collège de France au milieu des années soixante-dix (1974-1975). Quelle stratégie Lévi-Strauss adopte-t-il pour s'attaquer à ce problème, sans se laisser aller à la « mode » qui, entre-temps, avait repris ce concept (Lévi-Strauss 1977 : 11)? La première étape est une concession : il admet que l’identité est un sujet d’ordre universel, c’est-à-dire qu’elle intéresse toutes les disciplines scientifiques, ainsi que « toutes les sociétés » étudiées par les ethnologues, et donc aussi l’anthropologie « de façon très spéciale » (Lévi-Strauss 1977 : 9). Pour Lévi-Strauss, les résultats suivants sont significatifs: i) aucune des sociétés examinées – même si elles constituent un petit échantillon – ne tient « pour acquise une identité substantielle » (Lévi-Strauss 1977 : 11), c’est-à-dire qu’il ne fait pas partie de leur pensée de concevoir l'identité en tant que substance ou la substance en tant que source et principe d'identité; ii) toutes les branches scientifiques interrogées émettent des doutes sur la notion d'identité et en font le plus souvent l'objet d'une « critique très sévère » (Lévi-Strauss 1977 : 11); iii) il est possible de constater une analogie entre le traitement réservé à l’identité de la part des « sociétés exotiques » examinées et les conceptions apparues dans les disciplines scientifiques (Lévi-Strauss 1977 : 11); iv) cela signifie alors que la « foi » que « nous mettons encore » sur l’identité doit être considérée comme « le reflet d'un état de civilisation », c'est-à-dire comme un produit historique et culturel transitoire, dont la « durée » peut être calculée en « quelques siècles » (Lévi-Strauss 1977 : 11) ; v) que nous assistons à une crise contemporaine de l'identité individuelle, en vertu de laquelle aucun individu ne peut se concevoir comme une « réalité substantielle », réduit qu’il est à une « fonction instable », à un « lieu » et à un « moment » éphémères d’« échanges et de conflits » auxquelles concourent des forces d’ordre naturel et historique (1977 : 11). Ceci fait dire à Lévi-Strauss que « quand on croit atteindre l'identité, on la trouve pulvérisée, en miettes » (in Benoist 1977 : 209), tout en constatant dans le même mouvement que, tant dans les sociétés examinées que dans les sciences interrogées, nous assistons à la négation d'une « identité substantielle » et même à une attitude destructrice qui fait « éclater » l’identité « en une multiplicité d’éléments ». Dans un cas comme dans l'autre, on arrive à « une critique de l’identité », plutôt qu’« à son affirmation pure et simple » (in Benoist et Lévi-Strauss 1977 : 331). Pourtant, nous ne pouvons pas oublier que Lévi-Strauss était parti d'une concession, c’est-à-dire de l'idée que nous ne pouvions pas nous passer du thème de l'identité : c'est quelque chose qui concerne d'une manière ou d'une autre toutes les sociétés, les sociétés exotiques étudiées par les anthropologues et les communautés scientifiques qui se forment dans la civilisation contemporaine. Lévi-Strauss aurait pu développer plus profondément et de manière plus radicale l’argument présenté au point iv), à savoir que l’identité est une croyance (voire une foi), produit d’une période historique de notre civilisation. Mieux encore, étant donné que les autres sociétés d’une part et nos sciences de l’autre « la soumettent à l’action d’une sorte de marteau-pilon », c’est-à-dire qu’elles la font « éclater » (in Benoist 1977 : 309), nous aussi nous pourrions finalement nous en débarrasser. Lévi-Strauss sent bien, cependant, la différence entre sa propre position et celle du public qui a participé au séminaire, beaucoup plus enclin à donner du poids et un sens à l'identité. Pour cette raison, il offre un compromis (un compromis kantien, pourrait-on dire), qui consiste à détacher la notion d’identité de celle de substance et à penser l’identité comme « une sorte de foyer virtuel auquel il nous est indispensable de nous référer pour expliquer un certain nombre de choses, mais sans qu’il ait jamais d’existence réelle » (in Benoist et Lévi-Strauss 1977 : 332). Si nous l’interprétons bien, c'est comme si Lévi-Strauss avait voulu dire à ses collègues anthropologues : « Voulez-vous vraiment utiliser le concept d'identité? » Au moins, sachez que cela ne fait jamais référence à une expérience réelle : c’est peut-être une aspiration, une affirmation, une manière de représenter des choses, auxquelles rien de réel ne correspond. Avec ce compromis, Lévi-Strauss semble finalement attribuer à l'identité une sorte de citoyenneté dans le langage des anthropologues. Cependant, même comme un feu virtuel, où se trouve l'idée d'identité : dans la tête des anthropologues, qui utilisent ce concept pour représenter des sociétés dans leur unité et leur particularité, ou dans la tête des groupes sociaux lorsqu'ils se représentent leur culture? Revenons à l'exemple de Malinowski et des Trobriandais. C'est Malinowski qui interprète le veyola, la substance biologique du matrilignage (dala), en termes d'identité, et établit un lien entre identité et substance. Parler de l'identité du dala, surtout si elle est soutenue par le concept de substance (c'est-à-dire quelque chose qui se perpétue avec le temps et qui est complet en soi, de sorte qu'il ne dépend de rien de ce qui lui est extérieur, selon la définition classique d'Aristote), finit par obscurcir la pensée plus profonde des Trobriandais, c’est-à-dire l’incomplétude structurelle du dala. Il ne suffit pas de naître dans le dala et de recevoir le veyola de la mère. Le veyola n'est pas une substance identitaire, mais une matière sans forme qui doit être modelée par l’intervention du tama ou tomakava, c'est-à-dire « l'étranger », avec lequel la mère est mariée et qui est proprement le modeleur, celui qui aide les enfants de son partenaire à grandir, à prendre un visage, une personnalité, non pas en assumant une identité, mais par une participation progressive à des relations sociales (Weiner 1976). Malgré l’utilisation extensive du terme identité dans leurs descriptions ethnographiques et leurs réflexions théoriques, les anthropologues feraient bien de se demander s’il est vraiment approprié de conserver ce concept dans leur boîte à outils ou s’il ne convient pas de considérer l’identité comme une modalité de représentation historiquement et culturellement connotée. L'auteur de cette entrée a tenté de démontrer que l'identité en tant que telle n'existe pas, sauf en tant que mode de représentation que les anthropologues peuvent rencontrer dans telle ou telle société (Remotti 2010). Toutes les sociétés, dans leur ensemble ou dans leurs éléments constitutifs, ressentent les besoins suivants : stabilité, continuité, permanence, cohérence d’un côté, spécificité, certitude et définissabilité de l’autre. Mais, comme l’a suggéré Radcliffe-Brown, les réponses à ces besoins sont toujours relatives et graduelles, jamais complètes, totales et définitives. Nous pourrions également ajouter que ces besoins sont toujours combinés avec des besoins opposés, ceux du changement et donc de l'ouverture aux autres et au futur (Remotti 1996 : 59-67). Autrement dit, les sociétés ne se limitent pas à être soumises au changement, mais le recherchent et l’organisent en quelque manière. Il peut y avoir des sociétés qui donnent des réponses unilatérales et qui favorisent les besoins de fermeture plutôt que d’ouverture, et d’autres le contraire. Si ce schéma est acceptable, alors on pourrait dire que l'identité – loin d'être un outil d'investigation – apparaît au contraire comme un thème et un terrain important de la recherche anthropologique. En retirant l'identité de leur boîte à outils, prenant ainsi leurs distances par rapport à l'idéologie de l'identité (un véritable mythe de notre temps), les anthropologues ont pour tâche de rechercher quelles sociétés produisent cette idéologie, comment elles construisent leurs représentations identitaires, pour quelles raisons, causes ou buts elles développent leurs croyances (même leur « foi » aveugle et aveuglante) en l’identité. Nous découvrirons alors que nous-mêmes, Occidentaux et modernes, nous avons construit, répandu, exporté et inculqué au monde entier des mythes et des concepts identitaires. Nous l’avons fait à partir de l’État-nation aux frontières rigides et insurpassables, de l’idéologie clairement identitaire qu’est le racisme, et pour terminer de la racialisation de la culture qui exalte les traditions locales ou nationales comme substances intouchables, dont la pureté est invoquée et qu’on entend défendre de toutes les manières contre les menaces extérieures. Passée au niveau du discours social et politique, l'identité révèle tôt toute la violence impliquée dans la coupure des liens et des connexions entre « nous » et les « autres ». Comme le disait Lévi-Strauss (et aussi Hegel avant Lévi-Strauss), à l'identité « ne correspond en réalité aucune expérience » (in Benoist et Lévi-Strauss 1977 : 332). Mais les effets pratiques de cette représentation n'appartiennent pas au monde des idées : ils sont réels, souvent insupportablement réels.
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Couture, Jean-Simon. "Multiculturalisme." Anthropen, 2017. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.047.

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Abstract:
Durant plus d’un siècle, la culture a été l’une des notions les plus en vogue en anthropologie. Malgré la diversité épistémologique qui la sous-tend, il est un trait qui rassemble les diverses définitions de la culture, celui de la considérer comme une entité isolée et comme un organisme social cohérent en soi. À partir des années 1980, tous les concepts holistes de la culture ont été la cible d’une critique en partie justifiée. On leur reprochait de considérer les cultures comme des phénomènes propres à une seule société, selon le principe une société, une culture. Cherchant à considérer le caractère pluriel des sociétés contemporaines, on a recouru à plusieurs expressions comme, par exemple, multiculturalisme, communication interculturelle et identités transculturelles. Les préfixes multi-, inter- et trans- ont en commun une certaine affinité mais aussi des connotations diverses. Ces trois préfixes servent à construire des notions utilisées soit dans un contexte descriptif et par conséquent, analytique, soit dans un cadre prescriptif et donc normatif. Toutefois la distinction entre ce qui est et ce qui devrait être n’est pas clairement définie. C’est pourquoi, d’une part, on se trouve face à un mélange d’interprétations scientifiques, et d’autre part, de raisonnements appréciatifs et de jugements de valeur. C’est ainsi que l’analyse scientifique tend à se confondre et à se brouiller avec les programmes politiques, à quoi il convient d’ajouter des vues idéologiques utopiques. L’approfondissement de la notion de multiculturalisme fera foi d’exemple. Qu’est-ce que peut vouloir signifier le terme de multiculturalisme? Ce terme, de même que le préfixe multi tendent en fait à souligner l’importance aussi bien des différences culturelles que des frontières qui s’y rattachent. Ainsi, avec la notion de multiculturalisme on met en évidence la séparation des collectivités entre elles, y compris du point de vue spatial. Le terme de multiculturalisme possède une orientation plus relativiste, communautariste et parfois ségrégationniste ainsi qu’un caractère plutôt additif et moins relationnel comparativement à des notions telles que celles d’interculturalité et de transculturel (Taylor, 1992; Kymlicka, 1995 Modood, 2002). Les préfixes inter ou trans seraient considérés comme plus dynamiques, ouverts et processuels. Et pourtant le concept de multiculturalisme continue à être utilisé par des chercheurs, des politiciens, des intellectuels ou par de véritables producteurs d’identité, dans les pays où la différence culturelle est considérée comme un enrichissement social et surtout comme une donnée de fait, acceptée pragmatiquement comme telle le ou encore, là où elle fait l’objet d’un véritable culte. En raison de la grande hétérogénéité entre les divers types de multiculturalisme, il semble judicieux de se pencher sur ce qu’est le multiculturalisme en analysant des situations que l’on peut observer dans certaines sociétés où il fait partie des discussions quotidiennes et dans lesquelles le terme est opérationnel. Nous avons choisi trois cas exemplaires ne faisant pourtant pas partie des cas considérés comme classiques et par conséquent les mieux connus. Il s’agit de l’Allemagne, de la Suisse et de la Malaisie. En Allemagne, nation qui se considère comme historiquement monoethnique, le terme de Multikulturalismus, conçu lors de l’arrivée d’un nombre important d’immigrés de l’Europe du Sud suite à la Deuxième Guerre, a joui d’une grande popularité entre les années 970 et 1990. Aujourd’hui le terme de Multikulturalismus a mauvaise réputation. La mauvaise connotation actuelle du terme est attribuable au projet socio-culturel nommé MultiKulti. Ce projet dont le centre a été Francfort et Berlin (alors Berlin Ouest), où la concentration d’immigrants était particulièrement haute, s’est fait remarquer par ses bonnes intentions, mais surtout par le dilettantisme qui y a présidé. Ce qui a fini par discréditer toute conception politique future de multiculturalisme au sein d’une nation très fière depuis toujours de son homogénéité culturelle. La société allemande n’a jamais été sensible à la diversité culturelle, mais ce que l’on appelait le MultiKulti était fondé sur une idée plutôt vague de coexistence harmonieuse et spontanée entre des cultures fort diverses au quotidien. Le MultiKulti était donc destiné à échouer en raison de la négligence même avec laquelle il avait été pensé dans ce contexte. C’est pourquoi le multiculturalisme inhérent au projet d’une société MultiKulti finit par évoquer en Allemagne le spectre de sociétés parallèles, à savoir l’existence de communautés ethnoculturelles séparées qui vivent sur le territoire national dans des quartiers urbains ethniquement homogènes. Un scénario de ce genre, considéré comme une calamité, a réveillé les fantasmes du sinistre passé national-socialiste. C’est pour cette raison qu’actuellement, le multiculturalisme est rejeté aussi bien par le monde politique que par une grande partie de la société. Ainsi, c’est le concept d’intégration, comme forme d’assimilation souple, qui domine maintenant. En Suisse, le terme de multiculturalisme jouit d’une réputation bien meilleure. La société nationale, avec sa variété culturelle, la tolérance qui règne entre les communautés linguistiques et confessionnelles, la stabilité fondée sur le consensus et sur l’accord, est conçue et perçue comme une forme particulière de société multiculturelle. La Suisse est donc une communauté imaginée dont la multiculturalité est historiquement fixée et sera, à partir de 1848, constitutionnellement définie, reconnue et partiellement modifiée. Dans le cas de la Suisse on peut parler d’un multiculturalisme constitutionnel fondé sur la représentation que le peuple suisse s’est forgée au sujet de ses communautés culturelles (les Völkerschaften) diverses et séparées par les frontières cantonales. La société suisse est bien consciente et fière de ses différences culturelles, légalement reconnues et définies par le principe dit de territorialité selon lequel la diversité est cultivée et fortement mise en évidence. Will Kymlicka a raison lorsqu’il affirme que les Suisses cultivent un sentiment de loyauté envers leur État confédéré précisément parce que celui-ci garantit d’importants droits à la différence et reconnaît clairement des délimitations culturelles relatives à la langue et à la confession (Kymlicka 1995). Le sentiment d’unité interne à la société suisse est à mettre en rapport avec les politiques de reconnaissance de l’altérité qui se basent paradoxalement sur la conscience que le pays est une coalition de résistances réciproques dues aux différences linguistiques et religieuses au niveau cantonal. Cette conscience différentialiste a eu pour conséquence la pratique du power sharing (partage de pouvoir) qui fait que la Suisse est devenue un exemple de démocratie consociative (Lijphart 1977). Ce système politique ne coïncide pas avec le modèle classique de la démocratie libérale car pour affaiblir les résistances des cantons il est nécessaire de recourir au niveau fédéral à de vastes coalitions qui tiennent compte de l’équilibre entre les communautés cantonales et neutralisent la dialectique entre majorité et opposition. Il convient d’ajouter que les étrangers et les immigrés non citoyens sont exclus des pratiques politiques du multiculturalisme helvétique. La condition première pour participer est l’intégration, à savoir une forme plus légère d’assimilation, puis l’obtention de la nationalité. Le régime colonial britannique et dans une moindre mesure le régime hollandais, ont créé en Afrique, en Amérique, en Océanie mais surtout en Asie des sociétés appelées plural societies (Furnivall 1944) en raison de leur forte diversité ethnoculturelle. Dans ces sociétés, les communautés semblent mener volontairement des existences parallèles, les contacts culturels n’ayant lieu que sporadiquement avec les autres composantes de la société. Le multiculturalisme constitue un instrument politique et social indispensable pour garantir la reconnaissance et le respect réciproque des différences ethno-culturelles à l’intérieur d’un État souverain portant la marque d’une telle complexité. C’est le cas de la Malaisie où vivent ensemble et pacifiquement, mais non sans tensions permanentes, une dizaine de communautés ethnoculturelles parmi lesquelles on trouve, pour les plus nombreuses, les Malais, les Chinois et les Indiens. Dans ce pays on a créé des représentations et des stratégies d’action concrètes visant à mettre au point une forme spécifique de multiculturalisme qui continuerait à garantir la paix sociale et la prospérité économique. Mentionnons parmi celles-là : -La doctrine de l’harmonie de la nation (rukun negara) fondée sur l’idée de l’« unité dans la diversité ». Cette construction idéologique possède une forte valeur symbolique surtout lorsque naissent des tensions entre les communautés. -Au quotidien, la référence à un principe consensuel d’« unité dans la séparation ». Les diverses communautés tendent à vivre volontairement dans des milieux sociaux séparés mais non ségrégés. -La commémoration du grave conflit interethnique entre Malais et Chinois du 13 mai 1969. Ces faits sont devenus le mythe national négatif, à savoir quelque chose qui ne doit plus se reproduire. -Un régime politique fondé sur le consociativisme ethnique. Le gouvernement fédéral et celui des États particuliers sont formés de grandes coalitions auxquelles participent les divers partis ethniques. -La politique de discrimination positive pour les Malais qui sont la communauté ethnique la plus faible économiquement. Ces mesures sont acceptées tacitement de la part des Chinois et des Indiens (quoique non sans résistance). -Enfin, le projet, à travers le programme One Malaysia, de créer dans le futur une société plus unie, même si elle reste fondée sur le multiculturalisme. Du point de vue socioéconomique et politique, la Malaisie peut se considérer aujourd’hui, malgré des limites évidentes, comme une histoire à succès, un succès dû paradoxalement à cette forme particulière de multiculturalisme. Le multiculturalisme n’est pas une stratégie universalisable (voir le cas de l’Allemagne) pas plus qu’il n’est réductible à un modèle unique (voir le cas de la Suisse et de la Malaisie). Nous sommes plutôt face à un ensemble de solutions fort variées dans leur manière de gérer la diversité dans des sociétés ethniquement et culturellement plurielles. Une théorie générale du multiculturalisme est peut-être trop ambitieuse; l’analyse comparative qui en fait voir les défauts et les difficultés, mais aussi certains avantages importants est en revanche enrichissante.
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Gagnon, Éric. "Care." Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.031.

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Abstract:
Les années 1980 ont vu l'émergence, en philosophie, d’une éthique du care, qui n’a cessé de se développer et de gagner en importance. En rupture avec les conceptions kantiennes et rationalistes de la vie morale, cette éthique féministe met au centre de l’expérience morale la dépendance et le souci de l’autre, plutôt que la liberté et le détachement. Loin d’être des entités séparées, les individus dépendent des autres pour la satisfaction de besoins vitaux, et ce tout au long de leur vie, même s’ils le sont davantage à certains moments (naissance, maladie). Par delà leurs différences, les théoriciennes du care mettent au centre des discussions sur la justice et l’éthique la responsabilité à l’égard des personnes dépendantes et vulnérables, ainsi que le fait de prendre soin des autres (Paperman et Laugier, 2011). Le care désigne l’ensemble des gestes et des paroles essentielles visant le maintien de la vie et de la dignité des personnes, bien au-delà des seuls soins de santé. Il renvoie autant à la disposition des individus – la sollicitude, l’attention à autrui – qu’aux activités de soin – laver, panser, réconforter, etc. –, en prenant en compte à la fois la personne qui aide et celle qui reçoit cette aide, ainsi que le contexte social et économique dans lequel se noue cette relation. L’émergence de ce courant philosophique coïncide avec trois grands phénomènes sociaux et intellectuels. D’abord, l’accès grandissant des femmes au marché du travail, et la remise en cause de la division sexuelle du travail, qui conduisent les historiens et les anthropologues à s’intéresser aux tâches et aux métiers traditionnellement féminins (Loux, 1983), dont le travail domestique de soin ou les professions soignantes (infirmières, auxiliaires de soin). L’essor des recherches et des théories du care est ensuite lié au vieillissement de la population dans les sociétés occidentales, et aux préoccupations grandissantes touchant l’aide et les soins aux personnes âgées et dépendantes, plus nombreuses et vivant plus longtemps (Buch, 2015). Enfin, ces recherches et théories sont nourries par les débats sur l’assistance publique, la capacité de l’État-providence à prendre en charge les personnes vulnérables et à en décharger les familles (France, Canada), la situation de dépendance, négativement perçue, dans laquelle se trouvent ceux qui donnent et ceux qui reçoivent l’assistance (États-Unis). Les travaux sur le care mettent en évidence le fait que la responsabilité du soin aux autres revient davantage à certaines catégories sociales (les femmes, les groupes les plus démunis ou subordonnés comme les immigrants ou les pauvres). Un souci traverse et anime l’éthique du care : revaloriser les activités de soins, dont l’importance est ignorée et les savoirs déniés, du fait de leur association à des groupes d’un bas statut social ; dénoncer du même coup la manière dont les plus riches s’en déchargent sur les plus pauvres et les plus vulnérables, tout en ignorant ou oubliant leur dépendance à leur égard (Kittey et Feder, 2003). L’éthique du care ne peut manquer d’intéresser les anthropologues, qui peuvent y retrouver plusieurs de leurs interrogations et préoccupations. Premièrement, cette éthique remet en question un certain idéal du sujet, dominant en Occident, conçu comme un individu indépendant, délié de toute attache lorsqu’il fait ses choix. Les théories du care mettent en évidence sa profonde et naturelle dépendance aux autres pour la satisfaction de ses besoins primordiaux. Dans ces théories, comme en anthropologie, le sujet est le produit des rapports sociaux, il n’est compréhensible que replacé dans ces rapports généralement asymétriques. L’incomplétude de l’individu est posée dès le départ : se croire indépendant, c’est ne pas voir ses dépendances. S’il est possible de réduire sa dépendance, ce n’est qu’au bout d’un apprentissage, à l’intérieur de certains rapports sociaux et, paradoxalement, avec le soutien des autres. Deuxièmement, dans l’éthique du care, le jugement moral n’exige pas de s’abstraire de sa situation, de se libérer de toute passion et sentiment, mais plutôt, à partir de son expérience, de sa propre histoire et de la relation que l’on entretient avec l’autre, de chercher à comprendre son point de vue et sa situation. On se trouve là très proche de la démarche et de la compréhension ethnographique, fondée sur la relation que l’ethnologue entretient avec ceux qu’il étudie et dont il cherche à saisir le point de vue. Troisièmement, l’éthique du care attire l’attention sur des réalités négligées, oubliées ou dévalorisées ; elle conduit à une réévaluation de ce qui est précieux (Tronto, 1993). Comme l’anthropologie très souvent, elle s’intéresse à ce qui passe inaperçu ou demeure méconnu, mais aussi aux activités quotidiennes, en apparence banales, à ce qui s’exprime moins par des mots que par des gestes, dans les corps et les interactions, dont elle dévoile la richesse, la complexité, la signification et l’importance. Comme l’anthropologie, elle fait entendre des voix différentes, elle permet d’élargir le point de vue, de dépasser une vision dominante ou coutumière des choses. Quatrièmement, les recherches et les théories du care supportent une critique des inégalités et des rapports de domination, jusque dans la sphère privée. Elles s’interrogent sur le pouvoir qui s’exerce au sein de la relation d’aide et du lien affectif. Elles dénoncent les conditions de vie et la situation d’indignité dans laquelle se trouvent certaines personnes dépendantes (handicapées, âgées, seules, démunies), mais également les conditions de travail de celles et ceux qui apportent l’aide et les soins, et l’exploitation dont elles sont l’objet (travailleuses immigrantes, domestiques et femmes de ménage). Elles replacent ces rapports de domination au sein des rapports sociaux de sexe et des relations raciales, mais aussi dans les rapports entre les pays riches et les pays pauvres, comme le font les anthropologues. Enfin, cinquièmement, l’éthique du care conduit à une critique de la naturalisation de certaines dispositions et attitudes attribuées aux femmes : compassion, souci de l’autre, dévouement, oubli de soi. Ces dispositions et attitudes ne sont pas propres aux femmes, mais socialement et culturellement distribuées. Elles ne doivent pas être valorisées en les extrayant du contexte matériel et politique dans lequel elles s’expriment, au risque de renforcer les hiérarchies sociales et les injustices. Pareille critique est également menée par l’anthropologie, en montrant la relativité culturelle des dispositions et attitudes. Si l’anthropologie peut apprendre beaucoup de l’éthique du care, elle peut aussi apporter sa contribution aux débats sur le prendre soin, à partir de sa propre perspective et de ses méthodes : en décrivant et analysant les pratiques, les savoir-faire, l’organisation domestique, les institutions qui fournissent des services ; en prêtant attention aux gestes et aux rituels, aux expérience sensorielles, où la raison et les émotions, le sensible et l’intelligible ne se séparent pas (Buch, 2013); en comparant les pratiques et les situations entre différents pays et différentes époques, différents milieux socioéconomiques et différentes cultures, afin de montrer les constantes et les différences (Kaufman et Morgan, 2005); en sortant du monde occidental et en élargissant la perspective (l’éthique du care demeurant encore très marquée par la culture et les valeurs nord-américaines) ; en inscrivant le care et les pratiques de soins, non seulement dans les rapports sociaux et économiques, mais dans l’ensemble des systèmes symboliques, qui relient les individus entre eux, et qui tissent des correspondances entre les différentes dimensions de leur expérience, entre les âges de la vie, le passé et le présent, les gestes et les croyances, le corps et l’imaginaire (Verdier, 1979). L’anthropologie sera attentive au travail de la culture, au processus par lequel des expériences sont inscrites dans la culture par le biais de symboles, à la poétique des gestes et des paroles, à ce qui cherche à se dire et à s’exprimer, ainsi qu’aux résistances et à la distance que le soignant ou le soigné prend avec le groupe, ses valeurs et ses normes, à sa capacité de faire entendre autre chose, de faire voir d’autres dimensions de l’expérience (Saillant, 2000). Le care et le prendre soin ne forment pas un domaine spécifique de recherche, une anthropologie spécialisée à côté de l’anthropologie de la maladie, l’anthropologie de la famille et l’anthropologie du genre. Ce sont moins des «objets» d’étude, qu’une manière d’examiner des réalités multiples et variées. Faire de l’anthropologie du care et du prendre soin, c’est opérer un déplacement d’attention de la médecine vers les activités domestiques et quotidiennes, des savoirs scientifiques et techniques vers les arts de faire plus discrets, mais nécessitant tout autant un apprentissage, de l’intelligence et de la créativité, et reposant sur des savoirs. C’est également un moyen d’ouvrir l’anthropologie à des débats sociaux contemporains. Mais c’est aussi revenir par un autre chemin à la question anthropologique de l’articulation du biologique et du culturel, la manière dont le corps est culturellement investi, traversé de significations, façonné et transformé par les sociétés, la manière dont les faits naturels de la naissance, de la maladie et de la mort sont transformés en expériences humaines, inscrits dans un monde social spécifique et une conjoncture historique particulière (Saillant et Gagnon, 1999). Faire de l’anthropologie des soins, c’est ainsi reprendre à de nouveaux frais la question générale de l’articulation entre reproduction biologique et reproduction sociale.
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Kilani, Mondher. "Culture." Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.121.

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Abstract:
La culture, mot ancien, a une longue histoire et pour les anthropologues, qui n’ont pas envie de l’abandonner, elle garde tout son potentiel heuristique. Du verbe latin colere (cultiver, habiter, coloniser), la culture a immédiatement montré une remarquable versatilité sémantique. Comme Cicéron (106-43 av. J.-C.) l’avait dit, il n’y a pas seulement la culture des champs, il y a aussi la cultura animi : c’est-à-dire la philosophie. Cultura animi est une expression que l’on retrouve également au début de la modernité, chez le philosophe anglais Francis Bacon (1561-1626). Elle devient ensuite « culture de la raison » chez René Descartes (1596-1650) et chez Emmanuel Kant (1724-1804). Mais au XVIIIe siècle, nous assistons à un autre passage, lorsque la culture, en plus des champs, de l’âme et de la raison humaine, commence à s’appliquer également aux coutumes, aux mœurs, aux usages sociaux, comme cela est parfaitement clair chez des auteurs tels que François-Marie Arouet, dit Voltaire (1694-1778), et Johann Gottfried Herder (1744-1803). Nous pourrions nous demander pourquoi ces auteurs ne se sont pas contentés de continuer à utiliser les termes désormais testés de coutumes et de mœurs. Pourquoi ont-ils voulu ajouter la notion de culture? Qu’est-ce que cette notion offrait de plus? Autrement dit, quelle est la différence entre culture et coutume? Dans l’usage de Voltaire et de Herder, la culture est presque toujours singulière, alors que les coutumes sont très souvent plurielles. La culture a donc pour effet d’unifier les coutumes dans un concept unique, en surmontant leur pluralité désordonnée et désorientante : les coutumes sont nombreuses, variables, souvent divergentes et contradictoires (les coutumes d’une population ou d’une période historique s’opposent aux coutumes d’autres sociétés et d’autres périodes), alors que la culture désigne une capacité, une dimension, un niveau unificateur. Dans son Essai sur les mœurs (1756), Voltaire a clairement distingué le plan de la « nature », dont dépend l’unité du genre humain, de celui de la « culture », où les coutumes sont produites avec toute leur variété : « ainsi le fonds est partout le même », tandis que « la culture produit des fruits divers », et les fruits sont précisément les coutumes. Comme on peut le constater, il ne s’agit pas uniquement d’opposer l’uniformité d’une part (la nature) et l’hétérogénéité d’autre part (les coutumes). En regroupant les coutumes, Voltaire suggère également une relation selon laquelle le « fonds » est le terrain biologique, celui de la nature humaine, tandis que la culture indique le traitement de ce terrain et, en même temps, les fruits qui en découlent. Tant qu’on ne parle que de coutumes, on se contente de constater la pluralité et l’hétérogénéité des « fruits ». En introduisant le terme culture, ces fruits sont rassemblés dans une catégorie qui les inclut tous et qui contribue à leur donner un sens, bien au-delà de leur apparente étrangeté et bizarrerie : bien qu’étranges et bizarres, ils sont en réalité le produit d’une activité appliquée au terrain commun à toutes les sociétés humaines. Partout, les êtres humains travaillent et transforment l’environnement dans lequel ils vivent, mais ils travaillent, transforment et cultivent aussi la nature dont ils sont faits. Appliquée aux coutumes, la culture est donc à la fois ce travail continu et les produits qui en découlent. En d’autres termes, nous ne pouvons plus nous contenter d’être frappés par l’étrangeté des coutumes et les attribuer à une condition d’ignorance et aux superstitions : si les coutumes sont une culture, elles doivent être rapportées à un travail effectué partout, mais dont les résultats sont sans aucun doute étranges et hétérogènes. Il s’agit en tout cas d’un travail auquel chaque société est dédiée dans n’importe quel coin du monde. Nous ne voulons pas proposer ici une histoire du concept de culture. Mais après avoir mentionné l’innovation du concept de culture datant du XVIIIe siècle – c’est-à-dire le passage du sens philosophique (cultura animi ou culture de la raison) à un sens anthropologique (coutumes en tant que culture) –, on ne peut oublier que quelques décennies après l’Essai sur les mœurs (1756) de Voltaire, Johann Gottfried Herder, dans son Ideen zur Philosophie der Geschichte der Menschheit (1784-1791), fournit une définition de la culture digne d’être valorisée et soutenue par l’anthropologie deux siècles plus tard. Herder ne se limite pas à étendre la culture (Kultur) bien au-delà de l’Europe des Lumières, au-delà des sociétés de l’écriture (même les habitants de la Terre de Feu « ont des langages et des concepts, des techniques et des arts qu’ils ont appris, comme nous les avons appris nous-mêmes et, par conséquent, eux aussi sont vraiment inculturés »), mais il cherche le sens profond du travail incessant de la Kultur (1991). Pourquoi, partout, aux quatre coins du monde, les humains se consacrent-ils constamment à la formation de leur corps et de leur esprit (Bildung)? La réponse de Herder est dans le concept de l’homme en tant qu’être biologiquement défectueux (Mängelwesen), en tant qu’être qui a besoin de la culture pour se compléter : le but de la culture est précisément de fournir, selon différentes conditions historiques, géographiques et sociales, une quelque forme d’humanité. Selon Herder, la culture est « cette seconde genèse de l’homme qui dure toute sa vie » (1991). La culture est la somme des tentatives, des efforts et des moyens par lesquels les êtres humains « de toutes les conditions et de toutes les sociétés », s’efforcent d’imaginer et de construire leur propre humanité, de quelque manière qu’elle soit comprise (1991). La culture est l’activité anthropo-poïétique continue à laquelle les êtres humains ne peuvent échapper. Tel est, par exemple, le propre du rituel qui réalise la deuxième naissance, la véritable, celle de l’acteur/actrice social/e, comme dans les rites d’initiation ou la construction des rapports sociaux de sexe. La culture correspond aux formes d’humanité que les acteurs sociaux ne cessent de produire. Le but que Herder pensait poursuivre était de rassembler les différentes formes d’humanité en une seule connaissance généralisante, une « chaîne de cultures » qui, du coin du monde qu’est l’Europe des Lumières « s’étend jusqu’au bout de la terre » (1991). On peut soutenir que dans les quelques décennies de la seconde moitié du XVIIIe siècle, on avait déjà posé les bases d’un type de connaissance auquel on allait donner plus tard le nom d’anthropologie culturelle. Parmi ces prémisses, il y avait le nouveau sens du terme culture. Cependant, il faut attendre plus d’un siècle pour que ceux qui allaient être appelés anthropologues reprennent ce concept et en fassent le fondement d’une nouvelle science. La « science de la culture » est en fait le titre du chapitre I de Primitive Culture (1871) d’Edward Burnett Tylor, chapitre qui commence par la définition de la culture connue de tous les anthropologues : « Le mot culture ou civilisation, pris dans son sens ethnographique le plus étendu, désigne ce tout complexe comprenant à la fois les sciences, les croyances, les arts, la morale, les lois, les coutumes et les autres facultés et habitudes acquises par l’homme dans l’état social (Tylor1920). » Dans cette définition, les points suivants peuvent être soulignés : premièrement, la culture est un instrument qui s’applique de manière ethnographique à toute société humaine; deuxièmement, elle intègre une pluralité d’aspects, y compris les coutumes, de manière à former un « ensemble complexe »; troisièmement, les contenus de cet ensemble sont acquis non par des moyens naturels, mais par des relations sociales. Dans cette définition, la distinction – déjà présente chez Voltaire – entre le plan de la nature et le plan de la culture est implicite; mais à présent, le regard se porte avant tout sur la structure interne de la culture, sur les éléments qui la composent et sur la nécessité d’ancrer la culture, détachée de la nature, au niveau de la société. Il initie un processus de formation et de définition d’un savoir qui, grâce au nouveau concept de culture, revendique sa propre autonomie. La première fonction de la culture est en fait de faire voir le territoire réservé à la nouvelle science : un vaste espace qui coïncide avec tous les groupes humains, des communautés les plus restreintes et les plus secrètes aux sociétés qui ont dominé le monde au cours des derniers siècles. Mais jusqu’à quel point ce concept est-il fiable, solide et permanent, de sorte qu’il puisse servir de fondement au nouveau savoir anthropologique? On pourrait dire que les anthropologues se distinguent les uns des autres sur la base des stratégies qu’ils adoptent pour rendre le concept de culture plus fiable, pour le renforcer en le couplant avec d’autres concepts, ou, au contraire, pour s’en éloigner en se réfugiant derrière d’autres notions ou d’autres points de vue considérés plus sûrs. La culture a été un concept novateur et prometteur, mais elle s’est aussi révélée perfide et dérangeante. On doit réfléchir aux deux dimensions de la culture auxquelles nous avons déjà fait allusion: le travail continu et les produits qui en découlent. Les anthropologues ont longtemps privilégié les produits, à commencer par les objets matériels, artistiques ou artisanaux : les vitrines des musées, avec leur signification en matière de description et de classification, ont suggéré un moyen de représenter les cultures, et cela même lorsque les anthropologues se sont détachés des musées pour étudier les groupes humains en « plein air », directement sur le terrain. Quelles étaient, dans ce contexte, les coutumes, sinon les « produits » de la culture sur le plan comportemental et mental? Et lorsque la notion de coutume a commencé à décliner, entraînant avec elle le sens d’un savoir dépassé, la notion de modèle – les modèles de culture – a dominé la scène. Saisir des modèles dans n’importe quel domaine de la vie sociale – de la parenté à la politique, de la religion au droit, de l’économie à l’art, etc. – ne correspondait-il pas à une stratégie visant à construire, dans un but descriptif et analytique, quelque chose de solide, de répétitif et de socialement répandu, bref, un système capable de se reproduire dans le temps? Ce faisant, on continuait à privilégier les produits avec leur continuité et leur lisibilité au détriment du travail continu et obscur de la culture, de son flux presque insaisissable et imprévisible. Nous pensons par exemple à la quantité incroyable et chaotique de gestes, mots, idées, émotions qui se succèdent, se chevauchent, se croisent et se mélangent dans chaque moment de la vie individuelle et collective. Le sentiment que les produits toujours statiques et achevés de la culture priment sur sa partie la plus significative et la plus dynamique (une sorte de matière ou d’énergie obscure), devient un facteur de frustration et de perturbation pour l’entreprise anthropologique. À cet égard, les anthropologues ont adopté plusieurs voies de sortie, notamment : la tendance à réifier la culture, ce qui lui confère une solidité presque ontologique (c’est le cas d’Alfred L. Kroeber 1952); l’intention de réduire sa portée et de l’ancrer ainsi dans une réalité plus cohérente et permanente, telle que pourrait être la structure sociale dans ses diverses articulations (Alfred Radcliffe-Brown 1968 et plus largement l’anthropologie sociale); la tentative de capturer dans les manifestations apparemment plus libres et arbitraires de la culture, que peuvent être les mythes, l’action de structures mentales d’un ordre psycho-biologique (Claude Lévi-Strauss 1958 et 1973 et plus largement le structuralisme). Plus récemment, la méfiance envers la culture a pris la forme même de son refus, souvent motivé par une clef politique. Comment continuer à s’appuyer sur la culture, si elle assume désormais le rôle de discrimination autrefois confié à la race? Plus la culture devient un terme d’usage social et politique, identifié ou mélangé à celui d’identité et se substituant à celui de race, plus des anthropologues ont décrété son caractère fallacieux et ont pensé à libérer la pensée anthropologique de cet instrument devenu trop dangereux et encombrant. Lila Abu-Lughod écrit en 1991 un essai intitulé Against Culture et les critiques du concept de culture refont surface dans le texte d’Adam Kuper, Culture, 1998 et 1999. Mais si l’anthropologie doit se priver de ce concept, par quoi le remplacera-t-elle? Est-il suffisant de se contenter de « pratiques » et de « discours » qu’Abu-Lughod a puisés chez Michel Foucault (1966)? C’est une chose de critiquer certains usages de la notion de culture, tels que ceux qui tendent à la confondre avec l’identité, c’en est une autre d’accepter le défi que ce concept présente à la fois par son caractère fluide et manipulable, et par les expansions fertiles dont il est capable. Par « pratique » et « discours », réussirons-nous, par exemple, à suivre l’expansion de la culture vers l’étude du comportement animal et à réaliser que nous ne pouvons plus restreindre la « science de la culture » dans les limites de l’humanité (Lestel 2003)? Presque dans le sens opposé, la culture jette également les bases de la recherche ethnographique au sein des communautés scientifiques, une enquête absolument décisive pour une anthropologie qui veut se présenter comme une étude du monde contemporain (Latour et Woolgar 1979). Et quel autre concept que celui de culture pourrait indiquer de manière appropriée le « tout complexe » (complex whole) de la culture globale (Hamilton 2016)? Qu’est-ce que l’Anthropocène, sinon une vaste et immense culture qui, au lieu d’être circonscrite aux limites de l’humanité, est devenue une nouvelle ère géologique (Zalasiewicz et al. 2017)? Bref, la « science de la culture », formulée en 1871 par Edward Tylor, se développe énormément aujourd’hui : la culture est l’utilisation de la brindille comme outil de capture des termites par le chimpanzé, de même qu’elle correspond aux robots qui assistent les malades, aux satellites artificiels qui tournent autour de la Terre ou aux sondes envoyées dans le plus profond des espaces cosmiques. Ces expansions de la culture sont sans aucun doute des sources de désorientation. Au lieu de se retirer et de renoncer à la culture, les anthropologues culturels devraient accepter ce grand défi épistémologique, en poursuivant les ramifications de cette notion ancienne, mais encore vitale, dynamique et troublante.
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Bromberger, Christian. "Méditerranée." Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.106.

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Abstract:
Alors que l’américanisme, l’africanisme, l’européanisme, l’indianisme… sont reconnus, certifiés par des musées ou des sections de musée, des départements universitaires, des chapitres de manuels depuis les origines, l’anthropologie de la Méditerranée est une spécialité récente, prenant corps, sous l’égide des universités britanniques, dans les années 1950. Ce retard est dû, au moins en partie, à l’hétérogénéité du monde méditerranéen partagé entre les façades méridionale et orientale de la mer, qui relèvent, à première vue, de l’étude du monde arabo-musulman, et la façade septentrionale ressortissant de prime abord de l’ethnologie européenne. Le scepticisme, récusant la pertinence d’une anthropologie de la Méditerranée, peut encore trouver des arguments dans l’histoire des civilisations ou dans l’actualité. Contrairement à d’autres régions du monde, l’aire iranienne voisine par exemple, le monde méditerranéen ne forme une unité ni par ses langues ni par ses traditions religieuses. Faut-il rappeler que seul l’Empire romain l’a unifié pendant plusieurs siècles autour du « mare nostrum » en favorisant l’épanouissement d’une culture gréco-latine à vocation universelle et en développant tout autour de la mer des institutions politiques sur le modèle de Rome ? Puis l’histoire de la Méditerranée fut faite de partages, de schismes, de croisades, de guerres entre empires, de conquêtes coloniales qui aboutirent, au terme de péripéties violentes, à la situation contemporaine où coexistent trois ensembles eux-mêmes fractionnés : une Méditerranée latine, catholique, largement laïcisée , partie intégrante de l’Europe occidentale, une Méditerranée balkanique orthodoxe avec ses poches islamiques, une Méditerranée arabo-musulmane. En dépit de ces fractures, des hommes de lettres campèrent, dans les années 1930, une Méditerranée des échanges et de la convivenza, à laquelle donnent crédit des lieux et des épisodes remarquables de l’histoire (l’Andalousie au temps du califat omeyade, la Sicile de Frédéric II, des villes cosmopolites de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle : Istanbul, Smyrne, Salonique, Beyrouth, Alexandrie, Alger, Tanger, Trieste, Marseille, etc.). Des revues (à Marseille, les Cahiers du sud de Jean Ballard, à Tunis Les Cahiers de la Barbarie d’Armand Guibert et Jean Amrouche , à Alger Rivages d’Edmond Charlot et Albert Camus, à Rabat Aguedal d’Henri Bosco) exaltèrent cette « fraternité méditerranéenne » tout autant imaginaire que réelle. Gabriel Audisio fut le chantre le plus exalté de cette commune « patrie méditerranéenne »: « Non, écrit-il, la Méditerranée n’a jamais séparé ses riverains. Même les grandes divisions de la Foi, et ce conflit spirituel de l’Orient et de l’Occident, la mer ne les a pas exaltés, au contraire adoucis en les réunissant au sommet sensible d’un flot de sagesse, au point suprême de l’équilibre ». Et à l’image d’une Méditerranée romaine (il veut « remettre Rome ‘à sa place’ ») il oppose celle d’une « synthèse méditerranéenne » : « À cette latinité racornie, j’oppose tout ce qui a fait la civilisation méditerranéenne : la Grèce, l’Égypte, Judas, Carthage, le Christ, l’Islam ». Cette Méditerranée qui « vous mélange tout ça sans aucune espèce de pudeur », dit-il encore, « se veut universelle ». Avant qu’un projet collectif d’anthropologie n’émerge, des ancêtres de la discipline, des géographes, des historiens, avaient apporté une contribution importante à la connaissance du monde méditerranéen. Maine, Robertson Smith, Frazer, etc. étaient classicistes ou historiens du droit et se référaient souvent aux sociétés antiques de la Méditerranée pour analyser coutumes et croyances ou encore les différentes formes d’organisation sociale (la tribu, la cité, etc.) et leur évolution. Plus tard, dans les premières décennies du XXème siècle, de remarquables études monographiques ou thématiques furent réalisées sur les différentes rives de la Méditerranée , telles celles de Maunier (1927) sur les échanges rituels en Afrique du nord, de Montagne (1930) sur les Berbères du sud Marocain, de Boucheman (1937) sur une petite cité caravanière de Syrie…Géographes et historiens, plus préoccupés par l’ancrage matériel des sociétés que par leur structure ou leurs valeurs, publièrent aussi des travaux importants, synthétiques ceux-ci, sur le monde méditerranéen ; ainsi Charles Parain, dans La Méditerranée, les hommes et les travaux (1936), campe une Méditerranée des infrastructures, celle qui prévaudra jusques et y compris dans les 320 premières pages de la thèse de Fernand Braudel (1949), celle des « ressources naturelles, des champs et des villages, de la variété des régimes de propriété, de la vie maritime, de la vie pastorale et de la vie agricole, des métiers et des techniques ». L’acte fondateur de l’anthropologie de la Méditerranée fut un colloque organisé en 1959 par Julian Pitt-Rivers, Jean Peristiany et Julio Caro Baroja, qui réunit, entre autres, Ernest Gellner, qui avait mené des travaux sur le Haut-Atlas, Pierre Bourdieu, alors spécialiste de la Kabylie, John K. Campbell, auteur de recherches sur les Saracatsans du nord de la Grèce. Cette rencontre, et celle qui suivit, en 1961, à Athènes donnèrent lieu à la publication de deux recueils fondamentaux (Pitt-Rivers, 1963, Peristiany, 1965), campant les principaux registres thématiques d’une anthropologie comparée des sociétés méditerranéennes (l’honneur, la honte, le clientélisme, le familialisme, la parenté spirituelle, etc.) et véritables coups d’envoi à des recherches monographiques s’inscrivant désormais dans des cadres conceptuels fortement charpentés. Les décennies 1960, 1970 et 1980 furent celles d’une croissance rapide et d’un épanouissement de l’anthropologie de la Méditerranée. Le monde méditerranéen est alors saisi à travers des valeurs communes : outre l’honneur et la honte, attachés au sang et au nom (Pitt-Rivers, 1977, Gilmore, 1987), la virilité qui combine puissance sexuelle, capacité à défendre les siens et une parole politique ferme qui ne transige pas et ne supporte pas les petits arrangements, l’hospitalité ostentatoire. C’est aussi un univers où domine une vision endogamique du monde, où l’on prise le mariage dans un degré rapproché, mieux la « république des cousins », où se marient préférentiellement le fils et la fille de deux frères, une formule surtout ancrée sur la rive sud et dans l’Antiquité pré-chrétienne, ; Jocaste ne dit-elle pas à Polynice : « Un conjoint pris au-dehors porte malheur » ? Ce à quoi Ibn Khaldoun fait écho : « La noblesse, l’honneur ne peuvent résulter que de l’absence de mélange », écrivait-il. Aux « républiques des beaux-frères », caractéristiques des sociétés primitives exogames étudiées par Claude Lévi-Strauss s’opposent ainsi les « républiques méditerranéennes des cousins », prohibant l'échange et ancrées dans l'endogamie patrilinéaire. Alors que dans les premières, « une solidarité usuelle unit le garçon avec les frères et les cousins de sa femme et avec les maris de ses sœurs », dans les secondes « les hommes (...) considèrent leurs devoirs de solidarité avec tous leurs parents en ligne paternelle comme plus importants que leurs autres obligations, - y compris, bien souvent, leurs obligations civiques et patriotiques ». Règne ainsi, dans le monde méditerranéen traditionnel, la prédilection pour le « vivre entre soi » auquel s’ajoute une ségrégation marquée entre les sexes, « un certain idéal de brutalité virile, dont le complément est une dramatisation de la vertu féminine », poursuit Germaine Tillion (1966). La Méditerranée, c’est aussi un monde de structures clientélaires, avec ses patrons et ses obligés, dans de vieilles sociétés étatiques où des relais s’imposent, à tous les sens du terme, entre le peuple et les pouvoirs; parallèlement, dans l’univers sacré, les intermédiaires, les saints, ne manquent pas entre les fidèles et la divinité ; ils sont nombreux, y compris en islam où leur culte est controversé. La violence avec ses pratiques vindicatoires (vendetta corse, disamistade sarde, gjak albanais, rekba kabyle…) fait aussi partie du hit-parade anthropologique des caractéristiques méditerranéennes et les auteurs analysent les moyens mis en œuvre pour sortir de ces conflits (Black-Michaud, 1975). Enfin, comment ne pas évoquer une communauté de comportements religieux, en particulier les lamentations funèbres, les dévotions dolorisantes autour des martyrs ? L’« inflation apologétique du martyre » est ainsi un trait commun au christianisme et à l’islam chiite pratiqué au Liban. La commémoration des martyrs fondateurs, dans le christianisme comme en islam chiite, donne lieu à des rituels d’affliction de part et d’autre de la Méditerranée. C’est en terre chrétienne la semaine sainte, avec ses spectaculaires processions de pénitents en Andalousie, ou, en Calabre, ces cérémonies où les hommes se flagellent les mollets et les cuisses jusqu’au sang. Au Liban les fidèles pratiquent, lors des processions et des prônes qui évoquent les tragiques événements fondateurs, des rituels dolorisants : ils se flagellent avec des chaînes, se frappent la poitrine avec les paumes des mains, voire se lacèrent le cuir chevelu avec un sabre. Dans le monde chrétien comme en islam chiite, des pièces de théâtre (mystères du Moyen Âge, ta’zie) ont été composées pour représenter le martyre du sauveur. Rituels chiites et chrétiens présentent donc un air de famille (Bromberger, 1979). Cette sensibilité au martyre dans les traditions religieuses méditerranéennes est à l’arrière-plan des manifestations laïques qui célèbrent les héros locaux ou nationaux tombés pour la juste cause. C’est le cas en Algérie. Toutes ces remarques peuvent paraître bien réductrices et caricaturales, éloignées des formes de la vie moderne et de la mondialisation qui l’enserre. Ne s’agit-il pas d’une Méditerranée perdue ? Les auteurs cependant nuancent leurs analyses et les insèrent dans le contexte spécifique où elles prennent sens. Dans leur généralité, elles offrent, malgré tout, une base de départ, un cadre comparatif et évolutif. Après une période faste, couronnée par un ouvrage de synthèse récapitulant les acquis (Davis, 1977), vint le temps des remises en cause. Plusieurs anthropologues (dont Michael Herzfeld, 1980, Josep Llobera,1986, Joao de Pina-Cabral,1989…) critiquèrent de façon radicale l'érection de la Méditerranée en « regional category » en fustigeant le caractère artificiel de l'objet, créé, selon eux, pour objectiver la distance nécessaire à l'exercice légitime de la discipline et qui s'abriterait derrière quelques thèmes fédérateurs fortement stéréotypés. À ces critiques virulentes venues des centres européens ou américains de l’anthropologie, se sont jointes celles d'ethnologues originaires des régions méditerranéennes, pour qui la référence à la Méditerranée est imaginaire et suspecte, et dont les travaux sont ignorés ou regardés de haut par les chercheurs formés à l’école britannique. Ce sentiment négatif a été d’autant plus accusé sur les rives méridionale et orientale de la Méditerranée que la mer qui, à différentes périodes, reliait est devenue un fossé aussi bien sur le plan économique que politique. Diverses initiatives et prises de position scientifiques ont donné un nouvel élan, dans les années 1990-2000, à l’anthropologie de la Méditerranée. Colloques et ouvrages (par exemple Albera, Blok, Bromberger, 2001) rendent compte de cette nouvelle conjoncture. On se garde désormais plus qu’avant de considérer le monde méditerranéen comme une aire culturelle qui présenterait, à travers le temps et l’espace, des caractéristiques communes stables. Au plus parlera-t-on d’un « air de famille » entre les sociétés riveraines de la mer en raison de contextes écologiques similaires, d’une histoire partagée, de la reconnaissance d’un seul et même Dieu. Cette perspective mesurée rejoint le point de vue de Horden et Purcell (2000), auteurs d’un ouvrage important tirant un bilan critique de l’histoire du monde méditerranéen. Pour eux, qui combinent points de vue interactionniste et écologique, la Méditerranée se définit par la mise en relation par la mer de territoires extrêmement fragmentés, par une « connectivity » facilitée par les Empires. Le titre énigmatique de leur livre, The Corruptive Sea, « La Mer corruptrice », prend dès lors tout son sens. Parce qu’elle met en relation, cette mer serait une menace pour le bon ordre social et pour la paix dans les familles. Cette proximité entre sociétés différentes qui se connaissent fait que le monde méditerranéen s’offre comme un terrain idéal au comparatisme « à bonne distance ». C’est sous le sceau de ce comparatisme raisonné que s’inscrivent désormais les travaux les plus convaincants, qu’ils se réclament explicitement ou non de l’anthropologie de la Méditerranée (voir sur la nourriture Fabre-Vassas, 1994, sur la parenté Bonte éd., 1994 , sur la sainteté Kerrou éd., 1998 et les traditions religieuses, sur les migrations et les réseaux Cesari, éd., 2002, sur le cosmopolitisme Driessen, 2005) Tantôt les recherches soulignent les proximités (Albera, 2005, 2009, Dakhlia, 2008, Dakhlia et Kaiser, 2011), tantôt elles les relativisent (Fernandez Morera, 2016, Bromberger, 2018), tantôt elles insistent sur les aspects conflictuels (Chaslin, 1997). Une autre voie est de considérer le monde méditerranéen, non pas comme un ensemble fait de similarités et de proximités mais comme un espace fait de différences qui forment système. Et ce sont ces différences complémentaires, s’inscrivant dans un champ réciproque, qui permettent de parler d’un système méditerranéen. Chacun se définit, ici peut-être plus qu’ailleurs, dans un jeu de miroirs (de coutumes, de comportements, d’affiliations) avec son voisin. Les comportements alimentaires, les normes régissant l’apparence vestimentaire et pileuse, le statut des images… opposent ainsi des populations revendiquant un même Dieu (Bromberger, 2018).
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