Academic literature on the topic 'Représentations sociales – France – Années 2000 (décennie)'

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Journal articles on the topic "Représentations sociales – France – Années 2000 (décennie)"

1

Chamberland, Line. "Hétérosexisme." Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.107.

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Abstract:
L’hétérosexisme réfère à l’ensemble des croyances qui valorisent et promeuvent l’hétérosexualité tout en infériorisant les sexualités non hétérosexuelles. Ainsi, l’hétérosexualité apparaît comme la sexualité universelle, allant de soi, naturelle, normale, morale, bref elle est dotée d’une valeur supérieure en référence à des systèmes normatifs religieux, scientifiques, juridiques ou autres, alors que l’homosexualité (ou toute sexualité s’écartant de la norme hétérosexuelle) se voit dépréciée en tant que crime, péché, acte sexuel non naturel, pathologie, déviance sexuelle, etc. Le concept d’hétérosexisme apparaît aux États-Unis au début des années 1970, en même temps que celui d’homophobie (Herek, 2004). Tout en contestant les savoirs institutionnels de l’époque, ces deux termes proposent néanmoins des voies distinctes de conceptualisation de l’oppression des personnes homosexuelles. L’homophobie inverse le paradigme psychomédical dominant en pathologisant non plus l’homosexualité, mais la peur irrationnelle qu’en ont certains individus. L’hétérosexisme enracine cette oppression dans le social, par analogie avec d’autres systèmes de croyances qui différencient et hiérarchisent des catégories de personnes, comme le racisme et le sexisme (Herek, 2000). Le premier terme emprunte à la psychanalyse alors que le second provient d’une pensée d’inspiration féministe, antiraciste et anticapitaliste. Les deux concepts se diffuseront largement au sein des mouvements de libération des gays et des lesbiennes, puis dans l’univers académique, d’abord dans le monde anglo-saxon et plus tardivement en France (Tin, 2003). À l’origine, le concept d’hétérosexisme s’inscrivait dans des perspectives lesbiennes-féministes. Il s’articulait avec diverses analyses critiques de la place de l’hétérosexualité institutionnalisée dans les processus de subordination des femmes par les hommes (Dugan, 2000). Dans un tel paradigme, l’hétérosexisme fait partie du système patriarcal qui assujettit les femmes, notamment en justifiant leur infériorisation au nom de la différence soi-disant naturelle entre les sexes/genres et de la complémentarité qui en découlerait nécessairement. Sur le plan politique, la notion appelle à une remise en question des constructions socioculturelles de la masculinité et de la féminité et des institutions qui maintiennent des rôles rigides de genre (Herek, 2004). En somme, la régulation des sexualités y est indissociable du maintien des rapports de domination des hommes sur les femmes. Dans cette optique, l’hétérosexisme est envisagé comme un système d’oppression étroitement relié à d’autres inégalités systémiques, comme le sexisme, le racisme ou le classisme (Wilton, 1995). Cependant, dans les usages récents du concept, les références aux théories issues du lesbianisme-féministe ou à l’intersectionnalité des luttes sociales sont le plus souvent absentes. Au fil des décennies, les définitions de l’hétérosexisme se sont multipliées tout en reprenant l’idée essentielle d’un processus systémique de différenciation et de hiérarchisation des sexualités hétérosexuelle et homosexuelle. Selon une recension de Smith, Oades et McCarthy (2012), certaines mettent l’insistance sur la normalisation de l’hétérosexualité et la promotion d’un style de vie hétérosexuel, d’autres sur la disqualification et l’occultation des autres sexualités. Dans cette dernière lignée, l’une des plus courantes est celle du psychologue Gregory Herek (2004) : « une idéologie culturelle qui perpétue la stigmatisation sexuelle en déniant et en dénigrant toute forme non hétérosexuelle de comportement, d’identité, de relation et de communauté non hétérosexuelle » (p. 16, traduction libre). Dans son opérationnalisation, le concept d’hétérosexisme se déploie tantôt vers le social, tantôt vers l’individuel, ce qui n’est pas sans générer des tensions théoriques. Dans le premier cas, la description des manifestations de l’hétérosexisme illustre son ancrage social et culturel, qu’il s’agisse de la présomption d’une hétérosexualité universelle dans les politiques et les pratiques des diverses institutions (écoles, services publics, entreprises, etc.), de l’idéalisation de l’amour hétérosexuel dans les représentations (films, romans, etc.), de l’injonction au silence ou à la discrétion adressée aux gays et aux lesbiennes sous prétexte que la sexualité relève de la vie privée, ou encore de l’assimilation de leurs expériences diverses au modèle dominant de conjugalité hétérosexuelle (Fish, 2006). Sans qu’il n’y ait de consensus sur une perspective théorique commune, les explications de l’hétérosexisme attirent l’attention sur les mécanismes structurels qui en assurent la reproduction, comme le langage et le droit. Dans cette veine, Neisen (1990) définit l’hétérosexisme en associant les notions de préjugés et de pouvoir, ce dernier s’exerçant notamment dans les sphères étatique (criminalisation des relations homosexuelles) et scientifique (discours pathologisants). Dans le second cas, l’accent sera mis sur les effets individuels de l’hétérosexisme en matière de statut et d’inégalités sociales. Ainsi l’hétérosexisme est souvent vu comme la source ou le fondement des attitudes et des comportements homophobes envers les personnes non hétérosexuelles ou perçues comme telles. Par exemple, Pharr (1997) voit dans l’hétérosexisme le pendant institutionnel de l’homophobie : le déploiement systématique de l’idéologie hétérosexiste sur le plan culturel et les gestes homophobes dans les interactions sociales se renforcent mutuellement pour maintenir le pouvoir et les privilèges associés à l’hétérosexualité. Sous cet angle, et malgré leurs racines distinctes sur les plans épistémologique et politique, les concepts d’hétérosexisme et d’homophobie ont souvent été jumelés et présentés comme des notions complémentaires l’une à l’autre, l’un agissant au niveau social, comme une idéologie inégalitaire des sexualités, et l’autre au niveau individuel ou psychologique. Pour sa part, Borrillo (2000) relève l’impossibilité de déconnecter les deux termes puisque l’homophobie ne peut se comprendre indépendamment de la reproduction de l’ordre social des sexes (sexisme) et des sexualités (hétérosexisme). Phénomène à la fois cognitif et normatif, l’hétérosexisme renvoie à « l’ensemble des discours, des pratiques, des procédures et des institutions qui en problématisant ainsi la “spécificité homosexuelle”, ne cessent de renforcer un dispositif destiné à organiser les individus en tant qu’être sexués. » (p. 24). Cependant, les deux notions sont parfois vues comme plus ou moins interchangeables et positionnées comme des concurrentes parmi lesquelles il faut choisir. Une première dissension surgit alors à propos des manifestations d’ostracisme que les deux termes permettent de capter. Au concept d’homophobie, il est reproché d’être androcentrique (centré sur les agressions subies par les hommes gays) et de se focaliser sur les gestes extrêmes d’un continuum de rejet de l’homosexualité, ce qui ne permet pas de rendre compte de leur vaste éventail, ni de leurs formes institutionnelles (Herek, 2004). L’hétérosexisme est considéré comme une notion plus adéquate pour couvrir l’ensemble des manifestations qui reconduisent les inégalités entre les sexualités, y compris les plus subtiles et celles qui s’insinuent dans la banalité du quotidien et que l’on pourrait assimiler au sexisme ordinaire. De même, comparativement aux mesures d’attitudes homophobes, axées sur le rejet, les mesures d’attitudes hétérosexistes, comme l’échelle d’hétérosexisme moderne (Walls, 2008), seraient plus aptes à saisir la persistance des stéréotypes (négatifs mais aussi positifs) envers les personnes gays, lesbiennes ou bisexuelles, même chez les individus exprimant des dispositions favorables à leur égard. Autrement dit, la référence à l’hétérosexisme permet d’enregistrer les changements sociétaux positifs tout en révélant la persistance de la hiérarchie des orientations sexuelles. Toutefois, ce concept sera critiqué en retour comme opérant une dilution ou une euphémisation de l’hostilité généralisée envers les personnes et les sexualités non hétérosexuelles qui en occulterait les démonstrations les plus brutales. Le second axe de tension renvoie aux explications, tantôt psychologiques, tantôt sociologiques, de la stigmatisation des personnes non hétérosexuelles. Le concept d’homophobie a maintes fois été critiqué pour son réductionnisme psychologique (Chamberland et Lebreton, 2012 ; Herek 2004). De même, lorsque le seul usage de l’hétérosexisme est l’application à une mesure d’attitude individuelle, il lui sera reproché d’escamoter toute analyse structurelle et de réduire ainsi la portée analytique du concept. Les implications du choix de l’un ou l’autre concept sont à la fois théoriques et politiques. Plusieurs auteur·e·s optent pour le concept d’hétérosexisme, car il engage à se pencher sur les rapports sociaux et les structures qui reproduisent les inégalités sexuelles. Il s’agit de s’éloigner des schèmes d’explication psychologique ayant la cote dans les sociétés libérales et des solutions uniquement centrées sur l’intervention auprès des individus (sensibilisation, formation, etc.) pour envisager des transformations sociales globales ou à tout le moins des mesures s’attaquant à la hiérarchie des sexualités dans l’organisation des diverses sphères de vie (famille, école, travail, etc.) (Herek, 2004 ; Wilton, 1995). Dans un récent effort de synthèse, Rumens (2016) propose de distinguer l’hétérosexisme culturel, qui réfère à la dimension institutionnelle, et l’hétérosexisme individuel. Avec la montée du post-structuralisme, le concept d’hétérosexisme connaît un certain désaveu, au même titre que d’autres notions faisant référence à toute structure sociale. Son emploi décline au profit du concept d’hétéronormativité créé par Michael Warner (1993), qui met en lumière la normativité langagière et discursive opérant à travers la construction des catégories binaires (des corps, des sexes, des genres, des désirs, etc.) qui composent la matrice de l’hétérosexualité (Herek, 2004). Dans le champ interdisciplinaire des études sur la sexualité, l’hétérosexisme demeure un concept central pour analyser la stratification sexuelle et les inégalités sociales qui en découlent. Bien que le concept se prête à plusieurs définitions, son potentiel heuristique est maximisé lorsqu’il se conjugue à des cadres théoriques et analytiques susceptibles de rendre compte de l’inscription d’une idéologie qui privilégie systématiquement l’hétérosexualité dans les institutions, dans les pratiques sociales et culturelles et dans les interactions quotidiennes, exerçant ainsi une contrainte à l’hétérosexualité (Fish, 2006).
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Nizard, Caroline. "Un esprit sain dans un corps sain." Emulations - Revue de sciences sociales, December 6, 2020. http://dx.doi.org/10.14428/emulations.varia.029.

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Abstract:
À partir des années 2000, le yoga connaît un succès croissant et s’est transformé pour mettre l’accent sur l’expérience corporelle, l’épanouissement personnel, éléments caractéristiques du bien-être dans le contexte sociohistorique actuel. Si les contributions en sciences sociales témoignent d’un intérêt récent pour le bien-être, rares sont les études qui se penchent spécifiquement sur les liens entre yoga et bien-être. Grâce à des terrains ethnographiques et des entretiens menés auprès de pratiquants et de professeurs de yoga en France, en Suisse romande et en Inde, cet article interroge la manière dont les pratiquants incorporent ou non ce bien-être. Comment passe-t-on du bien-être comme obligation sociale à une intériorisation par les individus ? Partant des représentations du yoga dans les médias, cet article revient sur les raisons historiques et sociales qui ont conduit à une requalification de cette discipline. Pourtant, les réalités du terrain montrent des itinéraires de pratiques plus hétérogènes. Selon l’implication dans la pratique du yoga moderne, les glaneurs mettent l’accent sur l’épanouissement dans le bien-être, alors que ceux qui s’astreignent le plus à une maîtrise de leur corps, de leurs actions (les enthousiastes et les passionnés) valorisent plutôt la santé et/ou la spiritualité.
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Guedj, Pauline. "Afrocentrisme." Anthropen, 2017. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.046.

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Abstract:
Bien que souvent non revendiqué par les auteurs que l’on considère comme ses tenants (Molefi Asante 1987, Maulana Karenga 2002, John Henrik Clarke 1994, Marimba Ani 1994, Frances Cress Welsing 1991, Théophile Obenga 2001, qui lui préfèrent les termes afrocentricité, africologie ou kawaida), le terme afrocentrisme est utilisé pour désigner un courant d’idées présent dans les cercles académiques nord-américains, africains et européens, depuis la deuxième moitié du vingtième siècle. Académique, l’afrocentrisme est actuellement l’objet d’un important processus de transnationalisation et entretient des relations précises et continues avec des pratiques sociales, artistiques, religieuses et/ou politiques. Il semble que le mot « afrocentrique » soit apparu pour la première fois en 1962 sous la plume du sociologue afro-américain W.E.B. Du Bois. Invité par Kwame Nkrumah à Accra au Ghana dans le but d’y rédiger une encyclopédie sur les populations noires, Du Bois insistait, dans un document non publié, sur son intention d’éditer un volume « volontairement Afro-Centrique, mais prenant en compte l’impact du monde extérieur sur l’Afrique et l’impact de l’Afrique sur le monde extérieur » (in Moses, 1998 : 2). Du Bois, grand penseur du panafricanisme, voyait donc dans son projet un moyen de donner la parole aux peuples d’Afrique, d’en faire des acteurs de leur propre histoire au moment même où ceux-ci entamaient la construction nationale de leurs États depuis peu indépendants. Lié chez Du Bois à un projet scientifique et politique, la tendance afrocentrique connaîtra ses heures de gloire à partir de la fin des années 1960 lorsqu’elle devint la marque de fabrique d’une école de pensée comptant quelques représentants au sein des cercles académiques américains. En réalité, l’histoire de la pensée afrocentrique aux États-Unis est indissociable de la création de départements d’études dites ethniques dans les universités américaines, départements nés en pleine ère du Black Power, lorsqu’une jeunesse noire radicalisée se battait pour l’intégration de son expérience au sein des cursus universitaires. Ces départements d’études African-American, Black ou Africana se donnaient pour but de relayer la voix des opprimés et d’inclure l’histoire afro-américaine dans le récit scientifique de l’histoire états-unienne. Parmi les manifestes afrocentriques de l’époque, notons la création de l’African Heritage Studies Association en 1969 née d’une réaction aux postures idéologiques de l’African Studies Association. Orchestrée par John Henrik Clarke (1994), l’organisation rassemblait des intellectuels et des militants africains, entendus ici comme originaires du continent et de ses diasporas, se battant pour la mise en place d’une étude politique de l’Afrique, arme de libération, cherchant à intervenir dans la fondation d’un panafricanisme scientifique et afrocentré. A partir des années 1980, l’afrocentrisme académique entra dans une nouvelle phase de son développement avec les publications de Molefi Asante. Dans la lignée de Du Bois, celui-ci tendait à définir l’afrocentrisme, ou plutôt l’afrocentricité, comme une théorie cherchant à remettre l’Afrique au cœur de l’histoire de l’humanité. Toutefois, ses principaux écrits, The Afrocentric Idea (1987), Afrocentricity (1988), Kemet, Afrocentricity and Knowledge (1990), associèrent à l’afrocentrique duboisien tout un appareil conceptuel et idéologique, grandement hérité des écrits de l’historien sénégalais Cheikh Anta Diop (1959). et de militants du nationalisme noir classique tels Edward Blyden et Alexander Crummel. Dès 1990, la pensée d’Asante se déploya autour d’une série de points précis, déjà mis en avant par le politiste Stephen Howe (1998) : 1. L’humanité s’est d’abord développée en Afrique avant de se répandre sur la planète. Les Africains entretiendraient avec les autres humains un rapport de primordialité chronologique et ce particulièrement avec les Européens, jeunes dans l’histoire de l’humanité. 2. La première civilisation mondiale est celle de l’Égypte ou Kemet. L’étude des phénotypes égyptiens tels qu’ils sont visibles sur les vestiges archéologiques apporterait la preuve de la négritude de cette population. 3. Le rayonnement de la civilisation égyptienne s’est étendu sur la totalité du Continent noir. Toutes les populations africaines sont culturellement liées à la civilisation et aux mœurs de l’Égypte antique et la linguistique en constituerait une preuve évidente. 4. La culture égyptienne se serait également diffusée au Nord, jusqu’à constituer la source d’inspiration première des civilisations qui apparurent plus tardivement en Grèce puis partout en Europe. 5. L’ensemble des traditions africaines constitue autant de manifestations d’une culture unique. Depuis son foyer égyptien, la culture africaine, au singulier, s’est diffusée pour s’immerger dans la totalité du continent et dans la diaspora des Amériques. Au début des années 2000, l’afrocentrisme académique s’est trouvé au cœur de vifs débats dans les espaces anglophones et francophones. Aux États-Unis, c’est la publication de l’ouvrage de Mary Lefkowitz Not Out of Africa (1993) qui rendit publiques les nombreuses tensions entre afrocentristes et anti-afrocentristes. En France, la discussion s’est également concentrée autour de la parution d’un ouvrage dirigé par François-Xavier Fauvelle-Aymar, Jean-Pierre Chrétien et Claude-Hélène Perrot (2000). Le texte, provocateur, se donnait pour but de déconstruire des théories afrocentriques qualifiées de naïves, « fausses » et dont « le succès parmi les Américains noirs peut être attribué au fait que, à l’heure actuelle, la pensée critique n’est pas en grande estime dans la communauté noire aux États-Unis » (2000 : 70-71). Le livre fut accueilli très froidement dans les milieux qu’il visait. En 2001, l’intellectuel congolais Théophile Obenga, rétorqua avec la publication d’un nouvel ouvrage Le sens de la lutte contre l’africanisme eurocentriste. Manifeste d’un combat « contre l’africanisme raciste, ancien ou moderne, colonial ou post-colonial, qui ne voit pas autre chose que la domination des peuples ‘exotiques’, ‘primitifs’, et ‘sous-développés’. » (2001 : 7), le texte d’Obenga multipliait, de son côté, les attaques personnelles et violentes. Aujourd’hui, il semble que l’appréhension des phénomènes afrocentriques ne puisse gagner en profondeur que si elle évite les écueils polémiques. Une telle approche supposerait alors de considérer l’afrocentrisme comme un objet de recherche construit historiquement, sociologiquement et anthropologiquement. Il s’agirait alors à la fois de le replacer dans le contexte historique de sa création et de s’intéresser à ses effets concrets dans les discours et les pratiques sociales populaires en Afrique, dans les Amériques et en Europe. En effet, depuis une vingtaine d’années, le terme et l’idéologie afrocentriques n’apparaissent plus seulement dans des débats des universitaires mais aussi dans une série d’usages sociaux, culturels et artistiques de populations qui les conçoivent comme un outil d'affirmation identitaire. Ces communautés et ces individus s’en saisissent, leur donnent une définition propre qui émane de leur environnement social, culturel et géographique particuliers, les utilisent comme fondement de nouvelles pratiques, de nouvelles élaborations du politique et de revendications identitaires. Ainsi, l’afrocentrisme se retrouve dans les pratiques religieuses d’Afro-Américains des États-Unis à la recherche de leurs racines ancestrales (Capone, 2005 ; Guedj, 2009), dans les textes des rappeurs de Trinidad ou du Gabon (Aterianus-Owanga, 2013) ainsi que dans les œuvres et les propos d’artistes aussi variés que la plasticienne Kara Walker et le saxophoniste Steve Coleman. Afrocentrismes populaires, a priori dissociés des milieux académiques, ces pratiques ne sont pourtant pas étrangères aux théories qui animent les spécialistes. En effet, nombreux sont les religieux qui citent les livres de Cheikh Anta Diop (1959) ou Molefi Asante (1987), les artistes qui revendiquent comme sources d'inspiration les vidéos postées sur youtube des discours de Leonard Jeffries, John Henrik Clarke ou Maulana Karenga. Il semble alors que c’est précisément dans cette analyse des pratiques et discours afrocentriques entre champs académique, politique, religieux et artistique que l’anthropologie peut jouer un rôle décisif. Il s’agirait alors pour les chercheurs de mettre en place des méthodologies permettant non seulement d’analyser les logiques de circulation des représentations de l’Afrique entre différentes catégories sociales mais aussi d’étudier la perméabilité des savoirs académiques et leurs influences en dehors des universités.
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Dunoyer, Christiane. "Monde alpin." Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.101.

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Abstract:
Après avoir été peint et décrit avec des traits plus pittoresques qu’objectifs par les premiers voyageurs et chercheurs qui traversaient les Alpes, mus tantôt par l’idée d’un primitivisme dont la difformité et la misère étaient l’expression la plus évidente, tantôt par la nostalgie du paradis perdu, le monde alpin a attiré le regard curieux des folkloristes à la recherche des survivances du passé, des anciennes coutumes, des proverbes et des objets disparus dans nombre de régions d’Europe. Au début du XXe siècle, Karl Felix Wolff (1913) s’inspire de la tradition des frères Grimm et collecte un nombre consistant de légendes ladines, avec l’objectif de redonner une nouvelle vie à un patrimoine voué à l’oubli. Tout comme les botanistes et les zoologues, les folkloristes voient le monde alpin comme un « merveilleux conservatoire » (Hertz 1913 : 177). Un des élèves les plus brillants de Durkheim, Robert Hertz, analyse finement ces « formes élémentaires de la vie religieuse » en étudiant le pèlerinage de Saint Besse, qui rassemble chaque année les populations de Cogne (Vallée d’Aoste) et du Val Soana (Piémont) dans un sanctuaire à la montagne situé à plus de 2000 mètres d’altitude. Après avoir observé et questionné la population locale s’adonnant à ce culte populaire, dont il complète l’analyse par des recherches bibliographiques, il rédige un article exemplaire (Hertz 1913) qui ouvre la voie à l’anthropologie alpine. Entre 1910 et 1920, Eugénie Goldstern mène ses enquêtes dans différentes régions de l’arc alpin à cheval entre la France, la Suisse et l’Italie : ses riches données de terrain lui permettent de réaliser le travail comparatif le plus complet qui ait été réalisé dans la région (Goldstern 2007). Une partie de sa recherche a été effectuée avec la supervision de l’un des fondateurs de l’anthropologie française et l’un des plus grands experts de folklore en Europe, Arnold Van Gennep. Pour ce dernier, le monde alpin constitue un espace de prédilection, mais aussi un terrain d’expérimentation et de validation de certaines hypothèses scientifiques. « Dans tous les pays de montagne, qui ont été bien étudiés du point de vue folklorique […] on constate que les hautes altitudes ne constituent pas un obstacle à la diffusion des coutumes. En Savoie, le report sur cartes des plus typiques d’entre elles montre une répartition nord-sud passant par-dessus les montagnes et les rivières et non pas conditionnée par elles » (Van Gennep 1990 : 30-31). L’objectif de Van Gennep est de comprendre de l’intérieur la « psychologie populaire », à savoir la complexité des faits sociaux et leur variation. Sa méthode consiste à « parler en égal avec un berger » (Van Gennep 1938 : 158), c’est-à-dire non pas tellement parler sa langue au sens propre, mais s’inscrire dans une logique d’échange actif pour accéder aux représentations de son interlocuteur. Quant aux nombreuses langues non officielles présentes sur le territoire, quand elles n’auraient pas une fonction de langue véhiculaire dans le cadre de l’enquête, elles ont été étudiées par les dialectologues, qui complétaient parfois leurs analyses des structures linguistiques avec des informations d’ordre ethnologique : les enseignements de Karl Jaberg et de Jakob Jud (1928) visaient à associer la langue à la civilisation (Wörter und Sachen). Dans le domaine des études sur les walsers, Paul Zinsli nous a légué une synthèse monumentale depuis la Suisse au Voralberg en passant par l’Italie du nord et le Liechtenstein (Zinsli 1976). Comme Van Gennep, Charles Joisten (1955, 1978, 1980) travaille sur les traditions populaires en réalisant la plus grande collecte de récits de croyance pour le monde alpin, entre les Hautes-Alpes et la Savoie. En 1973, il fonde la revue Le monde alpin et rhodanien (qui paraîtra de 1973 à 2006 en tant que revue, avant de devenir la collection thématique du Musée Dauphinois de Grenoble). Si dans l’après-guerre le monde alpin est encore toujours perçu d’une manière valorisante comme le reliquaire d’anciens us et coutumes, il est aussi soumis à la pensée évolutionniste qui le définit comme un monde arriéré parce que marginalisé. C’est dans cette contradiction que se situe l’intérêt que les anthropologues découvrent au sein du monde alpin : il est un observatoire privilégié à la fois du passé de l’humanité dont il ne reste aucune trace ailleurs en Europe et de la transition de la société traditionnelle à la société modernisée. En effet, au début des années 1960, pour de nombreux anthropologues britanniques partant à la découverte des vallées alpines le constat est flagrant : les mœurs ont changé rapidement, suite à la deuxième guerre mondiale. Cette mutation catalyse l’attention des chercheurs, notamment l’analyse des relations entre milieu physique et organisation sociale. Même les pionniers, s’ils s’intéressent aux survivances culturelles, ils se situent dans un axe dynamique : Honigmann (1964, 1970) entend démentir la théorie de la marginalité géographique et du conservatisme des populations alpines. Burns (1961, 1963) se propose d’illustrer la relation existant entre l’évolution socioculturelle d’une communauté et l’environnement. Le monde alpin est alors étudié à travers le prisme de l’écologie culturelle qui a pour but de déterminer dans quelle mesure les caractéristiques du milieu peuvent modeler les modes de subsistance et plus généralement les formes d’organisation sociale. Un changement important a lieu avec l’introduction du concept d’écosystème qui s’impose à partir des années 1960 auprès des anthropologues penchés sur les questions écologiques. C’est ainsi que le village alpin est analysé comme un écosystème, à savoir l’ensemble complexe et organisé, compréhensif d’une communauté biotique et du milieu dans lequel celle-ci évolue. Tel était l’objectif de départ de l’étude de John Friedl sur Kippel (1974), un village situé dans l’une des vallées des Alpes suisses que la communauté scientifique considérait parmi les plus traditionnelles. Mais à son arrivée, il découvre une réalité en pleine transformation qui l’oblige à recentrer son étude sur la mutation sociale et économique. Si le cas de Kippel est représentatif des changements des dernières décennies, les différences peuvent varier considérablement selon les régions ou selon les localités. Les recherches d’Arnold Niederer (1980) vont dans ce sens : il analyse les Alpes sous l’angle des mutations culturelles, par le biais d’une approche interculturelle et comparative de la Suisse à la France, à l’Italie, à l’Autriche et à la Slovénie. John Cole et Eric Wolf (1974) mettent l’accent sur la notion de communauté travaillée par des forces externes, en analysant, les deux communautés voisines de St. Felix et Tret, l’une de culture germanique, l’autre de culture romane, séparées par une frontière ethnique qui fait des deux villages deux modèles culturels distincts. Forts de leur bagage d’expériences accumulées dans les enquêtes de terrain auprès des sociétés primitives, les anthropologues de cette période savent analyser le fonctionnement social de ces petites communautés, mais leurs conclusions trop tributaires de leur terrain d’enquête exotique ne sont pas toujours à l’abri des généralisations. En outre, en abordant les communautés alpines, une réflexion sur l’anthropologie native ou de proximité se développe : le recours à la méthode ethnographique et au comparatisme permettent le rétablissement de la distance nécessaire entre l’observateur et l’observé, ainsi qu’une mise en perspective des phénomènes étudiés. Avec d’autres anthropologues comme Daniela Weinberg (1975) et Adriana Destro (1984), qui tout en étudiant des sociétés en pleine transformation en soulignent les éléments de continuité, nous nous dirigeons vers une remise en cause de la relation entre mutation démographique et mutation structurale de la communauté. Robert Netting (1976) crée le paradigme du village alpin, en menant une étude exemplaire sur le village de Törbel, qui correspondait à l’image canonique de la communauté de montagne qu’avait construite l’anthropologie alpine. Pier Paolo Viazzo (1989) critique ce modèle de la communauté alpine en insistant sur l’existence de cas emblématiques pouvant démontrer que d’autres villages étaient beaucoup moins isolés et marginaux que Törbel. Néanmoins, l’étude de Netting joue un rôle important dans le panorama de l’anthropologie alpine, car elle propose un nouvel éclairage sur les stratégies démographiques locales, considérées jusque-là primitives. En outre, sur le plan méthodologique, Netting désenclave l’anthropologie alpine en associant l’ethnographie aux recherches d’archives et à la démographie historique (Netting 1981) pour compléter les données de terrain. La description des interactions écologiques est devenue plus sophistiquée et la variable démographique devient cruciale, notamment la relation entre la capacité de réguler la consistance numérique d’une communauté et la stabilité des ressources locales. Berthoud (1967, 1972) identifie l’unité de l’aire alpine dans la spécificité du processus historique et des différentes trajectoires du développement culturel, tout en reconnaissant l’importance de l’environnement. C’est-à-dire qu’il démontre que le mode de production « traditionnel » observé dans les Alpes n’est pas déterminé par les contraintes du milieu, mais il dérive de la combinaison d’éléments institutionnels compatibles avec les conditions naturelles (1972 : 119-120). Berthoud et Kilani (1984) analysent l’équilibre entre tradition et modernité dans l’agriculture de montagne dans un contexte fortement influencé par le tourisme d’hiver. Dans une reconstruction et analyse des représentations de la montagne alpine depuis la moitié du XVIIIe siècle à nos jours, Kilani (1984) illustre comment la vision du monde alpin se dégrade entre 1850 et 1950, au fur et à mesure de son insertion dans la société globale dans la dégradation des conditions de vie : il explique ainsi la naissance dans l’imaginaire collectif d’une population primitive arriérée au cœur de l’Europe. Cependant, à une analyse comparative de l’habitat (Weiss 1959 : 274-296 ; Wolf 1962 ; Cole & Wolf 1974), de la dévolution patrimoniale (Bailey 1971 ; Lichtenberger 1975) ou de l’organisation des alpages (Arbos 1922 ; Parain 1969), le monde alpin se caractérise par une surprenante variation, difficilement modélisable. Les situations de contact sont multiples, ce qui est très évident sur le plan linguistique avec des frontières très fragmentées, mais de nombreuses autres frontières culturelles européennes traversent les Alpes, en faisant du monde alpin une entité plurielle, un réseau plus ou moins interconnecté de « upland communities » (Viazzo 1989), où les éléments culturels priment sur les contraintes liées à l’environnement. Aux alentours de 1990, la réflexion des anthropologues autour des traditions alpines, sous l’impulsion de la notion d’invention de la tradition, commence à s’orienter vers l’étude des phénomènes de revitalisation (Boissevain 1992), voire de relance de pratiques ayant subi une transformation ou une rupture dans la transmission. Cette thèse qui a alimenté un riche filon de recherches a pourtant été contestée par Jeremy MacClancy (1997) qui met en avant les éléments de continuité dans le culte de Saint Besse, presqu’un siècle après l’enquête de Robert Hertz. La question de la revitalisation et de la continuité reste donc ouverte et le débat se poursuit dans le cadre des discussions qui accompagnent l’inscription des traditions vivantes dans les listes du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
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Gagné, Natacha. "Anthropologie et histoire." Anthropen, 2017. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.060.

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Abstract:
On a longtemps vu l’histoire et l’anthropologie comme deux disciplines très distinctes n’ayant pas grand-chose en partage. Jusqu’au début du XXe siècle, l’histoire fut essentiellement celle des « civilisés », des Européens et donc des colonisateurs. Si les colonisés n’étaient pas complètement absents du tableau, ils étaient, au mieux, des participants mineurs. L’anthropologie, pour sa part, s’est instituée en ayant pour objet la compréhension des populations lointaines, les « petites sociétés », autochtones et colonisées, ces populations vues comme hors du temps et de l’histoire. Cette situation était le produit d’une division traditionnelle (Harkin 2010 : 114) – et coloniale (Naepels 2010 : 878) – du travail entre histoire et anthropologie. Celle-ci se prolongeait dans le choix des méthodes : les historiens travaillaient en archives alors que les anthropologues s’intéressaient aux témoignages oraux et donc, s’adonnaient à l’enquête de terrain. Les deux disciplines divergeaient également quant à la temporalité : « Pour l’histoire, (…) le temps est une sorte de matière première. Les actes s’inscrivent dans le temps, modifient les choses tout autant qu’ils les répètent. (…) Pour l’anthropologue, s’il n’y prend garde, le temps passe en arrière-plan, au profit d’une saisie des phénomènes en synchronie » (Bensa 2010 : 42). Ces distinctions ne sont plus aujourd’hui essentielles, en particulier pour « l’anthropologie historique », champ de recherche dont se revendiquent tant les historiens que les anthropologues, mais il n’en fut pas de tout temps ainsi. Après s’être d’abord intéressés à l’histoire des civilisations dans une perspective évolutionniste et spéculative, au tournant du siècle dernier, les pères de l’anthropologie, tant en France (Émile Durkheim, Marcel Mauss), aux États-Unis (Franz Boas), qu’en Angleterre (Bronislaw Malinowski, Alfred Radcliffe-Brown), prendront fermement leur distance avec cette histoire. Les questions de méthode, comme le développement de l’observation participante, et l’essor de concepts qui devinrent centraux à la discipline tels que « culture » et « fonction » furent déterminants pour sortir de l’idéologie évolutionniste en privilégiant la synchronie plutôt que la diachronie et les généalogies. On se détourna alors des faits uniques pour se concentrer sur ceux qui se répètent (Bensa 2010 : 43). On s’intéressa moins à l’accidentel, à l’individuel pour s’attacher au régulier, au social et au culturel. Sans être nécessairement antihistoriques, ces précepteurs furent largement ahistoriques (Evans-Pritchard 1962 : 172), une exception ayant été Franz Boas – et certains de ses étudiants, tels Robert Lowie ou Melville J. Herskovits – avec son intérêt pour les contacts culturels et les particularismes historiques. Du côté de l’histoire, on priorisait la politique, l’événement et les grands hommes, ce qui donnait lieu à des récits plutôt factuels et athéoriques (Krech 1991 : 349) basés sur les événements « vrais » et uniques qui se démarquaient de la vie « ordinaire ». Les premiers essais pour réformer l’histoire eurent lieu en France, du côté des historiens qui seront associés aux « Annales », un nom qui réfère à la fois à une revue scientifique fondée en 1929 par Marc Bloch et Lucien Febvre et à une École d’historiens français qui renouvela la façon de penser et d’écrire l’histoire, en particulier après la Seconde Guerre mondiale (Krech 1991; Schöttler 2010). L’anthropologie et la sociologie naissantes suscitèrent alors l’intérêt chez ce groupe d’historiens à cause de la variété de leurs domaines d’enquête, mais également par leur capacité à enrichir une histoire qui n’est plus conçue comme un tableau ou un simple inventaire. Les fondateurs de la nouvelle École française des Annales décrivent leur approche comme une « histoire totale », expression qui renvoie à l’idée de totalité développée par les durkheimiens, mais également à l’idée de synthèse du philosophe et historien Henry Berr (Schöttler 2010: 34-37). L’histoire fut dès lors envisagée comme une science sociale à part entière, s’intéressant aux tendances sociales qui orientent les singularités. L’ouvrage fondateur de Marc Bloch, Les rois thaumaturges (1983 [1924]), pose les jalons de ce dépassement du conjoncturel. Il utilise notamment la comparaison avec d’autres formes d’expériences humaines décrites notamment dans Le Rameau d’Or (1998 [1924; 1890 pour l’édition originale en anglais]) de James G. Frazer et explore le folklore européen pour dévoiler les arcanes religieux du pouvoir royal en France et en Angleterre (Bensa 2010; Goody 1997). Il s’agit alors de faire l’histoire des « mentalités », notion qui se rapproche de celle de « représentation collective » chère à Durkheim et Mauss (sur ce rapprochement entre les deux notions et la critique qui en a été faite, voir Lloyd 1994). Les travaux de la deuxième génération des historiens des Annales, marqués par la publication de l’ouvrage de Fernand Braudel La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II en 1949 et de son arrivée en 1956 à la direction de la revue, peuvent encore une fois mieux se comprendre dans l’horizon du dialogue avec l’anthropologie, d’une part, et avec les area studiesqui se développèrent aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, de l’autre (Braudel 1958). Le projet est de rapporter « la spécificité des acteurs singuliers, des dates et des événements à des considérations plus vastes sur la transformation lente des mœurs et des représentations. Le travail ne consiste pas seulement à capter au projet de l’histoire des rubriques chères à l’anthropologie, mais aussi à caractériser une époque [et une région] par sa façon de percevoir et de penser le monde » (Bensa 2010 : 46). Il s’agit alors de faire l’histoire des structures, des conjonctures et des mentalités (Schöttler 2010 : 38). Les travaux de cette deuxième génération des Annales s’inscrivent dans un vif débat avec l’anthropologie structuraliste de Claude Lévi-Strauss. Si tant Braudel que Lévi-Strauss voulaient considérer les choses de façon globale, Lévi-Strauss situait la globalité dans un temps des sociétés des origines, comme si tout s’était joué au départ et comme si l’histoire n’en serait qu’un développement insignifiant. Pour sa part, Braudel, qui s’intéressait à l’histoire sérielle et à la longue durée, situait plutôt la globalité dans un passé qui sert à comprendre le présent et, jusqu’à un certain point, à prévoir ce qui peut se passer dans le futur. Ce qui constitue le fond de leur opposition est que l’un s’intéresse à l’histoire immobile alors que l’autre s’intéresse à l’histoire de longue durée, soit l’histoire quasi immobile selon laquelle, derrière les apparences de la reproduction à l’identique, se produisent toujours des changements, même très minimes. Dans les deux cas, l’ « événementiel » ou ce qui se passe à la « surface » sont à l’opposé de leur intérêt pour la structure et la profondeur, même si ces dernières ne sont pas saisies de la même façon. Pour Braudel, la structure est pleinement dans l’histoire ; elle est réalité concrète et observable qui se décèle notamment dans les réseaux de relations, de marchandises et de capitaux qui se déploient dans l’espace et qui commandent les autres faits dans la longue durée (Dosse 1986 : 89). Les travaux de Braudel et son concept d’ « économie-monde » inspireront plusieurs anthropologues dont un Marshall Sahlins et un Jonathan Friedman à partir du tournant des années 1980. Pour Lévi-Strauss, la structure profonde, celle qui correspond aux enceintes mentales humaines, « ne s’assimile pas à la structure empirique, mais aux modèles construits à partir de celle-ci » (Dosse 1986 : 85). Elle est donc hors de l’histoire. Comme le rappelait François Hartog (2014 [2004] : 287), Lévi-Strauss a souvent dit « rien ne m’intéresse plus que l’histoire. Et depuis fort longtemps! » (1988 : 168; voir d’ailleurs notamment Lévi-Strauss 1958, 1983), tout en ajoutant « l’histoire mène à tout, mais à condition d’en sortir » (Lévi-Strauss 1962 : 348) ! Parallèlement à l’entreprise déhistoricisante de Lévi-Strauss, d’autres anthropologues insistent au contraire à la même époque sur l’importance de réinsérer les institutions étudiées dans le mouvement du temps. Ainsi, Edward E. Evans-Pritchard, dans sa célèbre conférence Marett de 1950 qui sera publiée en 1962 sous le titre « Anthropology and history », dénonce le fait que les généralisations en anthropologie autour des structures sociales, de la religion, de la parenté soient devenues tellement généralisées qu’elles perdent toute valeur. Il insiste sur la nécessité de faire ressortir le caractère unique de toute formation sociale. C’est pour cette raison qu’il souligne l’importance de l’histoire pour l’anthropologie, non pas comme succession d’événements, mais comme liens entre eux dans un contexte où on s’intéresse aux mouvements de masse et aux grands changements sociaux. En invitant notamment les anthropologues à faire un usage critique des sources documentaires et à une prise en considération des traditions orales pour comprendre le passé et donc la nature des institutions étudiées, Evans-Pritchard (1962 : 189) en appelle à une combinaison des points de vue historique et fonctionnaliste. Il faut s’intéresser à l’histoire pour éclairer le présent et comment les institutions en sont venues à être ce qu’elles sont. Les deux disciplines auraient donc été pour lui indissociables (Evans-Pritchard 1962 : 191). Au milieu du XXe siècle, d’autres anthropologues s’intéressaient aux changements sociaux et à une conception dynamique des situations sociales étudiées, ce qui entraîna un intérêt pour l’histoire, tels que ceux de l’École de Manchester, Max Gluckman (1940) en tête. En France, inspiré notamment par ce dernier, Georges Balandier (1951) insista sur la nécessité de penser dans une perspective historique les situations sociales rencontrées par les anthropologues, ce qui inaugura l’étude des situations coloniales puis postcoloniales, mais aussi de l’urbanisation et du développement. Cette importance accordée à l’histoire se retrouva chez les anthropologues africanistes de la génération suivante tels que Jean Bazin, Michel Izard et Emmanuel Terray (Naepels 2010 : 876). Le dialogue entre anthropologie et histoire s’est développé vers la même époque aux États-Unis. Après le passage de l’Indian Claims Commission Act en 1946, qui établit une commission chargée d’examiner les revendications à l’encontre de l’État américain en vue de compensations financières pour des territoires perdus par les nations autochtones à la suite de la violation de traités fédéraux, on assista au développement d’un nouveau champ de recherche, l’ethnohistoire, qui se dota d’une revue en 1954, Ethnohistory. Ce nouveau champ fut surtout investi par des anthropologues qui se familiarisèrent avec les techniques de l’historiographie. La recherche, du moins à ses débuts, avait une orientation empirique et pragmatique puisque les chercheurs étaient amenés à témoigner au tribunal pour ou contre les revendications autochtones (Harkin 2010). Les ethnohistoriens apprirent d’ailleurs à ce moment à travailler pour et avec les autochtones. Les recherches visaient une compréhension plus juste et plus holiste de l’histoire des peuples autochtones et des changements dont ils firent l’expérience. Elles ne manquèrent cependant pas de provoquer un certain scepticisme parmi les anthropologues « de terrain » pour qui rien ne valait la réalité du contact et les sources orales et pour qui les archives, parce qu’étant celles du colonisateur, étaient truffées de mensonges et d’incompréhensions (Trigger 1982 : 5). Ce scepticisme s’estompa à mesure que l’on prit conscience de l’importance d’une compréhension du contexte historique et de l’histoire coloniale plus générale pour pouvoir faire sens des données ethnologiques et archéologiques. L’ethnohistoire a particulièrement fleuri en Amérique du Nord, mais très peu en Europe (Harkin 2010; Trigger 1982). On retrouve une tradition importante d’ethnohistoriens au Québec, qu’on pense aux Bruce Trigger, Toby Morantz, Rémi Savard, François Trudel, Sylvie Vincent. L’idée est de combiner des données d’archives et des données archéologiques avec l’abondante ethnographie. Il s’agit également de prendre au sérieux l’histoire ou la tradition orale et de confronter les analyses historiques à l’interprétation qu’ont les acteurs de l’histoire coloniale et de son impact sur leurs vies. La perspective se fit de plus en plus émique au fil du temps, une attention de plus en plus grande étant portée aux sujets. Le champ de recherche attira graduellement plus d’historiens. La fin des années 1960 fut le moment de la grande rencontre entre l’anthropologie et l’histoire avec la naissance, en France, de l’« anthropologie historique » ou « nouvelle histoire » et, aux États-Unis, de la « New Cutural History ». L’attention passa des structures et des processus aux cultures et aux expériences de vie des gens ordinaires. La troisième génération des Annales fut au cœur de ce rapprochement : tout en prenant ses distances avec la « religion structuraliste » (Burguière 1999), la fascination pour l’anthropologie était toujours présente, produisant un déplacement d’une histoire économique et démographique vers une histoire culturelle et ethnographique. Burguière (1999) décrivait cette histoire comme celle des comportements et des habitudes, marquant un retour au concept de « mentalité » de Bloch. Les inspirations pour élargir le champ des problèmes posés furent multiples, en particulier dans les champs de l’anthropologie de l’imaginaire et de l’idéologique, de la parenté et des mythes (pensons aux travaux de Louis Dumont et de Maurice Godelier, de Claude Lévi-Strauss et de Françoise Héritier). Quant à la méthode, la description dense mise en avant par Clifford Geertz (1973), la microhistoire dans les traces de Carlo Ginzburg (1983) et l’histoire comparée des cultures sous l’influence de Jack Goody (1979 [1977]) permirent un retour de l’événement et du sujet, une attention aux détails qui rejoignit celle qu’y accordait l’ethnographie, une conception plus dynamique des rapports sociaux et une réinterrogation des généralisations sur le long terme (Bensa 2010 : 49 ; Schmitt 2008). Aux États-Unis, la « New Culturel History » qui s’inscrit dans les mêmes tendances inclut les travaux d’historiens comme Robert Darnon, Natalie Zemon Davis, Dominick La Capra (Iggers 1997; Krech 1991; Harkin 2010). L’association de l’histoire et de l’anthropologie est souvent vue comme ayant été pratiquée de manière exemplaire par Nathan Wachtel, historien au sens plein du terme, mais également formé à l’anthropologie, ayant suivi les séminaires de Claude Lévi-Strauss et de Maurice Godelier (Poloni-Simard et Bernand 2014 : 7). Son ouvrage La Vision des vaincus : les Indiens du Pérou devant la Conquête espagnole 1530-1570 qui parut en 1971 est le résultat d’un va-et-vient entre passé et présent, la combinaison d’un travail en archives avec des matériaux peu exploités jusque-là, comme les archives des juges de l’Inquisition et les archives administratives coloniales, et de l’enquête de terrain ethnographique. Cet ouvrage met particulièrement en valeur la capacité d’agir des Autochtones dans leur rapport avec les institutions et la culture du colonisateur. Pour se faire, il appliqua la méthode régressive mise en avant par Marc Bloch, laquelle consiste à « lire l’histoire à rebours », c’est-à-dire à « aller du mieux au moins bien connu » (Bloch 1931 : XII). Du côté des anthropologues, l’anthropologie historique est un champ de recherche en effervescence depuis les années 1980 (voir Goody 1997 et Naepels 2010 pour une recension des principaux travaux). Ce renouveau prit son essor notamment en réponse aux critiques à propos de l’essentialisme, du culturalisme, du primitivisme et de l’ahistoricisme (voir Fabian 2006 [1983]; Thomas 1989; Douglas 1998) de la discipline anthropologique aux prises avec une « crise de la représentation » (Said 1989) dans un contexte plus large de décolonisation qui l’engagea dans un « tournant réflexif » (Geertz 1973; Clifford et Marcus 1986; Fisher et Marcus 1986). Certains se tournèrent vers l’histoire en quête de nouvelles avenues de recherche pour renouveler la connaissance acquise par l’ethnographie en s’intéressant, d’un point de vue historique, aux dynamiques sociales internes, aux régimes d’historicité et aux formes sociales de la mémoire propres aux groupes auprès desquels ils travaillaient (Naepels 2010 : 877). Les anthropologues océanistes participèrent grandement à ce renouveau en discutant de la nécessité et des possibilités d’une anthropologie historiquement située (Biersack 1991; Barofsky 2000; Merle et Naepels 2003) et par la publication de plusieurs monographies portant en particulier sur la période des premiers contacts entre sociétés autochtones et Européens et les débuts de la période coloniale (entre autres, Dening 1980; Sahlins 1981, 1985; Valeri 1985; Thomas 1990). L’ouvrage maintenant classique de Marshall Sahlins, Islands of History (1985), suscita des débats vigoureux qui marquèrent l’histoire de la discipline anthropologique à propos du relativisme en anthropologie, de l’anthropologie comme acteur historique, de l’autorité ethnographique, de la critique des sources archivistiques, des conflits d’interprétation et du traitement de la capacité d’agir des populations autochtones au moment des premiers contacts avec les Européens et, plus largement, dans l’histoire (pour une synthèse, voir Kuper 2000). Pour ce qui est de la situation coloniale, le 50e anniversaire de la publication du texte fondateur de Balandier de 1951, au début des années 2000, fut l’occasion de rétablir, approfondir et, dans certains cas, renouveler le dialogue non seulement entre anthropologues et historiens, mais également, entre chercheurs français et américains. Les nouvelles études coloniales qui sont en plein essor invitent à une analyse méticuleuse des situations coloniales d’un point de vue local de façon à en révéler les complexités concrètes. On y insiste aussi sur l’importance de questionner les dichotomies strictes et souvent artificielles entre colonisateur et colonisé, Occident et Orient, Nord et Sud. Une attention est aussi portée aux convergences d’un théâtre colonial à un autre, ce qui donne une nouvelle impulsion aux analyses comparatives des colonisations (Sibeud 2004: 94) ainsi qu’au besoin de varier les échelles d’analyse en établissant des distinctions entre les dimensions coloniale et impériale (Bayart et Bertrand 2006; Cooper et Stoler 1997; Singaravélou 2013; Stoler, McGranahn et Perdue 2007) et en insérant les histoires locales dans les processus de globalisation, notamment économique et financière, comme l’ont par exemple pratiqué les anthropologues Jean et John Comaroff (2010) sur leur terrain sud-africain. Ce « jeu d’échelles », représente un défi important puisqu’il force les analystes à constamment franchir les divisions persistantes entre aires culturelles (Sibeud 2004: 95). Ce renouveau a également stimulé une réflexion déjà amorcée sur l’usage des archives coloniales ainsi que sur le contexte de production et de conservation d’une archive (Naepels 2011; Stoler 2009), mais également sur les legs coloniaux dans les mondes actuels (Bayart et Bertrand 2006; De l’Estoile 2008; Stoler 2016)
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Moussaoui, Abderrahmane. "Violence extrême." Anthropen, 2020. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.134.

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Abstract:
Même si la guerre, comme destruction de masse, a été très tôt au centre des intérêts de la discipline, l’anthropologie ne l’a jamais caractérisée comme une « violence extrême ». Ce qui pose d’emblée la question en termes autres que quantitatifs. L’extrême dans la violence n’est pas forcément dans l’importance du nombre de ses victimes. Il faut y ajouter d’autres dimensions comme l’inanité de l’acte, sa gratuité, son degré de cruauté et le non-respect des règles et normes partagées. Celles de la guerre, par exemple, imposent de ne s’attaquer qu’à l’ennemi armé et d’épargner les civils, de soigner le blessé etc. La violence extrême passe outre toutes ces normes et règles ; et s’exerce avec une cruauté démesurée. La première guerre mondiale constitue aux yeux des défenseurs de cette thèse, le moment inaugural dans le franchissement d’un tel seuil. Car, c’est dans cette guerre que fut utilisé pour la première fois le bombardement aérien, lié à l’ère industrielle, exterminant de nombreuses populations civiles non armées. Associée aux affrontements et insurrections débordant les cadres étatiques, l’expression peut désormais inclure également des faits commis dans le cadre des guerres conduites par des États. La violence extrême est une agression physique et une transgression outrancière d’une éthique partagée. Qu’elle s’exerce lors d’une guerre ou dans le cadre d’une institution (violence institutionnelle) elle est une violence extrême dès lors qu’elle use de moyens estimés inappropriés selon les codes communs et les sensibilités partagées. Les manières et les moyens d’agir doivent être proportionnels à l’objectif visé ; et toute outrance délégitime l’acte de violence, quand bien même celui-ci relèverait de « la violence légitime » monopole de l’Etat. Le qualificatif extrême vient donc spécifier un type de violence qui atteint ce point invisible ou imprévisible, en bafouant l’ordre éthique et conventionnel. Aller à l’extrême c’est aller au-delà du connu et de l’imaginable. La violence extrême est celle donc qui dépasse une limite se situant elle même au-delà des limites connues ou considérées comme impossibles à franchir. Elle renvoie à ce qui dépasse l’entendement par son ampleur ou par sa « gratuité » ; car, ce sont ses finalités qui rationalisent la guerre et toute autre forme de violence. Dépourvue de toute fonctionnalité, la violence extrême n’a d’autres buts qu’elle-même (Wolfgang Sofsky (1993). En d’autres termes, la violence extrême est ce qui oblitère le sens en rendant vaines (ou du moins imperceptibles) les logiques d’un acte jusque-là appréhendé en termes d’utilité, de fonctionnalité et d’efficacité. La violence est extrême quand elle parait démesurée par le nombre de ses victimes (génocide, nettoyage ethnique, meurtres et assassinat de masse) ; mais elle l’est d’autant plus, et le plus souvent, quand elle est accompagnée d’un traitement cruel, froid et gratuit : dépeçage, brûlure, énucléation, viols et mutilations sexuelles. Outrepassant l’habituel et l’admissible, par la démesure du nombre de ses victimes et le degré de cruauté dans l’exécution de l’acte, la violence extrême se situe dans un « au-delà », dont le seuil est une ligne mouvante et difficilement repérable. Son « objectivation » dépend à la fois du bourreau, de la victime et du témoin ; tous façonnés par des constructions culturelles informées par les contextes historiques et produisant des sensibilités et des « esthétiques de réception » subjectives et changeantes. La violence extrême est, nécessairement, d’abord une question de sensibilité. Or, celle-ci est non seulement une subjectivation mais aussi une construction historiquement déterminée. Pendant longtemps et jusqu’au siècle des lumières, le châtiment corporel fut, pour la justice, la norme dans toute l’Europe. Les organes fautifs des coupables sont maltraités publiquement. On exhibait les femmes adultères nues et on leur coupait les seins ; on coupait les langues des blasphémateurs et les mains des voleurs. Le bûcher était réservé aux sodomites, aux hérétiques et aux sorcières. On crevait les yeux (avec un tisonnier incandescent) du traître. Les voleurs de grands chemins subissaient le châtiment d’être rompus vifs. On écartelait et on démembrait le régicide. La foule se dépêchait pour assister à ces spectacles et à ceux des supplices de la roue, des pendaisons, de la décollation par le sabre etc. Placidement et consciencieusement, les bourreaux ont appliqué la « terreur du supplice » jusqu’au milieu du XVIIIe siècle (Meyran, 2006). Il a fallu attendre les lumières pour remplacer le corps violenté par le corps incarcéré. Aujourd’hui insupportables, aux yeux du citoyen occidental, certains de ces châtiments corporels administrés avec une violence extrême sont encore en usage dans d’autres sociétés. Après les massacres collectifs qui ont marqué la fin du XXe siècle, les travaux de Véronique Nahoum-Grappe portant sur le conflit de l’ex-Yougoslavie vont contribuer à relancer le débat sur la notion de « violence extrême » comme elle le rappellera plus tard : « Nous avions utilisé la notion de « violence extrême » à propos de la guerre en ex-Yougoslavie pour désigner « toutes les pratiques de cruauté « exagérée » exercées à l’encontre de civils et non de l’armée « ennemie », qui semblaient dépasser le simple but de vouloir s’emparer d’un territoire et d’un pouvoir. » (Nahoum-Grappe. 2002). Elle expliquera plus loin qu’après dix années de ces premières observations, ce qu’elle tentait de désigner, relève, en fait, d’une catégorie de crimes, graves, usant de cruauté dans l’application d’un programme de « purification ethnique ». Pourtant, quel que soit le critère invoqué, le phénomène n’est pas nouveau et loin d’être historiquement inédit. Si l’on reprend l’argument du nombre et de la gratuité de l’acte, le massacre n’est pas une invention du XXe s ; et ne dépend pas de la technologie contemporaine. On peut remonter assez loin et constater que dans ce domaine, l’homme a fait feu de tout bois, comme le montre El Kenz David dans ses travaux sur les guerres de religion (El Kenz 2010 & 2011). Parce que les sensibilités de l’époque admettaient ou toléraient certaines exactions, aux yeux des contemporains celles-ci ne relevaient pas de la violence extrême. Quant aux cruautés et autres exactions perpétrés à l’encontre des populations civiles, bien avant Auschwitz et l’ex-Yougoslavie, l’humanité en a souffert d’autres. Grâce aux travaux des historiens, certaines sont désormais relativement bien connues comme les atrocités commises lors des colonnes infernales dans la guerre de Vendée ou le massacre de May Lai dans la guerre du Vietnam. D’autres demeurent encore méconnues et insuffisamment étudiées. Les exactions menées lors des guerres coloniales et de conquêtes sont loin d’être toutes recensées. La mise à mort, en juin 1845, par « enfumade » de la tribu des Ouled Riah, dans le massif du Dahra en Algérie par le futur général Pélissier sont un exemple qui commence à peine à être porté à la connaissance en France comme en Algérie (Le Cour Grandmaison, 2005.). Qu’elle soit ethnique ou sociale, qu’elle soit qualifiée de purification ethnique ou d’entreprise génocidaire, cette extermination qui passe par des massacres de masse ne peut être qualifiée autrement que par violence extrême. Qu’elle s’exerce sur un individu ou contre un groupe, la violence extrême se caractérise presque toujours par un traitement cruel, le plus souvent pensé et administré avec une égale froideur ; une sorte d’« esthétisation de la cruauté ». Pour le dire avec les mots de Pierre Mannoni, la violence extrême use d’un certain « maniérisme de l'horreur », ou de ce qu’il appelle « une tératologie symbolique » (Mannoni ,2004, p. 82-83), c‘est à dire l’art de mettre en scène les monstruosités. Motivée par un danger ou une menace extrême justifiant, aux yeux du bourreau, une réponse extrême, cette violence extrême a pu s’exécuter par la machette (Rwanda) ou dans des chambres à gaz, comme par d’autres moyens et armes de destruction massive. C'est l'intégrité du corps social et sa pureté que le bourreau « croit » défendre en recourant à une exérèse… salvatrice. La cruauté fait partie de l’arsenal du combattant qui s’ingénie à inventer le scénario le plus cruel en profanant l’intime et le tabou. Françoise Sironi le montre à propos d’une des expressions de la violence extrême. L’efficacité destructrice de la torture est obtenue entre autres par la transgression de tabous culturels ; et par l’inversion qui rend perméable toutes les limites entre les dedans et les dehors. Réinjecter dans le corps ce qui est censé être expulsé (excréments, urine, vomissures) ; féminiser et exposer les parties intimes ou les pénétrer en dehors de la sphère intime, associer des parties démembrées d’un corps humain à celles d’un animal, sont autant de manières de faire violence extrême. Cette inversion transgressive use du corps de la victime pour terroriser le témoin et le survivant. Outrepassant l’habituel et l’attendu par la manière (égorgement, démembrement, énucléation, émasculation etc.,), les moyens (usage d’armes de destruction massive, d’armes nucléaires bactériologiques ou chimiques) et une certaine rationalité, la « violence extrême » est un dépassement d’horizon. L’acte par sa singularité suggère une sortie de l’humanité de son auteur désensibilisé, déshumanisé ; qui, par son forfait et dans le même mouvement, exclue sa victime de l’humanité. Pour Jacques Semelin, la violence extrême « est l’expression prototypique de la négation de toute humanité ; dans la mesure où ses victimes sont le plus souvent d’abord « animalisées » ou « chosifiées » avant d’être anéanties (Sémelin, 2002). Ajoutons qu’elle n’est pas qu’anéantissement, elle est aussi une affirmation démonstrative d’une surpuissance. Que ce soit par le nombre, la manière ou l’arbitraire, la violence extrême a ponctué l’histoire de l’humanité et continue à la hanter Parmi ses formes contemporaines, le terrorisme est une de ses manifestations les plus spectaculaires ; permettant de comprendre qu’elle est d’abord une théâtralisation. L’image de chaos que renvoient les attentats et autres exactions spectaculaires, est le résultat dument recherché à l’aide d’une organisation minutieuse et de stratégies affinées que cette image chaotique occulte souvent. Il s’agit d’une démarche rationnelle tendant à produire un acte apparemment irrationnel. Les massacres collectifs qui font partie de ce que Stéphane Leman-Langlois qualifie de « mégacrimes » (Leman-Langlois, 2006) constituent une autre forme contemporaine de cette violence extrême ; dont la Bosnie-Herzégovine et le Rwanda demeurent les exemples les plus dramatiques depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En raison de leur ampleur et l’organisation méthodique de leur exécution, ces massacres ont été, à juste titre, souvent qualifié de génocide. C’est le professeur de droit américain d’origine polonaise, Raphael Lemkin qui donnera le nom de génocide à ce que, Winston Churchill, parlant du nazisme, qualifiait de « crime sans nom ». Au terme génocide devenu polémique et idéologique, sera préféré la notion de massacre que Semelin définit comme « forme d’action le plus souvent collective de destruction des non combattants » (Sémelin 2012, p. 21). Dans les faits, il s’agit de la même réalité ; sans être des entreprises génocidaires, ces massacres de masse ont visé l’« extermination » de groupes humains en vue de s’emparer de leur territoire au sens le plus large. La violence extrême agit à la fois sur l'émotionnel et sur l'imaginaire ; en franchissant le seuil du tolérable et de la sensibilité ordinairement admise dans le cadre de représentations sociales. Le caractère extrême de la violence se définit en fonction d’un imaginaire partagé ; qu’elle heurte en allant au-delà de ce qu'il peut concevoir ; et des limites de ce qu'il peut « souffrir ». Il s’agit d’une violence qui franchit le seuil du concevable et ouvre vers un horizon encore difficilement imaginable et donc insupportable parce que non maîtrisable. Qu’est-ce qui motive ce recours à l’extrême ? Nombre d’historiens se sont demandé si les logiques politiques suffisaient à les expliquer. Ne faudrait-il pas les inférer aux dimensions psychologiques ? Plusieurs approches mettent, quelquefois, en rapport violence extrême et ressorts émotionnels (peur, colère et haine et jouissance..). D’autres fois, ce sont les pulsions psychiques qui sont invoquées. Incapables d’expliquer de telles conduites par les logiques sociales ou politiques, ce sont les dimensions psychologiques qui finissent par être mises en avant. L’acte, par son caractère extrême serait à la recherche du plaisir et de la jouissance dans l’excès, devenant ainsi une fin en soi. Il peut également être une manière de tenter de compenser des manques en recherchant du sens dans le non-sens. Cela a pu être expliqué aussi comme une manière de demeurer du côté des hommes en animalisant ou en chosifiant la victime, en la faisant autre. L’auteur de la violence extrême procède à une négation de sa victime pour se (re) construire lui-même. Pure jouissance (Wolfgang Sofsky) délire (Yvon Le Bot, J Semelin) ou conduite fonctionnelle de reconstruction de soi (Primo Levi), sont les trois approches avancées pour expliquer la cruauté comme acte inadmissible et inconcevable (Wierworka, 2004 : p 268). Or, la violence extrême prend la forme d’une cruauté quand ses protagonistes redoublent d’ingéniosité pour inventer le scénario inédit le plus cruel. Car la violence extrême est d’abord un indéchiffrable insupportable qui se trouve par commodité rangé du côté de l’exceptionnalité. Parce qu’inintelligible, elle est inacceptable, elle est extra… ordinaire. Ses auteurs sont des barbares, des bêtes, des monstres ; autrement dit ; des inhumains parce qu’ils accomplissent ce que l’humain est incapable de concevoir. Dans quelle mesure, de telles approches ne sont-elles pas une manière de rassurer la société des humains qui exclue ces « monstres » exceptionnels seuls capables d’actes … inhumains ? Parce qu’inexplicables, ces violences sont quelquefois rangées dans le registre de la folie ; et qualifiées de « barbares » ou de « monstrueuses » ; des qualificatifs qui déshumanisent leurs auteurs et signalent l’impuissance du témoin à comprendre et à agir. En d’autres termes, tant que la violence relève de l’explicable (réciprocité, échange, mimétisme etc.), elle demeure humaine ; et devient extrême quand elle échappe à l‘entendement. Indicible parce qu’injustifiable, la violence extrême est inhumaine. Cependant, aussi inhumaine soit-elle d’un point de vue éthique, la violence extrême demeure du point de vue anthropologique, un acte terriblement humain ; et que l’homme accomplit toujours à partir de déterminants et selon un raisonnement humains. Comme le dit Semelin : « Les deux faces de la violence extrême, sa rationalité et sa démence, ne peuvent se penser l’une sans l’autre. Et rien ne sert de dénoncer la sauvagerie des tueurs en omettant de s’interroger sur leurs buts » (Semelin, 2000). L’auteur de l’acte de violence extrême s’érige en homme-dieu pour dénier toute humanité à la victime qu’il décide d’exclure de la vie, de la déshumaniser en l’expulsant vers l’infra humain.
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Dissertations / Theses on the topic "Représentations sociales – France – Années 2000 (décennie)"

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Prével, Maxime. "L'usine à la campagne : socio-anthropologie du productivisme agricole." Caen, 2005. http://www.theses.fr/2005CAEN1421.

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Abstract:
Cette recherche étudie l'industrialisation de l'agriculture dans une perspective socio-anthropologique. A partir de l'analyse de matériaux quantitatifs, de publicités spécialisées, d'entretiens et d'observations menés essentiellement en Basse-Normandie, nous avons montré que les agriculteurs productivistes se caractérisent par leur démesure économique, leur vulnérabilité symbolique, leur hétéronomie politique et leur progressisme imaginaire. Plus précisément, il est apparu qu'ils sont habités par un rapport excessif au travail, par la volonté de rentabiliser le temps ainsi que par le désir d'accumuler de l'argent ou d'agrandir leur ferme pour compenser la dégradation des conditions de commercialisation des produits de l'agriculture. Ils vivent également avec la peur de faire faillite, de mourir prématurément, de tomber malade ou de manquer des ressources matérielles nécessaires à la survie de leur famille. Ils sont aussi de plus en plus dépendants des aides publiques et des puissantes entreprises multinationales qui leur vendent les facteurs de production nécessaires a l'obtention du rendement maximum. Ils adhèrent enfin à l'idéologie du progrès caractérisée par la croyance selon laquelle l'innovation technique constituerait toujours une amélioration. Dans cette optique, le devoir de l'exploitant agricole consiste à tirer profit des ressources naturelles pour nourrir l'humanité. Les agriculteurs productivistes cherchent ainsi à augmenter toujours plus la production, à éradiquer les "mauvaises herbes" considérées comme une souillure intolérable et à artificialiser le monde afin de jouir du fantasme de possession imaginaire de la nature.
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