Michel, Jerry. "Patrimonialisation et construction de la mémoire dans les sociétés postesclavagistes : le cas des habitations coloniales en Haïti." Electronic Thesis or Diss., Paris 8, 2021. http://www.theses.fr/2021PA080096.
Abstract:
Les habitations coloniales en Haïti, ces « extraordinaires conservatoires du patrimoine historique de l’économie de plantation du XVIIIe siècle » (De Cauna, 2003 ; 2013), se caractérisent par leur diversité, et par leurs transformations structurelles marquées par l’histoire complexe de cette société postcoloniale. Loin d’être de simples lieux de transition entre la période coloniale et la période postcoloniale, elles sont réappropriées ou négligées, patrimonialisées, instrumentalisées, médiatisées, objets de consensus mais aussi de conflits de mémoires. Les expériences politiques, patrimoniales, mémorielles, éducatives, sociales, culturelles et identitaires qui s’y produisent sont multiples. Progressivement patrimonialisés en lieux de mémoire potentiels ou vestiges coloniaux abandonnés, ces « sites d’Haïti à haute valeur culturelle, historique ou architecturale » (Ispan, 2014) sont devenus aujourd’hui des scènes nécessaires où se représentent les objets et les symboles de la mémoire de l’esclavage. Mais malgré la place importante que tiennent ces structures plantationnaires dans l’histoire de la traite et de l’esclavage colonial, elles ont fait l’objet de peu d’attention. Cela s’inscrit dans une histoire de négligence du patrimoine archéologique amérindien, puis colonial, de la part de l’État haïtien (Joseph, Camille, Joseph, Michel, 2020). Ma thèse propose alors une étude sociologique des habitations coloniales en Haïti, par l’approche des usages et des enjeux qui articulent le processus de mise en mémoire et de patrimonialisation de ces lieux de mémoire potentiels. Il s’agit de déterminer les fonctions, les utilisations et les symboliques de ces vestiges coloniaux dans l’organisation et la vie de la société haïtienne postcoloniale. De quelles façons et pour quels motifs, a-t-on recours aux habitations coloniales en Haïti ? Quel sens leur est attribué, par qui et pour qui ? Comment s’organisent leur processus de mise en mémoire et de patrimonialisation ou leur abandon pur et simple ?Cette étude repose sur un dépouillement minutieux des sources textuelles et cartographiques anciennes et sur un corpus représentatif de différents types et formes d’habitations coloniales, datées du XVIIIe siècle, situées dans la société haïtienne dans laquelle l’urbanité et la ruralité se mêlent et se questionnent, au-delà des formes de dualisme et des frontières géographiques prédéfinies. Suivant une approche diachronique et contextuelle, l’étude tient compte de plusieurs données historiques, ethnographiques et visuelles : les archives, l’observation, l’entretien informel et semi-directif, puis l’analyse de contenu et la photographie. L’analyse d’un corpus soigneusement sélectionné d’habitations coloniales contribue à l’examen des appropriations, des revendications et des conflits liés à la fabrique contemporaine des mémoires collectives et des patrimoines de l’esclavage. Enfin, le processus de reconnaissance collective et de mise en patrimoine qui entoure les habitations coloniales en Haïti fournit des informations sur les fonctions de ces espaces et sur les valeurs politiques, économiques, sociales, culturelles, identitaires conflictuelles qui s’y expriment. À travers le regroupement et l’analyse de ces données, ce sont les expériences de l’esclavage représentées dans la mémoire collective des sociétés postcoloniales qui se trouve au cœur de ma thèse. Cette dernière a permis de comprendre non seulement que ce sont des familles de l’élite économique et culturelle qui organisent majoritairement la mise en mémoire de l’esclavage dans les habitations coloniales patrimonialisées et mobilisées comme des vitrines de la culture en Haïti, mais aussi que les rapports sociaux racistes de domination esclavagistes sont masqués au profit d’un consensus sur l’héroïsation de l’histoire d’Haïti<br>Colonial plantations in Haïti have been described as "extraordinary conservatories of thehistorical legacy of the eighteenth-century plantation economy" (De Cauna, 2003; 2013). Theyare characterized by their diversity and their structural transformations, which have been markedby the complex history of this postcolonial society. Far from being simple places of transitionbetween the colonial and postcolonial periods, they have been, variously, reappropriated orneglected, patrimonialized, instrumentalized, mediatized, objects of consensus but also productsof conflict of memory. The history of colonial Haiti includes the wide variety of political,patrimonial, memorial, educational, social, cultural and identity-related experiences that haveaffected its people. Progressively divided into potential places of memory or abandoned colonialremains, these "sites of Haiti with high cultural, historical or architectural value" (Ispan, 2014)have today become necessary scenes where the objects and symbols of slavery are represented.Nevertheless, despite the important place these plantations hold in the slave trade and colonialslavery history, they have received little attention from scholars. This is part of a neglectedhistory of Amerindian and then colonial archaeological heritages by the Haitian state (Jean et al.,2020). My thesis proposes a sociological study of colonial plantations in Haiti, by approachingthe usages and challenges that articulate the process of memorialization and patrimonialization ofthese potential places of memory. The aim is to determine the functions, usages and symbolismof these colonial vestiges in the organization and life of post-colonial Haitian society. In whatways and for what reasons are colonial dwellings used in Haiti? What meaning is attributed tothem, by whom and for whom? How is their process of memorialization and patrimonializationorganized or outright abandoned?This study is based on a meticulous examination of ancient textual and cartographic sources anda representative corpus of colonial plantations. Dating from the 18th century, they are situated ina Haitian society in which urbanity and rurality are mixed and questioned, beyond forms ofdualism and predefined geographical boundaries. Following a diachronic and contextualapproach, the study considers several types of historical, ethnographic and visual data: archives,observation, informal and semi-structured interviews, content analysis and photography. Analysisof a carefully selected corpus of colonial dwellings contributes to examining appropriations,claims and conflicts related to the contemporary fabrication of collective memories and heritagesof slavery. Finally, the process of collective recognition and heritage that surrounds colonialdwellings in Haiti provides information on the functions of these spaces, as well as theconflicting political, economic, social, cultural, and identity values that are expressed there.Through the gathering and analysis of this data, it is possible to explicate the experiences ofslavery represented in the collective memory of postcolonial societies that lies at the heart of mythesis. The latter has made it possible to understand not only that it is Haitian families of theeconomic and cultural elites who organize the majority of the memorialization of slavery in thecolonial places that are patrimonialized and mobilized as showcases of culture in Haiti, but alsoto show how the racist social relations of slave domination have been masked in favour of aconsensus on the heroization of Haitian history