Martinetti, Sara. "« I never Write, I Just Do » : pratiques de l’écrit et enjeux théoriques du travail de Seth Siegelaub dans l’art conceptuel, le militantisme et l’érudition." Thesis, Paris, EHESS, 2020. http://www.theses.fr/2020EHES0051.
Abstract:
Seth Siegelaub (1941, New York-2013, Bâle) est une figure majeure, connue des historiens de l’art pour avoir de manière séminale renouvelé les modalités d’exposition, de présentation et de distribution des œuvres conceptuelles. La carrière de celui qui a été considéré comme l’impresario zélé de quatre artistes (Robert Barry, Joseph Kosuth, Douglas Huebler [1924-1997], Lawrence Weiner) ne s’arrête pas en 1972, date qui marque son départ de l’art et qui aurait confirmé l’« échec » des luttes politiques d’une génération. Le dropout de Siegelaub – se revendiquant comme « not an artist » mais opérant au cœur du dispositif – serait-il une reconversion des savoir-agir conceptuels ?L’approche anthropologique de l’écrit dans lequel Siegelaub est puissamment investi permet de suivre un parcours de vie séquencé en trois « sphères d’activité » : l’art, le militantisme et l’érudition. Des entretiens avec notre personnage principal ainsi qu’avec ses collaborateurs, la consultation de l’ensemble de son fonds et des projets de valorisation nous ont permis d’en analyser les enjeux respectifs. La première sphère nous amène à découvrir l’art conceptuel comme une littératie qui étend de manière inédite les usages quotidiens de l’écrit. La deuxième fait émerger le centre de documentation militant comme forme politique de résistance au capitalisme et de transformation sociale. La troisième, par un intérêt parallèle pour le textile, révèle une appropriation personnelle de la bibliographie. Siegelaub ne change pas du tout au tout d’activité mais se déplace entre différents mondes sociaux polarisés en mettant en résonance des pratiques et en construisant des réseaux grâce à l’écrit. En 1969, Siegelaub affirme : « Je ne suis pas un écrivain – je n’écris jamais, j’agis ». Son rapport à l’écrit est complexe, alors même qu’il n’a presque rien « écrit », au sens littéraire, théorique ou journalistique où on l’entend généralement. Qu’a fait Siegelaub avec l’écrit ? Dans quelle mesure les écrits ont-ils permis à cet editor, publisher, documentaliste, bibliographe et collectionneur d’agir ? Il a multiplié les écrits typiques comme le catalogue-exposition, le contrat ainsi que la bibliographie et, dans certains cas, en a renversé les usages à 180 degrés. Le parcours de Siegelaub touche à des enjeux théoriques puisque chaque domaine où il a été actif a produit un point de vue « local ». Les artistes conceptuels se sont intéressés au langage et ont utilisé le document pour tenir des positions critiques par rapport aux œuvres ; Armand Mattelart, chercheur critique ayant collaboré avec Siegelaub, a montré que les médias jouent un rôle essentiel dans la lutte des classes ; le savant graphomane François-Xavier Michel (1809-1897) a été précurseur d’une approche sociale de l’histoire des textiles. Le parcours de Siegelaub permet de considérer ensemble des idées sur l’écrit qui s’élaborent dans différentes disciplines et qui n’ont jamais été pensées dans leurs articulations<br>Seth Siegelaub (1941, New York–2013, Basel) is a major figure in the history of art known to scholars for his seminal role in the exhibition, presentation and distribution of Conceptual Art. Often described as the shrewd impresario of four artists (Robert Barry, Joseph Kosuth, Douglas Huebler and Lawrence Weiner), his career seems to stop in 1972 when he turns his back on the art world, thereby seemingly confirming the failure of the political struggle of a whole generation. But what if this dropout—by a man who claimed he was “not an artist,” yet operated at the heart of the system—coincided with a translation of the conceptual methodology into other fields?An anthropological approach of Siegelaub’s expansive and varied writing activities allows us to retrace his career according to three “spheres of activity”: art, activism, and erudition. By conducting numerous interviews with the main protagonist and his collaborators, and consulting his extensive archives, we have been able to explore the key issues respective to each of these spheres. Siegelaub’s first sphere of activity encourages us to consider Conceptual Art as a literacy that expanded the everyday uses of writing in a hitherto unprecedented way. The second sphere shows the documentation center as a means of political resistance to capitalism and social transformation, and the third, via its parallel interest in textiles, reveals Siegelaub’s personal appropriation of the bibliography. Siegelaub does not so much change activities as move between polarized social worlds, whose practices and networks he interconnects via his writing.In 1969, he stated: “I am not a writer—I never write, I just do.” His relationship to writing is complex, all the more so as he has hardly “written” in the literal, theoretical, or journalistic sense. What did Siegelaub do with writing? To what extent did it enable the editor, publisher, documentalist, bibliographer and collector to act? Siegelaub experimented with various kinds of writings such as the exhibition-as-catalogue, the contract, or the bibliography, in some cases even reversing their purpose or function. His career touched on numerous theoretical problems, each domain in which he was active producing a “local” point of view: the Conceptual artists were interested in language and used documents to critique the work of art; Armand Mattelart, a leading sociologist who collaborated with Siegelaub, clarified the role of mass media in class struggles; and the nineteenth-century erudite scholar François-Xavier Michel pioneered a social approach to the history of textiles. Siegelaub’s career makes it possible to bring together various conceptions of writing developed across different disciplines, which had never been considered in terms of their reciprocal influences