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Leveau, Philippe. "Occupation du sol, géosystèmes et systèmes sociaux. Rome et ses ennemis des montagnes et du désert dans le Maghreb antique." Annales. Histoire, Sciences Sociales 41, no. 6 (December 1986): 1345–58. http://dx.doi.org/10.3406/ahess.1986.283352.

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Abstract:
« Entre le nomade redoutable par sa mobilitéet le montagnard inaccessible dans ses hauteurs,le paysan des plaines et des collinesméditerranéennes avait presque toujourssuccombé » (J. DESPOIS, « Géographie et histoireen Afrique du Nord, retouche à unethèse », dans Éventail de l'histoire vivante.Hommage à Lucien Febvre, t. 1, Paris, 1953,p. 194).Pour l'historien de l'Antiquité, l'étude de l'occupation du sol ne peut être réduite à la confection de cartes de localisation des sites. De natures différentes, les sites s'organisent en réseaux qui nous renseignent sur l'organisation des espaces ruraux. Les différenciations dans l'organisation des campagnes permettent d'individualiser et de caractériser des systèmes sociaux et des périodes chronologiques. L'étude de l'occupation du sol est donc obligatoirement diachronique (on ne peut entreprendre une prospection en étant fermé à tout vestige d'occupation qui paraît relever d'une période autre) et inter- ou même trans-disciplinaire. Il faut être, comme l'historien, sensible aux successions : succession des événements, succession des formes sociales, succession des paysages ; il faut être géographe ; il faut être attentif aux structures sociales.
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2

Ivinza Lepapa, Alphonse-Christian. "Génération du millénaire et l'influence des réseaux sociaux sur l'exercice de la démocratie : L’exemple de l’Afrique et du Congo." Acta Europeana Systemica 6 (July 12, 2020): 31–40. http://dx.doi.org/10.14428/aes.v6i1.56793.

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Abstract:
Le concept des réseaux sociaux dans le langage courant se confond avec l'expression "réseau social"qui est utilisée pour parler des "médias sociaux".Un réseau social est un ensemble d'individus ou d'organisations reliés par des interactions sociales régulières. L'expression "médias sociaux" recouvre les différentes activités qui intègrent: la technologie, l'interaction sociale (entre individus ou groupes d'individus) et la création de contenu. Les médias sociaux utilisent l'intelligence collective dans un esprit de collaboration en ligne. Grâce à ces médias sociaux (moyens decommunication sociale), les individus ou les groupes d'individus qui collaborent créent ensemble du contenu web, organisent ce contenu, indexent,modifient, commentent et combinent le contenu avec des créations personnelles.Quelles sontles générations intéressées par ces réseaux sociaux?Point commun elles se reconnaissent sur le même fond : le paradigme digital (l'importanceà accorder aux phénomènes numériques). Cela explique l'engouement aux réseaux sociaux entre les différentes générations (grand-père, grande -mère, père, mère, enfants, milieux académique et universitaire, milieux ruraux, milieux citadins) qui se servent des mêmes outils.Quelle est l'influence des réseaux sociaux dans la démocratie en Afrique et au RD Congo?Les natifs de la génération Internet et du Millénaire vivent l'ère du numérique(ordinateur, baladeur, Gsm) et seraient les plus instruits de l'histoire humaine.Les Africains et les congolais actuels sont tous enfants de ces deux générations, ils vivent l'ère du numérique (ordinateur, baladeur, Gsm) et devront être parmi les plus instruits de notre pays: ils sont nés dans la société du savoir et ils sont marqués par l'Internet comme les autres enfants du monde.En raison de la mondialisation des Technologies de l'Information et de la communication (TIC) qui empêcherait l'usage de la liberté des échanges d'information dans les milieux africains.
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3

Hathout, Chaimae, Chakib Hamadi, and Sara Hathout. "Intention d’usage des messages réseau-publicitaires par le cybernaute nord-africain : Etude qualitative." International Journal of Financial Accountability, Economics, Management, and Auditing (IJFAEMA) 3, no. 3 (July 1, 2021): 285–301. http://dx.doi.org/10.52502/ijfaema.v3i3.94.

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Abstract:
Ces dernières années, imprégnées d'une large démocratisation de la publicité sur les réseaux sociaux, nous cherchons à modéliser la relation entre les stratégies de communication électronique menées sur ces plateformes par une entreprise pratiquant le Yield management, et l'attitude du cybernaute nord-africain envers cette forme de publicité sociale. Dans ce cadre, un modèle de recherche a été élaboré au fur et à mesure que nous avancions dans notre littérature. Nous avons ensuite cherché à analyser et contextualiser les différents éléments dudit modèle à travers une étude qualitative.
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4

Tandon, Urvashi, and Ravi Kiran. "Comprendre les antécédents de la satisfaction des clients envers l’achat en ligne : une étude empirique de la théorie de l’autodétermination." Revue Organisations & territoires 29, no. 3 (December 1, 2020): 57–71. http://dx.doi.org/10.1522/revueot.v29n3.1197.

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Abstract:
Cet article vise à comprendre les indices de la satisfaction des clients en ce qui concerne l’achat en ligne en Inde en utilisant la théorie de l’autodétermination (TDA). Cette recherche valide le plaisir perçu, l’influence sociale, les interactions sur les réseaux sociaux, la logistique inverse et le paiement à la livraison (pay on delivery ou POD) en tant que nouveaux indices de la satisfaction des clients pour l’achat en ligne. Les données ont été recueillies au moyen d’un questionnaire autoadministré et structuré ciblant les acheteurs en ligne dans les États de l’Inde du Nord. Un échantillon de 424 acheteurs en ligne a été validé à l’aide de la modélisation d’équations structurelles (SEM). Les conclusions de l’article révèlent que l’influence sociale, la logistique inverse et le paiement à la livraison (POD) ont eu un impact positif et significatif sur la satisfaction des clients. Le plaisir perçu apparaît comme étant le meilleur indice de l’achat en ligne. Cependant, les interactions sur les réseaux sociaux apparaissent comme un indice négligeable de la satisfaction des clients. Cette recherche constitue l’un des efforts initiaux qui valident empiriquement le POD, les interactions sur les réseaux sociaux, l’influence sociale, la logistique inverse et le plaisir perçu dans le contexte de l’achat en ligne en utilisant la TDA. Grâce à cette étude, les cybercommerçants qui se préparent à étendre leurs activités en Inde obtiennent des informations importantes sur les moteurs de l’achat en ligne menant à la satisfaction des clients. En retour, cela leur permettra de développer des stratégies de marketing et de les mettre en place pour cibler l’énorme marché inexploité.
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5

Comte, Sarah, Florence Duhaime, Sarah Girard, Jennifer Taing, and Maya Yampolsky. "Réseau social et configurations identitaires multiculturelles chez la deuxième génération nord-américaine." Psycause : revue scientifique étudiante de l'École de psychologie de l'Université Laval 10, no. 2 (November 20, 2020): 25–26. http://dx.doi.org/10.51656/psycause.v10i2.40775.

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Abstract:
Cette étude quantitative explore la relation entre les configurations identitaires et les réseaux sociaux chez les adultes de la deuxième génération en Amérique du Nord. Quatre-vingt- sept participants américains (N=87) ont répondu au questionnaire récoltant des informations sur leur contexte sociodémographique, la structure de leur réseau social (interconnectivité et diversité culturelle), ainsi que la manière dont ils négocient les liens entre leurs identités culturelles (représentées par la catégorisation, compartimentation et intégration). L’analyse des corrélations et des régressions montre qu’une plus grande proximité relationnelle est reliée à l’intégration et prédit celle-ci. En outre, plus de similarité ethnique entre les individus du réseau social, incluant les participants, entraîne une plus forte prédominance vers l’identification avec la culture d’origine. Les résultats obtenus permettent d'avoir une compréhension plus approfondie et nuancée des expériences identitaires, interpersonnelles et multiculturelles des individus de la deuxième génération en Amérique du Nord.
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Kebede, Wassie, and Alice K. Butterfield. "Social networks among poor women in Ethiopia." International Social Work 52, no. 3 (May 2009): 357–73. http://dx.doi.org/10.1177/0020872808102069.

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Abstract:
English Social networks are social capital for poor women living in a slum neighborhood in Addis Ababa, Ethiopia. Based on neighborhood, friendship, kinship, gender and ethnic ties, informal networks provide social, emotional and financial support. Social network analysis is a promising method for community development and participatory social work in Africa. French Les réseaux sociaux représentent un capital social pour les femmes pauvres qui vivent dans les bidonvilles à Addis-Abeba, en Ethiopie. Basés sur des liens de voisinage, d’amitié, de parenté, de genre et de culture, les réseaux informels apportent un soutien social, affectif et financier. L’analyse du réseau social est une méthode prometteuse pour le développement communautaire et le travail social participatif en Afrique. Spanish Las redes sociales son de suma importancia para las mujeres pobres que viven en los barrios de pocos recursos de Addis Abeba, Etiopía. Basadas en barrios, amistades, relaciones, géneros y lazos étnicos, las redes informales proveen ayuda social, emocional y financiera. El análisis de las redes sociales es un método promisorio para el desarrollo de las comunidades y el trabajo social participativo en África.
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Lévesque, Benoît. "Les relations internationales de l’économie sociale au Québec sur plus d’un siècle et demi (1840-2008)." Globe 12, no. 1 (February 9, 2011): 67–94. http://dx.doi.org/10.7202/1000770ar.

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Abstract:
Cet article identifie et analyse cinq configurations dominantes dans les relations internationales de l’économie sociale au Québec pour la période allant de 1840 à 2008 : une première (1840-1880) que nous qualifions d’économie solidaire où prédominent les sociétés de secours mutuel, une seconde (1880-1920) d’économie sociale patronnée où les coopératives s’imposent, une troisième (1930-1950) de coopération d’inspiration corporatiste, une quatrième (1960-1990) de coopération inscrite dans le nationalisme économique et une cinquième (1990-2008) d’économie sociale et solidaire. Chacune de ces configurations dominantes a entretenu des relations internationales cohérentes avec les acteurs sociaux qui les portaient et avec leur idéologie. Les dernières configurations, par ailleurs, ont donné lieu à une ouverture sans précédent sur le monde. Désormais, des pratiques innovatrices circulent à travers les réseaux de coopération internationale, non seulement entre pays du Nord, mais aussi entre pays du Nord et du Sud, de plus en plus sous forme de partenariats dits « égalitaires ». Enfin, en s’institutionnalisant, les relations internationales de l’économie sociale se sont spécialisées dans au moins trois directions: la coopération internationale, la solidarité internationale et la recherche.
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Moghadam, Valentine M. "Restructuration économique, politiques identitaires et rapports sociaux de sexe en Europe centrale de l’Est et au Moyen-Orient-Afrique du Nord." Articles 8, no. 1 (April 12, 2005): 35–49. http://dx.doi.org/10.7202/057818ar.

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Abstract:
L'auteure analyse la dynamique sexuée de la restructuration économique en cours en Europe centrale de l'Est, dans son passage d'une économie planifiée à une économie de marché, et dans la région formée par le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, aux prises avec une crise économique et des politiques d'ajustement structurel. L'analyse met en relief les effets de ces changements sur les femmes en tant que femmes, citoyennes et travailleuses.
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9

Schreier, Joshua. "Recentering the History of Jews in North Africa." French Historical Studies 43, no. 1 (February 1, 2020): 47–61. http://dx.doi.org/10.1215/00161071-7920450.

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Abstract:
Abstract Recent work that readjusts French Jewish historians' lenses to include France's empire in North Africa is essential, but it does not necessarily expand the range of questions beyond the logic or contradictions of empire. Looking at Jewish history from “outside” the empire, in contrast, may de-emphasize the critical focus on the failures of enlightenment, assimilation, or civilization that have been central both to colonialists' self-definition and to subsequent historiography. Drawing on work that traces the history of a group of powerful Jewish merchants in mid-nineteenth-century Oran, this article posits that North African Jews influenced the early French colonial order. In so doing, it underlines the inadequacy of imported (but enduring) anthropological, popular, or legal identifiers such as indigènes, subjects, or citizens while emphasizing how Maghrebi Jews were often influential figures in the extra- or transimperial networks that both defied and shaped France's early North African empire. Pour importantes qu'elles soient, les recherches récentes plaçant l'Empire français en Afrique du Nord au centre de l'histoire juive française ne se sont pas dégagées de certaines problématiques bien établies, notamment celles centrées sur la logique interne de l'Empire et ses contradictions. Cet essai constitue une tentative de considérer l'histoire juive de « l'extérieur » de l'Empire, visant par là à repenser l'importance longtemps mise sur les échecs (ou les réussites) des Lumières, de l'assimilation, ou de la mission civilisatrice—idées qui ont longtemps joué un rôle essentiel dans la façon dont les colons se sont définis et dans la formulation des questions historiographiques liées à l'entreprise coloniale. Cet article traite d'un groupe de grands négociants juifs d'Oran au milieu du dix-neuvième siècle pour montrer que les juifs d'Afrique du Nord étaient des agents puissants ayant non seulement exercé une influence déterminante sur l'ordre précolonial, mais aussi sur les premières décennies de la colonisation française. Ce travail souligne ainsi les limites d'identifiants anthropologiques, populaires, ou légaux tels qu’« indigènes », « sujets », ou « citoyens ». Il souligne en outre que les juifs maghrébins avaient souvent une influence considérable sur les réseaux trans-impériaux qui ont à la fois défié le nouvel Empire français en Afrique, et qui lui ont donné forme.
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Fournier, Marcel. "Un intellectuel à la rencontre de deux mondes : Jean-Charles Falardeau et le développement de la sociologie universitaire au Québec." Recherches sociographiques 23, no. 3 (April 12, 2005): 361–85. http://dx.doi.org/10.7202/055993ar.

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Abstract:
Objet de nombreuses études, le processus de constitution de nouveaux savoirs ou de nouvelles compétences est assimilé tantôt au mouvement de « professionnalisation », tantôt à l'organisation de disciplines scientifiques, mais dans l'un (sociologie des professions) et l'autre cas (sociologie de la science), ce processus est identifié à la constitution d'un corps de spécialistes et à leur insertion en milieu universitaire : les conditions institutionnelles ou les étapes d'institutionnalisation d'une discipline sont invariablement la délimitation des frontières de la discipline, l'organisation d'institutions d'enseignement et de recherche, la constitution de réseaux ou plus largement d'une « communauté » de collègues en contact les uns avec les autres, la formalisation des règles d'accès à la carrière scientifique, etc. Il faut cependant reconnaître que, parce qu'elle exige la mobilisation de ressources humaines et financières, toute transformation de la division sociale du travail intellectuel qu'entraînent l'apparition et l'organisation d'une nouvelle discipline ne repose pas sur la seule force de P« idée » nouvelle ou sur la seule énergie de quelques individus d'exception. Pour la période contemporaine, en particulier pour la période qui correspond à la modernisation du système universitaire et qui date, en Europe et en Amérique du Nord, de la seconde moitié du XIXe siècle, une telle modification n'est nullement indépendante de transformations de la structure sociale elle-même, en particulier de la montée de nouvelles classes dirigeantes qui identifient leur mobilité au « progrès », à la « modernité » et à la « science », et qui souvent s'associent à des mouvements de réformes sociales. Dans le cas de la sociologie aux États-Unis, il ne fait aucun doute, comme le montre Oberschall, que sa naissance et son développement rapide sont provoqués par la prise de conscience et la prise en charge, d'abord par des institutions privées et ensuite par l'État lui-même, des «problèmes sociaux» (pauvreté, hygiène, criminalité, urbanisation, etc.) qu'entraîne l'industrialisation et qui suscitent l'organisation de mouvements réformistes habituellement animés par des membres des classes supérieures. ' Fille de la modernité, la sociologie en est à la fois le témoin, l'analyste et (parfois) le critique. Dans le cas d'une société telle que le Québec dont le développement économique est largement dépendant, Le. fonction de capitaux étrangers, la mobilité et la mobilisation de la bourgeoisie francophone n'ont été, de la seconde moitié du XIXe siècle jusqu'aux années de la Crise, que partielles et n'ont pas permis, à travers des mouvements de réforme, la véritable modernisation du système universitaire francophone. Le développement de la sociologie sera certes lié à un mouvement social de modernisation, mais le contexte politique (de lutte contre le Duplessisme) et aussi la composition de ce mouvement, plus étroitement lié aux classes moyennes et populaires, seront différents : à la fois cette conjoncture spécifique et les caractéristiques sociales de ceux qui s'intéressent à cette discipline donneront à son développement un rythme et une forme particuliers.
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Vinck, Dominique. "Science(s)." Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.025.

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Abstract:
Les sciences désignent à la fois une série d'activités productrices de connaissances, plus ou moins différenciées d'autres activités sociales, et le résultat de ces activités (descriptions et énoncés de découvertes ou de lois décrivant ou prédisant des phénomènes, théories, méthodes de travail, savoir-faire incorporés, normes de comportement des scientifiques). Pour l'anthropologue, elles sont à la fois un objet de recherche et un cadrage (institutionnel, méthodologique et cognitif) de son travail, ce qui l'engage aussi dans une inévitable réflexivité. Du point de vue des sciences sociales, la science a été appréhendée (tradition mertonienne) comme une institution sociale distincte et exemplaire, dont la finalité est la production de connaissances rationnelles certifiées par les pairs. L'institution se caractérise par une structure normative qui régit le comportement des scientifiques telles que : universalisme, communalisme, désintéressement et scepticisme organisé. Les scientifiques qui agissent conformément à ces normes sont rationnels et humbles, capables de soumettre leurs productions à l’évaluation critique de leurs pairs, d’évaluer sans à priori le travail d’autrui et de s’auto-contrôler. Le respect de ces normes dépend de systèmes de communication (publication dans les revues scientifiques en particulier) et de gratification (nomination, distinction, obtention de fonds) dont l'analyse permet d'expliquer certains phénomènes de stratification au sein de la "communauté" scientifique. Cette approche a toutefois suscité de nombreux débats notamment quant à ce que représentent vraiment ces normes. Des contre-normes (p.ex. « garder le secret ») seraient aussi explicatives des comportements des scientifiques que les normes identifiées par Merton. Par ailleurs, dans leurs discussions internes, les scientifiques mobilisent autant les normes que les contre-normes pour défendre leur position ou affaiblir celle d’un collègue. Et surtout, ces normes seraient de nature idéologique et politique, utilisées par les scientifiques pour légitimer l’autonomie des sciences vis-à-vis du reste de la société, en particulier dans un contexte de montée en puissance de régimes autoritaires menaçant les scientifiques dans différentes régions du monde, comme ce fut le cas au cours du XXe siècle. Dans ce contexte, Merton (1973) a traité l'institution scientifique comme un modèle de démocratie des esprits, à l’abri des influences politiques. Toutefois, mobilisées au profit du développement technico-économique et de l’action publique (parfois militaire), les sciences constituent des sources de pouvoir, notamment en faisant autorité. Les questions de l'orientation et de la mobilisation des sciences fait dès lors l'objet de débats politiques récurrents. Elles soulèvent des questions de légitimité dans la société (sciences au service du progrès, de l'industrie, du prestige des Nations, de l'exploitation de la nature vs de projets de libération ou de résolution des problèmes auxquels le monde est confronté) tandis que leur spécificité a fait l’objet de nombreux débats chez les philosophes. Dans les relations Nords-Suds, elle est parfois traitée comme un enjeu des relations entre pays hégémoniques et non-hégémoniques ou en terme de centre-périphérie. Plus généralement, sa légitimité est questionnée vis-à-vis d'autres savoirs, locaux et indigènes notamment. De même, la fragmentation interne des sciences (prolifération de sous-spécialisations) a conduit les Nations Unies (convention de Rio de 1992) à demander qu'un effort d'intégration soit accompli car les problèmes auxquels sont confrontées les sociétés ont besoin d'une approche globale et non émiettée. Les dynamiques internes des sciences ont également été analysées de diverses autres façons : comme système d’échange de dons (Hagstrom 1965), comme système d’échange capitaliste et de lutte compétitive pour l’accumulation d’un capital symbolique (Bourdieu 1976), comme système politique où chacun tend à développer son domaine en gagnant de la crédibilité, convertible en ressources permettant de poursuivre (Latour, Woolgar 1988). Les relations entre scientifiques, voir aussi avec des non-scientifiques (industriels, médias, gouvernements, mouvements citoyens, communautés paysannes, etc.), constituent des réseaux sociaux dont les caractéristiques (taille, homogénéité / hétérogénéité, structure) expliquent les sciences en tant que phénomène social plus ou moins articulé à d'autres activités des sociétés. Depuis les années 1970, des chercheurs en sciences sociales (anthropologie, sociologie, histoire) ont investi l’étude des sciences en s’inspirant notamment des travaux de l’historien Kuhn (1957) (paradigme) et de l'anthropologie avec pour prétention de rendre compte des contenus (Sociology of Scientific Knowledge, SSK) et des pratiques scientifiques. Les sciences apparurent alors sous un nouveau jour. Les sciences sociales ne se cantonnent dès lors plus à l’examen des conditions sociales de possibilité de la science mais tentent d'expliquer aussi les productions scientifiques (données, théories, concepts) à partir de facteurs sociaux ou à partir des pratiques sociotechniques concrètes. Elles mettent en évidence la flexibilité interprétative des énoncés scientifiques (ni la nature, ni la méthode, ni la logique n’impose de vérité unique aux chercheurs) qui conduit à prendre en compte aussi d'autres facteurs explicatifs, notamment les rapports de forces, les mouvements de société, les traditions de pensée, les savoirs tacites, la nature du rapport au monde et à la nature, et les savoir-faire hérités. Du côté de la sociologie et de l'histoire, des auteurs vont rendre compte de l’action scientifique comme d'une rivalité entre scientifiques pour produire des énoncés de connaissances et les imposer aux autres. Ces scientifiques étant liés à des groupes sociaux, les intérêts de ces derniers orienteraient en partie le choix des objets de recherche, des approches et, par conséquent, les productions scientifiques. Les controverses entre chercheurs conduiraient ceux-ci à renforcer la robustesse de leurs affirmations et constitueraient ainsi un moteur des dynamiques scientifiques. Ces approches conduisent aussi à symétriser les analyses portant sur la constitution des savoirs scientifiques et celles portant sur les autres formes de savoirs, de systèmes de pensées ou de croyances. Des chercheurs britanniques (Bloor 1976 ; Collins 1985) prônent alors des principes de causalité, d'impartialité, de symétrie et de réflexivité dans l'étude des sciences. “Connaissances vraies” et “croyances fausses” devraient être expliquées par les mêmes registres de causalité (relations causales entre des variables sociologiques et contenus de connaissance, production négociée de connaissances consensuelles et clôture des controverses, analyse du discours). A la fin des années 1970, des chercheurs commencent à s’intéresser aux pratiques scientifiques concrètes. Ils observent les processus d’ajustement locaux et contingents et décodent les savoirs tacites incorporés dans les individus, instruments et formes d’organisation. Leurs études rendent compte de la production des faits, des données, des énoncés et des accords entre chercheurs, de l’articulation entre éléments hétérogènes, de la construction collective et négociée des publications. Adoptant des postures héritées de l'anthropologie, ils décrivent les processus de fabrication et de stabilisation des énoncés scientifiques en séjournant longuement au sein de laboratoires où se produisent des savoirs scientifiques. Ainsi, Latour, de retour d'une enquête en Afrique, débarque dans un laboratoire de biochimie réputé ; il cherche à y étudier “la pensée scientifique” en train de se faire et rend compte de l'importance des pratiques d'inscription. Il publie Laboratory Life. The Social Construction of Scientific Facts en 1979 (Latour, Woolgar, 1988). Knorr-Cetina (1981), en Allemagne, Lynch (1985), aux États-Unis, mobilisent l’ethnométhodologie et montrent les productions scientifiques comme des accomplissements pratiques situés. D’autres chercheurs héritiers de l’école pragmatique américaine et de l’interactionnisme symbolique de Chicago rendent aussi compte des productions scientifiques en rendant compte des perspectives des acteurs en présence. L’anthropologue Traweek (1988) étudie le monde des physiciens des particules, de même que d'autres le feront d'autres laboratoires (p.ex. Houdart 2013) ou de lieux de fabrication de connaissances technologiques (Downey 1998 ; Vinck 1999). Soucieux de rendre compte de l'intrication des sciences dans la société, notamment via les processus d'innovation, des chercheurs (Callon 1986 ; Latour 1989) conçoivent une approche (théorie de l’acteur-réseau, analyse des processus de traduction et de construction de réseaux sociotechniques) devant permettre de rendre compte des sciences et techniques en évitant les dichotomies héritées (nature/culture, sujet/objet, notamment). Ils ouvrent ainsi la réflexion sur une nouvelle anthropologie des connaissances.
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Pam, Adama Aly. "Épidémie et société." Emulations - Revue de sciences sociales, May 20, 2016. http://dx.doi.org/10.14428/emulations.varia.011.

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Abstract:
Quel est le rôle et la place de la médecine coloniale dans l’expansion et la mise en œuvre du nouvel impérialisme français en Afrique dans les premières années du XIXe siècle ? Quel est l’impact des épidémies dans la construction et l’établissement de l’ordre colonial ? L'article tente de mettre en évidence les facteurs historiques, sociaux et idéologiques qui sous-tendent les crises sanitaires dans le nord du Sénégal durant la seconde moitié du XIXe siècle, à travers l’étude de l'épidémie de choléra de 1868.
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Deirdre, Meintel. "Ethnicité." Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.095.

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Abstract:
Le concept d’ethnicité est le sujet d’une vaste littérature qui a bénéficié des contributions d’auteurs issus de différentes disciplines, dont la sociologie, l’histoire, la science politique et la démographie. Nous faisons ici une revue sélective des ouvrages anthropologiques qui ont marqué le domaine. Le concept d’ethnicité en sciences sociales est généralement attribué au sociologue Max Weber (1921, 1971). Le sociologue allemand conçoit l’ethnicité comme une construction sociale; c'est-à-dire, comme le produit de rapports sociaux. De nos jours, l’approche constructiviste de l’ethnicité prédomine à travers toutes les sciences sociales, y compris l’anthropologie. C’est l’anthropologue Frederik Barth (1969) qui a théorisé l’aspect processuel de l’ethnicité, et ce, en lien avec l’ethnographie des relations intergroupes. Son approche se distingue en ce qu’elle problématise l’émergence de groupes ethniques et leur durabilité dans le temps. Comme l’a écrit Robin Cohen (1978 : 389), « l’ethnicité n’a pas d’existence en dehors des relations interethniques » (notre traduction). Avant d’aller plus loin, précisons certains des termes utilisés ici. « Ethnicité » englobe non seulement l’identité ethnique, mais aussi les modèles culturels qui caractérisent le groupe – certains d’entre eux servant à le délimiter –, les associations, institutions sociales, activités collectives et intérêts communs (Meintel 1993). À l’instar de Fischer (1986), nous ajoutons que l’ethnicité englobe aussi la mémoire, soit la quête des individus et des collectivités de traditions qui servent à développer une vision du futur. Bref, l’ethnicité concerne non seulement le passé, mais aussi le présent et l’avenir. Dans l’optique de Fischer, l’ethnicité n’est pas qu’une forme de distinction sociale, ou un élément de hiérarchisation : elle représente également une gamme de ressources symboliques. L’intérêt pour l’ethnicité en anthropologie doit beaucoup aux recherches en Afrique, notamment celles menées par l’École de Manchester dans les villes où les travailleurs migrants demeuraient. Dans leur optique, ces villes et les villages d’origine constituaient un seul champ social. Dans un vocabulaire centré sur le « tribalisme », des chercheurs britanniques liés à cette école, dont Godfrey et Monica Wilson, Max Gluckman, J. Clyde Mitchell et Elizabeth Colson parmi d’autres, ont développé le Rhodes Livingstone Institute, institut dédié à l’étude des cultures du nord de la Rhodésie (aujourd’hui la Zambie). Ces chercheurs étudiaient les transformations sociales et culturelles des paysans devenus travailleurs urbains. Dans ce contexte de contact intergroupes, les identités ethniques sont devenues prééminentes. Leur nouvelle importance dans les relations sociales des citadins s’illustre par la danse Kalela (Mitchell 1956). Ce rituel hebdomadaire d’invention urbaine où les danseurs mettaient en scène la diversité ethnique et des figures urbaines (médecin, infirmière, etc.). Ici, l’identité tribale (les danseurs provenaient du groupe Bisa) était réinventée comme une forme d’ethnicité urbaine (retribalisation dans les termes de Mitchell). Par ailleurs, Mitchell a développé un schéma de relations urbaines tripartite : relations personnelles, structurelles et « catégoriques ». Tandis que les relations structurelles étaient largement encadrées par les rôles fixes des participants (par exemple, ainé/cadet, patron/ouvrier), les relations « catégoriques » (categorical relationships) concernaient les relations ponctuelles et superficielles; par exemple, au marché, dans les foules urbaines (Mitchell 1966) et largement gouvernées par des stéréotypes ethniques, pas forcément négatifs (1966). Plus tard, Jean-Loup Amselle (1990) a soulevé la question du rôle du colonialisme dans la création de frontières artificielles entre les sociétés africaines. S’appuyant sur ses recherches auprès de plusieurs groupes maliens, notamment les Malinkés, les Peuls et les Bambaras, l’ethnologue propose, plutôt que de considérer les sociétés africaines comme des entités étanches où coïncident cultures, langues et frontières politiques et sociales, de les définir comme une « chaîne de sociétés » caractérisée par un « syncrétisme originaire ». Dans la même veine, Lee Drummond concevait les sociétés des Caraïbes comme un « continuum culturel » caractérisé par une hybridation incessante, perspective qu’il appliqua par la suite à la société pluriethnique de Montréal (1982). Bien que la diversité ethnique (et religieuse) soit le sujet de grands débats sociaux, les études ethnographiques sur les relations interethniques n’abondent pas. Celle de Gerd Baumann (1996) fait exception, l’anthropologue ayant étudié les discours identitaires des habitants d’un district de Londres très diversifié et densément peuplé. Sa monographie illustre bien la fluidité des identités, des discours et des pratiques à l’égard de l’ethnicité. La labilité des frontières ethniques, pour ne pas mentionner la variabilité de marqueurs qui les définissent est illustrée par l’identité « québécoise » au Québec, définie largement par la langue maternelle française, tandis qu’auparavant, les habitants de la province se considéraient plutôt comme Canadiens français, catégorie définie principalement par la confession catholique. Cette mutabilité des frontières et des marqueurs soulève la question de la légitimité des identités et des revendications de droits ou de ressources articulées dans le cadre de ce que plusieurs dénomment « la politique identitaire ». Ces enjeux sont au cœur des travaux d’anthropologues comme James Clifford (2000), parmi d’autres. Clifford se penche sur plusieurs sociétés autochtones, dont les Kanaks de Nouvelle-Calédonie et les Nisga’a de la Colombie-Britannique, pour critiquer la tendance de certains anthropologues (par exemple, Kuper 2003) à considérer les discours identitaires de groupes indigènes comme « essentialistes » et leurs pratiques culturelles adaptatives comme « inventées ». L’auteur affirme par ailleurs que les luttes de groupes subalternes obligent les anthropologues à revoir la notion de « tradition » et à la concevoir non pas comme un corpus culturel figé, mais plutôt comme une gamme de ressources qui sont constamment remaniées. Les sociétés indigènes ne représentent pas, évidemment, des « minorités ethniques » comme les groupes immigrants (Eriksen 1993); au Canada, le terme « Premières Nations » connote leur statut distinct. Cependant, on constate certaines similitudes entre les enjeux identitaires et politiques des peuples autochtones et les minorités ethniques (Cipolla 2017), à plus fort raison compte tenu du fait que la majorité des autochtones au Canada et au Québec vivent en dehors des réserves. Par exemple, les diasporas, telles que Clifford (1994) les présente, concernent les Juifs et les Arméniens mais aussi des peuples amérindiens forcés à quitter leurs territoires (Clifford 2007). Les études anthropologiques de l’ethnicité ont pris une nouvelle tournure avec les travaux de Nina Glick Schiller et ses collègues (Glick Schiller, Basch et Blanc-Szanton 1992) sur la transnationalité. Dans cette optique, l’ethnicité des groupes immigrants est abordée non seulement en rapport avec un territoire particulier (quartier, ville, etc.), mais aussi en lien avec le pays d’origine des migrants et d’autres régions du monde où se trouvent des personnes du même groupe. Les nombreuses études en sciences sociales influencées par ce courant révèlent les dimensions politiques et économiques des réseaux transnationaux des migrants, tout en montrant que la transnationalité ne concerne pas tous les migrants de manière égale. Enfin, le « champ social » où se construit l’ethnicité s’étend désormais au-delà des frontières nationales. Dans les années récentes, nombreux chercheurs ont préféré parler de diversité plutôt que d’ethnicité, pour englober des critères tels que la religion, la l’orientation sexuelle, etc. Comme d’autres le reconnaissent, la diversité n’est pas un concept rigoureux (Kraus date) ; certains considèrent la diversité comme l’angle mort du racisme (CJF) puisqu’elle peut occulter les inégalités entre groupes ethniques. La sociologue Danielle Juteau (2018, p. 38) insiste sur pertinence de l’ethnicité de nos jours pour développer une perspective critique sur la diversité, puisque « son approche relationnelle et constructiviste, souvent matérialiste et transversale, en éclaire diverses facettes » de la diversité. Nous avons eu l’occasion de constater la création de nouvelles catégories ethniques, notamment celle d’ « Arabes » pour désigner les musulmans du Moyen-Orient, repris par des jeunes musulmans eux-mêmes pour s’identifier (Meintel 2018, p. 6-7). L’ethnicité nous semble toujours actuelle comme outil conceptuel pour mieux comprendre les relations intergroupes et les inégalités qui les caractérisent.
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Mekki-berrada, Abdelwahed. "Ethnopsychiatrie." Anthropen, 2017. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.045.

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Abstract:
Le terme « ethnopsychiatrie » a été proposé pour la première fois, autour des années 1940, par le psychiatre et diplomate haïtien Louis Mars (1945). « Ethno-psych-iatrie » vient de ethnos qui en grec ancien, et à la suite d’une série de glissements sémantiques signifie tour à tour famille, tribu, peuple, nation, race. Le terme psuche indique les idées d'âme et d'esprit et, enfin, celui de iatros réfère au médecin, au guérisseur, au soin et au médicament. La notion d’ethnopsychiatrie consiste donc en cette alliance complexe entre ethnos, psuche et iatros. Dans la présente rubrique, l’ethnopsychiatrie est sommairement abordée selon trois dimensions essentielles, à savoir : 1. l’ethnopsychiatrie comme ensemble de théories et de pratiques culturelles; 2. l’ethnopsychiatrie comme discipline anthropologique; et 3. l’ethnopsychiatrie comme pratique clinique. 1. En tant que théorie et pratique culturelle, l’ethnopsychiatrie se veut universelle. Pour Georges Devereux (1908-1985), considéré comme le fondateur de l’ethnopsychanalyse (variante fondatrice de l’ethnopsychiatrie) (Laplantine 2007), « il n’est pas de peuple sans ‘’ethnopsychiatrie’’, c’est-à-dire sans son propre repérage, sans ses modalités de prise en charge des désordres, de ce type de négativité que la science appelle ‘’psychopatologie’’ » (cité par Nathan 2011). L’alliance complexe entre ethnos, psuche et iatros (ethno-psych-iatrie), se décline cependant de multiples façons et par différents peuples pour construire des espaces d’expression du désordre, du mal, du malheur, du mal-être, de la maladie, de la souffrance sociale et de leur dimension cosmogonique. Ces espaces sont des ethnopsychiatries plurielles que chaque société humaine abrite comme dans les traditions ayurvédique, humorale, homéopathique, exorcistique, chamanistique qui s’ajoutent à une liste interminable de théories et d’actions au sujet de la maladie et de l’univers. L’ethnopsychiatrie inclut aussi des rituels tels que, parmi tant d’autres, Mpombo, Mizuka et Zebola qui déploient un répertoire de gestes, de signes et d’êtres mythiques, et qui permettent aux femmes congolaises de (re)négocier leur rôle social et de (re)prendre une parole singulière pour exprimer leur mal-être dans une société où la parole dominante est généralement collective. Loin du Congo, nous retrouvons en Afrique de l’Est et dans la Péninsule arabique, le Zar, un rite impliquant essentiellement des femmes et favorisant lui aussi la résolution de conflits par l’expression collective de ceux-ci. Dans l’ensemble, l’ethnopsychiatrie contribue à la saisie des désordres intrapsychiques, interpersonnels ou sociaux, et cosmogoniques menaçants (Mekki-Berrada 2013). L’ethnopsychiatrie peut être considérée comme un « fait culturel total » qui se décline dans toutes les cultures et dans toutes les sociétés à travers les cinq continents. Au-delà de tous les particularismes, l’ethnopsychiatrie demeure à chaque fois culturellement située et consiste idéalement à transformer un monde chaotique en un monde qui fait sens pour la personne souffrante et son entourage. La psychiatrie contemporaine, elle-même, peut être considérée comme étant une ethnopsychiatrie parce qu'elle est comme les autres culturellement ancrée et dotée d’un ensemble de théories et de pratiques qui lui sont propres (Mekki-Berrada, 2013). Le « fou » dans l’Europe du XVIIIe siècle était un être de « déraison », dans le sens foucaldien du terme, au même titre que tous les autres exclus de la « raison » dominante de l’époque mêlant valeurs religieuses chrétiennes et valeurs sociales aristocratiques et monarchiques; le « fou », « l’insensé » se retrouvait alors avec les mendiants, les homosexuels, les libertins, les prostituées, tous entassés dans les hôpitaux généraux à des fin de contrôle social (Foucault 1972). La psychiatrie moderne est née dans l’Europe de l’Ouest du XIXe siècle quand le fou cessa d’être délinquant, pour être considéré comme malade. Même si, partiellement libéré du regard inquisiteur de l’Église et de la Monarchie, le « déraisonnable » devient aujourd’hui tantôt proie, tantôt sujet, au regard de la psychiatrie contemporaine. 2. En tant que discipline, l’ethnopsychiatrie se propose d’étudier les ethnopsychiatries comme espaces culturels où convergent les savoirs nosologiques, étiologiques et thérapeutiques au sujet du « désordre » mental, social et cosmogonique. L’ethnopsychiatrie-discipline ne constitue pas un bloc théorique monolithique. Sans nous arrêter sur les particularismes régionaux ou nationaux de l’anthropologie (« américaine », « britannique », « française »), la tendance historique générale de l’ethnopsychiatrie veut que cette discipline étudie, à ses débuts, la geste thérapeutique « exotique », non-occidentale, non-biomédicale. Avec le tournant interprétatif inauguré en anthropologie dans les années 1970 par Clifford Geertz et ce que l’on nommera dans les années 1980, avec Arthur Kleinman et Byron Good, l’anthropologie médicale interprétative, l’ethnopsychiatrie va cesser de se limiter aux espaces ethnomédicaux non-occidentaux pour se pencher aussi sur les «traditions ethnomédicales occidentales» incluant la biomédecine et la psychiatrie (Mekki-Berrada 2013), tout en plongeant dans le foisonnement des symboles et des interprétations de la maladie, du mal et du malheur. L’anthropologie médicale interprétative utilisera la culture comme moteur explicatif et principal cheval de bataille théorique. Elle sera cependant vite soumise aux vives critiques de Soheir Morsy (1979) et d'Allan Young (1982). Pour ces auteurs, l'approche interprétative « surculturaliserait » la maladie car elle en privilégierait les significations culturelles et en évacuerait les dimensions sociales et politiques. Cette critique sera poursuivie par Baer et Singer (2003) au sein d’un nouveau paradigme qu’ils nommeront « anthropologie médicale critique », paradigme dans lequel l’économie politique de la santé mentale est le moteur explicatif de la maladie et de la souffrance. De ce point de vue la culture serait un outil idéologique au service de la classe dominante, un « réseau de significations autant que de mystifications » (Keesing 1987 cité par Good 1994) qui camouflerait les inégalités sociales. Généralement considérée comme radicale sur le plan théorique, l’anthropologie médicale critique finira par trouver un équilibre des plus constructifs avec un autre courant nommé « anthropologie médicale interprétative-critique » (Lock et Scheper-Hughes 1996) qui offre l’avantage conceptuel et méthodologique de n’évacuer ni le culturel ni le politique, mais articule ces éléments pour mieux cerner l’enchevêtrement complexe des dimensions tant culturelles et microsociales de la maladie mentale et de la souffrance sociale que leurs enjeux macrosociaux. 3. En tant que pratique clinique, l’ethnopsychiatrie est relativement récente. Si Devereux apparaît comme le fondateur incontesté de l’ethnopsychiatrie-discipline, ce sont ses étudiants, Tobie Nathan et Marie-Rose Moro, qui fonderont l’ethnopsychiatrie-clinique à partir des années 1980, tous trois Français « venus d’ailleurs », porteurs et bricoleurs d’identités métissées. L’ethnopsychiatrie-clinique est une pratique psychiatrique, mais aussi psychologique, dépendamment de l’orientation centrale du « thérapeute principal » qui est soit psychiatre (ex. : Moro), soit psychologue (ex. : Nathan). En Amérique du Nord, ce sont essentiellement des psychiatres qui pratiquent l’ethnopsychiatrie-clinique, ou plutôt l’une de ses variantes, la « psychiatrie transculturelle » (Kirmayer, Guzder, Rousseau 2013) dont les principaux chefs de file sont basés à Harvard Medical School (ex. : Arthur Kleinman) ou à McGill University (ex. : Laurence Kirmayer, Cécile Rousseau). Il est à noter que l’ethnopsychiatrie clinique est très peu en vogue en dehors de l’Amérique du Nord et de l’Europe de l’Ouest. Il existe un certain nombre de variantes du dispositif clinique, mais une consultation ethnopsychiatrique nécessite au minimum : 1. un groupe de thérapeutes issus de cultures et de disciplines diverses, dont un-e seul est responsable et en charge de la circulation de la parole ; 2. la langue maternelle des patients et la présence d’interprètes culturels, ainsi que le passage d’une langue à l’autre, sont des éléments centraux du dispositif clinique afin d’aider à l’identification de nuances, subtilités, connotations et catégories culturelles; 3. le patient est fortement invité à se présenter en consultation avec des personnes qui lui sont significatives dans son propre réseau social ; 4. le dispositif groupal et le passage d’une langue à l’autre posent un cadre multi-théorique et l’ethnopsychiatre peut ainsi établir « un cadre métissé dans lequel chaque élément du matériel [biographique] peut-être interprété selon l’une ou l’autre logique » (Nathan 1986:126). Un tel dispositif facilite la mise en place d’un « espace intermédiaire » qui fait intervenir la culture comme « levier thérapeutique » et permet de révéler des conflits interpersonnels et intrapsychiques (Laplantine 2007 ; Streit, Leblanc, Mekki-Berrada 1998). Les ethnopsychiatres cliniciens procèdent souvent eux-mêmes à des « mini ethnographies » (« mini ethnography » ; Kleinman et Benson 2006) en se mettant « à l’école des gens qui consultent, pas l’inverse » (Nathan 2007). Ces mini ethnographies ont pour outil les « modèles explicatifs de la maladie » (« Illness Explanatory Models » ; Kleinman 1988) qui ont pour but d’être à l’écoute des perspectives des patients pour mieux explorer leur culture ainsi que les dimensions sociales et culturelles de la maladie mentale. En plus d’explorer la dimension culturelle du désordre, l’ethnopsychiatrie cherche à mieux comprendre la dimension psychiatrique des cultures tout en évitant de sur-psychiatriser la culture et de sur-culturaliser la psychiatrie (Laplantine 2007). Dans tous les cas, dès le début de la discipline qu’il a fondée, Devereux (1977) proposait une perspective « complémentariste » encore très utilisée aujourd’hui. Celle-ci exige le recours à la psychanalyse et à l’anthropologie de façon non simultanée, en ce sens que l’ethnopsychiatre est appelée à d’abord épuiser son recours à l’une des deux disciplines avant de se référer à l’autre, et ce, de façon constante. La méthode complémentariste s’accompagne nécessairement de la « décentration » qui est une attitude ou un mécanisme incontournable, qui force le thérapeute à identifier et à minimiser, dans la rencontre clinique, l’impact de sa subjectivité "égocentrée" ou "sociocentrée". En somme l’ethnopsychiatrie, telle que sommairement abordée ici, est un espace culturel où convergent les savoirs nosologiques, étiologiques et thérapeutiques, tous culturellement situés, et qui prend pour objet le « désordre » mental, social et cosmogonique; elle est aussi une discipline anthropologique qui se propose d’étudier ces espaces culturels ; elle est enfin une pratique clinique. Il s’agit de trois pans indissociables et constitutifs d’un même trièdre.
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D'adesky, Jacques. "Subalternité." Anthropen, 2017. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.056.

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Abstract:
Forgée au départ par Antonio Gramsci (Liguori 2016) la notion de « subalterne », définie comme relation de subordination, renvoie au départ de l’année 1988, aux subaltern studies qui proposent sous l’instigation de l’historien Ranajit Guha (1997) d’analyser la place et les groupes subalternes dans l’histoire moderne de l’Inde. Ces études accorderont une place importante à l’analyse des discours pour y appréhender les voix bâillonnées des individus appartenant aux groupes se situant à la base de la pyramide sociale, considérés comme les agents du changement social et politique. Elles développeront une critique de l’historiographie nationaliste et anti-coloniale dans le même temps qu’elles essaieront de restituer la capacité des « sans-voix » marginalisés comme les paysans pauvres, les femmes, les intouchables, et d'autres voix. De nos jours, les subaltern studies sont englobées par les théories postcoloniales qui émergent dans les années 1990 en Asie du Sud. Celles-ci questionnent la perspective du colonisateur sur les colonisés et accusent la pensée occidentale d’imposer, aux élites intellectuelles et aux classes populaires des pays du Sud, une conception éloignée des réalités locales. Cette hégémonie intellectuelle tend donc à limiter l’expression des subalternes et à en réduire la diversité issue d’un grand nombre de communautés locales, ce qui a des conséquences désastreuses sur la communication Nord-Sud. Les subaltern studies, portées à l’origine par des intellectuels d’Asie du Sud (Guha et Spivak 1988), se déploient notamment vers le Nord, nommément dans l’espace anglo-saxon, mais également dans les pays de l’Amérique latine. Dans ce dernier champ, elles ont contribué, entre autres, à mettre en exergue, les effets négatifs de la mondialisation. Les travaux critiques d’Edgardo Lander et d’Aníbal Quijano (2005) se concentrent sur l’analyse de la colonialité du pouvoir et du savoir, ainsi que sur la critique de l’eurocentrisme, compris comme une perspective binaire et dualiste de la connaissance qui est venue à s’imposer mondialement de manière hégémonique au fur et à mesure de l’expansion européenne sur la planète. Au Brésil, à travers le prisme de la critique postcoloniale, Claudia Miranda (2006), se penche, sur les discours des intellectuels afrodescendants, jugés en situation de subalternité, qui se mettront en évidence à l’occasion de la lutte pour la démocratisation et de la mise en œuvre des politiques publiques d’action positive en faveur de l’accès des Noirs à l’enseignement supérieur. La production d’études subalternes dans le monde francophone est, quant à elle, récente et moins abondante. Néanmoins, il faut mentionner l’existence dans ce champ de courants de pensée antérieurs qui participent bien avant les années 1980 à la critique de la situation des colonisés en Afrique et dans les départements d’outre-mer. Citons à ce titre, les critiques effectuées par les chantres de la négritude que sont Léopold Sédar Senghor (1964, 1977), Aimé Césaire (2004[2004]) ou encore Frantz Fanon (2001[1952]) même si celles-ci ne viennent pas à s’appuyer expressément sur la notion de « subalternité ». C’est dans cette large perspective que la « subalternité » découle de deux phénomènes historiques : la décolonisation et la mondialisation. Même s’ils ne sont pas concomitants, leurs effets politiques, économiques et sociaux impliquent différents groupes subalternes au Nord comme au Sud, notamment les réfugiés, les émigrés, les minorités ethniques ou sexuelles opprimées, voire les femmes soumises aux diktats de cultures machistes. Après avoir été adopté et enrichi par des penseurs du Sud, le terme est aujourd’hui devenu un concept adapté aux deux hémisphères. Outre la restriction au droit à la parole — donc au pouvoir d’énonciation —, ce qui rapproche les subalternes du Nord et du Sud, c’est leur bas niveau de revenu, qui les prive d’aisance matérielle; leur qualité de vie, leur bien-être et leurs libertés qui sont donc moindres que ceux des autres groupes nationaux. Ces restrictions les enferment dans la spirale décrite par Amartya Sen (2010) : la limitation de la liberté économique réduit les libertés sociales, ce qui entraîne une nouvelle perte de liberté économique. Ce cercle vicieux affaiblit les subalternes, les opprime et les maintient dans un silence qui réduit leur capacité d’action. La liberté de parole libère une énergie et une puissance singulières pour dénoncer et abolir les servitudes. Participer aux débats et aux décisions collectives suppose l’existence d’une reconnaissance mutuelle fondée sur la liberté d’expression et la perception d’une égale dignité. L’égalité de parole découle précisément de l’expérience de l’égale dignité, comme, par exemple, dans la reconnaissance d’une même qualité d’honneur chez les anciens Spartiates ou d’une même valeur chez les citoyens athéniens, et dans l’usage de la palabre chez les sages et chefs de villages africains. Pour les groups subalternes, la liberté de parole est donc une arme de libération contre les discours qui les ignorent et contre les pratiques et les dispositifs qui les réduisent au silence. Face à l’immédiatisme du journalisme et de l’économie, l’anthropologie a, sur ce thème, l’avantage du temps de la réflexion, de l’enquête approfondie et de la comparaison. L’étude ethnographique, la reconstruction des récits de vie et l’analyse de discours permettent une nouvelle approche des relations politiques, sociales et culturelles Nord-Sud. Habitués à la prise de distance face à leur propre culture, les anthropologues sont particulièrement bien outillés pour porter un regard neuf sur les pratiques de discrimination et d’exclusion et le sentiment d’abandon vécu par les groupes subalternes (difficultés de se faire entendre et voir leurs problèmes pris en charge par les pouvoirs publics) dans les pays du Nord comme du Sud. Rien d’extraordinaire donc à ce que les anthropologues, d’où qu’ils soient, viennent à s’emprunter concepts et arguments et à communiquer davantage.
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Bromberger, Christian. "Méditerranée." Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.106.

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Abstract:
Alors que l’américanisme, l’africanisme, l’européanisme, l’indianisme… sont reconnus, certifiés par des musées ou des sections de musée, des départements universitaires, des chapitres de manuels depuis les origines, l’anthropologie de la Méditerranée est une spécialité récente, prenant corps, sous l’égide des universités britanniques, dans les années 1950. Ce retard est dû, au moins en partie, à l’hétérogénéité du monde méditerranéen partagé entre les façades méridionale et orientale de la mer, qui relèvent, à première vue, de l’étude du monde arabo-musulman, et la façade septentrionale ressortissant de prime abord de l’ethnologie européenne. Le scepticisme, récusant la pertinence d’une anthropologie de la Méditerranée, peut encore trouver des arguments dans l’histoire des civilisations ou dans l’actualité. Contrairement à d’autres régions du monde, l’aire iranienne voisine par exemple, le monde méditerranéen ne forme une unité ni par ses langues ni par ses traditions religieuses. Faut-il rappeler que seul l’Empire romain l’a unifié pendant plusieurs siècles autour du « mare nostrum » en favorisant l’épanouissement d’une culture gréco-latine à vocation universelle et en développant tout autour de la mer des institutions politiques sur le modèle de Rome ? Puis l’histoire de la Méditerranée fut faite de partages, de schismes, de croisades, de guerres entre empires, de conquêtes coloniales qui aboutirent, au terme de péripéties violentes, à la situation contemporaine où coexistent trois ensembles eux-mêmes fractionnés : une Méditerranée latine, catholique, largement laïcisée , partie intégrante de l’Europe occidentale, une Méditerranée balkanique orthodoxe avec ses poches islamiques, une Méditerranée arabo-musulmane. En dépit de ces fractures, des hommes de lettres campèrent, dans les années 1930, une Méditerranée des échanges et de la convivenza, à laquelle donnent crédit des lieux et des épisodes remarquables de l’histoire (l’Andalousie au temps du califat omeyade, la Sicile de Frédéric II, des villes cosmopolites de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle : Istanbul, Smyrne, Salonique, Beyrouth, Alexandrie, Alger, Tanger, Trieste, Marseille, etc.). Des revues (à Marseille, les Cahiers du sud de Jean Ballard, à Tunis Les Cahiers de la Barbarie d’Armand Guibert et Jean Amrouche , à Alger Rivages d’Edmond Charlot et Albert Camus, à Rabat Aguedal d’Henri Bosco) exaltèrent cette « fraternité méditerranéenne » tout autant imaginaire que réelle. Gabriel Audisio fut le chantre le plus exalté de cette commune « patrie méditerranéenne »: « Non, écrit-il, la Méditerranée n’a jamais séparé ses riverains. Même les grandes divisions de la Foi, et ce conflit spirituel de l’Orient et de l’Occident, la mer ne les a pas exaltés, au contraire adoucis en les réunissant au sommet sensible d’un flot de sagesse, au point suprême de l’équilibre ». Et à l’image d’une Méditerranée romaine (il veut « remettre Rome ‘à sa place’ ») il oppose celle d’une « synthèse méditerranéenne » : « À cette latinité racornie, j’oppose tout ce qui a fait la civilisation méditerranéenne : la Grèce, l’Égypte, Judas, Carthage, le Christ, l’Islam ». Cette Méditerranée qui « vous mélange tout ça sans aucune espèce de pudeur », dit-il encore, « se veut universelle ». Avant qu’un projet collectif d’anthropologie n’émerge, des ancêtres de la discipline, des géographes, des historiens, avaient apporté une contribution importante à la connaissance du monde méditerranéen. Maine, Robertson Smith, Frazer, etc. étaient classicistes ou historiens du droit et se référaient souvent aux sociétés antiques de la Méditerranée pour analyser coutumes et croyances ou encore les différentes formes d’organisation sociale (la tribu, la cité, etc.) et leur évolution. Plus tard, dans les premières décennies du XXème siècle, de remarquables études monographiques ou thématiques furent réalisées sur les différentes rives de la Méditerranée , telles celles de Maunier (1927) sur les échanges rituels en Afrique du nord, de Montagne (1930) sur les Berbères du sud Marocain, de Boucheman (1937) sur une petite cité caravanière de Syrie…Géographes et historiens, plus préoccupés par l’ancrage matériel des sociétés que par leur structure ou leurs valeurs, publièrent aussi des travaux importants, synthétiques ceux-ci, sur le monde méditerranéen ; ainsi Charles Parain, dans La Méditerranée, les hommes et les travaux (1936), campe une Méditerranée des infrastructures, celle qui prévaudra jusques et y compris dans les 320 premières pages de la thèse de Fernand Braudel (1949), celle des « ressources naturelles, des champs et des villages, de la variété des régimes de propriété, de la vie maritime, de la vie pastorale et de la vie agricole, des métiers et des techniques ». L’acte fondateur de l’anthropologie de la Méditerranée fut un colloque organisé en 1959 par Julian Pitt-Rivers, Jean Peristiany et Julio Caro Baroja, qui réunit, entre autres, Ernest Gellner, qui avait mené des travaux sur le Haut-Atlas, Pierre Bourdieu, alors spécialiste de la Kabylie, John K. Campbell, auteur de recherches sur les Saracatsans du nord de la Grèce. Cette rencontre, et celle qui suivit, en 1961, à Athènes donnèrent lieu à la publication de deux recueils fondamentaux (Pitt-Rivers, 1963, Peristiany, 1965), campant les principaux registres thématiques d’une anthropologie comparée des sociétés méditerranéennes (l’honneur, la honte, le clientélisme, le familialisme, la parenté spirituelle, etc.) et véritables coups d’envoi à des recherches monographiques s’inscrivant désormais dans des cadres conceptuels fortement charpentés. Les décennies 1960, 1970 et 1980 furent celles d’une croissance rapide et d’un épanouissement de l’anthropologie de la Méditerranée. Le monde méditerranéen est alors saisi à travers des valeurs communes : outre l’honneur et la honte, attachés au sang et au nom (Pitt-Rivers, 1977, Gilmore, 1987), la virilité qui combine puissance sexuelle, capacité à défendre les siens et une parole politique ferme qui ne transige pas et ne supporte pas les petits arrangements, l’hospitalité ostentatoire. C’est aussi un univers où domine une vision endogamique du monde, où l’on prise le mariage dans un degré rapproché, mieux la « république des cousins », où se marient préférentiellement le fils et la fille de deux frères, une formule surtout ancrée sur la rive sud et dans l’Antiquité pré-chrétienne, ; Jocaste ne dit-elle pas à Polynice : « Un conjoint pris au-dehors porte malheur » ? Ce à quoi Ibn Khaldoun fait écho : « La noblesse, l’honneur ne peuvent résulter que de l’absence de mélange », écrivait-il. Aux « républiques des beaux-frères », caractéristiques des sociétés primitives exogames étudiées par Claude Lévi-Strauss s’opposent ainsi les « républiques méditerranéennes des cousins », prohibant l'échange et ancrées dans l'endogamie patrilinéaire. Alors que dans les premières, « une solidarité usuelle unit le garçon avec les frères et les cousins de sa femme et avec les maris de ses sœurs », dans les secondes « les hommes (...) considèrent leurs devoirs de solidarité avec tous leurs parents en ligne paternelle comme plus importants que leurs autres obligations, - y compris, bien souvent, leurs obligations civiques et patriotiques ». Règne ainsi, dans le monde méditerranéen traditionnel, la prédilection pour le « vivre entre soi » auquel s’ajoute une ségrégation marquée entre les sexes, « un certain idéal de brutalité virile, dont le complément est une dramatisation de la vertu féminine », poursuit Germaine Tillion (1966). La Méditerranée, c’est aussi un monde de structures clientélaires, avec ses patrons et ses obligés, dans de vieilles sociétés étatiques où des relais s’imposent, à tous les sens du terme, entre le peuple et les pouvoirs; parallèlement, dans l’univers sacré, les intermédiaires, les saints, ne manquent pas entre les fidèles et la divinité ; ils sont nombreux, y compris en islam où leur culte est controversé. La violence avec ses pratiques vindicatoires (vendetta corse, disamistade sarde, gjak albanais, rekba kabyle…) fait aussi partie du hit-parade anthropologique des caractéristiques méditerranéennes et les auteurs analysent les moyens mis en œuvre pour sortir de ces conflits (Black-Michaud, 1975). Enfin, comment ne pas évoquer une communauté de comportements religieux, en particulier les lamentations funèbres, les dévotions dolorisantes autour des martyrs ? L’« inflation apologétique du martyre » est ainsi un trait commun au christianisme et à l’islam chiite pratiqué au Liban. La commémoration des martyrs fondateurs, dans le christianisme comme en islam chiite, donne lieu à des rituels d’affliction de part et d’autre de la Méditerranée. C’est en terre chrétienne la semaine sainte, avec ses spectaculaires processions de pénitents en Andalousie, ou, en Calabre, ces cérémonies où les hommes se flagellent les mollets et les cuisses jusqu’au sang. Au Liban les fidèles pratiquent, lors des processions et des prônes qui évoquent les tragiques événements fondateurs, des rituels dolorisants : ils se flagellent avec des chaînes, se frappent la poitrine avec les paumes des mains, voire se lacèrent le cuir chevelu avec un sabre. Dans le monde chrétien comme en islam chiite, des pièces de théâtre (mystères du Moyen Âge, ta’zie) ont été composées pour représenter le martyre du sauveur. Rituels chiites et chrétiens présentent donc un air de famille (Bromberger, 1979). Cette sensibilité au martyre dans les traditions religieuses méditerranéennes est à l’arrière-plan des manifestations laïques qui célèbrent les héros locaux ou nationaux tombés pour la juste cause. C’est le cas en Algérie. Toutes ces remarques peuvent paraître bien réductrices et caricaturales, éloignées des formes de la vie moderne et de la mondialisation qui l’enserre. Ne s’agit-il pas d’une Méditerranée perdue ? Les auteurs cependant nuancent leurs analyses et les insèrent dans le contexte spécifique où elles prennent sens. Dans leur généralité, elles offrent, malgré tout, une base de départ, un cadre comparatif et évolutif. Après une période faste, couronnée par un ouvrage de synthèse récapitulant les acquis (Davis, 1977), vint le temps des remises en cause. Plusieurs anthropologues (dont Michael Herzfeld, 1980, Josep Llobera,1986, Joao de Pina-Cabral,1989…) critiquèrent de façon radicale l'érection de la Méditerranée en « regional category » en fustigeant le caractère artificiel de l'objet, créé, selon eux, pour objectiver la distance nécessaire à l'exercice légitime de la discipline et qui s'abriterait derrière quelques thèmes fédérateurs fortement stéréotypés. À ces critiques virulentes venues des centres européens ou américains de l’anthropologie, se sont jointes celles d'ethnologues originaires des régions méditerranéennes, pour qui la référence à la Méditerranée est imaginaire et suspecte, et dont les travaux sont ignorés ou regardés de haut par les chercheurs formés à l’école britannique. Ce sentiment négatif a été d’autant plus accusé sur les rives méridionale et orientale de la Méditerranée que la mer qui, à différentes périodes, reliait est devenue un fossé aussi bien sur le plan économique que politique. Diverses initiatives et prises de position scientifiques ont donné un nouvel élan, dans les années 1990-2000, à l’anthropologie de la Méditerranée. Colloques et ouvrages (par exemple Albera, Blok, Bromberger, 2001) rendent compte de cette nouvelle conjoncture. On se garde désormais plus qu’avant de considérer le monde méditerranéen comme une aire culturelle qui présenterait, à travers le temps et l’espace, des caractéristiques communes stables. Au plus parlera-t-on d’un « air de famille » entre les sociétés riveraines de la mer en raison de contextes écologiques similaires, d’une histoire partagée, de la reconnaissance d’un seul et même Dieu. Cette perspective mesurée rejoint le point de vue de Horden et Purcell (2000), auteurs d’un ouvrage important tirant un bilan critique de l’histoire du monde méditerranéen. Pour eux, qui combinent points de vue interactionniste et écologique, la Méditerranée se définit par la mise en relation par la mer de territoires extrêmement fragmentés, par une « connectivity » facilitée par les Empires. Le titre énigmatique de leur livre, The Corruptive Sea, « La Mer corruptrice », prend dès lors tout son sens. Parce qu’elle met en relation, cette mer serait une menace pour le bon ordre social et pour la paix dans les familles. Cette proximité entre sociétés différentes qui se connaissent fait que le monde méditerranéen s’offre comme un terrain idéal au comparatisme « à bonne distance ». C’est sous le sceau de ce comparatisme raisonné que s’inscrivent désormais les travaux les plus convaincants, qu’ils se réclament explicitement ou non de l’anthropologie de la Méditerranée (voir sur la nourriture Fabre-Vassas, 1994, sur la parenté Bonte éd., 1994 , sur la sainteté Kerrou éd., 1998 et les traditions religieuses, sur les migrations et les réseaux Cesari, éd., 2002, sur le cosmopolitisme Driessen, 2005) Tantôt les recherches soulignent les proximités (Albera, 2005, 2009, Dakhlia, 2008, Dakhlia et Kaiser, 2011), tantôt elles les relativisent (Fernandez Morera, 2016, Bromberger, 2018), tantôt elles insistent sur les aspects conflictuels (Chaslin, 1997). Une autre voie est de considérer le monde méditerranéen, non pas comme un ensemble fait de similarités et de proximités mais comme un espace fait de différences qui forment système. Et ce sont ces différences complémentaires, s’inscrivant dans un champ réciproque, qui permettent de parler d’un système méditerranéen. Chacun se définit, ici peut-être plus qu’ailleurs, dans un jeu de miroirs (de coutumes, de comportements, d’affiliations) avec son voisin. Les comportements alimentaires, les normes régissant l’apparence vestimentaire et pileuse, le statut des images… opposent ainsi des populations revendiquant un même Dieu (Bromberger, 2018).
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17

Hébert, Martin. "Paix." Anthropen, 2018. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.088.

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Abstract:
Une préoccupation pour la réalisation empirique de la paix traverse le discours disciplinaire anthropologique. Ses racines sont profondes et multiples, mais convergent en un ensemble de questions situées à l’intersection entre la recherche de terrain, la philosophie politique et l’engagement pratique. A-t-il déjà existé des sociétés humaines vivant en paix? Quelles sont les conditions permettant, ou ayant permis, l’existence de cette paix? Est-il possible d’entrevoir un chemin vers la paix pour les sociétés contemporaines? On comprendra rapidement que ces questions sont indissociables de la définition même donnée au concept de paix. Intuitivement, nous pouvons comprendre la paix comme un « souhaitable » individuel et collectif. Bien entendu, une telle formulation est insatisfaisante pour l’analyse ou pour guider l’action. Mais avant de la préciser davantage il faut prendre la mesure de la puissance de la notion de paix en tant que référent vide, en tant que réceptacle dans lequel ont été versées les aspirations les plus diverses. La quête de la « paix » a été invoquée pour justifier tant les actions nobles que les actions exécrables de l’histoire. Ce constat pourrait facilement mener à penser que le terme est peu utile dans le cadre d’une discussion sérieuse portant sur les finalités humaines. Cependant, c’est justement le caractère polysémique du mot « paix », doublé du fort investissement normatif dont il fait l’objet, qui lui donnent sa prégnance politique. Comme n’importe quelle autre notion, celle de paix est l’enjeu de luttes de sens. Mais définir la « paix », c’est définir le domaine du souhaitable, du possible, du raisonnable; c’est intervenir directement sur l’horizon des aspirations humaines. Il n’est donc guère surprenant que les tentatives visant à fixer le sens de ce mot soient abondantes, souvent contradictoires entre elles et généralement convaincues de leur légitimité. L’ethnographie participe de diverses manières au travail de définition de la paix. Par exemple, l’ethnographie a joué – et semble parfois tentée de continuer de jouer – un rôle important dans la reproduction du paradigme édénique. Dans cette conception, la paix est comprise à la fois comme une absence de violence interpersonnelle et une régulation harmonieuse des conflits dans la société. Les représentations idylliques de telles sociétés dites « en paix » (Howell et Willis 1989) témoignent d’une tentation dans certains écrits ethnographiques d’idéaliser des sociétés traditionnelles, précoloniales, ou en résistance. Elles participent d’un travail de critique très ancien qui s’opère par contraste, procédé par lequel l’ « Autre » ethnographique est posé comme l’antithèse d’un monde (moderne, capitaliste, colonial, écocide, patriarcal, etc.) dénoncé comme aliéné et violent. L’anthropologie a souvent été prise à partie pour avoir employé une telle stratégie discursive opposant les « sociétés en paix » aux sociétés mortifères. Il faut noter, cependant, que ces remontrances participent elles aussi à la lutte de sens dont l’enjeu est la définition de la notion de paix. Les apologues du colonialisme, par exemple, utilisaient leur propre stratégie de critique par contraste : les lumineux principes (euro-centriques, libéraux, entrepreneuriaux) supposément aux fondements de la prospérité universelle viendraient supplanter les « ténèbres » locales dans ce que Victor Hugo (1885) a décrit comme la « grande marche tranquille vers l’harmonie, la fraternité et la paix » que serait pour lui l’entreprise coloniale en Afrique. Nous glissons ici dans une autre définition de la « paix » ayant joué un rôle important dans l’histoire de l’anthropologie, soit la pacification. Ici, la paix n’est pas un état observable dans les sociétés ethnographiées, mais plutôt un résultat à produire par une intervention politique, incluant militaire. La naïveté de la « grande marche tranquille » d’une Histoire par laquelle l’humanité cheminerait inéluctablement vers une convergence dans des valeurs euro-centriques communes se dissipe ici. Elle fait place à des positions qui établissent leur autorité énonciative en se présentant comme « réalistes », c’est-à-dire qu’elles rejettent l’image édénique de la paix et se rangent à l’idée que la violence est le fondement du politique. Dans cette perspective, la définition de la paix serait la prérogative de ceux qui peuvent l’imposer. La « paix » se confond alors avec l’ordre, avec la répression des conflits sociaux et, surtout, avec un acte de prestidigitation sémantique par lequel les violences faisant avancer les ambitions hégémoniques cessent d’être vues comme violences. Elles deviennent des opérations, des interventions, des mesures, voire des politiques entreprises au nom de la « paix sociale ». On le sait, l’anthropologie a fait plus que sa part pour faciliter les pacifications coloniales. Par son rôle dans des politiques nationales telles l’indigénisme assimilationniste, elle a également contribué à des « projets de société » visant l’unification de populations hétérogènes sous l’égide du nationalisme, du capitalisme et de la docilité aux institutions dominantes. Après la seconde guerre mondiale, il n’a pas non plus manqué d’anthropologues prêtes et prêts à s’associer aux entreprises de pacification/stabilisation par le développement et par l’intégration de populations marginales à l’économie de marché. Dans la plupart des cas, l’anthropologie a été instrumentalisée pour réduire le recours à la violence physique directe dans les entreprises de pacification, proposant des approches moins onéreuses et plus « culturellement adaptées » pour atteindre les mêmes objectifs d’imposition d’un ordre exogène à des sociétés subalternes. Un point tournant dans la critique de la pacification a été le dévoilement de l’existence du projet Camelot dans la seconde moitié des années 1960 (Horowitz 1967). Cette vaste opération mise sur pied par le gouvernement américain visait à engager des spécialistes des sciences sociales pour trouver des moyens d’influencer les comportements électoraux en Amérique latine. Cette initiative visait à faire passer à l’ère de la technocratie les stratégies « civiles » de pacification coloniales développées en Afrique dans les années 20-30 et en Indochine dans les années 50. Outre la dénonciation par les anthropologues nord-américains et européens de cette collusion entre les sciences sociales et impérialisme qui s’est encore illustrée dans le sud-est asiatique pendant la guerre du Vietnam (Current Anthropology 1968), la réponse critique face au dévoilement du projet Camelot fut, notamment, de déclencher une réflexion profonde en anthropologie sur la frontière entre la paix et la guerre. Même si le recours à la manipulation psychologique, économique, politique, et diplomatique n’impliquait pas nécessairement, en lui-même, de violence physique directe il devenait impératif de théoriser les effets de violence produits par cette stratégie (Les Temps Modernes 1970-1971). Si l’idée que certaines « paix » imposées peuvent être éminemment violentes fut recodifiée et diffusée par des chercheurs du Nord à la fin des années 1960, elle était déjà bien en circulation au Sud. Frantz Fanon (1952) mobilisait le concept d’aliénation pour désigner les effets des violences symboliques, épistémologiques et culturelles des systèmes coloniaux. Gustavo Guttiérez (1971), impliqué dans le développement de la théologie de la libération en Amérique latine, parlait pour sa part de « violence institutionnalisée » dans les systèmes sociaux inéquitables. Sous leur forme la plus pernicieuse ces violences ne dépendaient plus d’une application constante de force physique directe, mais s’appuyaient sur une « naturalisation » de la domination. Dans ce contexte, il devenait clair que la notion de paix demandait une profonde révision et exigeait des outils permettant de faire la distinction entre la pacification aliénante et une paix fondée sur la justice sociale. Travaillant à cette fin, Johan Galtung (1969) proposa de faire la différence entre la paix « négative » et la paix dite « positive ». La première renvoie à l’absence de violence physique directe. Elle est une condition considérée comme nécessaire mais de toute évidence non suffisante à une paix significative. Déjà, des enjeux définitionnels importants peuvent être soulevés ici. Une société en paix doit-elle éliminer les sports violents? Les rituels violents? Les représentations artistiques de la violence? Qu’en est-il de la violence physique directe envers les non-humains? (Hébert 2006) La paix positive est une notion plus large, pouvant être rapprochée de celle de justice sociale. Les anthropologues ont tenté de la définir de manière inductive en proposant des études empiriques de deux types. Dans un premier temps, il s’est agi de définir diverses formes de violences autres que physique et directe (telles les violences structurelles, symboliques, épistémiques, ontologiques, etc.) et poser la paix positive comme le résultat de leur élimination. Par contre, les limites de cette « sombre anthropologie » (Ortner 2016) ont appelé des recherches complémentaires, plutôt centrées sur la capacité humaine à imaginer et instituer de nouvelles formes sociales dépassant les violences perçues dans les formes passées. L’idée d’une paix stable, définitive et hors de l’histoire – en d’autres mots édénique – disparaît ici. Elle est remplacée par des processus instituants, constamment examinés à l’aune de définitions de la violence qui, elles-mêmes, sont en transformation constante. La définition de la paix demeure l’enjeu de luttes de sens. Ces dernières se résolvent nécessairement dans des rapports politiques concrets, situés historiquement et sujets à changement. Les travaux anthropologiques ne font pas exception et sont pleinement engagés dans la production politique de ces définitions. Mais l’anthropologie de la paix participe également de la réflexivité que nous pouvons avoir tant face aux définitions cristallisées dans nos institutions que face à celles qui se proposent des les remplacer.
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Guedj, Pauline. "Afrocentrisme." Anthropen, 2017. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.046.

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Abstract:
Bien que souvent non revendiqué par les auteurs que l’on considère comme ses tenants (Molefi Asante 1987, Maulana Karenga 2002, John Henrik Clarke 1994, Marimba Ani 1994, Frances Cress Welsing 1991, Théophile Obenga 2001, qui lui préfèrent les termes afrocentricité, africologie ou kawaida), le terme afrocentrisme est utilisé pour désigner un courant d’idées présent dans les cercles académiques nord-américains, africains et européens, depuis la deuxième moitié du vingtième siècle. Académique, l’afrocentrisme est actuellement l’objet d’un important processus de transnationalisation et entretient des relations précises et continues avec des pratiques sociales, artistiques, religieuses et/ou politiques. Il semble que le mot « afrocentrique » soit apparu pour la première fois en 1962 sous la plume du sociologue afro-américain W.E.B. Du Bois. Invité par Kwame Nkrumah à Accra au Ghana dans le but d’y rédiger une encyclopédie sur les populations noires, Du Bois insistait, dans un document non publié, sur son intention d’éditer un volume « volontairement Afro-Centrique, mais prenant en compte l’impact du monde extérieur sur l’Afrique et l’impact de l’Afrique sur le monde extérieur » (in Moses, 1998 : 2). Du Bois, grand penseur du panafricanisme, voyait donc dans son projet un moyen de donner la parole aux peuples d’Afrique, d’en faire des acteurs de leur propre histoire au moment même où ceux-ci entamaient la construction nationale de leurs États depuis peu indépendants. Lié chez Du Bois à un projet scientifique et politique, la tendance afrocentrique connaîtra ses heures de gloire à partir de la fin des années 1960 lorsqu’elle devint la marque de fabrique d’une école de pensée comptant quelques représentants au sein des cercles académiques américains. En réalité, l’histoire de la pensée afrocentrique aux États-Unis est indissociable de la création de départements d’études dites ethniques dans les universités américaines, départements nés en pleine ère du Black Power, lorsqu’une jeunesse noire radicalisée se battait pour l’intégration de son expérience au sein des cursus universitaires. Ces départements d’études African-American, Black ou Africana se donnaient pour but de relayer la voix des opprimés et d’inclure l’histoire afro-américaine dans le récit scientifique de l’histoire états-unienne. Parmi les manifestes afrocentriques de l’époque, notons la création de l’African Heritage Studies Association en 1969 née d’une réaction aux postures idéologiques de l’African Studies Association. Orchestrée par John Henrik Clarke (1994), l’organisation rassemblait des intellectuels et des militants africains, entendus ici comme originaires du continent et de ses diasporas, se battant pour la mise en place d’une étude politique de l’Afrique, arme de libération, cherchant à intervenir dans la fondation d’un panafricanisme scientifique et afrocentré. A partir des années 1980, l’afrocentrisme académique entra dans une nouvelle phase de son développement avec les publications de Molefi Asante. Dans la lignée de Du Bois, celui-ci tendait à définir l’afrocentrisme, ou plutôt l’afrocentricité, comme une théorie cherchant à remettre l’Afrique au cœur de l’histoire de l’humanité. Toutefois, ses principaux écrits, The Afrocentric Idea (1987), Afrocentricity (1988), Kemet, Afrocentricity and Knowledge (1990), associèrent à l’afrocentrique duboisien tout un appareil conceptuel et idéologique, grandement hérité des écrits de l’historien sénégalais Cheikh Anta Diop (1959). et de militants du nationalisme noir classique tels Edward Blyden et Alexander Crummel. Dès 1990, la pensée d’Asante se déploya autour d’une série de points précis, déjà mis en avant par le politiste Stephen Howe (1998) : 1. L’humanité s’est d’abord développée en Afrique avant de se répandre sur la planète. Les Africains entretiendraient avec les autres humains un rapport de primordialité chronologique et ce particulièrement avec les Européens, jeunes dans l’histoire de l’humanité. 2. La première civilisation mondiale est celle de l’Égypte ou Kemet. L’étude des phénotypes égyptiens tels qu’ils sont visibles sur les vestiges archéologiques apporterait la preuve de la négritude de cette population. 3. Le rayonnement de la civilisation égyptienne s’est étendu sur la totalité du Continent noir. Toutes les populations africaines sont culturellement liées à la civilisation et aux mœurs de l’Égypte antique et la linguistique en constituerait une preuve évidente. 4. La culture égyptienne se serait également diffusée au Nord, jusqu’à constituer la source d’inspiration première des civilisations qui apparurent plus tardivement en Grèce puis partout en Europe. 5. L’ensemble des traditions africaines constitue autant de manifestations d’une culture unique. Depuis son foyer égyptien, la culture africaine, au singulier, s’est diffusée pour s’immerger dans la totalité du continent et dans la diaspora des Amériques. Au début des années 2000, l’afrocentrisme académique s’est trouvé au cœur de vifs débats dans les espaces anglophones et francophones. Aux États-Unis, c’est la publication de l’ouvrage de Mary Lefkowitz Not Out of Africa (1993) qui rendit publiques les nombreuses tensions entre afrocentristes et anti-afrocentristes. En France, la discussion s’est également concentrée autour de la parution d’un ouvrage dirigé par François-Xavier Fauvelle-Aymar, Jean-Pierre Chrétien et Claude-Hélène Perrot (2000). Le texte, provocateur, se donnait pour but de déconstruire des théories afrocentriques qualifiées de naïves, « fausses » et dont « le succès parmi les Américains noirs peut être attribué au fait que, à l’heure actuelle, la pensée critique n’est pas en grande estime dans la communauté noire aux États-Unis » (2000 : 70-71). Le livre fut accueilli très froidement dans les milieux qu’il visait. En 2001, l’intellectuel congolais Théophile Obenga, rétorqua avec la publication d’un nouvel ouvrage Le sens de la lutte contre l’africanisme eurocentriste. Manifeste d’un combat « contre l’africanisme raciste, ancien ou moderne, colonial ou post-colonial, qui ne voit pas autre chose que la domination des peuples ‘exotiques’, ‘primitifs’, et ‘sous-développés’. » (2001 : 7), le texte d’Obenga multipliait, de son côté, les attaques personnelles et violentes. Aujourd’hui, il semble que l’appréhension des phénomènes afrocentriques ne puisse gagner en profondeur que si elle évite les écueils polémiques. Une telle approche supposerait alors de considérer l’afrocentrisme comme un objet de recherche construit historiquement, sociologiquement et anthropologiquement. Il s’agirait alors à la fois de le replacer dans le contexte historique de sa création et de s’intéresser à ses effets concrets dans les discours et les pratiques sociales populaires en Afrique, dans les Amériques et en Europe. En effet, depuis une vingtaine d’années, le terme et l’idéologie afrocentriques n’apparaissent plus seulement dans des débats des universitaires mais aussi dans une série d’usages sociaux, culturels et artistiques de populations qui les conçoivent comme un outil d'affirmation identitaire. Ces communautés et ces individus s’en saisissent, leur donnent une définition propre qui émane de leur environnement social, culturel et géographique particuliers, les utilisent comme fondement de nouvelles pratiques, de nouvelles élaborations du politique et de revendications identitaires. Ainsi, l’afrocentrisme se retrouve dans les pratiques religieuses d’Afro-Américains des États-Unis à la recherche de leurs racines ancestrales (Capone, 2005 ; Guedj, 2009), dans les textes des rappeurs de Trinidad ou du Gabon (Aterianus-Owanga, 2013) ainsi que dans les œuvres et les propos d’artistes aussi variés que la plasticienne Kara Walker et le saxophoniste Steve Coleman. Afrocentrismes populaires, a priori dissociés des milieux académiques, ces pratiques ne sont pourtant pas étrangères aux théories qui animent les spécialistes. En effet, nombreux sont les religieux qui citent les livres de Cheikh Anta Diop (1959) ou Molefi Asante (1987), les artistes qui revendiquent comme sources d'inspiration les vidéos postées sur youtube des discours de Leonard Jeffries, John Henrik Clarke ou Maulana Karenga. Il semble alors que c’est précisément dans cette analyse des pratiques et discours afrocentriques entre champs académique, politique, religieux et artistique que l’anthropologie peut jouer un rôle décisif. Il s’agirait alors pour les chercheurs de mettre en place des méthodologies permettant non seulement d’analyser les logiques de circulation des représentations de l’Afrique entre différentes catégories sociales mais aussi d’étudier la perméabilité des savoirs académiques et leurs influences en dehors des universités.
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Jewsiewicki, Bogumil. "Pardon." Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.112.

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Abstract:
Vingt ans après la deuxième guerre mondiale, en pleine guerre froide, les évêques polonais écrivent, au grand dam de l’État, à leurs homologues allemands « nous pardonnons et demandons pardon ». Depuis, l’usage du pardon dans la politique nationale et internationale est devenu monnaie courante. Presque toujours le pardon est demandé pour les actes commis par des générations précédentes, une démarche entrée dans la culture politique depuis peu. Rappelons à titre d’exemple qu’alors que son père refusait de demander pardon à titre de premier ministre du Canada pour des actes posés par des générations antérieures, Justin Trudeau, l’actuel premier ministre, ne s’en prive pas. Mobilisée dans la résolution des conflits, la démarche de réconciliation incorpore le pardon. Ainsi, cet objet d’étude de la théologie, de la morale, de la religion et de la philosophie est désormais principalement étudié par la science politique. Par l’homologie, le pardon passé de la relation entre Dieu et l’individu aux rapports interpersonnels puis aux rapports entre les communautés et les États, est devenu un objet politique. Le long vingtième siècle occidental, entre les hécatombes des guerres mondiales, l’Holocauste et les génocides, a mis sociétés et individus devant le défi de la reconstruction du social et du politique après l’impardonnable. Hannah Arendt (1958), Jacques Derrida (2001) et Wole Soyinka (2000), mais avant tout femmes et hommes « ordinaires » ont fait face au défi de reconstruire l’humain à la sortie de l’expérience de l’inhumain. “Si cela veut dire que cet homme qui a tué fils, si cela veut dire qu’il redevienne humain afin que nous tous puissions ravoir votre humanité … alors j’accepte » (Krog : emplacement 3486, toutes les traduction sont les miennes, BJ) a déclaré Cynthia Ngewu témoignant lors des audiences de la Commission Vérité et Réconciliation sud-africaine sur l’amnistie. Paul Ricoeur (2000), le plus influent des chercheurs universitaires ayant analysé le pardon dans la perspective d’un vivre-ensemble aux confluents de la philosophie, de l’éthique et de la théologie chrétienne, soutient que le véritable pardon délie « l’agent de son acte ». La culture chrétienne, aujourd’hui largement laïcisée, est un sous-bassement des usages du pardon pour la reconstruction d’un vivre-ensemble. En reconnaissant ce fait, il ne faut pas perdre de vue que le pardon est une préoccupation ancrée non seulement dans les trois grands monothéismes mais aussi dans le bouddhisme, l‘hindouisme et autres systèmes philosophiques ou de croyance en Asie, Océanie, Afrique, etc. Cependant, on ne comprend pas toujours le pardon à l’identique. Son utilisation pour la résolution des conflits ne va pas sans malentendus. Lorsque, pour désengorger son système de justice, l’État rwandais recourt à l’institution locale de gacaca, on est loin de l’apaisement d’un conflit au sein de la communauté d’une colline, l’octroi du pardon ou plus précisément l’acceptation du génocidaire étant conditionnés à la reconnaissance par celui-ci de son crime. Lorsque, dans une société occidentale, on s’inspire de la pratique hawaïenne de ho’opononpono pour la thérapie familiale, les acteurs n’ont ni mêmes attentes, ni même compréhension du pardon. Lorsqu’en 2012, dans la lettre ouverte commune aux nations de Pologne et de Russie, le patriarche Cyrille et l’archevêque Michalik offrent un pardon réciproque, en ont-ils la même compréhension ? La théologie du premier est de tradition grecque, celle de l’autre de tradition latine ? Retrouver l’humain, après l’expérience du génocide, de la colonisation, de l’esclavage peut aussi bien conduire à obéir à l’injonction d’inspiration chrétienne de Desmond Tutu « Pas d’avenir sans pardon » qu’à la réserve de Mahatma Gandhi . « Le faible ne peut pardonner. Le pardon est attribut du fort ». Cependant, pardonner pourrait permettre d’investir, au moins symboliquement, la position de ce dernier ? Est-ce pourquoi la position de Gandhi à l’égard du pardon a évolué ? De toute évidence, la réflexion anthropologique sur le sujet s’impose. Pourtant, les courants dominants de la discipline accordent peu d’intérêt au pardon, à l’exception des publications issues de l’anthropologie juridique, de l’anthropologie de la morale, de l’anthropologie psychologique ou de l’anthropologie des religions. Il se pose donc la question de savoir si la méthodologie de ces dernières leur viendrait de l’éthique ou de la théologie, ce dont manquerait l’anthropologie ? Or, Barbara Cassin trouve dans l’hyperbole de l’offre de pardon « absolu » dans l’Évangile (« le pardon n’est vraiment pardon – perfection du don - que lorsqu’il pardonne l’impardonnable, remet l’imprescriptible… » (2004 : 894), une structure ressemblant à celle du potlatch. Le contre-don perpétue le processus de « dépense » selon Georges Bataille (1967) de même que le don et contre-don de Marcel Mauss (2012). On retrouve cette même structure de relance dans l’offre de pardon « absolue », toujours en avance sur la demande. Dans la tradition nord-américaine de la discipline, Ruth Benedict (1946) offre une autre entrée « anthropologique » au pardon. La honte et la culpabilité seraient deux principes distincts de contrôle social de l’individu, elle s’en sert pour différencier la société japonaise de la société étasunienne. La première valoriserait l’honneur et la fierté alors que la seconde mettrait de l’avant la conscience individuelle. La mondialisation de la culture nord-américaine, aurait porté à l’échelle de la planète la prépondérance de la conscience individuelle et donc l’importance du pardon autant dans les relations interpersonnelles que dans celles entre les corps sociaux. Que ce soit l’entrée par le don ou par la conscience individuelle comme principe de contrôle social, la théologie des religions monothéistes, plus précisément la théologie chrétienne et plus encore la théologie protestante sont mobilisées. Il est donc impossible de conclure sans poser la question de l’universalité du pardon, de son usage qui ne serait pas affecté par le soupçon du prosélytisme chrétien. L’issue de cette réflexion finale devrait permettre de décider si le pardon demeure pour l’essentiel un objet de la théologie ou bien serait également celui de l’anthropologie. Revenons à l’exemple sud-africain, Antije Krog commente ainsi le témoignage de Cynthia Ngewu : « Le pardon chrétien dit : Je vous pardonne puisque Jésus m’a pardonné. (…) Le pardon africain dit : Je vous pardonne afin que vous puissiez et que puisse commencer à guérir ; que nous tous puissions redevenir nous-mêmes comme nous devrions l’être » (…) tous les Sud-Africains noirs formulent le pardon en termes de cette interrelation » (2009 : emplacement 3498 et 3489). Changeons de continent tout en conservant la comparabilité des expériences historiques. Roy L. Brooks (2004) écrit à la même époque que les excuses et les reparation constituent l’expiation laquelle impose États-Unis une réciproque obligation civique de pardonner. Ce pardon permet d’abandonner le ressentiment. Krog et Brooks suggèrent que ce que ce pardon dépasse le cadre de la chrétienté occidentale permettant aux gens de « réinterpréter les concepts occidentaux usés et mis à mal dont le pardon ». (Krog 2009 : emplacement 3494) Barbara Cassin souligne que la conception théologico-politique actuelle établit une hiérarchie entre celui qui pardonne et celui à qui on pardonne. En latin classique, il y a condescendance dans la relation duelle entre le sujet dont relève la décision souveraine d’oublier, d’ignorer, d’amnistier et son bénéficiaire. Les langues européennes en tirent la conception du pardon. Par contre, en Grèce ancienne on pardonnait en comprenant ensemble, en entrant dans la raison de l’autre. Cette horizontalité du pardon a été remplacée par la verticalité du pardon qui relève du politique. À partir des traditions grecques et judéo-chrétiennes, puis en passant par la pensée et les actions de Gandhi, Mandela et Martin Luther King, Martha Nussbaum (2016) se penche sur l’actuelle éthique du pardon. Elle reconnait la légitime colère des victimes laquelle afin de briser la condescendance et ouvrir la voie à l’acceptation du pardon libérée du sentiment de rétribution. Son approche semble répondre à l’expérience des victimes des individus en position d’autorité, crimes longtemps tus au nom de maintien de l’ordre social. Dans les récits d’expériences de la mort et de la vie sous le régime soviétique, dont Svetlana Alexievitch (2016) s’est faite historienne/romancière, le pardon de tradition chrétienne occidentale est absent. Le mot n’est prononcé qu’une seule fois et c’est par une femme soldat soviétique racontant comment en Allemagne conquise un soldat soviétique a tiré sur des civiles. En référence au temps de leur rencontre, les années 1990, elle dit à Alexievitch : « De nouveaux mots ont fait leur apparition : « pitié », « pardon » …Mais comment pardonner ? » (2016 : 394). Dans les récits des Soviétiques rassemblés par Alexievitch, le lecteur de sensibilité latine s’étonne de trouver le « comprendre ensemble » de tradition grecque plutôt que le « pardonner ». Tamara Oumniaguina, brancardière à Stalingrad raconte : « Je traîne notre blessé et je pense : « Est-ce que je retourne chercher l’Allemand, ou non ? » […] J’ai continué à les trainer sous les deux. » […] L’homme n’a qu’un seul cœur, et j’ai toujours pensé à préserver le mien. » (2016 : 412). Au plus profond de l’enfer de la déshumanisation, préserver son humanité c’est aussi permettre à l’agresseur de reconstituer la sienne. L’une étant la condition de l’autre, délier l’agresseur de son inhumanité c’est reconstruire l’humanité entière.
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Gagné, Natacha. "Anthropologie et histoire." Anthropen, 2017. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.060.

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Abstract:
On a longtemps vu l’histoire et l’anthropologie comme deux disciplines très distinctes n’ayant pas grand-chose en partage. Jusqu’au début du XXe siècle, l’histoire fut essentiellement celle des « civilisés », des Européens et donc des colonisateurs. Si les colonisés n’étaient pas complètement absents du tableau, ils étaient, au mieux, des participants mineurs. L’anthropologie, pour sa part, s’est instituée en ayant pour objet la compréhension des populations lointaines, les « petites sociétés », autochtones et colonisées, ces populations vues comme hors du temps et de l’histoire. Cette situation était le produit d’une division traditionnelle (Harkin 2010 : 114) – et coloniale (Naepels 2010 : 878) – du travail entre histoire et anthropologie. Celle-ci se prolongeait dans le choix des méthodes : les historiens travaillaient en archives alors que les anthropologues s’intéressaient aux témoignages oraux et donc, s’adonnaient à l’enquête de terrain. Les deux disciplines divergeaient également quant à la temporalité : « Pour l’histoire, (…) le temps est une sorte de matière première. Les actes s’inscrivent dans le temps, modifient les choses tout autant qu’ils les répètent. (…) Pour l’anthropologue, s’il n’y prend garde, le temps passe en arrière-plan, au profit d’une saisie des phénomènes en synchronie » (Bensa 2010 : 42). Ces distinctions ne sont plus aujourd’hui essentielles, en particulier pour « l’anthropologie historique », champ de recherche dont se revendiquent tant les historiens que les anthropologues, mais il n’en fut pas de tout temps ainsi. Après s’être d’abord intéressés à l’histoire des civilisations dans une perspective évolutionniste et spéculative, au tournant du siècle dernier, les pères de l’anthropologie, tant en France (Émile Durkheim, Marcel Mauss), aux États-Unis (Franz Boas), qu’en Angleterre (Bronislaw Malinowski, Alfred Radcliffe-Brown), prendront fermement leur distance avec cette histoire. Les questions de méthode, comme le développement de l’observation participante, et l’essor de concepts qui devinrent centraux à la discipline tels que « culture » et « fonction » furent déterminants pour sortir de l’idéologie évolutionniste en privilégiant la synchronie plutôt que la diachronie et les généalogies. On se détourna alors des faits uniques pour se concentrer sur ceux qui se répètent (Bensa 2010 : 43). On s’intéressa moins à l’accidentel, à l’individuel pour s’attacher au régulier, au social et au culturel. Sans être nécessairement antihistoriques, ces précepteurs furent largement ahistoriques (Evans-Pritchard 1962 : 172), une exception ayant été Franz Boas – et certains de ses étudiants, tels Robert Lowie ou Melville J. Herskovits – avec son intérêt pour les contacts culturels et les particularismes historiques. Du côté de l’histoire, on priorisait la politique, l’événement et les grands hommes, ce qui donnait lieu à des récits plutôt factuels et athéoriques (Krech 1991 : 349) basés sur les événements « vrais » et uniques qui se démarquaient de la vie « ordinaire ». Les premiers essais pour réformer l’histoire eurent lieu en France, du côté des historiens qui seront associés aux « Annales », un nom qui réfère à la fois à une revue scientifique fondée en 1929 par Marc Bloch et Lucien Febvre et à une École d’historiens français qui renouvela la façon de penser et d’écrire l’histoire, en particulier après la Seconde Guerre mondiale (Krech 1991; Schöttler 2010). L’anthropologie et la sociologie naissantes suscitèrent alors l’intérêt chez ce groupe d’historiens à cause de la variété de leurs domaines d’enquête, mais également par leur capacité à enrichir une histoire qui n’est plus conçue comme un tableau ou un simple inventaire. Les fondateurs de la nouvelle École française des Annales décrivent leur approche comme une « histoire totale », expression qui renvoie à l’idée de totalité développée par les durkheimiens, mais également à l’idée de synthèse du philosophe et historien Henry Berr (Schöttler 2010: 34-37). L’histoire fut dès lors envisagée comme une science sociale à part entière, s’intéressant aux tendances sociales qui orientent les singularités. L’ouvrage fondateur de Marc Bloch, Les rois thaumaturges (1983 [1924]), pose les jalons de ce dépassement du conjoncturel. Il utilise notamment la comparaison avec d’autres formes d’expériences humaines décrites notamment dans Le Rameau d’Or (1998 [1924; 1890 pour l’édition originale en anglais]) de James G. Frazer et explore le folklore européen pour dévoiler les arcanes religieux du pouvoir royal en France et en Angleterre (Bensa 2010; Goody 1997). Il s’agit alors de faire l’histoire des « mentalités », notion qui se rapproche de celle de « représentation collective » chère à Durkheim et Mauss (sur ce rapprochement entre les deux notions et la critique qui en a été faite, voir Lloyd 1994). Les travaux de la deuxième génération des historiens des Annales, marqués par la publication de l’ouvrage de Fernand Braudel La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II en 1949 et de son arrivée en 1956 à la direction de la revue, peuvent encore une fois mieux se comprendre dans l’horizon du dialogue avec l’anthropologie, d’une part, et avec les area studiesqui se développèrent aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, de l’autre (Braudel 1958). Le projet est de rapporter « la spécificité des acteurs singuliers, des dates et des événements à des considérations plus vastes sur la transformation lente des mœurs et des représentations. Le travail ne consiste pas seulement à capter au projet de l’histoire des rubriques chères à l’anthropologie, mais aussi à caractériser une époque [et une région] par sa façon de percevoir et de penser le monde » (Bensa 2010 : 46). Il s’agit alors de faire l’histoire des structures, des conjonctures et des mentalités (Schöttler 2010 : 38). Les travaux de cette deuxième génération des Annales s’inscrivent dans un vif débat avec l’anthropologie structuraliste de Claude Lévi-Strauss. Si tant Braudel que Lévi-Strauss voulaient considérer les choses de façon globale, Lévi-Strauss situait la globalité dans un temps des sociétés des origines, comme si tout s’était joué au départ et comme si l’histoire n’en serait qu’un développement insignifiant. Pour sa part, Braudel, qui s’intéressait à l’histoire sérielle et à la longue durée, situait plutôt la globalité dans un passé qui sert à comprendre le présent et, jusqu’à un certain point, à prévoir ce qui peut se passer dans le futur. Ce qui constitue le fond de leur opposition est que l’un s’intéresse à l’histoire immobile alors que l’autre s’intéresse à l’histoire de longue durée, soit l’histoire quasi immobile selon laquelle, derrière les apparences de la reproduction à l’identique, se produisent toujours des changements, même très minimes. Dans les deux cas, l’ « événementiel » ou ce qui se passe à la « surface » sont à l’opposé de leur intérêt pour la structure et la profondeur, même si ces dernières ne sont pas saisies de la même façon. Pour Braudel, la structure est pleinement dans l’histoire ; elle est réalité concrète et observable qui se décèle notamment dans les réseaux de relations, de marchandises et de capitaux qui se déploient dans l’espace et qui commandent les autres faits dans la longue durée (Dosse 1986 : 89). Les travaux de Braudel et son concept d’ « économie-monde » inspireront plusieurs anthropologues dont un Marshall Sahlins et un Jonathan Friedman à partir du tournant des années 1980. Pour Lévi-Strauss, la structure profonde, celle qui correspond aux enceintes mentales humaines, « ne s’assimile pas à la structure empirique, mais aux modèles construits à partir de celle-ci » (Dosse 1986 : 85). Elle est donc hors de l’histoire. Comme le rappelait François Hartog (2014 [2004] : 287), Lévi-Strauss a souvent dit « rien ne m’intéresse plus que l’histoire. Et depuis fort longtemps! » (1988 : 168; voir d’ailleurs notamment Lévi-Strauss 1958, 1983), tout en ajoutant « l’histoire mène à tout, mais à condition d’en sortir » (Lévi-Strauss 1962 : 348) ! Parallèlement à l’entreprise déhistoricisante de Lévi-Strauss, d’autres anthropologues insistent au contraire à la même époque sur l’importance de réinsérer les institutions étudiées dans le mouvement du temps. Ainsi, Edward E. Evans-Pritchard, dans sa célèbre conférence Marett de 1950 qui sera publiée en 1962 sous le titre « Anthropology and history », dénonce le fait que les généralisations en anthropologie autour des structures sociales, de la religion, de la parenté soient devenues tellement généralisées qu’elles perdent toute valeur. Il insiste sur la nécessité de faire ressortir le caractère unique de toute formation sociale. C’est pour cette raison qu’il souligne l’importance de l’histoire pour l’anthropologie, non pas comme succession d’événements, mais comme liens entre eux dans un contexte où on s’intéresse aux mouvements de masse et aux grands changements sociaux. En invitant notamment les anthropologues à faire un usage critique des sources documentaires et à une prise en considération des traditions orales pour comprendre le passé et donc la nature des institutions étudiées, Evans-Pritchard (1962 : 189) en appelle à une combinaison des points de vue historique et fonctionnaliste. Il faut s’intéresser à l’histoire pour éclairer le présent et comment les institutions en sont venues à être ce qu’elles sont. Les deux disciplines auraient donc été pour lui indissociables (Evans-Pritchard 1962 : 191). Au milieu du XXe siècle, d’autres anthropologues s’intéressaient aux changements sociaux et à une conception dynamique des situations sociales étudiées, ce qui entraîna un intérêt pour l’histoire, tels que ceux de l’École de Manchester, Max Gluckman (1940) en tête. En France, inspiré notamment par ce dernier, Georges Balandier (1951) insista sur la nécessité de penser dans une perspective historique les situations sociales rencontrées par les anthropologues, ce qui inaugura l’étude des situations coloniales puis postcoloniales, mais aussi de l’urbanisation et du développement. Cette importance accordée à l’histoire se retrouva chez les anthropologues africanistes de la génération suivante tels que Jean Bazin, Michel Izard et Emmanuel Terray (Naepels 2010 : 876). Le dialogue entre anthropologie et histoire s’est développé vers la même époque aux États-Unis. Après le passage de l’Indian Claims Commission Act en 1946, qui établit une commission chargée d’examiner les revendications à l’encontre de l’État américain en vue de compensations financières pour des territoires perdus par les nations autochtones à la suite de la violation de traités fédéraux, on assista au développement d’un nouveau champ de recherche, l’ethnohistoire, qui se dota d’une revue en 1954, Ethnohistory. Ce nouveau champ fut surtout investi par des anthropologues qui se familiarisèrent avec les techniques de l’historiographie. La recherche, du moins à ses débuts, avait une orientation empirique et pragmatique puisque les chercheurs étaient amenés à témoigner au tribunal pour ou contre les revendications autochtones (Harkin 2010). Les ethnohistoriens apprirent d’ailleurs à ce moment à travailler pour et avec les autochtones. Les recherches visaient une compréhension plus juste et plus holiste de l’histoire des peuples autochtones et des changements dont ils firent l’expérience. Elles ne manquèrent cependant pas de provoquer un certain scepticisme parmi les anthropologues « de terrain » pour qui rien ne valait la réalité du contact et les sources orales et pour qui les archives, parce qu’étant celles du colonisateur, étaient truffées de mensonges et d’incompréhensions (Trigger 1982 : 5). Ce scepticisme s’estompa à mesure que l’on prit conscience de l’importance d’une compréhension du contexte historique et de l’histoire coloniale plus générale pour pouvoir faire sens des données ethnologiques et archéologiques. L’ethnohistoire a particulièrement fleuri en Amérique du Nord, mais très peu en Europe (Harkin 2010; Trigger 1982). On retrouve une tradition importante d’ethnohistoriens au Québec, qu’on pense aux Bruce Trigger, Toby Morantz, Rémi Savard, François Trudel, Sylvie Vincent. L’idée est de combiner des données d’archives et des données archéologiques avec l’abondante ethnographie. Il s’agit également de prendre au sérieux l’histoire ou la tradition orale et de confronter les analyses historiques à l’interprétation qu’ont les acteurs de l’histoire coloniale et de son impact sur leurs vies. La perspective se fit de plus en plus émique au fil du temps, une attention de plus en plus grande étant portée aux sujets. Le champ de recherche attira graduellement plus d’historiens. La fin des années 1960 fut le moment de la grande rencontre entre l’anthropologie et l’histoire avec la naissance, en France, de l’« anthropologie historique » ou « nouvelle histoire » et, aux États-Unis, de la « New Cutural History ». L’attention passa des structures et des processus aux cultures et aux expériences de vie des gens ordinaires. La troisième génération des Annales fut au cœur de ce rapprochement : tout en prenant ses distances avec la « religion structuraliste » (Burguière 1999), la fascination pour l’anthropologie était toujours présente, produisant un déplacement d’une histoire économique et démographique vers une histoire culturelle et ethnographique. Burguière (1999) décrivait cette histoire comme celle des comportements et des habitudes, marquant un retour au concept de « mentalité » de Bloch. Les inspirations pour élargir le champ des problèmes posés furent multiples, en particulier dans les champs de l’anthropologie de l’imaginaire et de l’idéologique, de la parenté et des mythes (pensons aux travaux de Louis Dumont et de Maurice Godelier, de Claude Lévi-Strauss et de Françoise Héritier). Quant à la méthode, la description dense mise en avant par Clifford Geertz (1973), la microhistoire dans les traces de Carlo Ginzburg (1983) et l’histoire comparée des cultures sous l’influence de Jack Goody (1979 [1977]) permirent un retour de l’événement et du sujet, une attention aux détails qui rejoignit celle qu’y accordait l’ethnographie, une conception plus dynamique des rapports sociaux et une réinterrogation des généralisations sur le long terme (Bensa 2010 : 49 ; Schmitt 2008). Aux États-Unis, la « New Culturel History » qui s’inscrit dans les mêmes tendances inclut les travaux d’historiens comme Robert Darnon, Natalie Zemon Davis, Dominick La Capra (Iggers 1997; Krech 1991; Harkin 2010). L’association de l’histoire et de l’anthropologie est souvent vue comme ayant été pratiquée de manière exemplaire par Nathan Wachtel, historien au sens plein du terme, mais également formé à l’anthropologie, ayant suivi les séminaires de Claude Lévi-Strauss et de Maurice Godelier (Poloni-Simard et Bernand 2014 : 7). Son ouvrage La Vision des vaincus : les Indiens du Pérou devant la Conquête espagnole 1530-1570 qui parut en 1971 est le résultat d’un va-et-vient entre passé et présent, la combinaison d’un travail en archives avec des matériaux peu exploités jusque-là, comme les archives des juges de l’Inquisition et les archives administratives coloniales, et de l’enquête de terrain ethnographique. Cet ouvrage met particulièrement en valeur la capacité d’agir des Autochtones dans leur rapport avec les institutions et la culture du colonisateur. Pour se faire, il appliqua la méthode régressive mise en avant par Marc Bloch, laquelle consiste à « lire l’histoire à rebours », c’est-à-dire à « aller du mieux au moins bien connu » (Bloch 1931 : XII). Du côté des anthropologues, l’anthropologie historique est un champ de recherche en effervescence depuis les années 1980 (voir Goody 1997 et Naepels 2010 pour une recension des principaux travaux). Ce renouveau prit son essor notamment en réponse aux critiques à propos de l’essentialisme, du culturalisme, du primitivisme et de l’ahistoricisme (voir Fabian 2006 [1983]; Thomas 1989; Douglas 1998) de la discipline anthropologique aux prises avec une « crise de la représentation » (Said 1989) dans un contexte plus large de décolonisation qui l’engagea dans un « tournant réflexif » (Geertz 1973; Clifford et Marcus 1986; Fisher et Marcus 1986). Certains se tournèrent vers l’histoire en quête de nouvelles avenues de recherche pour renouveler la connaissance acquise par l’ethnographie en s’intéressant, d’un point de vue historique, aux dynamiques sociales internes, aux régimes d’historicité et aux formes sociales de la mémoire propres aux groupes auprès desquels ils travaillaient (Naepels 2010 : 877). Les anthropologues océanistes participèrent grandement à ce renouveau en discutant de la nécessité et des possibilités d’une anthropologie historiquement située (Biersack 1991; Barofsky 2000; Merle et Naepels 2003) et par la publication de plusieurs monographies portant en particulier sur la période des premiers contacts entre sociétés autochtones et Européens et les débuts de la période coloniale (entre autres, Dening 1980; Sahlins 1981, 1985; Valeri 1985; Thomas 1990). L’ouvrage maintenant classique de Marshall Sahlins, Islands of History (1985), suscita des débats vigoureux qui marquèrent l’histoire de la discipline anthropologique à propos du relativisme en anthropologie, de l’anthropologie comme acteur historique, de l’autorité ethnographique, de la critique des sources archivistiques, des conflits d’interprétation et du traitement de la capacité d’agir des populations autochtones au moment des premiers contacts avec les Européens et, plus largement, dans l’histoire (pour une synthèse, voir Kuper 2000). Pour ce qui est de la situation coloniale, le 50e anniversaire de la publication du texte fondateur de Balandier de 1951, au début des années 2000, fut l’occasion de rétablir, approfondir et, dans certains cas, renouveler le dialogue non seulement entre anthropologues et historiens, mais également, entre chercheurs français et américains. Les nouvelles études coloniales qui sont en plein essor invitent à une analyse méticuleuse des situations coloniales d’un point de vue local de façon à en révéler les complexités concrètes. On y insiste aussi sur l’importance de questionner les dichotomies strictes et souvent artificielles entre colonisateur et colonisé, Occident et Orient, Nord et Sud. Une attention est aussi portée aux convergences d’un théâtre colonial à un autre, ce qui donne une nouvelle impulsion aux analyses comparatives des colonisations (Sibeud 2004: 94) ainsi qu’au besoin de varier les échelles d’analyse en établissant des distinctions entre les dimensions coloniale et impériale (Bayart et Bertrand 2006; Cooper et Stoler 1997; Singaravélou 2013; Stoler, McGranahn et Perdue 2007) et en insérant les histoires locales dans les processus de globalisation, notamment économique et financière, comme l’ont par exemple pratiqué les anthropologues Jean et John Comaroff (2010) sur leur terrain sud-africain. Ce « jeu d’échelles », représente un défi important puisqu’il force les analystes à constamment franchir les divisions persistantes entre aires culturelles (Sibeud 2004: 95). Ce renouveau a également stimulé une réflexion déjà amorcée sur l’usage des archives coloniales ainsi que sur le contexte de production et de conservation d’une archive (Naepels 2011; Stoler 2009), mais également sur les legs coloniaux dans les mondes actuels (Bayart et Bertrand 2006; De l’Estoile 2008; Stoler 2016)
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Desveaux, Emmanuel. "Parenté." Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.102.

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Abstract:
Au milieu du XIXe siècle, Henry L. Morgan, un avocat américain puritain, fait une découverte considérable : dans toutes les langues humaines, il existe un ensemble de termes servant à désigner les différents types de parents. Si ces mots appartiennent à la langue, la façon dont se répartit leur usage répond à des principes logiques qui la dépassent dans la mesure où ils se retrouvent dans des langues voisines — ou éloignées — qui n’ont rien de commun. La somme des termes de parenté d’une langue forme ainsi une nomenclature, et celle-ci est, de façon universelle, égocentrée. Le fait qui illustre le mieux le caractère métalinguistique du fait nomenclatural réside dans la dichotomie qui prévaut dans de très nombreuses langues — en Amérique, en Australie ou encore en Océanie — entre cousins-parallèles(ceux qui sont issus du frère du père ou de la sœur de la mère), assimilés à des frères et sœurs, et les cousins-croisés(issus de la sœur du père ou du frère de la mère) parmi lesquels il est très souvent possible, voire parfois même obligatoire, de choisir un partenaire matrimonial. Ainsi une règle abstraite engendre les cousins-croisés, à savoir l’inversion de sexe au sein des fratries respectives de mes parents. D’autres règles d’ordre logique prévalent, bien qu’elles soient moins à même de retenir l’attention de la pensée occidentale car elles lui sont coutumières, telles que la différence entre les générations (grands-parents, parents, enfants, petits-enfants) ou la collatéralité (oncles, tantes, neveux et nièces). Surgissent enfin çà et là, notamment en Amérique, mais également en Afrique, d’autres règles qui paraissent encore plus déroutantes que la catégorie de cousins-croisés, telle que l’inclinaison générationnelle. Les Indiens des Plaines nord-américaines en offrent des beaux exemples, d’où l’appellation de systèmes Crow-Omaha, noms de deux tribus de cette région. Dans ce cas, l’individu a des parents appartenant à la même génération biologique que lui, mais qu’il désigne par des termes tels « grand-père », « grand-mère » ou « petit-fils, petite-fille ». Que signifie ce dispositif langagier et son universalité ? Notons alors qu’il s’oppose à un autre dispositif, tout aussi universel, de désignation des individus : celui des noms propres. Ces derniers sont conférés à l’individu, par exemple en vertu du baptême ou d’un autre rite de passage. Ils relèvent toujours d’une métaphore, puisque les noms propres possèdent toujours une signification commune préalable. Le dispositif de la nomenclature de parenté procède, quant à lui, par métonymie; il permet à l’individu, lors de son apprentissage de la langue, de s’approprier cognitivement la relation qu’il entretient avec les personnes qui l’entourent, puis de proche en proche de désigner par lui-mêmeceux qui sont liés à lui. Les deux dispositifs de désignation, l’un passif, l’autre actif, se révèlent universels, bien qu’ils connaissent respectivement de grandes variations, notamment d’étiquette, selon les cultures (Désveaux 2013 : 254). Le fait que les termes de parenté doivent être compris comme les compléments inverses des noms propres nous permet d’affirmer que la parenté en tant que telle renvoie en priorité à l’inscription de l’individu dans l’ordre social par le biais du langage. Ce point a été largement occulté par les parentalistes, car ils sont restés dans leur grande majorité fidèles au moule théorique hérité de Morgan, qui fait de la nomenclature tantôt le marqueur d’une évolution cognitive en quête d’une vérité biologique, tantôt l’expression de principes d’organisation sociale extérieurs à elle. L’inventeur de la parenté avait en effet tiré deux grandes conclusions de ses recherches comparées sur les nomenclatures. Primo, les longs progrès de l’humanité la conduisent à identifier et à isoler la famille nucléaire, dont la famille occidentale offre le modèle accompli. Nos langues ne distinguent-elles l’oncle du père, la tante de la mère, les frères des cousins, etc. ? Selon Morgan (1871), ces nomenclatures seraient descriptivescar elles attesteraient de la réalité des relations biologiques qui relient les individus. Il oppose la lucidité inhérente à nos nomenclatures au caractère aveugle des nomenclatures de la majorité des peuples exotiques primitifs qui, dites classificatoires, rangent dans une même catégorie, ou même classe, des frères et des cousins. Secundo, les termes de parenté reflètent des manières de cohabiter. Ainsi, là où des cousins s’appellent « frère », c’est parce que la société vit encore dans un état de promiscuité qui fait que des enfants issus de couples de géniteurs différents partagent la même maison, autrement dit vivent dans une « famille élargie ». Un premier courant des études de parenté, très présent aux États-Unis, va s’attacher à montrer que les systèmes de parenté, dans toutes les sociétés, même les plus « primitives », visent à certifier le lien « biologique » entre un homme et ses enfants (Sheffler 1973, pour une critique de ce courant, voir Schneider 1968). L’accent est alors mis sur l’étude des comportements plutôt que sur celle des termes et le dialogue avec l’éthologie animale très étroit. La capacité de déceler des ressemblances entre individus serait également tenue pour universelle. Un deuxième courant est plus proprement sociologique. Il cherche à montrer que l’architecture logique d’une nomenclature reflète des règles de filiation et surtout de mariage. L'initiateur de ce courant est Rivers (1913). Délaissant l’heuristique morganienne de la cohabitation, ce dernier montre que le phénomène des cousins-croisés résulte ou reflète une règle particulière d’alliance. Si de génération en génération se reproduit le même type de mariage avec sa cousine issue de l’oncle maternel ou de la tante paternelle, l’ensemble du champ de la parenté se déploie autour de deux lignées qui s’échangent leurs enfants. La démonstration était facilitée par la présence d’une idéologie de l’échange matrimonial chez les Dravidiens, population de l’Inde méridionale, où Rivers enquêtait. Or, Lévi-Strauss amplifie sa démonstration (1949). Le père du structuralisme y montre qu’une altération simple de la règle du mariage avec la cousine-croisée transforme profondément le système. L’interdiction du mariage avec la cousine patrilatérale a en effet pour conséquence de créer une structure d’échange non à deux termes, mais à trois unités échangistes en brisant une réciprocité immédiate au bénéfice d’une réciprocité plus englobante, à trois unités échangistes, voire plus : si les femmes circulent toujours dans le même sens, des donneurs aux preneurs, le système finit par se boucler sur lui-même. Cette nouvelle structure d’échange est dite généralisée et non plus restreinte puisque, à la différence de la première, elle se définit par sa faculté d’intégration d’un assez grand nombre d’unités échangistes, sans que soit altéré son fonctionnement. Toutefois, l’échange matrimonial se métamorphose : il n’est plus une pratique consciente pour les protagonistes, mais s’enfouit dans l’inconscient collectif. Lévi-Strauss va plus loin encore, inspiré à la fois par Le contrat socialde Rousseau et L’essai sur le donde Mauss, en disant que ce principe d’échange matrimonial est commun à toutes les sociétés humaines et se situe à l’origine de l’ordre social. La prohibition de l’inceste, universelle, en serait en quelque sorte la contrepartie négative, puisque afin de marier ma sœur à l’extérieur, je dois renoncer à elle. De ce renoncement, je peux m’attendre à recevoir à mon tour une épouse de celui qui sera mon beau-frère. L’échange des femmes sert la procréation comme il renforce la solidarité sociale. La puissance de ce modèle théorique, ainsi que sa compatibilité avec le freudisme, lui a longtemps garanti une audience considérable. Cette hégémonie s’est surtout exercée en France et en Grande-Bretagne, avant de subir, plus récemment, une certaine désaffection sous l’effet d’un double mouvement critique. D’un point de vue externe à la discipline, l’engouement féministe contemporain rend de plus en plus incongrue l’idée que les femmes soient à la fois des personnes, en tant qu’elles sont sujettes au langage, et des valeurs, en tant qu’objets d’échange. D’un point de vue interne à la discipline, la critique s’avère plus technique. Elle revient à dire que les nomenclatures à cousins-croisés peuvent autant s’expliquer par un impératif dualiste d’ordre cognitif que par des préceptes échangistes et que si leur prévalence n’est pas confirmée par l’ethnographie — comme c’est le cas en Amérique —, elle relève peut-être finalement d’une illusion de la théorie. Il existe une troisième voie dans les études de parenté, ouverte par Kroeber (1909) lorsqu’il disait que les opérateurs sémantiques inhérents à toute nomenclature ne se limitaient pas à la fascinante question des cousins-croisés. Les anthropologues culturalistes américains, peu sensibles au philosophisme lévi-straussien, ont développé ainsi l’approche componentielle, proposant de décomposer les termes de parenté en éléments (en composants) logiques (Goodenough 1956). Si ces recherches n’ont pas débouché sur des résultats spectaculaires, ils ont permis de comprendre que, dans l’ordre de la parenté, la parole abolit la différence des sexes, pourtant très saillante, dans la procréation elle-même, où la femme et l’homme ont des fonctions physiologiques et donc des rôles sociaux très différenciés. Car l'homme et la femme sont à égalité par rapport au langage, qu’ils maîtrisent pareillement. Leurs positions sont interchangeables dès lors qu’il s’agit de socialiser l’enfant en lui apprenant les relations de parenté qui lient tous ceux qui l’entourent. Nous sommes alors loin de l’obsession biologique d’un Morgan, qui pensait devoir fonder la parenté sur l’opposition, traditionnelle en Occident, de la consanguinitéet de l’affinité (Désveaux 2002).
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Singleton, Michael. "Culte des ancêtres." Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.092.

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Abstract:
Les plus observateurs de la première génération de missionnaires, de militaires et de marchands européens à avoir sillonné l’Afrique des villages avaient souvent remarqué qu’à proximité de la maisonnée tôt le matin leur vénérable hôte versait dans un tesson de canari, parfois logé à l’intérieur d’un modeste édicule, un peu de bière ou y laissait un morceau de viande tout en s’adressant respectueusement à un interlocuteur invisible. La plupart de ces ethnographes amateurs de la première heure ont automatiquement conclu qu’il s’agissait d’un rite d’offrande sacrificielle accompli par un prêtre sur l’autel d’un petit temple où étaient localisés des esprits d’ancêtres (qu’on distinguait des purs esprits ancestraux). A leurs yeux judéo-chrétiens et gréco-latins, ce culte répondait à une religiosité primitive axée autour de la croyance dans la survie (immatérielle) des âmes (immortelles) qui, implorées en prière par les vivants, pouvaient, grâce à Dieu, venir en aide aux leurs. The medium is the message En inventoriant et analysant ainsi le phénomène en des termes sacrés on ne pouvait pas tomber plus mal ou loin d’une plaque phénoménologique qu’en l’absence in situ de la dichotomie occidentale entre le naturel et le surnaturel, on ne saurait même pas décrire comme « profane ». Emportés par des préjugés ethnocentriques peu problématisés, même des anthropologues occidentaux ou occidentalisés (mais y en a-t-il d’autres ?), ont désigné comme « le culte religieux des esprits ancestraux » une philosophie et pratique indigènes qui, au ras des pâquerettes phénoménologiques, ne représentaient que l’expression conceptuelle et cérémonielle des rapports intergénérationnels tels que vécus dans un certain mode historique de (re)production agricole. Préprogrammés par leur héritage chrétien, même s’ils n’y croyaient plus trop, les premiers observateurs occidentaux de la scène africaine se sont sentis obligés d’y localiser une sphère du sacré et du religieux bien distincte d’autres domaines clôturés par leur culture d’origine dont, entre autres, l’économique, le social ou le politique. Je parle des seuls Européens à l’affut savant et non sectaire des traits univoques d’une religiosité universelle qu’ils estimaient relever d’une nature religieuse censée être commune à tous les hommes. Car il faut passer sous le silence qu’ils méritent les Occidentaux qui, en laïques rabiques ou croyants fondamentalistes traitaient ce qu’ils voyaient de stupidités sauvages voire de superstitions sataniques. Néanmoins, faisons écho du meilleur des ethnographes ecclésiastiques qui ont cru bon de voir dans le phénomène des relents soit d’une Révélation Primitive (Uroffenbarung) soit des jalons vers la vraie Foi. Car en filigrane dans le mânisme (un terme savant renvoyant aux mânes des foyers romains) ils pensaient pouvoir lire la croyance en le monothéisme et en l’immortalité individuelle ainsi que le pendant de l’intercession médiatrice entre les Saints voire des Ames du Purgatoire et Dieu – autant de dogmes du XIXe siècle auxquels désormais peu de Chrétiens critiques souscrivent et qui, de toute évidence ethnographique n’avaient aucun équivalent indigène. L’anthropologie n’est rien si ce n’est une topologie : à chaque lieu (topos) sa logique et son langage. Or, d’un point de vue topographique, le lieu du phénomène qui nous préoccupe n’est ni religieux ni théologique dans le sens occidental de ces termes, mais tout simplement et fondamentalement gérontologique (ce qui ne veut pas dire « gériatrique » !). En outre, son langage et sa logique relèvent foncièrement de facteurs chronologiques. A partir des années 1950, je me suis retrouvé en Afrique venant du premier Monde à subir les conséquences sociétales d’un renversement radical de vapeur chronologique. Depuis l’avènement de la Modernité occidentale les acquis d’un Passé censé absolument parfait avaient perdu leur portée paradigmatique pour être remplacés par l’espoir d’inédits à venir – porté par les résultats prometteurs d’une croissance exponentielle de la maitrise technoscientifique des choses. Au Nord les jeunes prenant toujours davantage de place et de pouvoir, les vieillissants deviennent vite redondants et les vieux non seulement subissent une crise d’identité mais font problème sociétal. C’est dire que dans le premier village africain où en 1969 je me suis trouvé en « prêtre paysan » chez les WaKonongo de la Tanzanie profonde j’avais d’abord eu mal à encaisser la déférence obséquieuse des jeunes et des femmes à l’égard de ce qui me paraissait la prépotence prétentieuse des vieux. Les aînés non seulement occupaient le devant de la scène mais se mettaient en avant. Toujours écoutés avec respect et jamais ouvertement contredits lors des palabres villageois, ils étaient aussi les premiers et les mieux servis lors des repas et des beuveries. Un exemple parmi mille : en haranguant les jeunes mariés lors de leurs noces il n’était jamais question de leur bonheur mais de leurs devoirs à l’égard de leurs vieux parents. Mais j’allais vite me rendre compte que sans le savoir-faire matériel, le bon sens moral et la sagesse « métaphysique » des aînés, nous les jeunes et les femmes de notre village vaguement socialiste (ujamaa) nous ne serions pas en sortis vivants. Les vieux savaient où se trouvaient les bonnes terres et où se terrait le gibier ; ils avaient vécu les joies et les peines de la vie lignagère (des naissances et des funérailles, des bonnes et des mauvaises récoltes, des périodes paisibles mais aussi des événements stressants) et, sur le point de (re)partir au village ancestral tout proche (de rejoindre le Ciel pour y contempler Dieu pour l’Eternité il n’avait jamais été question !) ils étaient bien placés pour négocier un bon prix pour l’usufruit des ressources vitales (la pluie et le gibier, la fertilité des champs et la fécondité des femmes) avec leurs nus propriétaires ancestraux. En un mot : plus on vieillit dans ce genre de lieu villageois, plus grandit son utilité publique. Si de gérontocratie il s’agit c’est à base d’un rapport d’autorité reconnu volontiers comme réciproquement rentable puisque dans l’intérêt darwinien de la survie collective et aucunement pour euphémiser une relation de pouvoir injustement aliénant. La dichotomie entre dominant et dominé(e) est l’exception à la règle d’une vie humaine normalement faite d’asymétries non seulement acceptées mais acceptables aux intéressé(e)s. Les WaKonongo ne rendaient pas un culte à leurs ancêtres, ils survivaient en fonction d’un Passé (personnifié ou « fait personne » dans les ainés et les aïeux) qui avait fait ses preuves. Pour être on ne saurait plus clair : entre offrir respectueusement les premières calebasses de bière aux seniors présents à une fête pour qu’ils ne rouspètent pas et verser quelques gouttes du même breuvage dans un tesson pour amadouer un ancêtre mal luné et fauteur de troubles et qu’on a fait revenir du village ancestral pour l’avoir à portée de main, n’existe qu’une différence de degré formel et aucunement de nature fondamentale. Dans les deux cas il s’agit d’un seul et même rapport intergénérationnel s’exprimant de manière quelque peu cérémonieuse par des gestes de simple politesse conventionnelle et aucunement d’une relation qui de purement profane se transformerait en un rite religieux et profondément sacré. Pour un topologue, le non-lieu est tout aussi éloquent que le lieu. Dans leurs modestes bandes, les Pygmées vivent entièrement dans le présent et dans l’intergénérationnel acceptent tout au plus de profiter des compétences effectives d’un des leurs. Il ne faut pas s’étonner qu’on n’ait trouvé chez eux la moindre trace d’un quelconque « culte des ancêtres ». Cultivant sur brûlis, allant toujours de l’avant de clairière abandonnée en clairière défrichée les WaKonongo, voyageant légers en d’authentiques nomades « oubliaient » leurs morts derrière eux là où des villageois sédentaires (à commencer par les premiers de l’Anatolie) les avaient toujours lourdement à demeure (ensevelis parfois dans le sous-sol des maisons). Le passage d’un lieu à un lieu tout autre parle aussi. Quand le savoir commence à passer sérieusement à la génération montante celle-ci revendique sa part du pouvoir et de l’avoir monopolisés jusqu’alors par la sortante. En l’absence d’un système de sécurité sociale dépassant la solidarité intergénérationnelle du lignage cette transition transforme souvent la portée intégratrice de la gérontocratie en une structure pathogène. Aigris et inquiets par cette évolution, les vieux que j’ai connu au milieu des années 1980 dans des villages congolais, de bons et utiles « sorciers » s’étaient métamorphosés en vampires anthophages. Dans des contextes urbains des pays où l’Etat est faible et la Famille par nécessité forte, l’enracinement empirique du phénomène bien visible au point zéro du petit village d’agriculteurs sédentaires, se trouve parfois masqué par des expressions fascinantes (tels que, justement, les ancêtres superbement masqués que j’ai côtoyé chez les Yoruba du Nigeria) ou à l’occasion folkloriques – je pense aux Grecs qui vont pique-niquer d’un dimanche sur les tombes familiales ou aux vieillards que j’ai vu en Ethiopie terminant leur vie au milieu des monuments aux morts des cimetières. Mais la raison d’être du phénomène reste familial et ne relève pas (du moins pas dans sa version initiale) d’une rationalité qui serait centrée « religieusement » sur des prétendues réalités onto-théologiques qui auraient pour nom Dieu, les esprits, les âmes. Enfin, sur fond d’une description réaliste mais globale du religieux, deux schémas pourraient nous aider à bien situer l’identité intentionnelle des différents interlocuteurs ancestraux. En partant du latin ligare ou (re)lier, le religieux en tant que le fait de se retrouver bien obligé d’interagir avec des interlocuteurs autres que purement humains (selon le vécu et le conçu local de l’humain), a lieu entre l’a-religieux du non rapport (donnant-donnant) ou du rapport à sens unique (le don pur et simple) et l’irréligieux (le « Non ! » - entre autre du libéralisme contractuel - à tout rapport qui ne me rapporte pas tout). Si le gabarit des interlocuteurs aussi bien humains que supra-humains varie c’est que la taille des enjeux dont ils sont l’expression symbolique (« sacramentaires » serait mieux puisqu’une efficacité ex opere operato y est engagée) va du local au global. Quand le réel est intra-lignager (maladie d’enfants, infertilité des femmes dans le clan) la solution symbolique sera négociée avec l’un ou l’autre aïeul tenu pour responsable. Par contre, quand le signifié (sécheresse, pandémie) affecte indistinctement tous les membres de la communauté, le remède doit être trouvé auprès des personnifications plus conséquentes. Ces phénomènes faits tout simplement « personnes » (i.e. dotés du strict minimum en termes de compréhension et de volonté requis pour interagir) avaient été identifiés autrefois avec le « dieu de la pluie » ou « l’esprit de la variole » mais mal puisque les épaisseurs ethnographiques parlaient ni de religion ou de théologie ni d’opposition entre matière et esprit, corps et âme, Terre et Ciel. Une communauté villageoise est fondamentalement faite de groupes lignagers – représentés par les triangles. En cas de malheurs imprévus (en religiosité « primitive » il est rarement question de bonheur attendu !) l’aîné du clan devinera qui en est responsable (un sorcier, un ancêtre ou « dieu » - nom de code personnalisé pour la malchance inexplicable). Il prendra ensuite les dispositions s’imposent –le cas échéant relocalisant à domicile un aïeul mauvais coucheur. Leurs ancêtres n’étant pas concernés, les patriarches de lignages voisins se montreront tout au plus sympathiques. La ligne du milieu représente le pouvoir ou mieux l’autorité du conseil informel des notables. Si, en haut de la pyramide, le chef figure en pointillé c’est qu’il n’a aucun rôle proprement politique mais fonctionne comme médiateur entre les villageois et les nus propriétaires ancestraux en vue de l’usufruit collectif de leurs ressources vitales (en particulier la pluie). En invoquant ses ancêtres, il remédiera aussi à des problèmes affectant tout le monde (la sécheresse, une épidémie, des querelles claniques, menace ennemi). En partant de l’étymologie ligare ou « lier » j’entends par « être religieux » le fait de se (re)trouver obligé en commun à interagir de manière cérémonielle mais asymétrique, avec des interlocuteurs à l’identité plus qu’humain (tel que défini selon la logique locale), afin de satisfaire des intérêts réciproques et pas d’alimenter la curiosité intellectuelle, alors la spirale représente le réseau des rapports proprement religieux. Dans ce sens on peut penser que les vivants villageois se comportent « religieusement » avec les morts vivants du lignage ou de l’ensemble ethnique. Autour de la ligne médiane ont lieu les relations entre hommes, elles aussi à la limite religieuses – délimitées, à droite, par l’a-religieux de l’étranger vite devenu l’ennemi à qui on ne doit rien et qui peut tout nous prendre, et, à gauche, par l’irréligieux de l’adversaire du dedans tel que le sorcier parmi les vôtres qui vous en veut à mort. En bas, il y a le monde dit par l’Occident, animal, végétal et minéral mais qui fait partie intégrante de la religion animiste. En haut se trouve un premier cercle d’interlocuteurs religieux ceux impliqués dans des affaires claniques. Plus haut, constellant l’ultime horizon religieux, on rencontre des interlocuteurs personnifiant des enjeux globaux – la pluie, le gibier, des pandémies… Logiquement, puisqu’elle n’est pas négociable, les Africains ont localisé hors toute réciprocité religieuse, une figure des plus insaisissables – de nouveau mal décrit comme deus otiosus puisqu’elle n’a rien de théologique et n’est pas tant inoccupé que peu préoccupé par le sort humain. Trois diapositives illustrent les trois types d’interlocuteurs : 1. Des édicules pour fixer à côté de la maisonnée des ancêtres lignagers et faciliter les échanges intéressés avec eux ; 2. Un tombeau royal associé grâce à la houe cérémoniale à la pluie ; 3. Un « temple » à la croisée des chemins en brousse où siège le Seigneur de la Forêt et les Animaux.
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