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Faura, David, Khalil Hachicha, Olivier Romain, and Patrick Garda. "Markov-MJPEG2000 pour la surveillance vidéo sur des réseaux de capteurs sans fils." Traitement du signal 27, no. 6 (December 28, 2010): 541–62. http://dx.doi.org/10.3166/ts.27.541-562.

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Roux-Pratte, Maude. "Les élites drummondvilloises et la crise des années 1930." Revue d'histoire de l'Amérique française 58, no. 2 (July 26, 2005): 217–44. http://dx.doi.org/10.7202/011109ar.

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Abstract:
Résumé Auparavant pris en charge par des réseaux privés d’assistance, les chômeurs se retrouvent en nombre sans précédent durant la crise des années 1930, forçant ainsi l’État à légiférer dans un nouveau domaine d’intervention. Au Canada, les gouvernements fédéral et provinciaux conçoivent de vastes programmes d’aide (secours directs et travaux publics), dont ils laissent cependant la gestion et l’application aux municipalités. À Drummondville, les élus sollicitent pour cette tâche la collaboration de certaines associations, particulièrement la Chambre de commerce, la Ligue des propriétaires et l’Association des manufacturiers canadiens. Le présent article s’intéresse au rôle de chacune de ces organisations et, plus largement, aux réseaux locaux formés par les élites dans le cadre de la mise en oeuvre des premières politiques à l’égard du chômage.
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Fabiani, Jean-Louis. "Une sociologie transcendentale?" Annales. Histoire, Sciences Sociales 65, no. 6 (December 2010): 1429–39. http://dx.doi.org/10.1017/s0395264900037513.

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Abstract:
Une des caractéristiques les plus remarquables de la sociologie en tant que discipline réside dans le fait qu’elle n’a jamais cessé d’être refondée depuis ses multiples, et souvent incertaines, fondations. On pourrait dire que son style épistémologique dominant est celui d’une science toujours déjà là et encore à venir, partagée entre d’infinies potentialités cognitives et une situation effective dans le monde social marquée par la puissance des obstacles qui ne cessent de surgir sur le périlleux chemin de la scientificité. L’idée qui prévaut est celle d’une science jeune, même si ses premières mises en forme ont maintenant un siècle et demi. Jean-Claude Passeron a parfaitement analysé une telle disposition dans Le raisonnement sociologique et il est inutile d’y revenir en détail. L’anxiété épistémologique constitutive d’un savoir dévolu aux formes de sociation (Vergesellschaftung), dont on s’efforce de repérer les régularités et les automatismes tout en faisant droit aux émergences et aux disruptions, a suscité un espace permanent de discussion autour des principes fondateurs, de la définition de l’objet et des protocoles d’observation et d’analyse jusqu’aux modèles plus ou moins explicites de l’action qui permettent de rendre compte des motifs des agents et des institutions ou bien qui s’affranchissent de tout recours à la motivation au profit d’une mécanique sociale. Très souvent, le débat tend à devenir scholastique, au sens que Pierre Bourdieu donnait à ce terme, particulièrement dans ses Méditations pascaliennes. On peut voir les choses de deux façons: la première consiste à considérer que la surchauffe épistémologique ainsi produite est un impédiment pour la recherche empirique à base monographique et qu’elle n’est qu’un cruel indicateur de la minceur des enjeux de la sociologie universitaire. La seconde consiste à reconnaître dans cette négociation indéfinie le site propre des sciences sociales, comme le montrent les débats récurrents sur les pouvoirs explicatifs réflexifs de la structure et de l’agencéité, particulièrement dans la sociologie de langue anglaise. On doit ainsi constater que la pluralité théorique est inhérente à la sociologie. Il est frappant que la discipline se soit régulièrement trouvée de nouveaux pères fondateurs. On pourrait dire ironiquement qu’elle compte aujourd’hui plus de fils fondateurs que de pères fondateurs, instituant une sorte de démocratie séminale où tout le monde a sa chance. Proposer son paradigme semble être une épreuve dans le cursus honorum du sociologue, pourvu qu’il ait un peu d’ambition et qu’il fasse montre de bonnes dispositions lexicographiques. Un sociologue produit d’abord un vocabulaire destiné à signifier le niveau de sa créativité conceptuelle. Pas de grande carrière sans lexique indexé sur un nom propre: middle range theory et obliteration by incorporation pour Robert Merton, habitus-champ-capital pour P. Bourdieu, justification-cité-grandeur pour Luc Boltanski et Laurent Thévenot, objets chevelus et non chevelus et acteur-réseau – au sein d’un dictionnaire et d’un arsenal métaphorique proprement stupéfiant – pour Bruno Latour. Il est remarquable que ces lexiques coexistent sans produire aucun effet de babélisme: tous les protagonistes continuent de se comprendre parfaitement, même s’ils parlent des langages ostensiblement antagonistes. Il serait sous ce rapport fécond de mener une enquête sur les profondes mutations subies par le lexique weberien de la légitimité dont P. Bourdieu a intensifié et universalisé l’usage: les vocabulaires de la justification et de l’artification en constituent des transpositions assez fidèles dans des cadres de référence épistémologiquement hétérogènes. Le livre de Cyril Lemieux, Le devoir et la grâce, pourrait être lu comme un exemple supplémentaire de cette volonté de produire un lexique nouveau. Il pourrait avoir pour sous-titre: Projet d’une sociologie grammaticale. Ce ne serait pourtant pas rendre justice à un travail extrêmement stimulant qui ne se réduit jamais à la proposition d’un nouveau vocabulaire des sciences sociales, mais qui prend au sérieux la nécessité de construire un espace commun qui transcende les démarcations institutionnelles et les paradigmes locaux.
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4

Buisson-Fenet, Hélène. "Territoire flou, territoire approprié. Le cas des « bassins de formation » dans l’Éducation nationale." Lien social et Politiques, no. 52 (March 1, 2005): 27–34. http://dx.doi.org/10.7202/010586ar.

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Abstract:
Résumé Depuis le rapport Prost de 1983 suggérant qu’un travail en réseaux d’établissements prenne en charge les aspects non pédagogiques de l’administration scolaire, des « bassins » ont été créés dans les académies, le plus souvent à l’initiative des recteurs. La circulaire du 20 juin 2001, qui définit le cadre général des missions et de l’organisation des bassins de formation et d’éducation, demeure un texte infra-réglementaire, et laisse en fait cet objet administratif sans assise juridique véritable. Face à cette plasticité du dispositif et à l’injonction conjointe d’autonomie des établissements publics locaux d’enseignement, les chefs d’établissement se sont très diversement mobilisés. À partir d’une enquête « d’ethnographie institutionnelle », basée à la fois sur une série d’entretiens et sur une observation non participante du fonctionnement de six bassins dans une importante académie du Sud-Est, ce texte analyse la différenciation de ces postures, en mettant plus particulièrement en évidence la nécessité de replacer le fonctionnement des bassins dans la perspective d’un jeu d’acteurs modifié par le processus de régulation décentralisée de l’éducation. Ainsi, le sens géographique du bassin ne se départit pas de son sens institutionnel, et l’appropriation qui en est faite renvoie non seulement à une référence identitaire (comme c’est le cas des établissements visités), mais aussi à un travail politique dans lequel le bassin se trouve saisi non seulement comme objet administratif ou comme instrument de l’action publique, mais aussi comme un enjeu de pouvoir dans la régulation intermédiaire qu’il vient appareiller.
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Dervaux, A. "Le métier de psychiatre en 2030 par un psychiatre des hôpitaux en exercice." European Psychiatry 28, S2 (November 2013): 74. http://dx.doi.org/10.1016/j.eurpsy.2013.09.196.

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Abstract:
De nombreux défis se posent à la Psychiatrie à l’horizon 2030. Sous la pression économique, l’organisation des soins pourrait être profondément modifiée. Dans quelle mesure le risque de restriction des ressources pourrait-il limiter l’accès aux soins ? L’offre de soins sera-t-elle suffisante sur tout le territoire ? Le sanitaire se sera t’il rapproché du médicosocial ? Comment faire face au défi de demandes plus exigeantes des patients, à celui de la perméabilité entre les cultures qui devraient s’accentuer ? Comment gérer les refus de traitements ? Avec quelles pratiques pour les soins sans consentement ? Comment faire avec le développement de programmes et de protocoles de soins de plus en plus complexes, comprenant notamment des techniques de réhabilitation cognitive ? Le dépistage précoce et les soins des sujets avec un état mental à risque doivent-il être développés à large échelle ? Comment le développement des centres experts et des surspécialités telles que l’addictologie, la psychogériatrie et la psychiatrie de la précarité peuvent-ils optimiser la discipline psychiatrique ? L’accroissement des psychiatres psychopharmacologues ou spécialistes de techniques de soins nouvelles (TMS) est-il souhaitable ? En pratique, comment ces surspécialités vont-elles développer les relations avec les secteurs psychiatriques ? Avec des unités d’intervention mobiles ? Avec des lits d’hospitalisation dédiés ? Avec plusieurs niveaux, locaux, régionaux, universitaires ? Les concepts de la réhabilitation seront-ils répandus ? La place des nouvelles technologies devrait s’accentuer. Le développement des réseaux sociaux de patients pourrait influencer la relation médecin-malade [1]. Sera-t-il opportun que des psychiatres supervisent des sites Internet grand public spécialisés de qualité ? [2] Le développement des dossiers électroniques et de dispositifs de traçage de la prise des médicaments, pourraient améliorer l’observance et la qualité des soins mais poseront aussi de nombreux problèmes éthiques et philosophiques, notamment de confidentialité et de perte des libertés individuelles [3].
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Belley, Jean-Guy. "L'entreprise, l'approvisionnement et le droit. Vers une théorie pluraliste du contrat." Les Cahiers de droit 32, no. 2 (April 12, 2005): 253–99. http://dx.doi.org/10.7202/043082ar.

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Abstract:
Cet article est le premier compte-rendu d'une recherche empirique sur les relations contractuelles de l'entreprise Alcan avec ses fournisseurs du Saguenay-Lac-Saint-Jean. La recherche porte plus particulièrement sur la part du droit et des institutions juridiques dans l'activité du service régional de l'approvisionnement. La première partie décrit les principaux aspects de la fonction d'approvisionnement au sein de l'entreprise. L'importance décisive du fait organisational y est mise en évidence. L'analyse porte sur l'organisation interne du service de l'approvisionnement, les rôles des acheteurs et des gestionnaires, les liens avec les usagers et les services de l'ingénierie et de la comptabilité. Cette analyse révèle qu'au fil des années Alcan a édifié son propre système juridique dont l'impact sur les activités d'approvisionnement est beaucoup plus important que celui du droit étatique des contrats. La deuxième partie traite de la participation des avocats et de la mobilisation des institutions étatiques dans les activités d'approvisionnement. Considérée de façon globale, la fonction juridique n'est que faiblement institutionnalisée au sein de l'entreprise. En ce qui concerne plus particulièrement l'approvisionnement, le conseiller juridique régional de l'entreprise n'est pas associé de façon régulière quoique certaines politiques récentes paraissent indiquer que sa participation pourrait s'accroître à l'avenir au nom de la prévention juridique. Les avocats d'Alcan à Montréal n'ont que des liens ténus avec le service de l'approvisionnement et rien ne laisse présager un changement significatif à ce niveau. Dans l'ensemble, l'étude révèle le rôle plutôt marginal du droit étatique des contrats et des tribunaux comme instruments de planification ou comme modes de règlement des conflits. Les conflits entre Alcan et ses fournisseurs locaux se règlent généralement sans référence aux règles du droit étatique comme telles. Une norme implicite d'immunités réciproques, qui émerge de la relation de confiance établie entre les partenaires et se trouve renforcée par les caractéristiques culturelles et économiques de la région, expliquerait que l'on ait recours aux tribunaux étatiques que dans des cas exceptionnels. La confiance, la flexibilité et le souci de préserver la relation commerciale sont les facteurs premiers auxquels se réfèrent les parties pour convenir d'un compromis. Dans la troisième partie de l'article, l'auteur évalue la portée de ces constatations empiriques pour la théorie juridique du contrat. La doctrine classique, volontariste et formaliste, repose sur une compréhension limitée et trompeuse de la réalité sociale du contrat. Une représentation franchement réaliste, comme la théorie relationnelle du contrat de Ian R. Macneil, s'avère beaucoup plus satisfaisante. Elle risque toutefois de créer une confusion conceptuelle importante en cherchant à mieux refléter la réalité sociologique par une conception plus riche du contrat. L'auteur considère que les juristes ne réussiront à concilier le besoin d'une meilleure prise en compte de la réalité et la nécessité de la cohérence conceptuelle qu'en adoptant le paradigme du pluralisme juridique. Se référant aux concepts d'« ordre juridique » (Romano) et de « champ social semi-autonome » (Falk Moore), l'auteur montre qu'une compréhension adéquate des relations contractuelles requiert une pleine reconnaissance des pouvoirs normatifs et de l'autonomie institutionnelle dont jouissent les organisations privées et les réseaux d'échanges commerciaux dans l'économie moderne. En marge de cet ordonnancement privé du contrat, la perspective du pluralisme juridique amène à concevoir la fonction propre du droit et des institutions étatiques en rapport avec les problèmes que pose l'interaction des différents ordres juridiques.
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Beauchamp, Claude. "Le permanent syndical de la Confédération des syndicats nationaux." Articles 8, no. 3 (April 12, 2005): 319–49. http://dx.doi.org/10.7202/055374ar.

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Abstract:
Dans la société canadienne-française traditionnelle, le leadership était assez simple. Il était constitué du curé et des notables locaux, ordinairement le médecin et le notaire. Aujourd'hui, la situation est beaucoup plus complexe et les élites traditionnelles sont loin d'avoir le même pouvoir d'attraction. En milieu rural, elles ont perdu de l'influence au profit du gérant de la caisse populaire ou de l'instituteur, par exemple. Dans les milieux plus industrialisés, le syndicalisme a, lui aussi, favorisé chez nous l'émergence de nouvelles élites. Il n'est pas rare de voir le président d'un syndicat local sollicité pour occuper un poste au conseil municipal ou à la commission scolaire. De plus en plus, les officiers syndicaux exercent une influence, non seulement dans l'usine, mais aussi dans la municipalité, parfois même dans la région. À un autre échelon, nous retrouvons les permanents syndicaux. Peu nombreux il y a quelques années, ils sont aujourd'hui environ deux cents dans la seule Confédération des syndicats nationaux et ils sont répartis dans les principaux centres industriels de la province. Ces permanents syndicaux exercent un véritable leadership, d'abord sur les officiers et les membres des syndicats avec lesquels ils ont particulièrement à travailler, ensuite dans leur propre milieu, car eux aussi sont souvent sollicités pour assumer des responsabilités dans leur paroisse ou dans leur municipalité. Nous croyons que l'étude de ces nouvelles élites constitue une voie privilégiée pour expliquer l'évolution du Canada français. Elle nous permet de la saisir dans son dynamisme interne, en nous adressant à ceux-là qui sont non seulement les témoins de cette évolution mais qui la provoquent et l'orientent. Nous avons choisi de nous intéresser plus particulièrement aux permanents syndicaux. Parmi ceux-ci, nous retrouvons deux groupes : ceux qui ont accédé à cette fonction après avoir fait des études supérieures, généralement un cours universitaire ; ceux qui viennent de la base, ceux qui ont travaillé en usine ou dans des chantiers de construction, ont occupé diverses fonctions à l'intérieur de leur syndicat et qui, par la suite, furent libérés pour devenir permanents syndicaux. Il ne sera question ici que de ces derniers. Quelques permanents syndicaux sont au service de certains syndicats locaux dont les effectifs sont assez considérables mais la plupart sont à l'emploi, soit d'une fédération ou d'un conseil central, soit de la Confédération des syndicats nationaux comme telle. Le permanent syndical peut s'occuper de l'organisation de nouveaux syndicats, de la négociation des conventions collectives, de la discussion des griefs, de la préparation et de la direction des grèves ; il peut aussi être affecté à divers services comme le Service d'éducation. Il est habituellement agent d'affaires, organisateur ou conseiller technique. La plupart des permanents sont attachés à une fonction particulière, mais d'autres voient à l'ensemble des problèmes touchant la vie syndicale. Nous avons centré notre recherche sur les seuls permanents syndicaux d'origine ouvrière travaillant à l'intérieur des cadres de la Confédération des syndicats nationaux. Nous avons aussi limité notre échantillon aux permanents syndicaux travaillant à Montréal et à Québec. Ne disposant pas d'une longue période de temps pour effectuer ces entrevues, celles-ci ont été faites auprès des permanents qui pouvaient nous consacrer quelques heures sans trop de délais. Nous devons dire qu'ils étaient plutôt rares ; nous avons pu en rencontrer cinq à Montréal et quatre à Québec. L'âge de ces permanents varie entre trente-deux et soixante-sept ans. Six d'entre eux sont originaires d'un milieu industriel et urbain, les trois autres sont fils de cultivateurs. Leur degré d'instruction est en moyenne plus élevé que celui de l'ensemble des gens de leur génération. Le plus vieux a quitté l'école après la cinquième année, deux après la sixième, mais les autres ont fait une dixième année ou, encore, quelques années du cours classique. Presque tous ont pu parfaire leur instruction, surtout à la suite de leur participation à diverses associations, particulièrement à la Jeunesse ouvrière catholique ou au syndicalisme. Comme permanents syndicaux, ils ont de plus participé, chaque année, à diverses sessions d'étude. Tous nos informateurs ont commencé à travailler assez tôt : l'un à douze ans, les autres avant dix-sept ans. C'est dire que tous connurent pendant au moins quelques années, certains même pendant quinze ou vingt ans, la vie de travail en usine ou dans des chantiers de construction. Tous furent membres actifs d'une ou plusieurs associations avant de devenir permanents syndicaux. Et ils sont unanimes pour dire que ces diverses expériences ne sont pas étrangères à leurs préoccupations actuelles. Trois furent membres de la Jeunesse ouvrière catholique : un fut responsable au plan diocésain et un autre au plan national. La plupart s'occupèrent activement de syndicalisme, huit ayant été membres d'un syndicat, dont sept officiers. Un de nos informateurs fut, pendant quelques années, permanent pour le mouvement créditiste « Vers Demain ». Quelques-uns furent officiers d'une caisse populaire ; un autre participa à la formation d'une coopérative de consommation. Nous aborderons successivement les thèmes suivants : les comportements et les activités des permanents syndicaux, leurs motivations, leur perception de la société canadienne-française, quelques problèmes de la classe ouvrière, la mentalité des travailleurs, la signification du syndicalisme.
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Powell, Alison. "Metaphors for Democratic Communication Spaces: How Developers of Local Wireless Networks Frame Technology and Urban Space." Canadian Journal of Communication 36, no. 1 (April 6, 2011). http://dx.doi.org/10.22230/cjc.2011v36n1a2313.

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Abstract:
ABSTRACT Communications policies, like many other social policies, are founded on an ideal of democracy that connects the development of communication infrastructures with democratic public spheres. This framing is a constructivist endeavour that takes place through language, institution, and infrastructure. Projects that aim to develop these capacities must grapple with the way such new media technologies are integrated into existing contexts or spaces, often using metaphors. This article analyzes how such metaphors are employed in the case of local wireless networking. Referring to empirical research on networks located in Montréal and Fredericton, Canada, the article critiques the narrow approach to democratization of communication spaces inherent in networks of this type. This narrow focus is associated with metaphors used to describe a co-evolution of wireless technology and urban space. The article identifies that the design processes that shape these networks could benefit from a more radical democratization associated with metaphors of recombination of space and technology.RÉSUMÉ Comme bien d’autres politiques sociales, les politiques en communication se fondent sur l’idéal de développer des infrastructures communicationnelles conjointement avec les sphères publiques démocratiques. Cette perspective est à la base d’un projet constructiviste qui s’opère par le langage, les institutions et l’infrastructure. Ceux et celles qui cherchent à développer de tels projets devraient cependant tenir compte de la manière dont on utilise certaines métaphores pour justifier l’intégration de nouvelles technologies médiatiques dans des contextes ou des espaces existants. Cet article analyse comment de telles métaphores sont utilisées dans le cas de réseaux locaux sans fil. Se rapportant à une recherche empirique sur des réseaux situés à Montréal et à Fredericton, il critique la modestie de la démocratisation d’espaces communicationnels qui caractérise ces réseaux. Cette modestie se justifie par une métaphore qui met l’accent sur une coévolution de technologies sans fil et d’espaces urbains. L’article fait remarquer que les processus à l’oeuvre pour créer ces réseaux pourraient bénéficier d’une démocratisation plus radicale s’ils avaient recours à une métaphore mettant de l’avant une recombinaison de l’espace et de la technologie.
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Sliwinski, Alicia. "Globalisation." Anthropen, 2018. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.084.

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Abstract:
Le concept de globalisation désigne l’interconnexion et l’interdépendance accrues de toute une gamme de relations sociales à l’échelle planétaire recouvrant d’importantes dimensions politiques, économiques, culturelles, environnementales et subjectives. Depuis les années 1980, la globalisation est devenue un discours dominant pour décrire la mise en place d’une nouvelle condition planétaire. Si nul ne nie que la globalisation soit un processus, la période historique qu’elle est censée marquer a fait l’objet de maints débats, aussi bien en anthropologie que dans les autres sciences sociales. Pour certains, la globalisation prend son essor au 19ème siècle avec les bouleversements liés au colonialisme, les avancées technologiques en matière de transport et de communication et l’expansion sans précédent des échanges commerciaux. Pour d’autres, la globalisation réalise la consolidation d’un système capitalisme mondial ou d’une « économie-monde » qui s’organise au 16ème siècle avec la division internationale du travail. Que des parties éloignées de la planète soient reliées entre elles ne date certes pas d’hier : les empires hellénique, romain et mongol ou encore la route de la soie montrent bien que les relations « transnationales » existent depuis longtemps. Cette discussion largement débattue a opposé le camp des « sceptiques » à celui des « globalisants » quant à la nouveauté du phénomène. Notons qu’en français deux termes existent pour désigner l’intensification et la multiplication des connexions et des réseaux reliant différentes parties du monde jadis nettement plus isolées les unes des autres : mondialisation et globalisation. Parfois ils sont utilisés en tant que synonymes, mais il y a lieu d’apprécier la nuance que leur distinction permet (Abélès 2008). La notion de mondialisation insisterait davantage sur les continuités historiques entre le passé et notre contemporanéité – sur le devenir-monde –, alors que la globalisation signale les discontinuités et les ruptures qui permettent d’affirmer que quelque chose de déterminant est apparu à la fin du 20ème siècle dans notre expérience du monde. Il y a au moins trois facteurs décisifs à cet égard : l’essor d’une économie de marché globale, l’ascension de l’Internet et des technologies de communication dans nos vies quotidiennes et l’apparition de mouvements et de politiques identitaires, plus ou moins violents, et parfois clairement orientés contre la globalisation. La phase actuelle de la globalisation est généralement associée à la doctrine du néolibéralisme, mais il ne faut pas les confondre. Le néolibéralisme caractérise le décloisonnement et la réorganisation des champs politiques et économiques dans le but de réduire les obstacles au commerce mondial. Les mesures macroéconomiques du Consensus de Washington introduites dans les années 1980 – telles que la libéralisation du commerce, la déréglementation de l’économie, la privatisation des entreprises nationales et la réduction des dépenses publiques et des impôts –, ont été mises en place pour favoriser le libre-échange entre les États. Avec la chute du bloc communiste qui annonçait, selon certains, « la fin de l’histoire » (Fukuyama 1992) et la preuve que les démocraties libérales étaient les plus aptes à assurer la croissance d’une économie avancée, la globalisation néolibérale a pris son envol. Au cœur de l’idéologie néolibérale siège la croyance que moins il y a d’entraves à une économie de marché globale, plus les pays seront prospères. De fait, la globalisation va grossir la sphère d’influence d’entités supranationales sur les États modifiant leur rapport au territoire et le contrôle de leurs économies nationales. Le triumvirat de la Banque Mondiale, du Fonds Monétaire International et de l’Organisation mondiale du commerce y a joué un rôle clé, mais ces organisations ont également fait l’objet d’intenses critiques et de mobilisations populaires pour avoir creusé le fossé entre les riches et les pauvres. En matière d’économie politique, la globalisation néolibérale a libéré le capital de ses lieux de production : le capitalisme du nouveau millénaire n’est plus caractérisé par la valeur du travail, mais plutôt par la consommation, la délocalisation et la circulation sans précédent de flux financiers transnationaux, souvent spéculatifs, générant la concentration d’immenses fortunes, mais aussi de nouvelles formes d’exclusion et de dépossession. Parmi les gagnants, soulignons l’essor fulgurant des compagnies technologiques. De fait, le « numérique » exerce une influence considérable dans les nouvelles grammaires culturelles, symboliques et identitaires. Il est couramment entendu que c’est le rapport au temps et à l’espace que la globalisation a profondément altéré. Selon David Harvey (1989), la globalisation exprime la compression de l’espace et du temps, accélérant les processus économiques et sociaux. Elle a créé de nouvelles configurations sociales et technologiques ayant radicalement réduit le temps des échanges et des déplacements. Depuis, l’espace ne cesse de se réduire et le temps de s’accélérer. Pour Anthony Giddens (1990), il s’agit davantage d’un élargissement de l’expérience vécue de ces catégories, et de leur séparation, si bien que la globalisation implique le désenclavement (disembedding) des relations sociales de leurs contextes locaux. Ici, la globalisation prolonge et affermit le processus d’individualisation de la société entamé au 19ème siècle. Un troisième penseur de la globalisation parmi les plus cités est Manuel Castells (1998) qui a avancé l’idée de la société en réseau. Cette nouvelle société réticulaire, informationnelle et globale, est issue de la révolution technologique ayant profondément transformé les modes d’organisation économique, les modalités du travail (et leur contenu), ainsi que les pratiques sociales reliées au temps et à l’espace. À partir de ces thèses notoires, nous pouvons identifier quelques paramètres pour mieux cerner la globalisation : le mouvement accru du capital, des personnes, des marchandises, des images et des idées ; l’intensification des réseaux qui relient différentes parties du globe ; l’élargissement et la déterritorialisation de pratiques sociales, culturelles, politiques et économiques au-delà des frontières ; enfin l’imbrication du local au global, et vice versa, dans nos expériences vécues du monde. Ces dynamiques restent pertinentes, mais nous aurions tort de croire que la globalisation est un phénomène total et achevé. La société en réseau n’est pas uniformément distribuée et la géographie de la globalisation expose combien cette dernière encourage la concentration des activités économiques, politiques et culturelles dans quelques grands centres et mégapoles. Si d’un côté la globalisation tend à homogénéiser les cultures quand les contextes locaux assimilent des produits culturels importés – on a parlé de l’américanisation, de la McDonaldisation et de l’aplatissement du monde –, elle entraine tout autant des formes de fragmentation et de recomposition des identités ethniques et culturelles. De vifs débats ont cherché à déterminer si la globalisation produisait plus de standardisation ou de diversité, d’intégration ou de désintégration, et si ces processus s’avéraient avantageux ou non. Les questions d’échelle sont importantes et les anthropologues ont adopté des approches plurielles pour éviter les interprétations qui ont « tendance à se produire dans l’espace raréfié de la méta-histoire et des généralités abstraites » (Barber et Lem 2004). Jonathan Friedman (2008) envisage la globalisation sous l’angle de la modernité, entendue comme le champ culturel du capitalisme commercial. La globalisation s’articule alors au développement d’un ethos cosmopolitique dont l’essor continue d’infléchir la « forme sociale du monde » (Agier 2013). Les analyses anthropologiques ont mis l’accent sur les flux et les disjonctions que la globalisation entraine (Appadurai 1996), les nouveaux assemblages politiques, technologies et éthiques (Ong et Colier 2005), l’hybridité et la créolisation (Hannerz 1987), la circulation des marchandises et des valeurs dans les contextes non hégémoniques de la « globalisation-par-le-bas » (Ribeiro 2012; Haugerud et al. 2001), la création de « non-lieux » caractéristiques de la surmodernité (Augé 1992), ou les frictions que les nouvelles articulations entre le local et le global entrainent (Tsing 2005). Par ailleurs, la globalisation a eu des répercussions sur les méthodologies de l’anthropologie : on assiste à une plus grande réflexivité dans la pratique de terrain qui devient lui-même multisites (Marcus 1995). Il s’agit également de révéler les liens entre le micro et le macro et ce qui y circule, s’y négocie ou se conteste. Toutefois, au niveau épistémologique la globalisation n’a pas la même valence que la notion de culture. Peut-on parler d’une culture globale et faire une ethnographie du global ? Marilyn Strathern (1995) notait que le global risquait d’être un concept autoréférentiel puisqu’il n’offre pas de point de vue sur le monde : il ne donne pas à voir les relations sociales qui sont rendues manifestes dans des ancrages locaux. Ces questions ne sont pas tranchées et renvoient à la portée herméneutique accordée au global en tant que contexte dans et par lequel la pratique anthropologique opère, en tant qu’objet bon à penser, sur lequel agir, et qui libère de nouveaux imaginaires. Le 21ème siècle maintenant bien entamé, force est de constater que la globalisation a creusé les inégalités entre les nations, les régions et les classes sociales. En 2017, plus de 80 % de la richesse mondiale a été empoché par 1 % de la population (Oxfam 2018). Ces rapports d’inégalité ne s’expriment pas uniquement en termes économiques, mais aussi selon le genre et le degré d’exposition au risque. Ils alimentent également des mouvements de paniques morales face à diverses sortes d’indésirables, qu’il s’agisse de pandémies, de terroristes, de migrants ou de réfugiés. Les politiques identitaires, exacerbées dans l’exutoire des réseaux sociaux, sont un corollaire qui polarise l’espace politique autant par le « haut » (quand les gouvernements promeuvent des nationalismes xénophobes) que par le « bas » (quand les minorités revendiquent la reconnaissance de leurs droits). Ces tensions profondes forcent à repenser le paradigme de l’État-nation dont la souveraineté affaiblie expose la désuétude d’un modèle d’exercice du pouvoir. L’utopie de la globalisation s’est essoufflée et d’autres concepts sont apparus, tels ceux de capitalocène et d’anthropocène pour accuser les maux engendrés par le capitalisme et l’impact délétère des activités humaines sur la planète. Comment infléchir les pathologies de la globalisation pour y remédier est sans doute l’enjeu principal de notre avenir commun.
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Bromberger, Christian. "Méditerranée." Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.106.

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Abstract:
Alors que l’américanisme, l’africanisme, l’européanisme, l’indianisme… sont reconnus, certifiés par des musées ou des sections de musée, des départements universitaires, des chapitres de manuels depuis les origines, l’anthropologie de la Méditerranée est une spécialité récente, prenant corps, sous l’égide des universités britanniques, dans les années 1950. Ce retard est dû, au moins en partie, à l’hétérogénéité du monde méditerranéen partagé entre les façades méridionale et orientale de la mer, qui relèvent, à première vue, de l’étude du monde arabo-musulman, et la façade septentrionale ressortissant de prime abord de l’ethnologie européenne. Le scepticisme, récusant la pertinence d’une anthropologie de la Méditerranée, peut encore trouver des arguments dans l’histoire des civilisations ou dans l’actualité. Contrairement à d’autres régions du monde, l’aire iranienne voisine par exemple, le monde méditerranéen ne forme une unité ni par ses langues ni par ses traditions religieuses. Faut-il rappeler que seul l’Empire romain l’a unifié pendant plusieurs siècles autour du « mare nostrum » en favorisant l’épanouissement d’une culture gréco-latine à vocation universelle et en développant tout autour de la mer des institutions politiques sur le modèle de Rome ? Puis l’histoire de la Méditerranée fut faite de partages, de schismes, de croisades, de guerres entre empires, de conquêtes coloniales qui aboutirent, au terme de péripéties violentes, à la situation contemporaine où coexistent trois ensembles eux-mêmes fractionnés : une Méditerranée latine, catholique, largement laïcisée , partie intégrante de l’Europe occidentale, une Méditerranée balkanique orthodoxe avec ses poches islamiques, une Méditerranée arabo-musulmane. En dépit de ces fractures, des hommes de lettres campèrent, dans les années 1930, une Méditerranée des échanges et de la convivenza, à laquelle donnent crédit des lieux et des épisodes remarquables de l’histoire (l’Andalousie au temps du califat omeyade, la Sicile de Frédéric II, des villes cosmopolites de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle : Istanbul, Smyrne, Salonique, Beyrouth, Alexandrie, Alger, Tanger, Trieste, Marseille, etc.). Des revues (à Marseille, les Cahiers du sud de Jean Ballard, à Tunis Les Cahiers de la Barbarie d’Armand Guibert et Jean Amrouche , à Alger Rivages d’Edmond Charlot et Albert Camus, à Rabat Aguedal d’Henri Bosco) exaltèrent cette « fraternité méditerranéenne » tout autant imaginaire que réelle. Gabriel Audisio fut le chantre le plus exalté de cette commune « patrie méditerranéenne »: « Non, écrit-il, la Méditerranée n’a jamais séparé ses riverains. Même les grandes divisions de la Foi, et ce conflit spirituel de l’Orient et de l’Occident, la mer ne les a pas exaltés, au contraire adoucis en les réunissant au sommet sensible d’un flot de sagesse, au point suprême de l’équilibre ». Et à l’image d’une Méditerranée romaine (il veut « remettre Rome ‘à sa place’ ») il oppose celle d’une « synthèse méditerranéenne » : « À cette latinité racornie, j’oppose tout ce qui a fait la civilisation méditerranéenne : la Grèce, l’Égypte, Judas, Carthage, le Christ, l’Islam ». Cette Méditerranée qui « vous mélange tout ça sans aucune espèce de pudeur », dit-il encore, « se veut universelle ». Avant qu’un projet collectif d’anthropologie n’émerge, des ancêtres de la discipline, des géographes, des historiens, avaient apporté une contribution importante à la connaissance du monde méditerranéen. Maine, Robertson Smith, Frazer, etc. étaient classicistes ou historiens du droit et se référaient souvent aux sociétés antiques de la Méditerranée pour analyser coutumes et croyances ou encore les différentes formes d’organisation sociale (la tribu, la cité, etc.) et leur évolution. Plus tard, dans les premières décennies du XXème siècle, de remarquables études monographiques ou thématiques furent réalisées sur les différentes rives de la Méditerranée , telles celles de Maunier (1927) sur les échanges rituels en Afrique du nord, de Montagne (1930) sur les Berbères du sud Marocain, de Boucheman (1937) sur une petite cité caravanière de Syrie…Géographes et historiens, plus préoccupés par l’ancrage matériel des sociétés que par leur structure ou leurs valeurs, publièrent aussi des travaux importants, synthétiques ceux-ci, sur le monde méditerranéen ; ainsi Charles Parain, dans La Méditerranée, les hommes et les travaux (1936), campe une Méditerranée des infrastructures, celle qui prévaudra jusques et y compris dans les 320 premières pages de la thèse de Fernand Braudel (1949), celle des « ressources naturelles, des champs et des villages, de la variété des régimes de propriété, de la vie maritime, de la vie pastorale et de la vie agricole, des métiers et des techniques ». L’acte fondateur de l’anthropologie de la Méditerranée fut un colloque organisé en 1959 par Julian Pitt-Rivers, Jean Peristiany et Julio Caro Baroja, qui réunit, entre autres, Ernest Gellner, qui avait mené des travaux sur le Haut-Atlas, Pierre Bourdieu, alors spécialiste de la Kabylie, John K. Campbell, auteur de recherches sur les Saracatsans du nord de la Grèce. Cette rencontre, et celle qui suivit, en 1961, à Athènes donnèrent lieu à la publication de deux recueils fondamentaux (Pitt-Rivers, 1963, Peristiany, 1965), campant les principaux registres thématiques d’une anthropologie comparée des sociétés méditerranéennes (l’honneur, la honte, le clientélisme, le familialisme, la parenté spirituelle, etc.) et véritables coups d’envoi à des recherches monographiques s’inscrivant désormais dans des cadres conceptuels fortement charpentés. Les décennies 1960, 1970 et 1980 furent celles d’une croissance rapide et d’un épanouissement de l’anthropologie de la Méditerranée. Le monde méditerranéen est alors saisi à travers des valeurs communes : outre l’honneur et la honte, attachés au sang et au nom (Pitt-Rivers, 1977, Gilmore, 1987), la virilité qui combine puissance sexuelle, capacité à défendre les siens et une parole politique ferme qui ne transige pas et ne supporte pas les petits arrangements, l’hospitalité ostentatoire. C’est aussi un univers où domine une vision endogamique du monde, où l’on prise le mariage dans un degré rapproché, mieux la « république des cousins », où se marient préférentiellement le fils et la fille de deux frères, une formule surtout ancrée sur la rive sud et dans l’Antiquité pré-chrétienne, ; Jocaste ne dit-elle pas à Polynice : « Un conjoint pris au-dehors porte malheur » ? Ce à quoi Ibn Khaldoun fait écho : « La noblesse, l’honneur ne peuvent résulter que de l’absence de mélange », écrivait-il. Aux « républiques des beaux-frères », caractéristiques des sociétés primitives exogames étudiées par Claude Lévi-Strauss s’opposent ainsi les « républiques méditerranéennes des cousins », prohibant l'échange et ancrées dans l'endogamie patrilinéaire. Alors que dans les premières, « une solidarité usuelle unit le garçon avec les frères et les cousins de sa femme et avec les maris de ses sœurs », dans les secondes « les hommes (...) considèrent leurs devoirs de solidarité avec tous leurs parents en ligne paternelle comme plus importants que leurs autres obligations, - y compris, bien souvent, leurs obligations civiques et patriotiques ». Règne ainsi, dans le monde méditerranéen traditionnel, la prédilection pour le « vivre entre soi » auquel s’ajoute une ségrégation marquée entre les sexes, « un certain idéal de brutalité virile, dont le complément est une dramatisation de la vertu féminine », poursuit Germaine Tillion (1966). La Méditerranée, c’est aussi un monde de structures clientélaires, avec ses patrons et ses obligés, dans de vieilles sociétés étatiques où des relais s’imposent, à tous les sens du terme, entre le peuple et les pouvoirs; parallèlement, dans l’univers sacré, les intermédiaires, les saints, ne manquent pas entre les fidèles et la divinité ; ils sont nombreux, y compris en islam où leur culte est controversé. La violence avec ses pratiques vindicatoires (vendetta corse, disamistade sarde, gjak albanais, rekba kabyle…) fait aussi partie du hit-parade anthropologique des caractéristiques méditerranéennes et les auteurs analysent les moyens mis en œuvre pour sortir de ces conflits (Black-Michaud, 1975). Enfin, comment ne pas évoquer une communauté de comportements religieux, en particulier les lamentations funèbres, les dévotions dolorisantes autour des martyrs ? L’« inflation apologétique du martyre » est ainsi un trait commun au christianisme et à l’islam chiite pratiqué au Liban. La commémoration des martyrs fondateurs, dans le christianisme comme en islam chiite, donne lieu à des rituels d’affliction de part et d’autre de la Méditerranée. C’est en terre chrétienne la semaine sainte, avec ses spectaculaires processions de pénitents en Andalousie, ou, en Calabre, ces cérémonies où les hommes se flagellent les mollets et les cuisses jusqu’au sang. Au Liban les fidèles pratiquent, lors des processions et des prônes qui évoquent les tragiques événements fondateurs, des rituels dolorisants : ils se flagellent avec des chaînes, se frappent la poitrine avec les paumes des mains, voire se lacèrent le cuir chevelu avec un sabre. Dans le monde chrétien comme en islam chiite, des pièces de théâtre (mystères du Moyen Âge, ta’zie) ont été composées pour représenter le martyre du sauveur. Rituels chiites et chrétiens présentent donc un air de famille (Bromberger, 1979). Cette sensibilité au martyre dans les traditions religieuses méditerranéennes est à l’arrière-plan des manifestations laïques qui célèbrent les héros locaux ou nationaux tombés pour la juste cause. C’est le cas en Algérie. Toutes ces remarques peuvent paraître bien réductrices et caricaturales, éloignées des formes de la vie moderne et de la mondialisation qui l’enserre. Ne s’agit-il pas d’une Méditerranée perdue ? Les auteurs cependant nuancent leurs analyses et les insèrent dans le contexte spécifique où elles prennent sens. Dans leur généralité, elles offrent, malgré tout, une base de départ, un cadre comparatif et évolutif. Après une période faste, couronnée par un ouvrage de synthèse récapitulant les acquis (Davis, 1977), vint le temps des remises en cause. Plusieurs anthropologues (dont Michael Herzfeld, 1980, Josep Llobera,1986, Joao de Pina-Cabral,1989…) critiquèrent de façon radicale l'érection de la Méditerranée en « regional category » en fustigeant le caractère artificiel de l'objet, créé, selon eux, pour objectiver la distance nécessaire à l'exercice légitime de la discipline et qui s'abriterait derrière quelques thèmes fédérateurs fortement stéréotypés. À ces critiques virulentes venues des centres européens ou américains de l’anthropologie, se sont jointes celles d'ethnologues originaires des régions méditerranéennes, pour qui la référence à la Méditerranée est imaginaire et suspecte, et dont les travaux sont ignorés ou regardés de haut par les chercheurs formés à l’école britannique. Ce sentiment négatif a été d’autant plus accusé sur les rives méridionale et orientale de la Méditerranée que la mer qui, à différentes périodes, reliait est devenue un fossé aussi bien sur le plan économique que politique. Diverses initiatives et prises de position scientifiques ont donné un nouvel élan, dans les années 1990-2000, à l’anthropologie de la Méditerranée. Colloques et ouvrages (par exemple Albera, Blok, Bromberger, 2001) rendent compte de cette nouvelle conjoncture. On se garde désormais plus qu’avant de considérer le monde méditerranéen comme une aire culturelle qui présenterait, à travers le temps et l’espace, des caractéristiques communes stables. Au plus parlera-t-on d’un « air de famille » entre les sociétés riveraines de la mer en raison de contextes écologiques similaires, d’une histoire partagée, de la reconnaissance d’un seul et même Dieu. Cette perspective mesurée rejoint le point de vue de Horden et Purcell (2000), auteurs d’un ouvrage important tirant un bilan critique de l’histoire du monde méditerranéen. Pour eux, qui combinent points de vue interactionniste et écologique, la Méditerranée se définit par la mise en relation par la mer de territoires extrêmement fragmentés, par une « connectivity » facilitée par les Empires. Le titre énigmatique de leur livre, The Corruptive Sea, « La Mer corruptrice », prend dès lors tout son sens. Parce qu’elle met en relation, cette mer serait une menace pour le bon ordre social et pour la paix dans les familles. Cette proximité entre sociétés différentes qui se connaissent fait que le monde méditerranéen s’offre comme un terrain idéal au comparatisme « à bonne distance ». C’est sous le sceau de ce comparatisme raisonné que s’inscrivent désormais les travaux les plus convaincants, qu’ils se réclament explicitement ou non de l’anthropologie de la Méditerranée (voir sur la nourriture Fabre-Vassas, 1994, sur la parenté Bonte éd., 1994 , sur la sainteté Kerrou éd., 1998 et les traditions religieuses, sur les migrations et les réseaux Cesari, éd., 2002, sur le cosmopolitisme Driessen, 2005) Tantôt les recherches soulignent les proximités (Albera, 2005, 2009, Dakhlia, 2008, Dakhlia et Kaiser, 2011), tantôt elles les relativisent (Fernandez Morera, 2016, Bromberger, 2018), tantôt elles insistent sur les aspects conflictuels (Chaslin, 1997). Une autre voie est de considérer le monde méditerranéen, non pas comme un ensemble fait de similarités et de proximités mais comme un espace fait de différences qui forment système. Et ce sont ces différences complémentaires, s’inscrivant dans un champ réciproque, qui permettent de parler d’un système méditerranéen. Chacun se définit, ici peut-être plus qu’ailleurs, dans un jeu de miroirs (de coutumes, de comportements, d’affiliations) avec son voisin. Les comportements alimentaires, les normes régissant l’apparence vestimentaire et pileuse, le statut des images… opposent ainsi des populations revendiquant un même Dieu (Bromberger, 2018).
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Vuillemenot, Anne-marie, and Silvia Mesturini. "Chamaniser." Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.004.

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Abstract:
Nous devons le terme « chamaniser » à l’anthropologue Roberte Hamayon. Elle a utilisé cette notion dans son célèbre ouvrage paru en 1990, La chasse à l'âme: esquisse d'une théorie du chamanisme sibérien, puis dans un certain nombre d’écrits postérieurs, afin d’interroger et analyser la diversité des manifestations du chamanisme ainsi que son rôle et fonctionnement social, auprès des peuples bouriates situés en Sibérie (République autonome bouriate de l’U.R.S.S.), en République Populaire de Mongolie et dans la Région Autonome de Mongolie en Chine. Le verbe « chamaniser » est utilisé par l’auteure en contraste avec la notion « d’agir en chamane ». «Chamaniser, c’est se livrer à une forme de pratique individuelle sans valeur rituelle pour la communauté, qui est, dans la plupart des sociétés chamanistes, plus ou moins accessible à tout un chacun. En revanche, agir en chamane est réservé à ceux que la communauté reconnaît comme tels» (Hamayon 1995: 160). Cette distinction insiste sur l’incontournable reconnaissance de la collectivité comme base de l’émergence d’une figure désignée comme chamane et donc sur l’impossibilité d’isoler le chamane de la communauté qui le dit tel. De plus, elle permet d’envisager l’existence d’une pratique libre de profane. Pratique partielle, moins performante, de personnes qui ne portent pas la responsabilité de leur communauté, mais pratique qui permet de réinscrire le chamanisme parmi les manières de faire et d’être au monde de toute une société. Surtout, Hamayon propose une approche sociale, relationnelle et pragmatique du chamanisme allant à l’encontre de l’émergence d’une lecture comparatiste fortement axée sur les notions de transe et d’extase et sur une figure de chamane isolée de son contexte et notamment de la communauté qui le requiert, l’instaure, le légitime et le surveille (pour cette même approche du rituel voir aussi Houseman et Severi 2009). Les formes contemporaines du « chamaniser » montrent, tour à tour, la porosité ou l’affirmation de cette distinction entre les deux pratiques au profit d’une multiplication de démarches qui s’inscrivent dans plusieurs perspectives: locale, globale, monétarisée et professionnalisée. La mobilité, les mouvements de population et les transformations des sociétés contemporaines, aussi « reculées » soient elles dans les imaginaires occidentaux, induisent un processus de changement profond au sein des formes du chamaniser sans en effacer la pragmatique. Parallèlement, un certain engouement universitaire et para-universitaire fait du chamanisme une technique parmi d’autres permettant un accès et une maîtrise d’états altérés de conscience. Le chamane « maître de l’extase » proposé par Mircea Eliade (Eliade 1951[1951]) devient un objet de fascination et d’identification, une figure a-contextuelle et prisée pour ses compétences psycho-spirituelles. Dans l’univers chamanique dépeint par Eliade, seul le chamane semble chamaniser. Cette lecture en même temps technicisée, subjectivisée et phénoménologique du chamanisme se double d’un intérêt très culturaliste pour ces chamanes et les peuples à chamanes qui deviennent des personnages et lieux privilégiés d’initiation pour des occidentaux en quête de ce savoir de l’ailleurs (Chaumeil 2009). Pour le chamane jouissant d’une réputation locale, précédant ou concomitant à son succès international, se pose la question de l’articulation entre les deux. C’est à l’intérieur de cette articulation que nous voyons apparaître l’impact des alliances à long-terme et le prix que le chamane doit payer pour les maintenir. Les réseaux du chamanisme international permettant une émancipation financière pour les guérisseurs qui parviennent à s’y intégrer, ces derniers ne pourront garder une réputation et un réseau d’alliés locaux qu’à travers une redistribution de leurs nouvelles richesses. Toute accumulation sans redistribution auprès de ceux qui ont « fait » de lui un chamane au niveau local, parents et alliés chamaniques, entraîne une mort sociale parfois formulée en termes d’accusation de sorcellerie (Mesturini et Cappo 2013). Face à une demande grandissante - locale et internationale - de patients/clients, le nombre de personnes qui se déclarent chamane tend à augmenter. En principe, le chamane se charge de régler les multiples problèmes (désordres) du groupe social qui l’a reconnu, aux yeux duquel il a le devoir de trouver des solutions de réparation. Il faut entendre ici la charge en tant que rôle social imposé et devoir en tant qu’obligation de l’agir (au sens habermassien de communicationnel) et de résultats. La professionnalisation du chamaniser introduit une ambivalence du rôle, de la position sociale et même de l’agir du chamane dont la pratique devient la source principale de revenus monétaires, ce qui était de l’ordre du troc restant marginalisé. Cependant, le statut de chamane reste un statut précaire, toujours soumis à la qualité de sa performance rituelle et au jugement de ceux qui y participent. Cet aspect éminemment social de la pratique chamanique et sa composante relationnelle perdurent malgré la relative décontextualisation territoriale ( Dorais et Laugrand 2007; Vuillemenot 2013). Les développements internationaux des pratiques chamaniques invoquent également la différence entre « agir en chamane » et « chamaniser » à un autre niveau. En effet une tendance, qui accompagne ces développements et que l’on pourrait qualifier de typiquement New Age, suggère à tout-un-chacun de « réveiller son chamane intérieur », notamment à travers les techniques reconnues comme vecteurs de transe: la quête de visions, l’utilisation du tambour, l’ingestion de plantes psychoactives, les huttes de sudation ou les pratiques de jeûne. Si, d’une part, ce type d’approche implique que tout le monde est chamane ne fut-ce que potentiellement, ce qui porte atteinte à toute reconnaissance ou légitimation sociale du statut de chamane, il comporte, d’autre part, une invitation élargie à chamaniser. En ce sens, ce type de discours révèle une intention de « faire groupe» ou de « faire société » autour du partage d’un rapport dit chamanique aux mondes et aux êtres, humains et non-humains.
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Vinck, Dominique. "Science(s)." Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.025.

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Les sciences désignent à la fois une série d'activités productrices de connaissances, plus ou moins différenciées d'autres activités sociales, et le résultat de ces activités (descriptions et énoncés de découvertes ou de lois décrivant ou prédisant des phénomènes, théories, méthodes de travail, savoir-faire incorporés, normes de comportement des scientifiques). Pour l'anthropologue, elles sont à la fois un objet de recherche et un cadrage (institutionnel, méthodologique et cognitif) de son travail, ce qui l'engage aussi dans une inévitable réflexivité. Du point de vue des sciences sociales, la science a été appréhendée (tradition mertonienne) comme une institution sociale distincte et exemplaire, dont la finalité est la production de connaissances rationnelles certifiées par les pairs. L'institution se caractérise par une structure normative qui régit le comportement des scientifiques telles que : universalisme, communalisme, désintéressement et scepticisme organisé. Les scientifiques qui agissent conformément à ces normes sont rationnels et humbles, capables de soumettre leurs productions à l’évaluation critique de leurs pairs, d’évaluer sans à priori le travail d’autrui et de s’auto-contrôler. Le respect de ces normes dépend de systèmes de communication (publication dans les revues scientifiques en particulier) et de gratification (nomination, distinction, obtention de fonds) dont l'analyse permet d'expliquer certains phénomènes de stratification au sein de la "communauté" scientifique. Cette approche a toutefois suscité de nombreux débats notamment quant à ce que représentent vraiment ces normes. Des contre-normes (p.ex. « garder le secret ») seraient aussi explicatives des comportements des scientifiques que les normes identifiées par Merton. Par ailleurs, dans leurs discussions internes, les scientifiques mobilisent autant les normes que les contre-normes pour défendre leur position ou affaiblir celle d’un collègue. Et surtout, ces normes seraient de nature idéologique et politique, utilisées par les scientifiques pour légitimer l’autonomie des sciences vis-à-vis du reste de la société, en particulier dans un contexte de montée en puissance de régimes autoritaires menaçant les scientifiques dans différentes régions du monde, comme ce fut le cas au cours du XXe siècle. Dans ce contexte, Merton (1973) a traité l'institution scientifique comme un modèle de démocratie des esprits, à l’abri des influences politiques. Toutefois, mobilisées au profit du développement technico-économique et de l’action publique (parfois militaire), les sciences constituent des sources de pouvoir, notamment en faisant autorité. Les questions de l'orientation et de la mobilisation des sciences fait dès lors l'objet de débats politiques récurrents. Elles soulèvent des questions de légitimité dans la société (sciences au service du progrès, de l'industrie, du prestige des Nations, de l'exploitation de la nature vs de projets de libération ou de résolution des problèmes auxquels le monde est confronté) tandis que leur spécificité a fait l’objet de nombreux débats chez les philosophes. Dans les relations Nords-Suds, elle est parfois traitée comme un enjeu des relations entre pays hégémoniques et non-hégémoniques ou en terme de centre-périphérie. Plus généralement, sa légitimité est questionnée vis-à-vis d'autres savoirs, locaux et indigènes notamment. De même, la fragmentation interne des sciences (prolifération de sous-spécialisations) a conduit les Nations Unies (convention de Rio de 1992) à demander qu'un effort d'intégration soit accompli car les problèmes auxquels sont confrontées les sociétés ont besoin d'une approche globale et non émiettée. Les dynamiques internes des sciences ont également été analysées de diverses autres façons : comme système d’échange de dons (Hagstrom 1965), comme système d’échange capitaliste et de lutte compétitive pour l’accumulation d’un capital symbolique (Bourdieu 1976), comme système politique où chacun tend à développer son domaine en gagnant de la crédibilité, convertible en ressources permettant de poursuivre (Latour, Woolgar 1988). Les relations entre scientifiques, voir aussi avec des non-scientifiques (industriels, médias, gouvernements, mouvements citoyens, communautés paysannes, etc.), constituent des réseaux sociaux dont les caractéristiques (taille, homogénéité / hétérogénéité, structure) expliquent les sciences en tant que phénomène social plus ou moins articulé à d'autres activités des sociétés. Depuis les années 1970, des chercheurs en sciences sociales (anthropologie, sociologie, histoire) ont investi l’étude des sciences en s’inspirant notamment des travaux de l’historien Kuhn (1957) (paradigme) et de l'anthropologie avec pour prétention de rendre compte des contenus (Sociology of Scientific Knowledge, SSK) et des pratiques scientifiques. Les sciences apparurent alors sous un nouveau jour. Les sciences sociales ne se cantonnent dès lors plus à l’examen des conditions sociales de possibilité de la science mais tentent d'expliquer aussi les productions scientifiques (données, théories, concepts) à partir de facteurs sociaux ou à partir des pratiques sociotechniques concrètes. Elles mettent en évidence la flexibilité interprétative des énoncés scientifiques (ni la nature, ni la méthode, ni la logique n’impose de vérité unique aux chercheurs) qui conduit à prendre en compte aussi d'autres facteurs explicatifs, notamment les rapports de forces, les mouvements de société, les traditions de pensée, les savoirs tacites, la nature du rapport au monde et à la nature, et les savoir-faire hérités. Du côté de la sociologie et de l'histoire, des auteurs vont rendre compte de l’action scientifique comme d'une rivalité entre scientifiques pour produire des énoncés de connaissances et les imposer aux autres. Ces scientifiques étant liés à des groupes sociaux, les intérêts de ces derniers orienteraient en partie le choix des objets de recherche, des approches et, par conséquent, les productions scientifiques. Les controverses entre chercheurs conduiraient ceux-ci à renforcer la robustesse de leurs affirmations et constitueraient ainsi un moteur des dynamiques scientifiques. Ces approches conduisent aussi à symétriser les analyses portant sur la constitution des savoirs scientifiques et celles portant sur les autres formes de savoirs, de systèmes de pensées ou de croyances. Des chercheurs britanniques (Bloor 1976 ; Collins 1985) prônent alors des principes de causalité, d'impartialité, de symétrie et de réflexivité dans l'étude des sciences. “Connaissances vraies” et “croyances fausses” devraient être expliquées par les mêmes registres de causalité (relations causales entre des variables sociologiques et contenus de connaissance, production négociée de connaissances consensuelles et clôture des controverses, analyse du discours). A la fin des années 1970, des chercheurs commencent à s’intéresser aux pratiques scientifiques concrètes. Ils observent les processus d’ajustement locaux et contingents et décodent les savoirs tacites incorporés dans les individus, instruments et formes d’organisation. Leurs études rendent compte de la production des faits, des données, des énoncés et des accords entre chercheurs, de l’articulation entre éléments hétérogènes, de la construction collective et négociée des publications. Adoptant des postures héritées de l'anthropologie, ils décrivent les processus de fabrication et de stabilisation des énoncés scientifiques en séjournant longuement au sein de laboratoires où se produisent des savoirs scientifiques. Ainsi, Latour, de retour d'une enquête en Afrique, débarque dans un laboratoire de biochimie réputé ; il cherche à y étudier “la pensée scientifique” en train de se faire et rend compte de l'importance des pratiques d'inscription. Il publie Laboratory Life. The Social Construction of Scientific Facts en 1979 (Latour, Woolgar, 1988). Knorr-Cetina (1981), en Allemagne, Lynch (1985), aux États-Unis, mobilisent l’ethnométhodologie et montrent les productions scientifiques comme des accomplissements pratiques situés. D’autres chercheurs héritiers de l’école pragmatique américaine et de l’interactionnisme symbolique de Chicago rendent aussi compte des productions scientifiques en rendant compte des perspectives des acteurs en présence. L’anthropologue Traweek (1988) étudie le monde des physiciens des particules, de même que d'autres le feront d'autres laboratoires (p.ex. Houdart 2013) ou de lieux de fabrication de connaissances technologiques (Downey 1998 ; Vinck 1999). Soucieux de rendre compte de l'intrication des sciences dans la société, notamment via les processus d'innovation, des chercheurs (Callon 1986 ; Latour 1989) conçoivent une approche (théorie de l’acteur-réseau, analyse des processus de traduction et de construction de réseaux sociotechniques) devant permettre de rendre compte des sciences et techniques en évitant les dichotomies héritées (nature/culture, sujet/objet, notamment). Ils ouvrent ainsi la réflexion sur une nouvelle anthropologie des connaissances.
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Laurent, Jérôme. "Patrimoines autochtones." Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.104.

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De nombreux groupes autochtones au Brésil, au Canada, aux États-Unis, en Australie, en Nouvelle-Zélande et ailleurs dans le monde sont particulièrement préoccupés par la protection, la transmission et la reconnaissance de leurs patrimoines culturels. Trois dimensions sont indissociables de la compréhension des patrimoines autochtones soit 1) les liens entre matérialité et immatérialité du patrimoine 2) l’institutionnalisation des processus de patrimonialisation et 3) les médiateurs du patrimoine. Par patrimonialisation, il faut donc comprendre à la fois ce qui compose le patrimoine (chants, rituels, danses, objets, relation au territoire, arts visuels, jeux traditionnels, plantes médicinales…), les processus par lesquels ce patrimoine est documenté, préservé, transmis et mis en valeur (Kreps 2003), mais également les différents acteurs qui œuvrent au sein de ces processus. Souvent relégués à leurs dimensions matérielles, les patrimoines autochtones ne peuvent se comprendre sans considérer leur immatérialité (Leblic 2013 ; Lemonnier 2013). Par immatérialité, nous faisons référence ici aux débats anthropologiques sur les relations qu’entretiennent les humains avec leur environnement et les entités qui le composent (Descola 2005; Ingold 2000, 2011, 2012 ; Viveiros de Castro 2009). Si ces auteurs se sont surtout intéressés aux relations entre les humains et les animaux, les esprits ou les ancêtres, il est nécessaire de prendre en compte également la place des objets, du patrimoine bâti, des lieux et des sites sacrés, de la musique ou encore de la nourriture dans ces processus relationnels. Les objets, qu’ils soient d’art ou d’ethnographie, renvoient par exemple à des codes et des règles de comportement qui guident les humains, s’inscrivent dans des conceptions particulières de la personne, informent sur la création du monde ou se posent comme des révélateurs des identités autochtones du territoire. Les matériaux, les techniques de fabrication autant que le pouvoir attribué aux objets sont liés aux cosmologies et aux ontologies autochtones; ils sont porteurs de visions du monde et de modes d’être au monde spécifiques qui participent des processus actuels d’affirmations identitaires et politique. Dans ce contexte, il devient crucial de s’intéresser à la vie sociale des objets (Bonnot 2002, 2014 ; Koppytoff, 1986), des arbres (Rival 1998), de la forêt (Kohn 2013) ou encore des récits (Cruikshank 1998 ; Savard 1971, 2004 ; Vincent 2013). L’expérience corporelle (Goulet 1994, 1998 ; Laugrand 2013) et sensorielle (Classen 1993 ; Howes 2003, 2014 ; Mauzé et Rostkowski 2007) fait partie intrinsèque de ces patrimoines et de ces savoirs. Ceux-ci incluent à la fois des savoirs écologiques, des savoirs liés aux activités de chasse, de pêche et de cueillette, des savoirs rituels, des savoirs gastronomiques, des savoirs artisanaux et artistiques, des récits sous toutes leurs formes (création du monde, rêves, anecdotes, événements historiques, etc.), des savoirs liés aux réseaux d’alliance interfamiliale et d’affiliation territoriale, mais aussi des savoirs sur les objets ou sur les jeux traditionnels. Ces différents types de savoirs se transmettent et se transforment de manière créative, en étroite relation les uns aux autres. Les politiques historiques et contemporaines d’assimilation, de dépossession et d’usurpation de ces savoirs et de ces patrimoines conduisent à interroger les modalités institutionnelles de préservation et de mise en valeur de ces patrimoines autochtones. Souvent intégrés aux patrimoines nationaux et mis en valeur dans les musées d’État, les biens culturels autochtones ont longtemps échappé à leurs destinataires légitimes, les peuples autochtones eux-mêmes, les reléguant au statut de spectateurs de leurs propres cultures (Price 2007 ; Philips 2003, 2011). Depuis les années 1960-1970, les peuples autochtones ont largement contribué à la transformation, certes inachevée, des Musées de l’Autre en Musées de Soi et, dans certains cas, en Musées du Nous (De l’Étoisle, 2007). Présentés par le sociologue de l’art wendat (Québec) Guy Sioui Durand comme des musées mouroirs (Sioui Durand 2014), les institutions muséales et patrimoniales occidentales tentent aujourd’hui de (re)considérer leurs politiques et d’intégrer les savoirs autochtones dans leurs pratiques (Dubuc 2002, 2006 ; Kreps 2003). Certains cadres institutionnels ont favorisé ces changements. Pensons par exemple aux deux conventions de l’UNESCO pour la protection du patrimoine et des biens culturels immatériels (1972, 2003), au rapport sur les Musées et les peuples autochtones (Erasmus et al. 1994) au Canada, au Native American Graves Protection and Repatriation Act (NAGPRA, 1990) aux États-Unis ou à la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones (AGNU 2007, article 31). Si les institutions muséales occidentales ont progressivement opéré un changement de paradigme (Fienup-Riordan 1999 ; Simpson 2001), les peuples autochtones se dotent aujourd’hui de moyens qui leurs sont propres afin de favoriser la protection, la mise en valeur, la transmission, et souvent la restitution de ces patrimoines et de ces savoirs, et par extension de leur histoire et de leur identité politique (Ames 1992 ; Peers 2000). Le développement de musées, de centres culturels, d’écoles de transmission des savoirs ou de programmes éducatifs culturellement ancrés s’inscrit dans des projets de sociétés qui visent le renforcement des structures de gouvernance et de la souveraineté des peuples autochtones. Il est dès lors impossible de parler des patrimoines autochtones sans parler de mise en valeur et de protection des savoirs, de restitution des données ethnographiques (Zonabend 1994 ; Glowczewski 2009 ; De Largy Healy 2011), de gestion collaborative des collections muséales, et évidemment de participation des peuples autochtones dans ces processus (Tuhiwai Smith 1999). La littérature, le cinéma, la musique, la bande dessinée, les romans graphiques, l’art contemporain, le design, le tourisme ou les réseaux socionumériques s’affirment aujourd’hui comme des éléments incontournables du patrimoine autochtone, mais également comme des stratégies de reconnaissance politique (Coulthard 2014) et d’autoreprésentation identitaire. Ces processus complexes de patrimonialisation institutionnelle nous amènent à considérer enfin les acteurs du patrimoine. Guides spirituels, artistes, chefs familiaux, conservateurs, muséologues, technolinguistes, chercheurs autodidactes, enseignants, aînés-gardiens du savoir ou jeunes activistes, ces experts culturels sont régulièrement sollicités afin de transmettre, de valoriser ou de protéger des savoirs et des pratiques qui se construisent aussi en dehors de l'institution, dans le cadre d'actions citoyennes, de projets communautaires ou de dynamiques familiales. Le territoire devient alors l'espace privilégié de patrimonialisation des pratiques et des savoirs autochtones dans lequel les femmes jouent un rôle central (Basile 2017). Ces médiateurs du patrimoine doivent également faire face à divers enjeux concernant les formes et les stratégies de patrimonialisation actuelles, comme par exemple l’appropriation culturelle et la propriété intellectuelle (Bell et Napoléon 2008 ; Bell 1992, 2014) et les processus de rapatriement des biens culturels. Les processus de rapatriement sont indissociables des mouvements d’affirmations identitaire et politique autochtones qui se développent et se renforcent depuis les années 1960-70 (Clifford 1997, 2007, 2013 ; Gagné 2012 ; Matthews 2014, 2016 ; Mauzé 2008, 2010). Les biens culturels acquis de manières illicites, les restes humains ou les objets culturels sacrés nécessaires à la transmission d’une tradition sont généralement considérés par les institutions comme admissibles aux processus de rapatriement. Même si le mouvement international d’affirmation politique autochtone a conduit au rapatriement de nombreux objets dans leurs milieux d’origine, les processus restent souvent dans l’impasse, et ce pour au moins trois raisons : les experts locaux doivent réunir une documentation importante sur l’objet ; les groupes autochtones ne possèdent pas les infrastructures nécessaires pour conserver l’objet ; les Musées d’État ne sont pas prêts à se départir de ‘leurs’ collections.
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Laurent, Pierre-joseph, and Lionel Simon. "Ruse." Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.037.

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Abstract:
En Occident, la ruse (en tant que raison raisonnée, délibérée, contextuelle) fut progressivement, et surtout depuis Descartes, reléguée aux oubliettes d’une rationalité calculatrice, économique, quantitative. La raison rusée semble survivre, dans nos sociétés, à la périphérie des rapports sociaux, de manière indicible, voir inaudible, car nous n’aurions plus les mots pour en saisir les vertus. Déclassée, bien souvent considérée comme suspecte face aux principes de la démocratie, nous en avons perdu la compréhension, à la suite d’un rapprochement analogique entre la ruse et l’idée de mal. Ainsi, dans la Grèce antique, la raison possédait à la fois un volet d’une intelligence pratique rusée, la Mètis (Detienne et Vernant 1974), considérée comme un support du politique, et un autre fait de rationalité calculatrice. Progressivement l’esprit de calcul triomphera du raisonnable et deviendra le mode de pensée hégémonique en Occident (Latouche 2004). La bonne ruse, soit celle qui était impliquée dans la gestion de la Cité (Vernant et Vidal-Naquet 1992) et donc dans la politique, a été considérée comme une pratique obsolète : floue et ambiguë, la ruse serait devenue indigne de la raison. Dès lors en Occident, les seules ruses reconnues seraient plutôt les fourberies. Celles-ci prennent la forme de calculs, de stratégies et d’abus. L’intelligence rusée se retrouve ici au service d’une efficacité sans principe éthique, c’est-à-dire sans discernement ni prudence. Dans ce sens, la fourberie a fréquemment rendez-vous avec la corruption et les pratiques maffieuses. Si la trajectoire du concept de ruse tend à dévoiler une tension entre deux types de raison, elle exprime aussi une tension entre deux épistémologies. Courtois-l’Heureux (2009) pointe dans les travaux de Certeau une manière particulière d’envisager les phénomènes sociaux. La ruse, en tant que concept analytique, rompt avec une épistémologie quantitative. Face aux approches statistiques et sociologiques de sociétés aux facettes supposées quantifiables, la ruse introduit le détournement, rompt la verticalité définissant l’axe de propagation d’une « culture » sur des individus. Si la ruse parait comme l’opposé et l’opposant de la rationalité, c’est que là où cette dernière veut encadrer les phénomènes, la première s’en joue et les déjoue. Elle introduit dans l’analyse le contextuel, le local, le particulier, la déclinaison. Elle focalise sur la manière dont les individus usent « d’arts de faire » au quotidien, détournent, se dérobent, se jouent, bricolent avec ce qui semble s’imposer à eux. Elle s’intéresse à toutes les distorsions que les locaux, en sourdine, font subir à tout ce qui leur échappe en apparence. La ruse rattache ainsi chaque phénomène au local, focalise l’attention sur les déclinaisons particulières ; elle se concentre sur le contexte, sur la vitalité et la créativité d’un détournement. La ruse enclenche une approche pragmatique des manières de faire et de dire (ou de ne pas faire et de ne pas dire). En cela, la ruse est un concept susceptible d’éclairer de multiples réalités. Cela parce qu’elle se niche dans de nombreuses pratiques, quotidiennes ou occasionnelles. Elle est l’art de jouer avec l’inattendu. Elle est dissimulée dans les rapports sociaux, et peut être explicite dans des récits cosmogoniques, reconnue comme le trait archétypique de certains animaux ou d’êtres mythologiques ; elle peut motiver une attitude particulière envers des divinités, voire encore opérer dans une relation maîtrisée et silencieuse avec la nature (Artaud 2013). Ainsi, si on ruse avec le fort (ou le plus fort que soi) – souvent pour tourner sa force contre lui-même – on ruse en général avec tout ce qui parait se passer de nous pour fonctionner et se mettre en place. Mais c’est sa dimension politique qu’elle évoque le plus spontanément, éclairant d’un jour singulier les usages populaires du pouvoir. La ruse se tisse en effet dans l’ombre des hiérarchies sociales et donc du pouvoir. À l’instar du don qui survit à l’échange marchand (sur le rapport entre don, dette et ruse, voir Laurent 1998), la ruse semble résister aux effets de la globalisation. La ruse populaire, de nature tactique, largement spontanée, indicible, voire parfois inconsciente, ne peut pas être assimilée tout de go à de la fourberie mal intentionnée. Il doit exister une différence irréductible entre l’idée de la ruse digne, comprise ici comme un détournement, dans le sens de « tourner dans une autre direction » et la corruption qui renvoie à un enrichissement personnel à partir d’une place d’autorité (Laurent 2000). La ruse populaire participe pleinement à la construction de l’identité des groupes dominés, comme une manière originale de traiter avec le pouvoir et d’accéder à des ressources. Ceci renvoie à une façon de se mouvoir dans un environnement qui n’est pas possédé en propre (de Certeau 1990, 1994) ; que fait-on, lorsque l’espoir d’accéder aux biens de consommation est grand, mais que ceux-ci resteront inaccessibles, dès lors qu’on participe à des mutations techniques, technologiques, sociales, culturelles, politiques, etc. comme derrière une vitrine ? La ruse est une arme au service du faible. Son efficacité est sa discrétion. L'ordre en place, abusé par l'universalité de son explication du monde, ne peut s'imaginer être joué par un sens pratique. Celui-ci demeure inaudible, invisible, indicible, inavouable pour qui, du dehors, ne partage pas le secret des "coups" et des bricolages. La ruse populaire appartient dans une forte mesure à des groupes situés à la marge de l'ordre établi. Elle troque l'absence de lieu propre, c'est-à-dire la possession d'un espace sur lequel imposer son autorité, son hégémonie, ses décisions, contre le temps, celui de l'occasion, du braconnage, de l'affût, de la dérobade (de Certeau 1990, 1994). La ruse synthétise trahison, intelligence, finesse, secret, subtilité, comédie, mensonge, discrétion. Les actions populaires rusent par une invention quotidienne qui se compose d'une pratique du "coup par coup", c'est-à-dire de l'acuité à se saisir de l'occasion et de la transformer en opportunité, d'un fort sentiment d'autonomie vis-à-vis de l'ordre institué qui peut s'exprimer par de l'indocilité, de la résistance et de l'élaboration de réseaux de relations institués à la faveur de dons, du recours et de la dépendance réciproque (dans le sens ici de prestations et de contre-prestations). La ruse, si elle procède d'un calcul évident, n'en demeure pas moins une élaboration caractérisée par une logique situationnelle. Elle constitue l’arme privilégiée des pratiques populaires, car elle est la manière la plus sûre de cadrer ou de parer au flux événementiel. Déploiement stratégique et anticipatif de plusieurs facteurs contextuels, elle devient une disposition, une manière de poser un regard teinté d’opportunisme sur les alentours pour y dénicher des opportunités (Simon 2012). Les Peuls, guidés par leurs troupeaux à travers les pâturages sahéliens, incarnent par excellence l'idée de "l'ailleurs dans le dedans" (de Certeau 1990, 1994). Le peuple peul ne possédant pas à proprement parler de lieux propres, opère sur le territoire de l'autre. Traversant des régions où vivent des agriculteurs sédentaires, les pasteurs se sentent toujours étrangers, c'est-à-dire extérieurs aux sociétés côtoyées, mais profitant de leurs pâturages. Le sommet de la ruse est atteint lorsque le grand génie Gaari-Jinne conseille au jeune couple peul de dérober chez les voisins ses premières vaches pour constituer son troupeau, avec certes une infinie prudence et avec toutes les formes requises (Le Pichon et Balde 1990). La notion de jamfa - traduit par le mot trahison - se trouve au cœur du pulaaku, c'est-à-dire de l'identité peul. Le jamfa constitue une éclatante démonstration de la capacité d'un peuple à se trouver toujours "ailleurs", c'est-à-dire jamais là où on croit le rencontrer. Il est ici question de survie. La notion de jamfa se situe au cœur du mythe fondateur de la société peul et comme le montre Vidal-Naquet à propos des éphèbes de la Cité, la ruse est consubstantielle aux cadets ou à ces groupes dominés (Vidal-Naquet 1992). Le pasteur peul ne s'oppose pas, le rapport de force ne penche pas en sa faveur, il ruse. Il traverse des espaces qui ne lui appartiennent pas en propre, mais dont il tire sa subsistance. Ceci illustre parfaitement en quoi consiste cet art du dominé, capable de se jouer d’un contexte a priori défavorable. Le champ de l’aide, des projets, de l’assistance, du bénévolat met par définition en contact des acteurs souvent étranger l’un pour l’autre. C'est par exemple le cas des paysans mossi du Burkina Faso et des offreurs d’aide de la coopération au développement. Pour comprendre les relations s’établissant entre ces deux groupes, il convient de s’écarter du discours officiel et du registre de la justification, pour prendre en considération l'informel des pratiques et apercevoir l'inédit qui se tapit au cœur de l'ordre institué par les dispositifs de l’aide (Laurent 1998). Le monde de l’aide, des projets, de la coopération, est aussi celui de la recherche de « la participation des populations bénéficiaires à la base » (souvent appelé dans le jargon de la coopération au développement « les partenaires »). Il est alors utile de se demander ce qui se passe lorsque deux « socio-logiques » se croisent (Latour 1989). Selon Hume « on ne peut établir des normes de justice abstraites et formelles qu’entre gens à peu près égaux. » (Hume 1993). Autrement dit, la négociation entre des partenaires issus de mondes différents, dont les uns aident et les autres reçoivent, sera généralement difficile à établir pour ne pas dire, a priori, impossible, sans autres artifices. Pour analyser le vaste secteur de l’aide, mieux vaut partir de l’absence d’un véritable partage des règles d’un jeu commun. Ceci conduit à la mise en spectacle, en forme de trompe-l’œil, des croyances (normes et valeurs) des donateurs par « les aidés ». La communication entre offreurs d’aide et bénéficiaires repose d’emblée sur une asymétrie qui peut conduire à des malentendus. Elle s'établit à l'insu des évidences, des stratégies et des "projets" des offreurs d'aide (Bourdieu 1980) et à la faveur de la perception du décalage, pour ne pas parler de l’inadéquation de l'offre, dans l'invisibilité, l'ambiguïté, la ruse, l'esquive, la tactique, l'occasion, le bricolage des bénéficiaires ou des « aidés ». Autrement dit, les offreurs d’aide, parfois abusés par l’évidence de leurs propositions d’actions, s’imaginent collaborer avec des partenaires, animés des mêmes perspectives qu’eux. Sachant que l’aide hiérarchise et subordonne, les donateurs n’entrevoient pas vraiment l’existence de l’autre scène régie par d’autres conventions. Cette situation conduit à des équivoques. Les acteurs locaux - à défaut de maîtriser par eux-mêmes le jeu - miment une adhésion aux conventions des offreurs d’aide, en vue d’accéder aux ressources offertes, sans pour autant partager les mêmes valeurs et avec le risque de les détourner à leurs propres fins, afin de les rendre compatibles avec leurs stratégies de survies.
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Bouvier, Pierre. "Socioanthropologie." Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.026.

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Abstract:
Le contexte actuel tel que le dessinent les tendances lourdes de ce troisième millénaire convie à interpeller les outils des science sociales forgés précédemment. La compréhension de l’univers et donc du genre humain s’est appuyée, en Occident, au siècle des Lumières, sur une volonté d’appréhender les phénomènes sociaux non plus dans des lectures théologiques, métaphysiques mais au nom d’une démarche se voulant scientifique. Les explorations à l’extérieur du domaine européen transmises par divers types de voyageurs restaient lacunaires. Pour les appréhender de manière plus rationnelle des disciplines ont émergé telle que l’ethnographie, l’ethnologie et l’anthropologie allant du plus petit agrégat vers des lectures plus généralistes. Les sociétés de là-bas commencent, alors, à se frayer un domaine dans le champ des connaissances. C’est ainsi que peuvent être appréhendés les symboliques, les cosmogonies et les rituels de populations aussi diverses que celle des forêts amazoniennes, de la savane soudanaise ou des régions polaires et ce au delà d’a priori dévalorisants. Se révèlent, par l’ethnographie, l’ethnologie et l’anthropologie, leurs pratiques et leurs usages et les constructions idéelles qu’elles soient celles des Baruya, des Dogon ou des Inuit. L’autonomie prise par ces études et ces recherches contribuent à lutter plus qu’efficacement contre les idées préconçues antérieurement, celles empreintes de xénophobie sinon de racisme. Pour sa part la sociologie s’attache au développement et à la modernisation des sociétés occidentales déclinées suivant divers critères dont la mécanisation des productions de biens, l’urbanisation, les mobilités. Ces valeurs, la sociologie en est l’un des analyseurs comme elle le sera pour la période que Fourastié dénomma les « Trente glorieuses », décennies marquées par le plein emploi, l’élévation des niveaux de vie, le consumérisme du moins dans les sociétés occidentales et que traitent les sociologies de l’action, des organisations, des négociations, des régulations, des critiques de la bureaucratisation mais également des conflits entre catégories et classes sociales (Fourastié 1979). Ceci s’inscrit peu ou prou dans le cadre d’institutions et de valeurs marquées au sceau des Etat-nations. En ce troisième millénaire le cours des évènements modifie ces conditions antérieures. Les temporalités, les pratiques et les représentations changent. La mondialisation suscite des échanges croissants entre des entités et des ensembles populationnels hier fortement distincts. Les migrations non plus seulement idéelles mais physiques de cohortes humaines déstructurent les façons d’être et de faire. De ce fait il apparaît nécessaire de tenir compte de ces mutations en décloisonnant les divisions disciplinaires antérieures. Les processus d’agrégation mettent en place des interactions redéfinissant les valeurs des uns et des autres, hier ignorées voire rejetées par des mondes de la tradition ethnique, religieuse ou politique (Abélès et Jeudy 1997). La mise en réseau interpelle ces ensembles populationnels dorénavant modifiés par l’adjonction de valeurs antérieures étrangères à leurs spécificités. L’anthropologie, l’ethnologie s’avèrent nécessaires pour appréhender ces populations de l’altérité aujourd’hui insérées plus ou moins effectivement au cœur des sociétés post-industrielles (Sahlins 1976). De plus ces populations de là-bas sont elles-mêmes facteurs actifs de réappropriation et de création de nouvelles formes. Elles interpellent les configurations usuelles et reconnues par la sociologie. On ne peut plus leur assigner des valeurs antérieures ni les analyser avec les méthodologies et les paradigmes qui convenaient aux réalités précédentes, celles d’un grande séparation entre les unes et les autres (Descola 2005). Déjà les procédures habituelles privilégiant les notions de classe sociale, celles de mobilité transgénérationnelle, d’intégration, de partage des richesses étaient interpellées. Des individus de plus en plus nombreux ne se retrouvent pas dans ces dynamiques d’autant que ces dernières perdent de leur force. Le sous-emploi, le chômage, la pauvreté et l’exclusion dressent des scènes et des acteurs comme figures oubliées des siècles passés. Bidonvilles entourant les centres de prospérité, abris de fortune initiés par diverses associations constituent autant de figures ne répondant pas aux critères antérieurs. Une décomposition plus ou moins radicale des tissus institutionnels fait émerger de nouvelles entités. Les notions sociologique ne peuvent s’en tenir aux interprétations qui prévalaient sous les auspices du progrès. La fragilisation du lien social implique des pertes de repère (Bouvier, 2005). Face à l’exclusion économique, sociale et symbolique et aux carences des pouvoirs publics des individus essaient de trouver des parades. Quelques-uns mettent en place des pratiques signifiantes leur permettant, dans cet univers du manque, de redonner du sens au monde et à leur propre existence. Ainsi, par exemple, d’artistes, qui non sans difficulté, se regroupent et faute de lieux, investissent des locaux vides : usines, bureaux, immeubles, autant de structures à l’abandon et ce dû aux effets de la crise économique, des délocalisations ou des fermetures de bureau ou d’entreprises. Ces « construits pratico-heuristiques » s’appuient sur des techniques qui leur sont propres : peinture, sculpture, installation, vidéo, etc., facteurs donnant du sens individuel et collectif. Ils en définissent les règles eux-mêmes. Ils en gèrent collectivement l’installation, le fonctionnement et les perspectives en agissant en dehors des institutions. De plus ces configurations cumulent des éléments désormais indissociables compte tenu de la présence croissante, au cœur même des sociétés occidentales, de populations allogènes. Ces dernières n’ont pas laissé derrière elles leurs valeurs et leurs cultures. Elles les maintiennent dans ces périphéries urbaines et dans les arcanes des réseaux sociaux. En comprendre les vecteurs et les effets de leurs interactions avec les valeurs proprement occidentales nécessitent l’élaboration et l’ajustement d’un regard à double focale. Celui-ci permet de discerner ce qui continue de relever de ces mondes extérieurs de ce qui, comme suite à des contacts, fait émerger de nouveaux facteurs d’appréhension et de compréhension du monde. Les thèses sociologiques du progrès, du développement mais également de l’anomie et des marges doivent se confronter et s’affiner de ces rencontres avec ces valeurs désignées hier comme relevant de la tradition, du religieux : rites, mythes et symboliques (Rivière 2001). L’attention socioanthropologique s’attache de ce fait non seulement à cette dualisation mais également à ce qui au sein des sociétés du « premier monde » relève des initiatives des populations majoritaires autochtones et, à l’extérieur de leurs sphères, de leur frottement avec des minorités allogènes. Elle analyse les densités sociétales, celles en particulier des institutions qu’elles se sont données. Elle les conjugue avec les us et les données existentielles dont sont porteurs les effets tant des nouvelles populations que des technologies médiatiques et les mutations qu’elles entraînent dans les domaines du lien social, du travail, des loisirs. De leurs frictions émergent ces « construits de pratiques heuristiques » élaborés par des individualités sceptiques tant face aux idéologies politiques que face à des convictions religieuses ébranlées par les effets des crises économiques mais également par la perte de pertinence des grands récits fondateurs. Ces construits allouent du sens à des rencontres impensables du moins dans le cadre historique antérieur, là où les interventions de l’Etat, du personnel politique, des responsables cléricaux savaient apporter des éléments de réponse et de résolution aux difficultés. De ces « construits de pratiques heuristiques » peuvent émerger et se mettre en place des « ensembles populationnels cohérents » (Bouvier 2000). Ces derniers donnent du sens à un nombre plus élevé de constituants, sans pour autant que ceux-ci s’engagent dans une pratique de prosélytisme. C’est par écho que ces regroupements se constituent. Cet élargissement n’est pas sans être susceptible, à court ou moyen terme, de s’institutionnaliser. Des règles et des principes tendent à encadrer des expressions qui, hier, dans le construit, ne répondaient que de la libre volonté des membres initiateurs. Leur principe de coalescence, empreint d’incertitude quant à toute perspective pérenne, décline de l’existentiel et du sociétal : étude et compréhension des impositions sociales et expressions des ressentis individuels et collectifs. Ces dimensions sont peu conjuguées en sociologie et en anthropologie, chacune de ces disciplines malgré les discours récurrents sur l’interdisciplinarité, veillant à préserver ce qu’elles considèrent comme étant leur spécialisation ou du moins leur domaine (Bouvier 1999). La socioanthropologie est alors plus à même de croiser tant les données et les pesanteurs sociétales, celles portées par diverses institutions, tout en révélant les attentes anthropologiques, symboliques, rituelles et non rationnellement explicites que ces construits et ensembles populationnels produisent. La position du chercheur adhérent, bénévole, militant et réflexif en immersion partielle, en observation impliquée, impliquante et distancée comporte l’enjeu de pouvoir réussir à préserver son autonomie dans l’hétéronomie des discours et des pratiques. Une « autoscopie » est nécessaire pour indiquer les distances entre l’observateur et l’observé et plus encore pour donner un éclairage sur les motivations intimes de l’observateur. La socioanthropologie s’inscrit, de fait, comme advenue d’une relecture à nouveaux frais. Elle conjugue et suscite des modalités s’attachant aux émergences de ces nouveaux construits faisant sens pour leurs protagonistes et aptes à redonner de la signification aux données du contemporain (Bouvier 1995, 2011)
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Goodale, Mark. "Droits humains." Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.093.

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Abstract:
En tant que sous-domaine émergeant de l'anthropologie sociale et culturelle, l'anthropologie des droits humains a contribué à la théorie et à la méthodologie de diverses manières. Il a également apporté des contributions en dehors de la discipline puisque les juristes internationaux, les responsables politiques et les représentants du gouvernement se réfèrent à l'anthropologie des droits humains comme source d'informations et d'idées au sujet des droits humains dans les documents politiques, les rapports aux agences gouvernementales et dans les principaux discours publics (voir par ex. Higgins 2012, 2013). Culture En tant que catégorie d'organisation de la différence, la culture était dès le départ problématique pour les droits humains. Dans sa Déclaration sur les droits de l'homme de 1947, Melville Herskovits craignait que la diversité et la richesse culturelles ne soient incompatibles avec les droits humains, en affirmant des modèles transculturels de croyances et de pratiques normatives contredisant les preuves anthropologiques et en menaçant d'ignorer la culture au sein de l'économie politique de l'ordre de l’après-guerre. En dépit de ces préoccupations, la diversité culturelle n'a pas été affectée par la promulgation de la Déclaration universelle des droits de l'homme en 1948. Ceci, en grande partie, est dû à l'influence plus large des droits humains, sans parler de la transformation globale imaginée par Herskovits, qui a immédiatement été bloquée par la Guerre froide. Même Eleanor Roosevelt a reconnu que le projet des droits humains prendrait des années, voire des décennies, et que les modèles culturels ne commenceraient à changer que lorsque ce qu'elle appelait une «vigne curieuse» prendra racine puis se répandra dans des lieux où « les gouvernements ne l’attendent pas » (cité dans Korey 1998). Au moment où ce genre de changement à grande échelle a commencé, les anthropologues des droits humains ont observé que l'impact sur la culture défiait la dichotomie entre particularisme et universalisme et que la culture elle-même facilitait la transnationalisation des normes des droits humains. Dans le volume novateur Culture and Rights (« Culture et Droits ») (2001), les anthropologues qui se sont penchés sur une décennie de recherche ethnographique après la fin de la Guerre froide ont remarqué deux phénomènes clés à l'œuvre. Dans la première, les pratiques culturelles et les modes de compréhension normatifs existants ont servi de mécanismes à ce que Sally Engle Merry (2006a) décrira plus tard comme la «vernacularisation», à savoir l’application de normes internationales des droits humains de plus en plus hégémoniques dans des formes de pratique éthique et politique ancrées dans le particulier. Et dans la seconde, les spécialistes de Culture et Droits ont décrit et théorisé l'émergence d'une culture transnationale des droits humains. Ici, un compte rendu anthropologique de la culture s'est avéré utile pour comprendre la formation de nouvelles catégories d'action collective au sein des agences internationales, des ONG transnationales et des mouvements politiques et sociaux façonnés par les logiques des droits humains. Dans les deux cas, l'utilisation par les anthropologues du concept de culture pour comprendre la pratique des droits humains a évolué à contre-courant de la théorie anthropologique et sociale, sceptique sur l'utilité analytique de la culture face à l'hybridation supposée de la mondialisation. Pouvoir Les droits humains, comme Burke aurait pu le dire, agissant à travers les gens, c'est du pouvoir; et «les gens prévenants, avant qu'ils ne se déclarent, observeront l'usage qui est fait du pouvoir; et surtout d'éprouver quelque chose comme l’exercice d’un nouveau pouvoir sur des personnes nouvelles, dont les principes, les colères et les dispositions ont peu ou pas d'expérience »(Burke 1919 [1790]: 7, souligné par l’auteur). Les anthropologues des droits humains ont été très attentifs à un autre problème initialement identifié par Herskovits: la manière dont un projet global de droits humains crée des tensions accrues au sein des conflits d’intérêts existants en éliminant toutes formes alternatives de changement social et de résolution des conflits. Bien sûr, du point de vue des défenseurs des droits humains, c'est un pouvoir exercé pour le bien; en effet, comme l'expriment avec force les traités internationaux comme la CEDAW, le projet des droits humains d'après-guerre exige le changement, le remplacement, voire la suppression des modes de pratique culturelle qui restent inexplicables et donc illégitimes. Comme le stipule l'article 5 souvent cité par le CEDAW, les États parties à la charte internationale des droits des femmes doivent «modifier les comportements sociaux et culturels des hommes et des femmes en vue d'éliminer les préjugés et autres pratiques coutumières» qui sont basées sur les théories locales de l'inégalité de genre. Mais, comme l'ont montré les anthropologues, les droits humains tendent souvent à mettre entre guillemets et à marginaliser les autres logiques culturelles de justice sociale, de développement, de transformation des conflits et d'éthique publique. Et cette extension du pouvoir peut avoir des conséquences inattendues. L'un des exemples les plus complets de la façon dont les anthropologues ont exploré les implications du pouvoir imprévisible des droits humains est l'ethnographie du développement de Harri Englund (2006) au Malawi. Comme il l'explique, le concept des droits humains a été officiellement traduit dans la langue locale avec une phrase qui signifiait «la liberté avec laquelle on est né» (2006: 51). Au fil du temps, les gens ont mis l'accent sur la liberté de contester les normes culturelles existantes en matière de mode, d'obéissance dans les écoles publiques et de comportement sexuel, plutôt que sur les conditions structurelles économiques et politiques qui renforçaient un héritage d'inégalité et de corruption publique. Le résultat, selon Englund, fut que les Malawiens finissaient par être «privés de la traduction». Le discours sur les droits humains a saturé tous les aspects de la vie publique au Malawi, comme le voulaient les fonctionnaires et les travailleurs humanitaires transnationaux. Mais puisque les droits humains étaient mal traduits dans une langue vernaculaire locale, ils ont été transformés au point d'être méconnaissables, ce qui a empêché leur utilisation comme langage d'un changement social pourtant nécessaire. Épistémologie Quand Herskovits affirmait que l'anthropologie n'était pas capable de faire des affirmations définitives sur les droits humains universels parce qu'elle était une «science de l'humanité» et ne s'intéressait donc qu'aux questions empiriques du comportement humain exprimées par des «modèles de culture», il ne pouvait prévoir les innovations épistémologiques dans la discipline qui élargiraient ses objets de connaissance et transformeraient ses domaines d'investigation. Cela ne veut toutefois pas dire que, dans les décennies qui ont suivi, les anthropologues ont écarté les premiers arguments de Herskovits pour confronter les problèmes ontologiques et philosophiques fondamentaux qui restaient essentiels aux droits humains. Une grande partie du travail intellectuel consacré aux droits humains restait dans des sphères telles que les études juridiques critiques, la théorie politique et la philosophie morale. Au contraire, les anthropologues ont utilisé la recherche ethnographique pour étayer de manière subversive l'élargissement des bases sur lesquelles les questions fondamentales morales et théoriques des droits humains pouvaient être posées et résolues. Ceci, à son tour, a eu des implications importantes pour l'épistémologie des droits humains, en particulier dans l'après-Guerre froide, lorsque le discours sur les droits humains s'est de plus en plus intégré dans les pratiques juridiques, politiques et sociales. Les anthropologues ont très tôt observé que les idées sur les droits humains étaient fondamentales dans leur mise en pratique. Les acteurs sociaux, souvent pris dans des moments de crise ou de dislocation, n'ont jamais été capables d'exploiter simplement les droits humains ou de corrompre leurs imaginaires de justice comme s'il s'agissait d'une boîte à outils normative attendant d'être ouverte. Au lieu de cela, les logiques de défense des droits humains exigeaient autant de considération de soi que de changement social; les gens étaient invités, encouragés, obligés de se repenser en tant que citoyens d'un univers moral différent. La théorisation éthique en termes de cet univers moral souvent radicalement différent est devenue une forme distincte de pratique sociale et l'anthropologue est devenu à la fois témoin et participant de cette transformation dans le cadre de la rencontre ethnographique (voir Goodale 2006). Ce qui en résulta fut un enregistrement ethnographique de modèles de droits humains innovants et potentiellement transformateurs, profondément ancrés dans les circonstances de leur création. Le meilleur exemple que nous ayons d'un compte rendu local des droits humains parfaitement articulé est l'ethnographie de Shannon Speed ??sur les conséquences de la rébellion zapatiste au Chiapas (2007). Pendant et après la violence, des organisations internationales et transnationales de défense des droits humains ont envahi la région du Chiapas. Ceux qui défendent les droits des peuples autochtones en tant que droits humains ont été particulièrement influents dans la façon dont la résistance zapatiste s’est exprimée. Les leaders politiques indigènes ont formé des «conseils de bonne gouvernance» dans lesquels les idées sur les droits humains ont été longuement débattues, remaniées et ensuite utilisées pour représenter les valeurs morales zapatistes en tant qu'action politique zapatiste enracinée. Plaidoyer transnational Les réseaux transnationaux des droits humains qui ont émergé après la fin de la Guerre froide ont fait ce qu'Eleanor Roosevelt attendait d'eux: ils ont défié la souveraineté de l'Etat et ont permis de créer de nouvelles sphères publiques à la fois translocales et ancrées dans les sites de contestation intime. Des chercheurs comme Annelise Riles (2000) ont étudié ces réseaux de l'intérieur et ont contribué à la compréhension plus large des assemblages mondiaux qui modifiaient l'ontologie des relations sociales à une époque de transformation économique géopolitique et mondiale. Mais les anthropologues ont également montré à quel point les réseaux de défense des droits humains sont façonnés par les économies politiques des conflits locaux de manière à changer leur valence normative et à les rendre incapables de remplir leur mandat plus large de changement social et de transformation morale. Par exemple, l'ethnographie de longue durée de Winifred Tate (2007) du conflit historique entre l'État colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) montre comment les défenseurs des droits humains luttent pour traduire la langue et les logiques morales des droits humains universels en une catégorie instrumentale de l'action pouvant répondre aux défis du traumatisme historique, des récits multiples et ambigus de la culpabilité pour les atrocités commises, de l'héritage de la violence structurelle, et des modèles durables d'inégalité économique ayant des racines dans la période coloniale. Et l'étude de Sally Engle Merry (2006b) sur les institutions qui surveillent la conformité nationale à la CEDAW illustre en détail la façon dont les défenseurs des droits humains doivent eux-mêmes naviguer entre des cultures multiples de défense et de résistance. Les représentants des ministères nationaux des droits humains se trouvent souvent obligés de défendre à la fois le respect d'un traité international des droits humains et l'intégrité et la légitimité des pratiques culturelles qui semblent violer ce même traité. Néanmoins, ces dichotomies n'annulent pas la portée du droit international des droits humains dans les conflits nationaux et locaux. Au contraire, comme le souligne Merry, elles reflètent la façon dont la pratique des droits humains crée ses propres catégories d'identités et de pouvoirs contestés avec des implications incertaines pour la défense transnationale des droits humains et la promotion du patrimoine national(-iste). Critique et engagement Enfin, l'anthropologie des droits humains, peut-être plus que d'autres orientations académiques s’intéressant aux droits humains, se heurte avec difficultés au dilemme de développer un compte rendu rigoureux et ethnographique des droits humains qui soit à la fois critique et éthiquement conforme aux conditions de vulnérabilité qui mènent aux abus et à l’exploitation. Cette tension s'est exprimée de différentes manières pour chaque anthropologue. Certains (comme Winifred Tate et Shannon Speed, par exemple) ont commencé leur carrière en tant qu'activistes des droits humains avant de faire de la recherche et de mener une réflexion ethnographique sur les processus sociaux et politiques pour lesquels ils s’étaient engagés. Mais la tension entre la critique et l'engagement, le scepticisme et le plaidoyer, et la résistance et l'engagement, n'est pas seulement un défi pour les anthropologues des droits humains. Comme l'a démontré la recherche ethnographique, c'est un fait social et moral fondamental pour la pratique des droits humains elle-même. Ceci en partie parce que la théorie de la pratique sociale et du changement politique que propose les droits humains exige une forme d'autoréflexion et d'auto-constitution destinée à semer le doute sur les pratiques culturelles existantes, sur les théories populaires de l’individu, et sur les hiérarchies du pouvoir. Pourtant, la transition de l'ancien à l’actuel devenu tout à coup illégitime au nouveau et maintenant soudainement authentique est lourde de dérapage moral et de conséquences imprévues. Un exemple récent d'ethnographie de la pratique des droits humains est l'étude de Lori Allen (2013), portant sur le rôle du discours sur les droits humains dans la politique de résistance palestinienne à l'occupation israélienne de la Cisjordanie. Bien que le langage des droits humains ait été utilisé dès la fin des années 1970 en Palestine comme stratégie rhétorique populaire pour défendre les victimes de l'occupation auprès d'une audience internationale, un cercle professionnel d'activistes et d'ONG finit par restreindre l'utilisation des droits humains dans des espaces sociaux et politiques étroitement contrôlés. Dans le même temps, l'ensemble des griefs palestiniens sont restés sans réponse pendant des décennies, comme la violation des droits humains continuelle, l'incapacité à obtenir l'indépendance politique et à influencer favorablement l'opinion politique en Israël. Le résultat fut que les Palestiniens en vinrent à considérer les droits humains avec cynisme et même suspicion. Mais plutôt que de rejeter entièrement les droits humains, ils ont formulé une critique organique des droits humains dans un discours critique et émancipateur plus large promouvant l'autonomie palestinienne, l'anti-impérialisme et l’activisme associatif (par opposition à l'interventionnisme). Après des décennies d'engagement pour les droits humains dans l'histoire de la lutte palestinienne contre l'occupation, les militants ont pu s'approprier ou rejeter les logiques et les attentes des droits humains avec un haut degré de conscience contextuelle et de réalisme politique. Orientations futures L'anthropologie des droits humains est maintenant bien établie en tant que domaine de recherche distinct et source de théorie anthropologique. Sur le plan institutionnel, les universitaires et les étudiants diplômés qui travaillent dans le domaine de l'anthropologie des droits humains viennent généralement, mais pas exclusivement, des rangs de l'anthropologie juridique et politique. Parce que les droits humains sont devenus un mode de plus en plus omniprésent du monde contemporain, les anthropologues rencontrent des traces de cette influence à travers un large éventail de pratiques culturelles, de mouvements politiques et de projets moraux. Cela ne veut cependant pas dire que le statut des droits humains n'est pas contesté, bien au contraire. Alors que la période liminaire de l'après-Guerre froide cède la place à la redifférenciation culturelle, à l'établissement de nouvelles hiérarchies et au rétrécissement des espaces d'expérimentation politique et sociale, les droits humains continueront à bousculer les formes alternatives de pratiques morales et de constitution personnelle et collective. Alors que le projet des droits humains d'après-guerre mûrit en se transformant en processus presque banal de réforme constitutionnelle, de bonne gouvernance et de restructuration économique néo-libérale, son potentiel de catalyseur de transformation radicale et de bouleversement moral diminuera probablement. L'anthropologie des droits humains deviendra moins l'étude d'un discours politique et moral à une époque de transition souvent vertigineuse et de possibilités apparemment illimitées, que celle d'un universalisme séculaire contemporain établi parmi une foule de perspectives concurrentes.
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Vibert, Stephane. "Tradition et modernité." Anthropen, 2018. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.081.

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Abstract:
« Tradition » et « modernité » sont longtemps apparues, pour les sciences sociales et le sens commun, non seulement comme des notions relatives, initialement définies l’une par rapport à l’autre dans un rapport d’exclusivité mutuelle, mais plus encore, comme des qualificatifs désignant de véritables régimes d’humanité – sociétés traditionnelles et modernes. Pourtant, de l’intérieur même du champ anthropologique, de nombreuses critiques se sont régulièrement élevées à l’encontre de ce découpage trop schématique, appelant à davantage de réflexivité quant à l’usage de ces catégories englobantes. En effet, durant une majeure partie de son existence, l’anthropologie a été associée à l’étude des sociétés « primitives », ou « traditionnelles », alors que la description des sociétés « civilisées », ou « modernes », était dévolue à la sociologie. Cette distinction épousait de fait l’auto-compréhension des sociétés occidentales, dont la reconstruction évolutionniste de l’histoire de l’humanité présentait celle-ci selon une succession linéaire et nécessaire de stades indiquant les progrès de l’esprit humain, manifestes tant au niveau de l’organisation sociale, de la connaissance des phénomènes, de la morale personnelle que des réalisations matérielles et techniques. Aussi, dès la rencontre effective avec des sociétés aux langues, mœurs, croyances ou activités dissemblables, l’intérêt pour l’altérité comme différence s’est trouvé en tension avec une volonté de classification abstraite, selon une philosophie de l’histoire élaborée à partir des catégories intellectuelles propres à la trajectoire occidentale. Cela passe notamment, à partir des 18éme-19èmes siècles, par une auto-identification à la Raison universelle, seule apte à circonscrire le savoir « vrai » sur la réalité physique ou sociale, à distance de tous les préjugés enfermant l’humain dans la coutume, l’ignorance et la superstition. De cette configuration culturelle particulière (dite « post-traditionnelle »), nouveau mode de représentation du monde et de l’Homme apparu à la Renaissance et aboutissant aux Lumières, découleront tant un ensemble de processus socio-politiques définissant la « modernité » (développement scientifique et technique, révolution industrielle, État de droit, capitalisme marchand, individualisation des comportements et des valeurs, etc.) qu’une opposition globale à la « tradition » (les « survivances », en termes évolutionnistes). Ce « désenchantement du monde » – pour reprendre l’expression célèbre de Max Weber –, sera perçu à travers une dichotomie généralisée et normativement orientée, déclinée sous de multiples aspects : religion / science, immobilisme / changement, hiérarchie / égalité, conformisme / liberté, archaïsme / progrès, communauté / société, etc. Si le « grand partage » entre Nous et les Autres, entre modernité et tradition, a pu constituer un soubassement fondamental à la prime ambition empirique et positiviste du savoir anthropologique, il n’en a pas moins dès l’origine de la discipline été contesté sur bien des points. En anthropologie, l’idée d’une tradition fixe et rigide s’avère critiquée dès Malinowski, l’un des premiers à souligner la rationalité contextuelle des « primitifs » en référence à leurs règles communes de coexistence, et à récuser l’assimilation indue de la tradition à une obéissance servile et spontanée, sorte d’inertie mentale ou d’instinct groupal. Chez les Trobriandais ou ailleurs, soulignait-il, « dans des conditions normales, l’obéissance aux lois est tout au plus partielle, conditionnelle et sujette à des défaillances et (…) ce qui impose cette obéissance, ce ne sont pas des motifs aussi grossiers que la perspective du châtiment ou le respect de la tradition en général, mais un ensemble fort complexe de facteurs psychologiques et sociaux » (Malinowski, 2001 : 20). L’anthropologie, par sa mise en valeur relativiste des multiples cultures du monde, insistera alors davantage sur l’importance de la tradition dans la constitution de toute société, comme ensemble de principes, de valeurs, de pratiques, de rituels transmis de génération en génération afin d’assurer la permanence d’un monde commun, fût-ce à travers d’essentielles dynamiques de réappropriation, d’altération et de transformation, trait fondamental de toute continuité historique. Selon Jean Pouillon, « la tradition se définit – traditionnellement – comme ce qui d’un passé persiste dans le présent où elle est transmise et demeure agissante et acceptée par ceux qui la reçoivent et qui, à leur tour, au fil des générations, la transmettent » (Pouillon, 1991 : 710). En ce sens, « toute culture est traditionnelle », même si elle se conçoit comme radicalement nouvelle et en rupture totale avec le passé : son inscription dans la durée vise implicitement un « devenir-tradition ». Dès les années 1950, le courant « dynamique » de l’anthropologie britannique (Gluckman, 1956 ; Leach, 1954 ; Turner, 1957), les analyses de l’acculturation aux États-Unis (Herskovits, 1955) ou les travaux pionniers de Balandier (1955) et Bastide (1960) en France avaient montré combien les « traditions », malgré les efforts conservateurs des pouvoirs religieux et politiques afin de légitimer leur position, recelaient de potentialités discordantes, voire contestataires. A partir des années 1980, certains courants postmodernes, post-coloniaux ou féministes en anthropologie (Clifford et Marcus, 1986 ; Appadurai, 1996 ; Bhabha, 1994 ; Abu-Lughod, 1993), souvent inspirés par la French Theory des Foucault, Deleuze ou Derrida (Cusset, 2003), se sont inscrits dans cette veine afin d’élaborer une critique radicale de la perspective moderne : partant du native point of view des populations subalternes, objectivées, dépréciées et opprimées, il s’agit de dénoncer le regard implicitement colonialiste et essentialiste, qui – au nom de la science objective – avait pu les rejeter unanimement du côté de l’archaïsme et de l’arriération.. Cette reconsidération féconde de la « tradition » rejaillit alors nécessairement sur son envers relatif, la « modernité ». A partir des années 1950, suite au cataclysme totalitaire et aux puissants mouvements de décolonisation, apparaît une critique anthropologique argumentée des principes de développement et de modernisation, encore approfondie dans les années 1990 avec la fin du communisme réel en Europe et l’avènement d’une crise écologique liée à l’hégémonie du capitalisme industriel. Sous l’effet d’une « mondialisation » aux dimensions hétérogènes voire contradictoires, l’Occident semble redécouvrir les vertus des approches dites « traditionnelles » en de nombreux domaines (spiritualité, médecine, artisanat, agriculture, patrimoine, etc.), à la faveur de réseaux d’information et de communication toujours plus denses. Sans trancher sur le fait de savoir si notre époque globalisée relève encore et toujours de la modernité (seconde, avancée ou tardive), ou alors de la postmodernité (Bonny, 2004) du fait des formes hybrides ainsi produites, la remise en cause de la rationalité progressiste entendue comme « métarécit » (Lyotard, 1979) semble favoriser une compréhension plus équilibrée des « traditions vivantes », notamment des mœurs des populations autochtones ou immigrées (pluralisme culturel, tolérance religieuse, éloge de la diversité et du cosmopolitisme), même si certaines contradictions n’en apparaissent pas moins toujours prégnantes entre les divers répertoires de sens disponibles. Dès lors, les deux termes du contraste classique tradition / modernité en ressortent désormais foncièrement relativisés, et surtout complexifiés. Les études historiques ont montré combien les sociétés apparemment les plus modernes contribuaient plus ou moins consciemment à une constante « invention de traditions » (Hobsbawm et Ranger, 1992), évidente dans la manifestation de certains nationalismes ou fondamentalismes religieux cherchant à légitimer leurs revendications politiques et culturelles les plus contemporaines par le recours à un passé idéalisé. D’une certaine manière, loin d’avoir strictement appliqué un programme rationaliste de séparation nature / culture, « nous n’avons jamais été modernes » (Latour, 1991), élaborant plutôt à notre insu un monde composite et hétéroclite, sous la domination d’un imaginaire social qui érige paradoxalement le progrès, la rationalité et la croissance en mythe de la maîtrise rationnelle. Et lorsqu’elle s’exporte, cette « ontologie naturaliste » (Descola, 2005) se voit réinterprétée, transformée, voire inversée, selon une « indigénisation de la modernité » (Sahlins, 2007 : 295) qui bouscule tant les univers locaux de signification que les principes globaux d’arraisonnement du monde. S’avère désormais entérinée l’existence de « modernités multiples », expression synonyme d’une évolution différenciée des trajectoires socio-culturelles à travers des cheminements à la fois interreliés, métissés, contingents et comparables. A l’inverse, nul ne semble pouvoir dorénavant se réclamer ingénument de la tradition sans être confronté à un paradoxe fondamental, déjà repéré par Hocart (1927) : puisqu’elle ne vit généralement qu’ignorée de ceux qui la suivent (selon un agir pratique incorporé dans les us et coutumes du quotidien), on fait appel à la tradition d’abord pour justifier ce qui justement ne va plus de soi, et se trouve en danger de disparaître. Ce passage de la tradition au « traditionalisme » peut prendre à la fois la forme légitime d’une sauvegarde de valeurs et coutumes ou de la résistance à la marchandisation globale, mais aussi le visage grimaçant d’une instrumentalisation idéologique, au service d’un ordre social chimérique, soi-disant pur et authentique, fût-il répandu par les moyens technologiques les plus modernes.
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Martin, Brigitte. "Cosmopolitisme." Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.120.

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Abstract:
Le cosmopolitisme est un mot dont la racine ancienne remonte à la civilisation des peuples de langue et de culture grecques durant l’Antiquité. Il a été formulé par Diogène de Sinope à partir des mots grecs que sont : cosmos, univers, politês et citoyen. Il exprime la possibilité d’être natif d’un lieu précis et de toucher à l’universalité, sans renier sa particularité (Coulmas 1995). Souvent associé à la mobilité internationale ou à l’élite globetrotteuse, dont les compétences interculturelles auraient facilité la maîtrise des sensibilités et des nuances culturelles, le cosmopolitisme n’est pourtant pas une caractéristique essentielle à la réalisation de citoyens du monde et d'universalistes (Chouliaraki 2008). Le point d’ancrage qu’est la relation qui réside dans l’utilisation du mot « local » pour désigner l’opposé du « cosmopolite », constitue l’élément déterminant au cœur de cette notion de cosmopolitisme contemporain. Hiebert (2002) ne fait pas de différence entre les locaux paroissiaux sédentaires et ceux qui sont plus mobiles à l’étranger (voyageurs, globetrotteurs, travailleurs, exilés, etc.) pour qualifier le cosmopolite, qui selon lui réside dans la connexion entre cultures et culture d’appartenance. Aujourd’hui, la notion de cosmopolitisme repose sur un vaste champ d’études et de disciplines qui constitue une tentative pour parvenir à une compréhension de phénomènes culturels plus contemporains. Cette conception émerge par l’ouverture de relations nouées et des effets qui y sont associés localement ou lors des déplacements à l’étranger (Amit 2010; Cook 2012; Gay y Blasco 2010; Molz 2006; Noble 2009, 2013). Le XVIIIe siècle a été celui du cosmopolitisme, celui où l’on a vu se développer les notions de citoyen du monde et d’universalisme, et celui où Kant (1724-1804) y a formulé sa théorie du cosmopolitisme se fondant sur l’universalisme, la pensée rationnelle, le libéralisme et la sécularité. Les notions de citoyen du monde et d’universalisme peuvent qualifier et signifier ce que l’on entend par cosmopolitisme. En outre, la philosophie universaliste positionne chaque individu au sein d’un ensemble social allant du plus particulier – en commençant notamment par le soi, la famille, la communauté locale et les communautés d’intérêts – au plus général, c’est-à-dire à l’échelle mondiale et à l’appartenance au genre humain. En supposant que le lieu de naissance soit accidentel, les stoïciens encourageaient la valeur morale et éthique reliée à l’abandon des barrières nationales, ethniques et de classes qui créent une distance entre l’individu et ses pairs (Vertovec et Cohen 2002). Aujourd’hui, le cosmopolitisme se démarque de cette conception en étant plus relié au relativisme culturel. D’ailleurs, les auteurs contemporains (Held 2002; Vertovec et Cohen 2002), même s’ils se réfèrent aux origines grecques telle que la philosophie des stoïciens, qui percevaient le monde comme formant une série de cercles concentriques, proposent une conception nouvelle des différences comme autant de manifestations du chemin à parcourir pour atteindre l’universel. À travers l’histoire, le cosmopolite est souvent montré comme un stigmatisé, puisqu’il est soupçonné de communiquer des idées provenant d’un ailleurs hors de contrôle (Backer 1987). Une des caractéristiques propres aux cosmopolites est ce réel désir, cette motivation de vouloir s’immerger dans une culture différente de la sienne, ce qui est en fait un élément distinctif pour décrire le cosmopolite. Cette immersion doit se faire au cours de longs séjours ou d’une multitude de séjours de courte durée, offrant suffisamment de temps pour explorer une ou plusieurs cultures locales et ainsi y nouer des liens et y trouver des points d’entrée (Hannerz 1990). C’est dans cette perspective d’action et d’opposition – qui peut être perçue comme une posture d’intérêt, qui est celle d’un esprit ouvert, mais critique – qu’ils peuvent entrer dans des réseaux internationaux riches et variés. La circulation culturelle au cœur de ces réseaux, qu’elle soit locale ou internationale, s’insère plus que jamais dans les caractéristiques permettant de définir le cosmopolitisme au XXIe siècle. Ainsi, vers le début des années 1990, l’attrait pour l’étude du cosmopolitisme refait surface dans les sciences humaines et sociales, notamment avec la publication d’un article intitulé ***Cosmopolitans and Locals in World Culture (1990) par l’anthropologue suédois Ulf Hannerz. Cet auteur définit le cosmopolitisme comme une aisance à naviguer à travers différents courants de pensée, une ouverture et une volonté de reconnaissance de l’altérité. L’anthropologie apporte ainsi une contribution importante et pertinente à la compréhension de cette notion. Hannerz (1990, 1996, 2006, 2007, 2010) devient une référence clé lorsqu’on parle de la notion de cosmopolitisme contemporain en anthropologie; il a inspiré pratiquement à lui seul le renouveau de ce courant et a permis de faire naître une série de débats et de travaux dans une perspective culturelle qui mérite d’être mentionnée afin d’enrichir la portée significative et la compréhension de cette émergence d’un cosmopolitisme. Tomlinson (1999) associe le cosmopolitisme à une perspective qui permet de s’engager dans la diversité culturelle, s’ajustant ainsi à certains éléments de son univers. Dans le but d’étoffer sa portée théorique, ce positionnement doit être nuancé à la lumière de cas concrets, puis appliqué à d’autres réalités (Backer 1987; Cook 2012; Gay y Blasco 2010; Molz 2006, Noble 2009, 2013; Tomlinson 1999; Vertovec et Cohen 2002). En conséquence, les revendications cosmopolites seraient aussi imaginées par une disposition culturelle ou esthétique qui représente la différence (Nussbaum 2002), un sens de la tolérance, de la flexibilité et de l’ouverture qui conduit à l’altérité et qui peut caractériser une éthique des relations sociales dans un monde interconnecté. Toutefois, certaines critiques affirment que cette notion de « cosmopolitisme global » représente une figure cosmopolite trop vague et même vide de sens pour pouvoir qualifier ou même donner de l’ancrage à l’action sociale. Cette notion de cosmopolitisme « flottant » serait même considérée par divers auteurs contemporains comme étant trop abstraite à la réalité sociale et retirée des contextes de la vie quotidienne d’autrui pour pouvoir en tenir compte dans l’explication des phénomènes sociaux (Erskine 2002; Skrbis et al. 2004). Aussi, contrairement aux formulations universelles et abstraites du cosmopolitisme, ces critiques en appellent à la pluralité et à la particularité de ce que Robbins (1998) appelle le « cosmopolitisme réellement existant ». Ce cosmopolitisme se vit « dans les habitudes, les pensées, les sentiments et les expériences de personnes réellement existantes et qui sont géographiquement et socialement situées » (1998 : 2). Ainsi, des travaux importants ont été consacrés à l’enrichissement de marqueurs essentiels à un « cosmopolitisme réellement existant ». Ces éléments sont entre autres : une volonté de s’engager avec d’autres personnes de culture différente (Amit 2010; Hannerz 2010), d’autres manières de penser et d’être, tel un antihéros dans sa posture intellectuelle et esthétique d’ouverture à des expériences culturelles divergentes (Gay y Blasco 2010; Molz 2006); une aptitude personnelle à trouver ses repères dans d’autres cultures (Noble 2009); des compétences spécialisées comme des aptitudes à manier de façon plus ou moins experte un système donné de significations (Cook 2012); un globetrotteur qui reste attaché à sa culture et à son territoire d’origine et qui se fabrique un chez-soi sur la base d’une des nombreuses sources de signification personnelle connues à l’étranger (Molz 2008); des aptitudes à accepter la déstabilisation, et ce, même s’il n’y est pas toujours bien préparé; des compétences variables à entrer au plus profond d’une autre structure de significations (Hannerz 1990); une attitude confiante libre de toute inquiétude face à la perte de sens (Cook 2012) des compétences pour mettre en pratique les connaissances acquises et les partager (Noble 2013); enfin des capacités à canaliser les différentes perspectives locales ou ce qui relève du local (Molz 2007). Gay y Blasco (2010) questionne cette fragilité et cette impermanence potentielle des émergences cosmopolites, à savoir si elles représentent une identité, une personnalité ou une pratique mutable. Pour Hannerz, cette compétence réside d’abord à l’intérieur de soi : c’est une question d’ancrage personnel qui fait largement place à une identité (1990 : 240). Pour Gay y Blasco, c’est une question de choix et d’engagement. En mettant en évidence les conséquences matérielles et affectives d’embrasser une perspective cosmopolite, il souligne que le cosmopolitisme serait une pratique mutable qui exige de prendre en considération les subjectivités cosmopolites qui se trouvent à la base de son orientation et qui peuvent être fortement teintées par le fait d’être une femme ou un homme, d’avoir à faire face à des contraintes du fait de sa provenance ethnique et des rapports que cela peut faire apparaître, comme celui des classes sociales, de la hiérarchie et même des inégalités (2010 : 404). Plusieurs débats anthropologiques sur ce qu’est le cosmopolitisme ont été dominés par la préoccupation des catégorisations et du dualisme entre identité et pratique. Enfin, pour quelques autres auteurs, le cosmopolite provient surtout de l’Ouest plutôt que d’ailleurs dans le monde, il appartient à l’élite plutôt qu’à la classe ouvrière, il s’observe davantage dans la pratique des voyageurs mobiles que chez les habitants sédentaires, il est métropolitain ou urbain plutôt que rural, et il appartient surtout aux consommateurs plutôt qu’aux travailleurs ou aux producteurs (Trémon 2009, Werbner 1999). À cet égard, il convient quand même de souligner que certains auteurs ont bien identifié les différents types de cosmopolitisme que sont par exemple la cosmopolitique et le cosmopolitisme culturel (Hannerz 2006), ou le cosmopolitisme d’élites plutôt que le cosmopolitisme non sélectif, plus démocratique et possible pour toutes les classes (Datta 2008). D’autres se sont aussi concentrés sur la différence entre transnationalisme et cosmopolitisme (Werbner 1999), ou cosmopolitisme et identités déterritorialisées (Trémon 2009 : 105). En dépit de cette prolifération de catégories, Hannerz reconnaît qu’il reste un flou autour de ce concept (2006 : 5). Selon lui, ce sont précisément ces différentes formes de cosmopolitisme qui en font un outil d’analyse variable, ouvert et attrayant pour les chercheurs. Malgré tout, Pollock et al. (2000 : 577) soutiennent qu’ils ne sont pas certains de ce que signifie réellement cette notion, mais ils arrivent à la conclusion qu’il s’agit bien d’un objet d’étude, d’une pratique et d’un projet.
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Vibert, Stephane. "Individualisme." Anthropen, 2018. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.083.

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Abstract:
Le concept d’individualisme ne se présente pas comme une notion traditionnelle en anthropologie, ainsi que le montre son absence de la plupart des dictionnaires de la discipline. Popularisée dans l’œuvre de Louis Dumont (1966) par son opposition au holisme caractéristique des sociétés « traditionnelles » (dont l’Inde des castes constitue l’exemple paradigmatique), la notion s’avère souvent mal comprise, puisqu’elle semble suggérer une dichotomie binaire là où il est avant tout question de contraste comparatif et d’accentuation entre des variantes socioculturelles de l’humanité. Parfois accusée de reconduire les grands dualismes ethnocentriques propres à la socio-anthropologie classique (tradition/ modernité, communauté/ société, solidarité mécanique/ solidarité organique) qui ne verraient hors de l’Occident que des univers de conformisme, de tribalisme ou de despotisme (Lozerand 2014), l’étude de l’individualisme se présente pourtant, avant tout, comme « une archéologie de la conception occidentale de l’individu » (Flahault dans Lozerand 2014 : 547). En effet, selon Dumont, la conception moderne du monde se caractérise par une « idéologie individualiste », c’est-à-dire un ensemble de représentations et d’idées-valeurs qui s’articule autour de la figure prééminente de l’individu commeprincipe, à distinguer radicalement du « sujet empirique », échantillon indivisible de l’espèce humaine, parlant, pensant et agissant, tel qu’on le rencontre danstoutesles sociétés sous diverses formes. Figure centrale de l’idéal politique et éthique de l’Occident depuis les Lumières, l’individu (considéré comme antérieur à son existence sociale par les doctrines du droit naturel moderne) n’en reste pas moins pour la discipline anthropologique une « institution » (Mauss 1967 : 150), au sens où il doit nécessairement s’ancrer dans un monde social et culturel qui lui donne signification et consistance. En définissant la modernité comme individualiste là où « l’individu est érigé envaleursuprême », Dumont n’utilise pas le terme dans un sens péjoratif (égoïsme) ou laudatif (autonomie) mais, dans le sillage de Tocqueville, comme l’affirmationsocialed’une valeur. Ce sont les sociétés qui sont individualistes, et non d’abord les individus eux-mêmes. Dans sa prétention à fonder la société à partir d’une juxtaposition d’individus rationnels et originellement déliés, la configuration individualiste propre à la modernité néglige, ou tout du moins subordonne, le trait consubstantiel à toute existence sociale, trait défini comme « holisme » ou « aperception sociologique » : la « présence du social dans l’esprit de chaque homme », qui emporte comme corollaire que « la perception de nous-même comme individu n’est pas innée mais apprise, […]elle nous est prescrite, imposée par la société où nous vivons », laquelle « nous fait une obligation d’être libres » (Dumont 1966 : 21). Ainsi la prééminence de l’individu dans la société moderne appelle-t-elle un certain de nombre de valeurs corrélatives (dont l’égalité de droit, mais aussi la liberté morale ou encore la nation comme « société des individus »), tout en se combinant au sein de chaque culture particulière avec des éléments holistes locaux, ce qui donne une appréciation différenciée de la modernité (sous la figure notamment de variantes nationales). Ainsi que le rappelle Dumont, « l’individualisme est incapable de remplacer complètement le holisme et de régner sur toute la société... de plus, il n’a jamais été capable de fonctionner sans que le holisme contribue à sa vie de façon inaperçue et en quelque sorte clandestine » (Dumont 1991 : 21). C’est que la valeur individualiste, si elle est bien devenue essentielle dans nos sociétés par l’élévation des droits de l’Homme au statut de principe universel, ne peut effectivement s’incarner qu’au sein d’une société particulière, qui en traduit politiquement les attendus de façon toujours contingente et déterminée. L’analyse ne suppose donc pas unretourà des principes holistes, comme s’ils avaient disparu en même temps que les communautés traditionnelles et cohésives, mais plutôt une conscience plus lucide du rôle que jouent les principes holistes dans toute vie humaine pour autant qu’elle est toujours vie en société. L’idéologie de l’individu indépendant se heurte implicitement d’une part à la conservation nécessaire de « totalités partielles » comme lieux verticaux de transmission de la langue, de la culture et du sens (famille, école, associations, communautés), et d’autre part à la réintroduction de principes dits « collectifs » contre « l’utopie libérale », à doses variables selon les pays, comme l’État-providence, l’appartenance nationale, les systèmes d’assurance sociale, les diverses régulations du marché, les principes de solidarité et de redistribution, etc. Il convient également de ne pas confondre l’individualisme compris comme représentation sociale avec deux processus distincts portant sur la confection concrète de la personne et son potentiel de singularité, à savoir l’individuation et l’individualisation. Au XXesiècle, l’anthropologie s’est surtout intéressée auxformes d’individuationpropres aux diverses sociétés, ces pratiques de « constitution de la personne » par inclusion dans un ordre symbolique qui suppose des représentations partagées et des dispositifs rituels. Elle a pu ainsi constater l’extrême hétérogénéité des systèmes de pensée et d’agir visant à conférer une « identité » à l’être humain, preuve d’une large palette culturelle quant aux manières d’appréhender les relations de soi à soi, aux autres et au monde. Marcel Mauss a ainsi montré comment l’être humain ne pouvait apparaître qu’à la suite de multiples processus de subjectivation, ainsi que l’expriment les diverses « techniques du corps », l’expression des émotions ou l’intériorisation de l’idée de mort (Mauss 1950). Car toutes ces caractéristiquesa prioriéminemment « personnelles » varient en fait largement selon les contextes sociaux et culturels où elles prennent signification. La tradition anthropologique a énormément insisté sur la naturerelationnellede l’individuation, ouvrant sur la perception d’un Soi tissé de rapports avec l’environnement social et mythique (Leenhardt, 1947), jusque dans ses composantes mêmes, qu’elles soient matérielles (os, sang, chair, sperme, etc.) ou non (esprit ancestral, souffle, ombre, etc.) (Héritier 1977), parfois même au-delà des « humains » strictement définis (Descola 2005). De même, bon nombre d’auteurs ont souligné l’existence de divers processus historiques et culturels d’individualisationnon réductibles à la prééminence de l’individualisme comme valeur englobante. Le Bart (dans Lozerand 2014 : 89), après Foucault (1984) et Vernant (1989) distingue trois formes d’individualisation qui ne se recoupent jamais parfaitement : l’autonomie sociopolitique, l’existence d’une « vie privée » et le rapport réflexif à soi constituent autant de critères marquant un dépassement de la logique « holiste » d’individuation (définissant un nom, une place, un rôle, un statut) vers une « quête de soi » différenciée, invoquant comme idéal de vie une singularité, un salut ou un « épanouissement » posés théoriquement comme échappant aux injonctions normatives et symboliques de la société. S’articulant plus ou moins à l’individualisme comme valeur, cette visée d’authenticité désormais généralisée dans les sociétés occidentales en illustre également les limites, dès lors qu’en sont précisées les difficultés et les défaillances dans l’existence concrète des acteurs sociaux (déshumanisation du travail, conformisme consommatoire, maladies exprimant la « fatigue d’être soi » comme la dépression, influence des médias de masse et des réseaux sociaux, sentimentalisme et moralisme excessifs, solitude et vide affectif, etc.). Depuis une trentaine d’années et la mise en évidence d’une globalisation aux contours multiples se pose enfin la question de l’extension descriptive et normative de l’individualisme aux diverses cultures et civilisations du monde, que cela soit par le biais de catégories politiques (le citoyen rationnel), économiques (le marchand, le salarié et le consommateur propres au monde capitaliste), juridiques (le sujet de droit), morales (l’agent responsable) ou esthétiques (le dessein d’expressivité originale), etc. Si, selon Dumont, le christianisme et sa valorisation d’un « individu en relation directe avec Dieu » jouent un rôle primordial dans l’émergence de l’individualisme, ce sont bien les catégories humanistes et séculières qui, depuis la colonisation, légitiment les dynamiques d’extension actuelles, notamment du fait de la promotion par les instances internationales des droits humains comme fondement universel de justice sociale. L’anthropologie elle-même, dans un contexte de mise en relation généralisée des sociétés, s’évertue à saisir la place que des cultures différentes accordent à la valeur de « l’individu » (Morris 1994 ; Carrithers, Collins et Lukes 1985), que ce soit dans les grandes religions ou philosophies historiques (islam, judaïsme, bouddhisme, hindouisme, confucianisme, etc.) ou dans les communautés contemporaines, irréversiblement marquées par l’hégémonie occidentale et l’extension d’une économie mondialisée, mais également par des mouvements fondamentalistes ou « revivalistes » de repli identitaire. La valorisation du métissage et de l’hybridité impliquerait en ce sens de réinsérer « l’individu » dans les « paysages » culturels multiples et enchevêtrés qui établissent le lien entre global et local, entre contraintes systémiques et réappropriation communautaire (Appadurai 1996). Dans la dynamique contemporaine de globalisation, l’extension de l’individualisme comme valeur se retrouve dans une position paradoxale, d’une part liée à l’hégémonie d’un système-monde capitaliste et donc accusée de favoriser une « occidentalisation » fatale pour la diversité culturelle, d’autre part identifiée comme porteuse d’émancipation à l’égard de structures et normes contraignantes pour des acteurs (femmes, minorités ethniques, religieuses ou sexuelles, personnes handicapées) privés des droits élémentaires aux plans politique, juridique et socioéconomique.
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