Lins Ribeiro, Gustavo. "WCAA." Anthropen, 2020. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.133.
Abstract:
Le World Council of Anthropological Associations, un dénominatif que l’on peut traduire en français par Conseil mondial des associations d’anthropologues, est un réseau d’organisations nationales, régionales et internationales dont le but est de promouvoir « les communications et la coopération en anthropologie à l’échelle mondiale. Ses objectifs premiers sont de promouvoir la discipline anthropologique dans un contexte international ; promouvoir la coopération et le partage d’information entre anthropologues à travers le monde ; promouvoir l’organisation conjointe d’évènements et de débats scientifiques et coopérer aux activités de recherche et à la diffusion du savoir anthropologique » (librement traduit, www.wcaanet.org, consulté le 14 février 2018). Entre le 9 et le 13 juin 2004, le colloque international « World Anthropologies: strengthening the international organization and effectiveness of the profession », titre qu’on peut traduire par « Les anthropologies du monde : renforcer l’organisation et l’efficacité internationales de la profession ») fut mis sur pied à l’initiative de Gustavo Lins Ribeiro, dans la ville de Recife, au Brésil, avec le support financier de la Fondation Wenner-Gren pour la recherche anthropologique. À cette époque, Gustavo Lins Ribeiro était président de l’Association brésilienne d’anthropologie (ABA), et ce colloque était un évènement préliminaire au congrès biannuel de l’ABA. Au début des années 2000, Arturo Escobar, Eduardo Restrepo, Marisol de la Cadena et Gustavo Lins Ribeiro ont fondé le World Anthropologies Network (http://www.ram-wan.net/) (ou réseau des anthropologies du monde), un réseau composé d’individus désireux de pluraliser les échanges autour du savoir anthropologique sur le plan mondial, cela devant la dominance anglo-américaine croissante de notre agenda disciplinaire. Le fait que les membres fondateurs de ce mouvement soient latino-américains doit être brièvement commenté. Par diverses manières, ils ont amené un style cosmopolite critique d’Amérique latine au mélange qui allait définir plus tard les anthropologies du monde en tant que cosmopolitiques radicales. L’Amérique latine apparaît dans ce contexte comme une sorte de « cosmopolitisme en tant que principal contrepoint de l’impérialisme américain » (Ribeiro 2014: 491, traduction libre). Par ailleurs, au sujet des cosmopolitiques anthropologiques impériales, libérales et radicales, on note que: Le projet des anthropologies mondiales n’était pas guidé par un agenda multiculturaliste ; plutôt, il a été influencé par les discussions radicales en Amérique latine sur l’interculturalité (voir Bartolomé 2006 et Rappaport 2005) (Ribeiro 2014: 489, traduction libre). Pour le World Anthropologies Network, la valorisation des « autres anthropologies et des anthropologies autrement » (Restrepo et Escobar 2005) avait besoin d’être faite conjointement avec « une critique des conditions engendrées par la modernité et la "colonialité du pouvoir" (Castro-Gómez et Grosfoguel 2007 ; Quijano 1993) qui ont oblitéré la production, la validité et la visibilité des autres savoirs » (Ribeiro 2014: 489, traduction libre). Bien que le congrès de Recife en 2004 n’ait pas été l’initiative du World Anthropologies Network, et bien que l’un d’entre nous y était engagé profondément (Ribeiro), il semblait clair que l’idée de ce colloque était fortement inspirée et influencée par l’agenda des anthropologies du monde. Ce colloque avait quatre objectifs principaux : Premièrement : Rassembler les anthropologues agissant comme leaders d’organisations nationales et internationales dans une visée de construction de nouveaux canaux d’intercommunication et de coopération. Deuxièmement : Initier un processus pour approfondir la coopération internationale en anthropologie dans une portée davantage tournée vers le cosmopolitisme, à travers la facilitation de dialogues et les processus de réseautage pouvant mener à des communications plus hétéroglosses et à une diffusion du savoir anthropologique. Troisièmement : Élaborer une proposition collective pour une coopération internationale qui pourrait servir en tant que « document de travail international » initial, qui pourrait être rapportée et discutée au sein des associations anthropologiques nationales et internationales présentes au colloque. Quatrièmement : Participer à un symposium au congrès de l’Association brésilienne d’anthropologie, où les faits saillants du colloque ainsi que les documents qui auront été produits seront présentés et discutés. Quatorze représentants d’organisations anthropologiques se sont déplacés à Recife pour cette occasion. Ils étaient les présidents d’associations issues d’Australie, du Brésil, du Canada, de la France, de l’Inde, de la Russie, de l’Afrique du Sud, du Royaume-Uni et des États-Unis. Les présidents des associations internationales suivantes étaient également présents : l’Association Européenne des Anthropologues Sociaux, l’International Union of Anthropological and Ethnological Sciences, l’Asociación Latinoamericana de Antropología et la Pan African Anthropological Association. La Société japonaise a délégué son directeur des relations internationales. Le colloque se tint en deux temps. Le premier, et plus intense, consista en trois débats d’une journée, ayant précédé le 24e congrès biannuel de l’Association brésilienne d’anthropologie. Après avoir discuté de multiples mécanismes et initiatives possibles pour accroître la coopération internationale, les participants décidèrent de créer le World Council of Anthropological Associations. Le second temps consista en une session durant le congrès brésilien, qui se tint le 13 juin 2004, lorsque la fondation du WCAA fut annoncé publiquement. Gustavo Lins Ribeiro était élu comme premier facilitateur du Conseil. Le WCAA voulait devenir un réseau et non pas une nouvelle institution. Le rôle de facilitateur consistait à démarrer le réseau en diffusant la nouvelle de son existence, et plus important encore, à démarrant un site internet. L’arrivée du World Council a été largement acclamée partout. Depuis 2004, le WCAA connait une croissante rapide et poursuit sa lancée. Il est maintenant une présence reconnue sur la scène politique anthropologique mondiale, avec plus de 50 membres d’à travers le monde. Les anthropologies du monde sont discutées dans différents congrès organisés par les membres du World Council. D’autres présidents (on ne les apele plus facilitateur) ont pris les rennes au cours des années : Junji Koizumi (Japon), Thomas Reuter (Australie), Michal Buchowski (Pologne), Vesna Vucinic-Neskovic (Serbie), Chandana Mathur (Irelande), and Carmen Rial (Brésil, depuis juillet 2018). L’intérêt du leadership du WCAA pour les politiques académiques internationales a également été manifesté en 2009, lorsque plusieurs leaders du WCAA sont devenus membres du comité exécutif de l’International Union of Anthropological and Ethnological Sciences. Ils ont poursuivi sa réorganisation en promouvant une constitution plus démocratique ainsi qu’un congrès international en 2013, à Manchester, et au Brésil, en 2018, couronnés de succès. Cette nouvelle période apporta l’espoir que les anthropologues puissent améliorer leurs échanges à l’échelle mondiale, à l’intérieur d’un milieu institutionnel assuré et ouvert à la participation de collègues venus de tous les coins du globe. En effet, lors du congrès mondial à Manchester, la possibilité de créer un seul corps international propre à représenter l’anthropologie commença à être débattue entre les membres du comité organisateur du WCAA et du comité exécutif de l’International Union of Anthropological and Ethnological Sciences (IUAES). Des négociations furent tenues avec succès dans les années suivantes, et en 2017, une institution bicamérale fut créée : la World Anthropological Union (WAU). Les modalités prévues dans la constitution de cette nouvelle institution reconnaissent le maintien de l’existence du WCAA et du IUAES, chacun avec ses structures politiques et objectifs propres, son leadership, et en tant que deux chambres séparées, distinctes et autonomes de la nouvelle WAU. Le World Anthropologies Network et le WCAA ont également inspiré la création de la Commission des anthropologies du monde (CWA) Au sein de l'American Anthropological Association en 2008, alors que Setha Low était sa présidente. En 2010, lors du mandat présidentiel de Virginia Dominguez au sein du AAA, la commission devint un comité, une entité permanente au sein de l’association. Ses objectifs sont d’ « identifier les enjeux importants partagés par les anthropologues issus de diverses nations ; développer des objectifs clairs pour rassembler les anthropologues des États-Unis et de l’international pour le bénéfice de l’anthropologie mondiale ; faire appel à une diversité de voix et de perspectives internationales et impliquer à la fois le milieu universitaire et l’anthropologie appliquée dans cette démarche » (traduction libre). En 2014, en réponse aux suggestions du CWA, le journal de l'American Anthropological Association, l’American Anthropologist, ouvrit une section « anthropologies du monde » afin d’aborder « les origines et préoccupations constantes de l’anthropologie à travers le monde » (Weil 2014: 160, traduction libre). L’histoire du WCAA en est une d’un succès. Mais l’enjeu maintenant est de savoir quoi faire de ce succès. Bien que le WCAA ait créé de nombreuses opportunités pour laisser place à plus de conversations hétéroglosses sur le plan mondial ainsi que l’apparition d’un nouveau leadership mondial, nous devons nous poser des questions, dont celles-ci : - A-t-on vraiment amélioré la visibilité des autres anthropologies au sein de la production anthropologique du système mondial, ainsi qu’en appelle Kuwayama (2004) ? Que pourrait-on faire de plus relativement aux politiques mondiales de la visibilité ? - Comment le WCAA peut-il améliorer les communications mondiales actuelles entre les anthropologies ? Un facteur permet de demeurer optimiste. À la suite d’années de débats internes au sein du WCAA sur comment pluraliser les politiques éditoriales au sujet du style et de la langue, le WCAA a lancé son propre journal en ligne, Déjà Lu. Depuis 2012, il republie, dans toutes langues, des articles sélectionnés par des revues anthropologiques (www.wcaanet.org/dejalu). L’édition de 2017 de Déjà Lu compte plus de 40 articles d’à travers la planète. Ce type d’intervention dans le domaine de la publication anthropologique est un effort stratégique particulier puisqu’il permet de visibiliser l’hétérogénéité de l’anthropologie contemporaine.